samedi 20 janvier 2018

Apprendre à se décider

Ygreck, Enquête Mâchurer, Le Journal de Québec, 28/10/17


APPRENDRE À SE DÉCIDER
(Article paru sur Facebook, le 2 novembre 2017, 16 lecteurs)

Depuis plus d'une semaine, on assiste à un véritable combat de coqs qui tombe dans le délire le plus saugrenu. D'abord, l'Unité permanente anti-corruption, que le gouvernement libéral de Jean Charest avait mis sur pied dans le but d'apaiser la grogne contre les soupçons de corruption à son égard et de son gouvernement, met la main au collet d'un député libéral, Guy Ouellette. Or, ce même Guy Ouellette, lui-même ex-policier placé à la tête de l'organisation Carcajou, il y a quelques années, dont le but était de faire la chasse aux Hell's Angels – qui sont depuis revenus dans le décor -, y était placé à peu près dans la même position que l'actuel chef de l'UPAC, Robert Lafrenière. Voilà qui dit à peu près l’essentiel de toute l’affaire.

Selon les «règles de l'art», dit notre Eliot Ness de l’UPAC, le mandat d'arrêt émis contre Guy Ouelette sera suivi – ça reste à voir – d'une mise en accusation pour avoir fait couler des informations - documents névralgiques affirme-t-on - concernant l’enquête Mâchurer sur le financement politique du Parti libéral du Québec. Le problème réside dans le fait qu'après avoir arrêté le député, on n'a pas dressé d'acte d'accusation formel. L'UPAC a-t-elle été trop vite et trop loin? Le député a-t-il fait quelques malversations comme l’affirme Lafrenière? Tous les élus s’arrachent la chemise comme s’ils se sentaient visés personnellement, et la séance s’achève dans une envolée oratoire sur l'immunité de la personne du député après que celui-ci, en pleine séance du parlement, se soit justifié en criant au piège à cons. Au bout d'une semaine, on s'aperçoit, comme aurait dit Shakespeare, que dans tout cela, il y a beaucoup de bruits pour rien.

En effet, nous n'en savons pas plus sur ce qui a mené à l’arrestation de ce bon député libéral. Retiré du caucus comme un pestiféré d'abord, Ouellette a fait un discours-fleuve devant ses collègues, se plaignant d'être victime d'un piège tendu par l'UPAC pour des raisons personnelles. L'ex-policier, en effet, a été placé par Philippe Couillard à la présidence de la Commission des institutions. Le coup aurait été monté dans le but de le faire «tomber» : «On a voulu m'écarter. Je suis le seul obstacle, comme président de la Commission des institutions et par le travail que je fais pour les citoyens du Québec, dans le cheminement de l'adoption (du projet de loi 107) qui va faire de l'Unité anticorruption un corps de police». C’est là se donner beaucoup d’importance. Mais cette version, qui place un intérêt personnel à l'origine de toute l'affaire, a tout de suite été prise au sérieux par les membres de l'Assemblée nationale. Personne n’a vu qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat.

Du coup, sauf une exception, les députés se tournent et applaudissent le discours de Ouellette qui, avouons-le, ne dit pas grande chose en beaucoup de mots. L'indignation unanime avant même de savoir toute la vérité, serait bouffonne si elle n'était pas écoeurante. Le Père Ubu de l'Assemblée, un autre libéral, Jacques Chagnon, s'est pris pour un héritier des tribuns de la Rome antique. Affirmant que l'arrestation n'est pas «un caprice ni un jeu», il a dit qu'il lui était «intolérable que la police ait arrêté un parlementaire sans qu'aucune accusation ait été portée contre lui». : «Nous devons exiger que la clarté sur cette situation soit établie de façon urgente... Que des accusations soient portées ou que des excuses publiques soient faites». Enfin, ses mots dépassant sa pensée (sic!) vont jusqu'à dénoncer (c’est à la mode par ces temps-ci) la «dérive totalitaire» qui mettrait en péril l’intégrité de l'assemblée démocratiquement élue, finissant par dresser le poing de la menace contre le corps policier : «Qu'on accuse ou qu'on s'excuse. Sinon, cette Assemblée devra prendre les moyens pour défendre les fondements mêmes de son existence». Et notre nouveau Danton, suant de tous les pores de sa peau, nous sort une jolie réplique : «Je me battrai pour chacun d'entre vous qui pourrait être victime d'intimidation». Standing ovation parmi les parlementaires.

Comme si le spectacle n’était pas assez outrancier, les zombies du Parti Québécois déposent une motion visant à saluer le discours historique de Jacques Chagnon. Il faut dire que dans un “pays” où le moindre pet d’un écureuil sur une branche est considéré comme chose historique, on ne doit pas s’étonner outre mesure d’une telle motion valorisant le courage téméraire du Président. C’est là que Moreau, le seul parlementaire, s’est dérobé préférant s’abstenir plutôt que d’applaudir bêtement : «Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un discours historique», a-t-il expliqué après le vote. «On politise un débat qui est essentiellement dans les mains du système de justice avec la séparation des pouvoirs, avec le fait notamment que la police doit faire son travail». Chagnon, qui ne voulait pas perdre son heure de gloire, a rabroué Moreau en assimilant sa réponse à l'explication fade donnée par Lafrenière sur les causes de l'arrestation.

Ça faisait longtemps qu'on avait pas entendu ni vu pareil spectacle dans le salon bleu. Évidemment, comme dans toute bonne famille québécoise, il y avait un mouton noir. Étonnamment, il ne venait ni des rangs de l'opposition péquiste ou caquiste, ni même de nos gauchistes de service de Québec Solidaire, mais d'un ministre libéral, Pierre Moreau, qui a remis les pendules à l'heure. Il a tout simplement rappelé à Chagnon et aux députés que ce n'était pas à l'UPAC de décider des poursuites criminelles à l'égard de Ouellette, mais au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), et si le DPCP a laissé l'UPAC procédé à l'arrestation du député, c'est que les preuves accumulées étaient solides. Lui non plus ne prend pas les arrestations pour un simple jeu. Il n'y a pas d'immunité parlementaire en dehors du Parlement; le député redevient simple citoyen et s'il juge qu'il a été outragé par la police, il n'a qu'à déposer une plainte. Il n’a pas à étendre sa cause personnelle à l’ensemble de l’Assemblée. Même des députés autrement compromis comme Nathalie Normandeau et Sam Hamad, ce dernier ne se classant ni dans l’échelle des Watt ni dans celle des Ampère, n’ont poussé l’odieux de faire partager à leurs collègues les malheurs qui s’abattaient sur eux comme l’a fait le député de Chomedey, se présentant comme un martyre de l’intimidation policière. Le verra-t-on défiler masqué dans les rues de Montréal, l’an prochain, lors de la manifestation contre la brutalité policière, avec les anars et les Anonymous?

Dans les premiers jours qui ont suivi cette algarade rocambolesque, tout le monde s'est montré sympathique au député «indépendant». On l'a bichonné. On s'est scandalisé avec lui. On a cru qu'on était à un doigt de l'État policier (comme si on y était pas déjà et avec la bénédiction de l’État démocratique!). On a vu dans les policiers de l'UPAC des étourdis qui arrêtaient sans raison un député innocent en vue de le museler parce que – paradoxe du langage -, le député entendait museler l'organisme policier. À preuve que la muselière est un jouet fétiche apprécié des policiers québécois. Ne serait-on pas davantage dans la vérité si on parlait d'un conflit de personnalités lié au sein même de la Sûreté du Québec? Un règlement de comptes entre Ouellette et Lafrenière? Partie de bras de fer au risque de faire avorter tout ce pour quoi l'UPAC a été mise sur pied? Déjà l'avocat d'une accusée bien en vue, l'ancienne vice-Première-ministre Nathalie Normandeau, s’est empressé à demander la fin des procédures judiciaires contre sa cliente. Or, si une personne a bien magouillé dans le financement douteux du Parti Libéral, c'est bien Nathalie Normandeau!

Maintenant que la poussière retombe sur terre, on tend davantage à être du côté de la prudence avec Moreau. Il faut laisser la justice suivre son cours. Si des accusations ne sont pas déposées contre Ouellette, on saura alors que c'est un règlement de comptes à l'interne. S'il y a des accusations, il faudra que Chagnon essuie le tir des policiers qui viendront chercher «son» député pour le lui soustraire. D'une flicaille déroutée à un gros ténor qui aboie comme un tuba, une fois de plus, la politique québécoise se sera ridiculisée. Car, en bout de ligne, il faudra bien un jour apprendre à se décider dans ce qu’on fait.

Il m’apparaît extraordinaire qu’on ait oublié la vraie raison de l’existence de l’UPAC au moment où elle pose, enfin, un geste d’éclat depuis si longtemps attendu. Car, pourquoi a-t-on établi l'UPAC sinon pour lutter contre la corruption et la collusion entre les partis politiques et les entrepreneurs véreux? La population voulait l'UPAC et attend toujours fébrilement que des accusations soient portées contre Jean Charest comme il en a été porté à d'anciens députés magouilleurs dans la quête des fonds pour le financement du Parti Libéral. Or, le mandat de l'UPAC ne vise pas particulièrement Jean Charest. Il vise toute la députation, et si un député, voire un ministre, se trouve un jour accusé, jugé et condamné, il faudra bien dire que, malgré la longueur de temps des procédures, la justice aura suivi son cours, comme dans le cas de l'ex-lieutenant gouverneur Lise Thibault. Personne, même la Reine, n'est au-dessus de la loi. C'est la décision essentielle qu'il faut retenir de cette autre niaiserie qui a marqué la politique québécoise. Chagnon, dans sa volonté de soutenir son ami Ouellette, a oublié cette leçon et maintenant son discours apparaît moins «historique» que pompier. On l'oubliera très vite.

Bref, les députés oublient rapidement pour quoi ils instituent des commissions d'enquête ou des commissions parlementaires. La basse partisanerie finit par tout polluer. Mais que l’on touche à l'un d'entre eux, de quelques partis que ce soient, et tout de suite l'esprit corporatif se consolide pour déboulonner les principes de la justice, de la vérité et de l'honnêteté. Que Moreau ne se soit pas senti obligé de participer au baiser Lamourette lancé par le P.Q. (toujours aussi écervelé), montre qu'il y a encore une raison logique dans cette chambre d'hystériques. Et Dieu sait que je suis loin d'être un admirateur de M. Moreau!

Tout ce vaudeville pathétique (sens américain et ancien à la fois) montre que les Québécois sont loin d'avoir accédé à une véritable société politique. Le déficit d'instruction, l'indifférence et souvent l'absence de conscience révèlent la pauvreté d'une démocratie pour laquelle, théâtralement, nous faisons des mots historiques hors contexte. Des citoyens idiots se donnent des parlementaires imbéciles. C'est ce qu'ils ont voulu, c'est qu'ils ont eu et c'est ce qu'ils ont mérité

 
Montréal
2 novembre 2017

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