jeudi 13 janvier 2011

L'affaire Yves Michaud: une tache de marde sur la blancheur de notre histoire nationale

Yves Michaud

L'AFFAIRE YVES MICHAUD:
UNE TACHE DE MARDE SUR LA BLANCHEUR DE NOTRE HISTOIRE NATIONALE


Sans doute bouillait-il de colère et de frustration
après cette terrible humiliation […]
Des siècles de servage et de soumission ne
l’avaient pas préparé à se mesurer
à ses maîtres politiques, et c’est bien là que réside
la tragédie du peuple russe dans son ensemble.
Ce fut l’une des plus belles scènes de la révolution,
l’un de ces rares moments de l’histoire où les rapports de force
cachés pointent à la surface des événements
et où la trame générale apparaît clairement.
Orlando Figes. La révolution russe, t. 1, Paris
Gallimard, Col. Folio-Histoire, 2010, p. 765


Le scandale concernant la motion de blâme à l’endroit de Yves Michaud, votée par l’Assemblée nationale le 14 décembre 2000, est une honte nationale tant pour le principe de la démocratie que pour la justice à laquelle chaque citoyen est en droit de s’attendre de la part de son gouvernement. Sous les apparences d’une attitude répulsive à l’égard du supposé racisme que contenaient certaines déclarations faites par M. Michaud devant les États-Généraux tenus sur la langue, où il exprimait combien la communauté juive s’était toujours opposée de manière virulente à la sécession du Québec du Canada, le Gouvernement du Parti Québécois, sous le leadership de son «sauveur» de passage, Lucien Bouchard, fit voter, à l’unanimité, une démotion contre les propos du citoyen Michaud, propos dont certains députés ayant voté la motion, ignoraient totalement le contenu. Cela reste une honte dans notre histoire. Qu’un parti qui a sacrifié, par deux fois, la souveraineté engagée à ses scrupules démocratiques puisse s’être comporté de manière aussi antidémocratique et antilibérale, c’est une tache de marde collé sur les pages du livre de nos «glorieuses luttes nationales». Rien de moins.

On a oublié, depuis onze ans, les circonstances dans lesquelles ont été dites ces paroles et votée cette malheureuses motion. Michaud avait annoncé sa candidature au siège vacant de Mercier, après le décès du poète-député Gérald Godin. De plus, Michaud avait osé défié la fameuse ligne de parti, qui transforme tous les députés en béni-oui-oui du gouvernement, en indiquant qu’il ne pensait pas rejoindre le cabinet et se trouver forcé à une solidarité qui irait à l’encontre de sa conscience. Il souhaitait ainsi sauvegarder sa liberté de parole quitte à en user contre les décisions de son propre gouvernement. On devine assez vite que Lucien ne tenait pas à l’avoir dans son caucus de députés. Dans ce contexte, il présenta son mémoire aux États-Généraux sur la langue, s’en écartant librement pour souligner que des douze sections de vote de Côte-Saint-Luc, à prédominance juive, pas un seul vote sur la souveraineté n’avait été enregistré lors du référendum de 1995. Sa conclusion visait ainsi à confirmer la phrase de l’ex-premier ministre Parizeau sur le «vote ethnique» contre la souveraineté du Québec. Le 5 décembre, il réitéra, sur les ondes radiophoniques, sa déclaration, spécifiant cette fois que l’organisation B’Nai Brith était d’un extrémisme anti-Québec et anti-souveraineté, ce qui fit hérisser les poils roux du maire de Côte-Saint-Luc Robert Libman, l’ancien chef d’Alliance Québec, un parti démagogique anglophone de la riche portion ouest de l’île de Montréal. Comme le maire Jean Drapeau avait demandé au premier-ministre Robert Bourassa d’en appeler à la loi des mesures de guerre au gouvernement fédéral afin d’assurer sa réélection contre les membres du FRAP, de tendance socialiste, en 1970, Libman répéta ce geste ultime en demandant à Bouchard de désavouer publiquement Michaud. Aussitôt demandé, aussitôt exécuté. Le 14 décembre, l’Assemblée Nationale du Québec, à l’unanimité, condamna les sentiments et les idées exprimés par Michaud aux États-Généraux. Le même jour, Michaud demanda à être entendu par les membres de l’Assemblée, ce qui lui fut refusé.

Le 17 décembre, Michaud fit publier une lettre ouverte aux 125 membres de l’Assemblée nationale où il défendait sa position, réitérant qu’il resterait candidat dans Mercier. Quelques personnalités engagées aux côtés du P.Q. publièrent dans quelques journaux une pétition d’appui à l’endroit du pestiféré, dont Jacques Parizeau. En réplique, une autre lettre ouverte, celle du leader parlementaire en chambre, Jacques Brossard, défendait la motion de censure de l’Assemblée Nationale. Enfin, le 19 décembre, Lucien indiqua qu’il ne voulait pas de Michaud comme candidat péquiste dans Mercier, le P.Q., préférant lui donner la jambette qui l’expulserait de la candidature dans Mercier - un comté sûr pour le P.Q. -, le comté fut gagné par une jeune libérale, un peu fo-folle, qui tournait à droite tout en signalant le virage à gauche dans la conduite de son auto, les deux mains, évidemment, sur le volant: 1 + 1 = 2. Bouchard ne voulait pas d’un trouble-fête dans son caucus. Conclusion: toute cette stratégie avait finalement très peu à voir avec le vote ethnique et B’Nai Brith. Une fois de plus, Lucien joua du chantage affectif, prenant en otage le parti de choisir entre lui, le premier-ministre, et Michaud un candidat à la réputation déjà hypothéquée. Les fidèles moutons se mirent à la queue à savoir lequel irait le premier lui lécher la botte. Michaud commença alors sa lutte, demandant des excuses de la part de Bouchard, anticipant une crise au sein de l’unité du parti. Dans une lettre ouverte, il demandait à Bouchard de réparer le tort qui lui avait été infligé par le vote de la motion. De son côté, l’opposition libérale, conduite par Jean Charest, en ajoutait en blâmant Bouchard pour la controverse. Depuis, Michaud n’a jamais cessé de réclamer justice. Onze ans plus tard, certains députés du Parti Québécois avouent franchement regretter le geste et voudraient bien que la motion soit finalement retirée. Mais ce n’est pas avec Charest au pouvoir que la chose pourra se faire. Voilà pour la suite des événements.

J’ai commis un très méchant texte, sur ce même blogue, concernant l’indispensable qualité d’être moron pour devenir président des États-Unis. Bien sûr, comme l’herbe est toujours plus verte chez le vosin, sa cour est aussi toujours la plus sale. Soyons juste. Cette affaire Michaud pue autant que les saloperies du gouvernement de G. W. Bush. Elle sue la lâcheté, la veulerie, la manipulation affective, les rancunes individuelles. Tous les efforts que font les profileurs de candidats députés ou premiers-ministres cachent les veuleries qui dégoûteraient la population si elle venait à en être témoin. Qui se souvient de ce qui a filtré du cabinet fédéral lors de la reconduction de la loi des mesures de guerre avec un Trudeau en panique, lui qui nous invitait, dans une fausse sérénité, à just watch me? Qui penserait que Jean Chrétien s’est effondré en larmes au caucus libéral apprenant, à quelques jours du référendum de 1995, que le oui menait dans les sondages? C’est là qu’on a suggéré le fameux Love in avec les avions d’Air Canada mis au service des Canadiens anglais qui voulaient venir se «paqueter la fraise» à Montréal aux frais de la reine, en nous lançant des bizous avec la main. Et Bouchard, dans un article à l’Actualité, qui se plaignait, en tant que premier-ministre, de s’enfermer dans le «bunker» à cause de la lourdeur de la tache qui lui incombait. Jamais il n’aurait penser que lui, Lucien Bouchard, était en fait «le fardeau de l’homo quebecensis»! Lorsqu’il frappait un nœud, dans son parti, il sortait toujours l’argument qu’avait déjà utilisé avant lui René Lévesque: si vous ne faites pas ce que je dis, je démissionne, et vous resterez tous seuls. Ça à marcher dans l’affaire Michaud. Ça à marcher également devant un vote de confiance pris dans le parti. Je me souviens que le lendemain de sa crise de chantage affectif, je donnais, dans un cours de Science Po à l’UQAM, une leçon sur la politique chez saint Augustin. Je n’ai pu commencer qu’en faisant une virulente sortie contre cette façon antidémocratique de procéder. Des sourires et des regards complices de l’assistance montraient que je n’étais pas la seul à être outré par cette façon de procéder d’un homme mature, qui en avait pourtant vue d’autres.

C’est toujours la même question qui revient à notre pensée: est-ce de l’hypocrisie ou de l’inconscience? Lucien Bouchard, atteint de la trop célèbre bactérie mangeuse de chair, y a perdu sa jambe et a été à deux doigts de la mort. Conduit d’urgence à l’hôpital Saint-Luc de Montréal, on l’opéra de toute urgence et il s’en sortit par la peau des dents. C’était bien avant qu’il soit premier-ministre du Québec. Lorsqu’il sortit de l’hôpital, il fit ses remerciements d’usages, envers les médecins, chirurgiens et infirmiers-infirmières qui l’avaient soigné, et, disons-le, sauvé la vie. Moins de dix ans plus tard, dans une confrontation entre le gouvernement où il était devenu premier-ministre et son obsession irrationnelle du déficit zéro (qui lui fut finalement payé par les ristournes du gouvernement fédéral), il frôla la désobéissance civile des infirmières qui, ne voulant pas avoir sur la conscience de faire sauter un gouvernement à l’esprit vicié, acceptèrent de rentrer dans le rang. Bouchard les en remercia en imposant une amende salée, au syndicat et aux infirmières personnellement. C’était là sa façon de présenter sa gratitude. Ce libéral conservateur, obsédé par une dette mal gérée, par des dépenses somptuaires, par des décisions baroques inefficaces et qui se contreviennent les unes les autres, comme toujours dans la politique québécoise, jouait au Duplessis de pacotilles avec sa voix de stentor et sa rhétorique de plaideur. Tout le monde le prenait pour un intellectuel parce qu’il se vantait d’avoir lu toute La Recherche du temps perdu de Proust, jusqu’à ce qu’on apprenne que mieux que du Proust, c’était plutôt un lecteur de bandes dessinées! C’était la même chose qu’on disait de Trudeau: grand lecteur de Machiavel et de Stuart Mill qui demeuraient, dit-on, sur sa table de chevet. Autant de légendes urbaines intellectuelles qui visent à faire de philistins des maîtres à penser. Michaud au moins, et on ne peut le lui reprocher, connaît son Barrès.

Les premiers ministres du Québec présentent d’une manière assez générale, l’un et l’autre des deux profiles: l’opiniâtreté et la lâcheté. Ces deux «qualités» sont, évidemment, à l’opposée l’une de l’autre, mais elles parviennent, toutefois, à se rejoindre lorsque les situations dépassent le niveau d’habileté politique du personnage. Opiniâtreté chez Honoré Mercier dans sa lutte contre le gouvernement fédéral de MacDonald. Les caricaturistes anglais le montraient comme un pacha couché rêvant du Québec conquérant les autres provinces du Canada. Félix-Gabriel Marchand, opiniâtre dans son projet de ministère de l’Éducation du Québec contre l’avis unanime du clergé catholique. S. N. Parent et Lomer Gouin, opiniâtres également dans la vente à rabais des ressources naturelles aux capitalistes américains en vue de développer le marché de l’emploi au Québec. Taschereau, opiniâtre avec ses politiques de régis des alcools, de luttes pour l’hygiène et des assurances collectives. Opiniâtre Adélard Godbout, dans la modernisation des structures sociales et du vote des femmes. Opiniâtre, bien sûr, Maurice Duplessis, dans sa lutte contre les syndicats associés aux communistes, contre la liberté de pensée associée à l’intolérance catholique, contre les progrès dans les arts et les sciences qui ne pouvaient qu’illustrer le retard pris par le Québec face aux autres régions du Canada et des États-Unis. Moins opiniâtre, toutefois, un Jean Lesage qui, finalement, s’en laissa imposer par ses ministres plus compétents, Gérin-Lajoie, Lévesque, Lapalme… Opiniâtres les Daniel Johnson et Jean-Jacques Bertrand, l’un dans la question des accords fédéral-provincial et l’autre avec le malheureux bill 63 sur la langue française au Québec, qui lui coûta ses élections. Moins opiniâtre le premier gouvernement Bourassa, prisonnier entre un maire de Montréal mégalomane et un premier-ministre du Canada méprisant à son endroit. À ce titre, il fut le meilleur reflet du caractère de la population québécoise de l’époque. Un véritable Dasein sans dessein. Opiniâtre René Lévesque?

Eh oui, l’idole de ces Québécois, qui ont déformé leurs souvenirs ou qui ne l’ont pas connu, n’avait pas la stature d’un homme d’État adapté au projet qu’il portait sur ses épaules trop frêles. Courir les jupons, jouer aux cartes, c’était sans doute-là le meilleur de ses passe-temps. Approfondir la théorie politique, ça ne l’intéressait pas. Jouer publiquement, sur la scène, le rôle de rassembleur, comme ce professeur ultra-compétent qu’on avait appris à connaître de lui sur les ondes de Radio-Canada le servait davantage qu’une vision claire et précise de ce que serait le Québec post-référendaire. Plus spectateur-engagé que véritable militant d’une cause pleinement définie dans son esprit, il avait eu le malheur d’être le premier journaliste (il travaillait alors pour la presse américaine) à pénétrer dans les camps de la mort dans l’est de l’Europe, en 1945. Cela l’avait traumatisé, probablement au point de se méfier de toutes formes de radicalisme et des effets qu’un nationalisme aveugle pouvait entraîner. Or, le voici portant la cause nationale des Québécois et corseté dans une vision plus littérale qu’intellectuelle de la démocratie. Le concept de souveraineté-association, qui finissait par vouloir dire que tout serait aprés la souveraineté du Québec comme ce l’était sous la Confédération canadienne avant, ne plaisait ni à ceux qui savaient ce que signifiait la souveraineté nationale, ni à ceux qui considéraient comme un outrage le fait de prendre en otage l’association d’un partenaire non consulté comme condition préalable à un vote sur l’indépendance nationale d’une province. Le même méchant tour devait se répéter en 1995. Alors qu’il aurait fallu un jacobin de trempe, capable de faire, comme lors de la journée du 30 mai-1er juin 1793, faire encercler par la troupe l’Assemblée Nationale pour y arrêter les Girondins de l’heure, sous la conduite de Claude Ryan, véritables menaces pour la patrie, et, non pas certes les envoyer à la guillotine, mais travailler à l’érection du barrage Robert Bourassa à LG 2, c’eut été là les gestes qui s’imposaient à un homme de panache dont l’opiniâtreté aurait été véritablement transformé pour en faire un homme résolu. Trudeau nous aurait-il déclaré la guerre civile? Le duché de la Gatineau aurait-il joué le rôle de la Vendée de 1793? Westmont aurait-il été notre Lyon, Ville Affranchie? Tout cela, c’est de l’uchronie, et on ne peut y accéder que par le fantasme. Mais du moins, les Québécois auraient été avertis de ce que signifiait la souveraineté, la Nation, la Terre paternelle, la conscience collective malgré les déchirures. Nous en aurions terriblement soufferts, sans doute. Et qui sait dans quel état mental collectif nous nous en serions tirés? Vainqueurs ou vaincus, en tout cas, nous saurions aujourd’hui mieux qui nous sommes par expérience plutôt que par projection idéaliste

Le Robert Bourassa qui revint au cours des années 1980 n’était pas moins opiniâtre, mais moins naïfs. Il chercha à réparer ses erreurs en négociant, avec son vis-à-vis canadien Mulroney, la réconciliation à travers la conférence de Charlottetown, l’entente de Meech Lake et le référendum qui, là encore, fut saboté par les Péquistes autant que par la clique à Trudeau. Le référendum nationaliste de 1995, qui devait suivre, fut une victoire morale pour les indépendantistes qui désiraient rester au sein du Canada. C’est alors qu’arriva notre sauveur, notre Lucien, avec sa seule obsession, qui n’était pas nationale mais capitaliste: redonner de la monnaie sonnante et trébuchante aux spéculateurs qui réclamaient des remboursements de dettes afin de jouer plus gros au casino de Manhattan. Opiniâtreté et lâcheté se rencontrèrent à nouveau, autour de la table de jeu, et ce sont les plus pauvres et la classe moyenne du Québec qui payèrent la note. Opiniâtre également ce Jean Charest, avec un humour qui joue le rôle que jouait l’habileté rhétorique chez Bouchard, mais, grosso modo, c’est la même médication qui est appliquée. Malheureusement, ses décisions désastreuses ont pour effet de stimuler la pensée de droite, la pire, car elle repose uniquement sur le ressentiment sans pousser l’analyse un pas en avant, tandis que la gauche plafonne, menée par des leaders syndicalistes d’une gauche conservatrice qui rêvent de revenir aux années 70, où les conventions collectives dictaient aux employeurs les augmentations de salaires et la participation syndicale (et pas nécessairement ouvrière) à la gestion des entreprises.

J’ai mentionné, à quelques reprises, la lâcheté, mais celle-ci est aussi bien ancrée que l’opiniâtreté des dirigeants du Québec. En fait, c’est elle qui empêche l’opiniâtreté d’un homme politique québécois d’en faire, véritablement un politique résolu. Elle commence à se manifester déjà avec les Lafontaine et Georges-Étienne Cartier qui, de jeunes patriotes de 1837, se sont recyclés en défenseurs de l’Acte d’Union de 1840 et artisan de la Confédération de 1867. On ne peut oublier ces députés québécois à la Chambre des Communes du Canada qui votèrent contre la résolution visant à sauver Riel de l’exécution par pendaison suit à l’application de la sentence qui le condamnait à mort en 1885, - et parmi lesquels nous retrouvons le nom d’un ancien premier ministre conservateur respecté du Québec: Adolphe Chapleau -, et qu’on surnomma les pendards. Fondateur du parti National, qui rassembla des libéraux avec leurs adversaires ultramontains dits les Castors, Mercier fut moins nationaliste qu’il fut un habile libéral qui finit en procès, dans une sordide histoire de délit d’initiés et de spéculations de financiers libéraux. Marchand, certes opiniâtre devant le clergé, finit par céder devant le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, qui tenait à sa propre réélection. Parent, Gouin, Taschereaux laissèrent tout passer des exigences des investisseurs américains, y compris le commerce illicite d’alcool avec les États-Unis au temps de la rigoureuse la loi Volstead (la Prohibition). Pour eux, tous les moyens étaient bons pour enrichir la bourgeoisie canadienne. Lesage, effrayé par un Désormais vindicatif de l’unioniste Sauvé, préféra éructer des Jamais à chaque projet de réforme proposé par ses ministres. Làche également, le premier Bourassa, le «mangeux de hot dogs» que Trudeau dénigrait publiquement et qui se vengea en résistant aux accords refilés en douce à la conférence des premiers ministres de Victoria. Il ne pouvait lui pardonner sa supériorité alors que lui-même, en état de détresse suite à l’enlèvement de son ministre du Travail, Pierre Laporte, n’avait pu tenir tête, avec sa police, aux ravisseurs. Lâche fut René Lévesque, après la défaite du référendum de 1980 quand il fit voter en trombe, sans lectures, la veille de Noël, des décrets imposant les conditions de travail dans différents secteurs de la fonction publique, milieu dans lequel il avait pourtant puisé l’essentiel de son appui politique. Il marquait là, désormais, la façon dont les souverainistes déçus aux lendemains des votes référendaires allaient «punir» leur population, en s’en prenant à leur pouvoir d’achat et à leurs conditions de travail. Lâcheté du second Bourassa qui, à la veille d’un 24 juin, à la suite de l’échec des accords de Meech Lake, eut beau proclamer que «le Québec est et restera pour toujours une société distincte», mais n’eut pas le courage de traduire cette perle de rhétorique en autoproclamation de l’Assemblée Nationale comme Gouvernement d’un pays libre et souverain. Ce lamentable échec, qui aurait pu faire de lui un homme d’État résolu, n’eut pas le courage de passer outre sa lâcheté individuelle. C’était là une ènième occasion perdue. La dernière. Lâche fut Parizeau qui refusa d’assumer sa phrase, prononcée sous l’effet d’une forte dose éthilique, que la cause de l’échec du référendum de 1995 relevait des capitalistes et du vote ethnique. Lâche le gouvernement Bouchard qui s’embourba dans ses crises émotionnelles et ses décisions contre-populaires pour satisfaire les règles d’un marché fantasmatique. La dernière fois que j’ai vu Bouchard à la télévision, il semblait sortir des limbes lorsqu’on l’invita à patronner une soupe populaire. Pouvait-il s’imaginer que ses décisions passées avaient semé-là l’origine de cette pauvreté dont il voyait enfin les résultats, non sans détresse? Hypocrite ou inconscient, Lucien Bouchard?

Et Jean Charest? Je dois dire que notre Garfield surnommé affectueusement par sa femme patapouf, reste opiniâtre sans lâcheté manifeste. C’est un habile machiavélien, un type qui fait passer les intérêts suprérieurs de la finance sur ceux de sa population, ce qui n’est pas original en soi depuis l’époque des S.-N. Parent et Lomer Gouin, mais un type qui n’use pas du chantage affectif lorsque les cotes de sondages sont à la baisse, cela prouve qu’il tient d’autorité son gouvernement et son caucus des députés. En versant quelques larmes à la mort de son ami, Béchard, il s’est attiré, pour quelques instants, un capital de sympathie. Le fait de participer régulièrement aux shows d’humour, avec Infoman, nous montre qu’il n’a pas peur de l’autodérision, ce que les Québécois, généralement aiment. Charest, le mal-aimé, est, malgré tout, mieux aimé que l’hystérique Castafiore d’en face, Pauline Marois, du P.Q. et des innocents avortons de l’A.D.Q. abandonnés par leur père fondateur qui pensait faire une réussite à un poste de télévision démagogique. Charest n’est pourtant pas un homme résolu, c’est un mercenaire politique engagé par un parti pour prendre le pouvoir et le garder. Il n’a pas de vision nationale, comme Duplessis, et des deux, aurait préférer être premier-ministre du Canada que de l’être du Québec.

Aussi, le seul homme d’État québécois résolu restera, incontestablement, et c’est triste à dire, Maurice Duplessis. Opiniâtre sans lâcheté, son parti survécut dix années à sa mort avec l’argent qu’il avait ramassé par la corruption, argent dont il ne toucha pas, personnellement, un seul sous. Ce démagogue honnête, ce conservateur intégral (comme l’Action Française parlait à l’époque de nationalisme intégral), cette grenouille de bénitier qui vint à bout de son alcoolisme pour mieux se maintenir au pouvoir, cet accréditeur de «barbottes», ces arrière-salles de taverne où l’on jouait à l’argent et où la prostitution se distribuait comme prix de consolation, jamais ne s’abaissa, à l’exemple de Lucien Bouchard ou de Bernard Landry, à pleurnicher sur son taux d’amour au sein de son parti. Il n’avait certes pas lu Proust et n’invoquait pas le «courroux» des citoyens, préférant plutôt lancer un «Toé, tais-toé» à un Onézime qui parlait plus vite que sa pensée. Duplessis savait mesurer sa propre force et plutôt que de se lancer dans un projet souverainiste incomplet, il lui préféra le discours de l’«autonomie provinciale», qui devait être repris plus tard par un Mario Dumont de l’A.D.Q. et un Lucien Bouchard, lucide au point de tuer toutes lumières qui puissent éclairer toute action politique.

Bref, nous pouvons, parfois, être jaloux des morons qui président la destinée des États-Unis. Les présidents américains sont moins opiniâtres que résolus, et recourent rarement à la lâcheté, ce qui apparaîtrait comme un manque de virilité pour qui tient la place de la figure de Père de la Nation par les fonctions constitutionnelles dévolues à la présidence. Ce choix d’opiniâtres et de lâches qui, dans l’affaire Michaud, reviennent aujourd’hui, comme l’ex-ministre Bégin, la queue entre les jambes, pour s’excuser et demander le retrait de la motion de 2000, ne se haussent pas plus du niveau où ils se sont abaissés voilà onze ans. Du temps où on lavait les couches en coton avant qu’elles ne soient recyclées, nos mères savaient ce que voulaient dire «coller comme une tache de marde». C’est le cas, «aujourd’hui et pour toujours», dirait Robert Bourassa, de la motion votée par l’Assemblée nationale, en décembre 2000⌛
Montréal,
13 janvier 2011

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