L’un de mes amis me disait qu’il ne pouvait plus supporter les publicités de recrutement de l’armée canadienne que l’on présente au cinéma, avant le représentation filmique. Comme je ne vais plus au cinéma, que je regarde peu la télévision, je n’avais pas vu encore ces publicités. Maintenant, c’est chose faite. J’avais en mémoire la publicité bon enfant

Sur un bruit assourdissant - je comprend l’effet de perce-tympans en dolby stereo au cinéma -, une voix-off de femme militaire (que l'on nous associera à Ona Valdivia montrée jouant aux dards, jeux d'adresse considéré comme essentiellement masculin) nous dit:
Moi, c’est la description de tâches qui m’a convaincue.
En gros, ça disait, travail en des conditions extrêmes, peu de repos, stress, bruit intense.
Ça parlait de haute technologie et puis d’efforts physiques et mentals (sic!) considérables.
C’était pas mal clair.
La seule chose que ça disait pas, c’est que l’esprit d’équipe aussi est considérable.
Si par bonheur, vous avez échappé à cette publicité, vous pouvez, par goût de sensations fortes et de platitude, la regarder à l’adresse électronique suivante: http://www.youtube.com/watch?v=kLKPIlTycEA&feature=related. C’est là où j’ai copié ce beau morceau d’anthologie publicitaire.
D’abord, il s’agit de passer vite sur la composition du message et surtout, la faute d’orthographe : - l’adjectif mental, accordé avec le nom «efforts» qui est de genre masculin et de nombre pluriel, aurait dû se dire mentaux! Si le nom avait été de genre féminin, mentales eut été la bonne formulation. Moi, à qui on faisait croire que les filles étaient meilleures en français que les gars, ça me laisse perplexe sur la main qui a rédigé cette niaiserie. Enfin. Passons aux choses sérieuses.


Arrive le second vers: «En gros, ça disait, travail en des conditions extrêmes, peu de repos, stress, bruit intense». C’est ici que le poétique de notre message se révèle bien étrange. D’abord, il déroge à la «loi» des communications publicitaires qui dit qu’on attirera pas des mouches avec du vinaigre. Une bonne publicité cherche à éveiller l’intérêt pour un produit (en autant que l’armée peut être considérée comme un produit!), le présentant de façon à faire saliver, à le faire désirer, envier. Or, ici, le concepteur fait parler une femme qui dit - mannes aux préjugés qui veut que les filles soient matures plus précocement que les garçons -, que non seulement c’est «la description de tâches» qui l’a attirée dans l’armée, mais que ce sont là tâches accomplies dans des conditions extrêmes, avec peu de repos, supportant un stress dans une ambiance de bruit intense. Et le fond sonore de la bande annonce suffit à nous persuader que le bruit, c’est bien là la seule vérité de la pub. Il est vrai que l'artillerie, ce

En fait, le terme central, pivot de tout le message est celui de stress. C’est lui qui conditionne la vie militaire offerte aux éventuelles recrues.

Il y a un bon côté du stress, celui de maintenir un équilibre vital entre le corps et l’esprit, la raison et les émotions. Il sert également de défi, de stimulant. Mais il devient pathologique dès qu’il apparaît chronique. Le seuil de tolérance dépassé, il déstructure l’individu; les réponses de son organisme ne font plus les distinctions entre le stress qui stimule et celui qui s’investit d’éléments anxiogènes. Ce qui marque l’essentiel de la formation militaire peut se transformer en son contraire, ce qui se voit souvent chez les anciens combattants. La paranoïa devient une «option» qui ne figurait sûrement pas dans «la description de tâches». En ce sens, il est permis de conclure que présentée telle quelle, cette publicité excite la destrudo des individus, c’est-à-dire les pulsions de mort et non celles de vie, qui étaient encore le message inconscient du temps où la vie nous intéressait.
Bien entendu, après avoir mis le spectateur devant les efforts physiques et mentaux, il faut bien lui donner une gratification : le jeu. «Ça parlait de haute technologie et puis d’efforts physiques et mentals (sic!) considérables». Bref, une récréation constante puisque «haute technologie» signifie plus qu'il ne

Puis, après un silence de satisfaction, la voix-off nous dit: «C’était pas mal clair». Eh bien non, ce n’est pas clair du tout. L’armée vise généralement le recrutement en usant du sens patriotique ou de la serviabilité; elle fait appel à ce qu’il y a de meilleur en l’homme, autrefois son courage, sa vaillance, son esprit de sacrifice et de don de soi devant l’adversité; aujourd’hui ses compétences techniques, son endurance physique et mentale à soutenir une supériorité technologique sur les armées étrangères. Dans les sociétés civiles et démocratiques comme les nôtres - ou à prétention telles -, la société militaire est complémentaire et non supérieure à la société civile. Elle est tenue loin du pouvoir, même si elle reste le bras armé de l’État de la minorité dominante. En aucun cas, surtout depuis les totalitarismes, elle ne doit se substituer au pouvoir civil à la tête de l’État. Une société de droit ne peut être une société militaire, et en un tel cas, c’est une dictature de généraux, un

Pour confirmer le tout, notre aspirante officier renonce à parents et amis lorsqu’elle confirme qu’elle s’est faite une nouvelle famille dans le corps armé : «La seule chose que ça disait pas, c’est que l’esprit d’équipe aussi est considérable». Ce n’est plus l’esprit domestique qui organise la vie de la recrue, mais l’esprit d’équipe, comme dans le sport ou la religion. L’armée extirpe l’individu de son milieu civil pour le transporter dans un milieu entièrement formé de militaires, un milieu d’exception, où les règles sont différentes de celles qui régissent la société de droit. Les janissaires ottomans du passé qui «recrutaient» en enlevant les enfants chrétiens des pays conquis pour les convertir à l’Islam et les mettre au service du Sultan; les Samouraï et les ronins au service du Daimyo japonais; les cosaques russes, sont autant d’exemples bruts de ce processus de déracinement psychologique et social. Oh! certes, il y a un droit militaire, une cour martiale, mais

C’est en période de conflits que le tribunal militaire fonctionne à pleins rendements : contre les déserteurs, les mutins ou les décisions douteuses prises sur le front. C’est là que son besoin d’exhiber son autorité absolue le conduit à des sentences qui sont rien moins que la mort. Si Roméo Dallaire avait contredit les ordres donnés aux Casques bleus au Rwanda et avait ordonné à ses hommes d’ouvrir le feu sur les massacreurs de femmes et d’enfants, il aurait été passible de la cour martiale pour désobéissance. L’armée ne raisonne pas en dehors de ses règles; la notion de «circonstances atténuantes» n’existe pas pour elle. Depuis, il vit avec une culpabilité qu’il ne parvient pas à s’extirper, il se culpabilise des actes atroces qui ont été commis en sa présence, sous ses yeux, placé dans un état d’impuissance inouï. Voilà un exemple «des efforts physiques et mentals» omis dans la «description de tâches» L’échec de ses tentatives de suicide, le besoin d’écrire et de discourir sur son expérience, montrent ce qui arrive à un officier le moindrement consciencieux lorsque le stress franchit l’étape 1 à l’étape 2. Ça non plus ne faisait pas partie de la «définition de tâches» présentée à la recrue Dallaire.
Cette publicité tonitruante nous montre l’esprit dans lequel le gouvernement conservateur entend maintenir l’appareil militaire. Il le tient à la fois pour servir à la défense du pactole que représentera l’Arctique canadien lorsque l’océan sera navigable à l’année, mais aussi à maintenir l’ordre, manu militari s'il le faut, contre les Canadiens eux-mêmes s’il s’avérait qu’ils entendent résister à l’expansion de la richesse albertaine. C’est une armée tournée d’abord contre ses citoyens, puis contre d’éventuelles menaces extérieures, qui nécessite de la part des recrues d’adhérer au nouvel «esprit d’équipe considérable». L’angoisse paranoïde extrême qui particularise les groupes républicains conservateurs américains et canadiens comporte une terreur aveugle, sans discernement, idéologique et fanatique. Sa structure psychotique dépend de sa crainte petite-bourgeoise de déstabilisation du système capitaliste créant une éventuelle déchéance - disons clairement, la pauvreté honnie -; une fièvre obsidionale doublée de trahisons internes l’anime depuis l’irruption du communisme, relayé depuis par l’hystérie islamiste, écologique et autres, enfin et surtout la culpabilité devant son illégitimité d’action qui se

Depuis la crise financière de 2008, il ne faut plus se le cacher, la civilisation occidentale roule sur un mode panique, c’est-à-dire un effet centrifuge des liens interpersonnels aussi bien que des relations sociales. Ses valeurs fondamentales se déchirent sous la


Or comment pouvons-nous définir la pédophtorie et la façon dont elle tend à se présenter maintenant, en ce début de XXIe siècle? Le terme semble apparaître dans un traité, Le Pédagogue, de Clément d’Alexandrie (159-215 apr. J.-C.), un Grec converti au christianisme, et qui utilisait ce mot de pédophtorie qui signifierait souiller les enfants, ce que nous appelons, non sans contre-sens aujourd’hui, pédophilie. Du geste individuel, dans une société parallèle qui, tout récemment encore, était considérée comme strictement réservée aux mâles, l’Armée est une serre chaude où s’enferment la Figure du Père et celle de l’Enfant, plus précisément du Fils. Le conflit œdipien prend alors la forme du complexe de Ganymède : le Père tient à posséder le Fils et à le dominer. En retour, le Fils cherche à séduire le Père, accepte sa soumission et, selon le schéma imparfait de l’Œdipe négatif freudien, se laisse entièrement «manipuler» par le Père. Au processus d’identification, qui demeure important, s’ajoute

Expérimenté avec conscience dans la Grèce ancienne, le complexe de Ganymède a suscité un théorème militaire toujours en vigueur : je l’appelle «théorème de Théognis» parce qu’on le trouve clairement énoncé par Théognis de Mégare (±550 av. J.-C.) : il est honteux de voir un vieillard mourir de ses blessures sur le champ de bataille, mais que les blessures et la mort vont bien aux jeunes gens. Ce théorème était la transcription philosophique d’un chant militaire du célèbre poète Tyrtée (VIIe siècle av. J.-C.) qui disait:
Mais le garçon qui meurt, jeune et beau, dans sa fleur,
Aimé de tous, désiré par les femmes,
Reste envié, percé par le fer qui l’abat,
Et son beau corps resplendit dans la mort.
Théognis pouvait s’extasier devant cette intrication érotico-destrudinale de son théorème, il n’en ignorait pas toutefois les dangers: J’ai atteint à la course, comme un lion sûr de sa force, le jeune faon encore à la mamelle, mais je n’ai pas bu son sang; j’ai escaladé les remparts élevés, mais je n’ai pas saccagé la ville. C’était sonner l’alerte de la pédophtorie. Le défi lancé par le complexe d’Œdipe consiste à le sublimer afin de créer la communauté plutôt que de s’engager dans une névrose qui finira par conduire à la destruction de la Psyché; il en va exactement de même pour le complexe de Ganymède. Si les soldats ne deviennent pas homosexuels, c’est précisément parce que la sublimation finit par dépasser le stade primitif du désir de possession et de soumission. «L’esprit d’équipe» met un holà au désir érotique. Or le seul qui peut disposer aussi bien d’Œdipe que de Ganymède, dans toutes sociétés, c’est l’État; comme lui seul à la monopole de la vengeance et de la mise à mort des condamnés, lui seul à le monopole de la transgression œdipienne et ganymédienne, et peut imposer l’anathème de culpabilité sur les populations civiles pour des millions de «soldats inconnus».Il y a, effectivement, une pédophtorie d’État, et c’est celle que nous retrouvons par-delà l’armée. Des sociétés militaristes, comme Sparte et la Prusse, ont toujours eu des cérémonies religio-militaires qui visaient à transformer en spectacles les «efforts physiques et mentals» des jeunes combattants : «À ce que rapportent Pline et Dioscoride, le huákinthos avait justement de bien intéressantes propriétés; il permettait de retarder la puberté, et les marchands d’esclaves l’utilisaient lorsqu’ils faisaient commerce d’adolescents. Ainsi le huákinthos connote l’essence de la puberté. Alors s’explique le mythe; avec le sang des héros - on rappellera que l’initiation et la formation militaire spartiate occasionnaient d’authentiques blessures, avec un bien réel écoulement de sang - c’est son adolescence, plus exactement le principe mythique qui caractérise l’état d’adolescent, qui le quitte» (B. Sergent. L’homosexualité dans la mythologie grecque, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1984, p. 107). L’expérience du genre la mieux réussie est celle du Bataillon sacré de Thèbes où se révèle jusqu’au bout la machiavélisation de l’Éros au service de la défense de la cité : «Le Bataillon sacré fut, dit-on créé par Gorgidas. Il y fit entrer trois cents hommes d’élite, dont l’État assurait la formation et l’entretien, et qui étaient campés dans la Kadméia. C’est pour cela qu’on l’appelait le Bataillon de la ville, car en ce temps-là on donnait couramment aux acropoles le nom de villes. Quelques-uns prétendent que cette unité était composée d’érastes et d’éromènes: “Le Nestôr d’Homère, disait-il, est un médiocre tacticien, quand il engage les Grecs à se grouper au combat 'par tribus et par clans':
Ainsi le clan pourra s’appuyer sur le clan
Et la tribu porter secours à la tribu".
alors qu’il fallait ranger l’éraste près de l’éromène. Car, dans les périls, on ne se soucie guère des gens de sa tribu ou de sa phratrie, tandis qu’une troupe formée de gens qui s’aiment d’amour possède une cohésion impossible à rompre et à briser. Là, la tendresse pour l’éromène et la crainte de se montrer indignes de l’érastes les font rester fermes dans les dangers pour se défendre les uns les autres. Et il n’y a pas lieu de s’en étonner, s’il est vrai qu’on respecte plus l’ami, même absent, que les autres présents» (Plutarque, cité in B. Sergent. L’homosexualité initiatique dans l’Europe ancienne, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1986, pp. 45 à 47). Cet esprit conduisit le Bataillon victorieux à être complètement anéanti par l’armée de Philippe de Macédoine à Chéronée. Cette liaison homoérotique qui structure toute armée a été maintenue jusqu’à nos jours. Marshall McLuhan rappelle, dans les années 50-60 du XXe siècle, que «l’aviation canadienne choisit les deux pilotes de chacun de ses chasseurs à réaction avec un soin d’agence matrimoniale. Après nombre de tests et une longue période d’essai, les deux hommes sont officiellement [mariés par leur commandement “jusqu’à ce que la mort les sépare”. Et je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas ici d’une plaisanterie…» (M. McLuhan. Pour comprendre les média, Montréal, HMH, Col. Constantes, #13, 1964, p. 298).Les systèmes totalitaires du XXe siècle ont poussé la pédophtorie d’État à un point sans précédent. Le recrutement des Balillas se faisait dès l’enfance. La propagande de la Hitlerjugend présentait des films tel le fameux Hitlerjuge Quex de Hans Steinhoff (1933) qui décrivait le martyre d’un jeune hitlérien assassiné par les communistes. Le film Hans Wesmar, de Franz Wenzler (1933), montrait aussi comment un jeune nazi, athlétique et blond, trouvait dans une mort héroïque l’accomplissement de sa destinée. Tout cela, sept ans avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui faisait dire à Jean Genet, dans Pompes funèbres, que « le Führer envoyait à la mort ses hommes les plus beaux. C’était la seule façon qu’il eut de les posséder tous. Combien de fois n’ai-je pas désiré tuer tous ces beaux gosses qui me gênaient puisque je n’avais pas assez de bites pour les enfiler tous et ensemble, pas assez de sperme pour les gaver!» (Cité in Alexandrian. Histoire de la littérature érotique, Paris, Seghers, 1989, p. 329). Tout cela est pathologique, j’en conviens, mais la pathologie prend des allures de cataclysme lorsqu’

Montréal
21 février 2012
21 février 2012
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