lundi 23 janvier 2012

Les quarante minutes du pogne-le-moine

Gouvernement du Canada. Programme multiculturalisme
LES QUARANTE MINUTES DU POGNE-LE-MOINE

Troisième partie d'une trilogie

Si vous avez pu suivre les deux premiers messages de ce long dialogue avec l’Histoire du Québec à partir d’épisodes d’un téléroman de Fabienne Larouche, si vous pensez même avoir compris ce que j’en ruminais - ce dont je ne suis pas toujours sûr moi-même, mais l’important n’est pas là -, alors vous méritez bien une petite récompense en nous montrant un peu plus désinvolte. Certes, la désinvolture ne veut pas dire qu’on cesse pour autant d’être sérieux! C’est comme une récréation. Un petit bonbon surette après un lourd repas. Lâchons-nous donc lousse dans notre caca, puisqu’il y en a tellement, et mettons en relations ce qui nous pèse le plus sur la conscience (historique).

Si les Québécois ne parviennent pas à se réconcilier avec leur Histoire, à trouver cette cohérence dont Bruno Bettelheim dit qu’elle est la chose la plus importante, l’estime de soi (collectif); si, par deux fois, nous avons voté «Non» au référendum sur la Souveraineté du Québec et sa création en pays, avec un État auto-déterminé, ce que Hegel comme Durham considéraient «avoir une histoire»; que les jeunes d’aujourd’hui, comme dans mon jeune temps, avant 1970, se considèrent comme «Canadiens Français» plutôt que «Québécois», parce que leur passeport est sans doute plus significatif à leurs yeux que leur carte d’assurance-santé, donc, pourquoi ne rallions-nous pas l’histoire canadienne? Pourquoi ne pleurnichons-nous pas, à l’image de Solange Chaput-Rolland, sur nos belles Rocheuses? Pourquoi ne nous épanchons-nous pas en extases devant l’immensité des Prairies de l’Ouest? Pourquoi nous plaignons-nous toujours que l’eau de mer du Nouveau-Brunswick est toujours trop froide? Aucune plainte semblable n’émanant contre Ogunquit, qui n’est qu’à quelques kilomètres au Maine et où l’eau n’est guère plus chaude? Los Angeles et Disneyland sont le choix de bien des enfants en phase terminale d’un cancer, mais pourquoi pas Marineland, où il est toujours possible de rêver, comme Louis Morissette, qu’un cachalot pourrait sauter et avaler tout rond Stephen Harper! Enfin, alors que les Anglophones riches du Bel Âge vont finir leur jour à Victoria, pourquoi les Francophones lui préfèrent-ils le kitsch floridien? Louis-Joseph Papineau, sur la fin de ses jours, avait-il donc raison: nous lorgnons plus du côté des Américains que du côté des Canadiens, et la fortune gît enfouie dans les coffres de Fort Knox plutôt qu’à l’Hôtel de la Monnaie à Winnipeg (qui vient tout juste de lancer sa monnaie en rubber).

Pierre Falardeau, en faisant d’Elvis Gratton son Québécois à la fois fédéraliste et pro-américain, commettait une confusion. Il est difficile d’être Fédéraliste et pro-Américain à la fois. C’est même illogique. On peut être Québécois nationaliste et pro-floridien, c’est le cas d’un grand nombre de souverainistes et lorsque l’ancien ministre péquiste Marcel Léger voulait acheter les îles antillaises de Caïman et Coco, il savait très bien dans quelle direction le vent du Nord poussait les touristes québécois. Ce soudain excès d’«impérialisme» québécois fut sans suite. Et si de fait Elvis Gratton ne connaît rien du Canada, il connaît certainement mieux «les States». Ne serait-ce que par Elvis Prestley et Nashville, Tennessee. Il y a donc une entreprise de masquage dans l’œuvre de Falardeau autant qu’il y a un schadenfreude à exhiber la vulgarité d’une certaine classe de Québécois qui n’est pas propre à ce peuple. On trouve même un Elvis Wong qui n’appartient sûrement pas à la «vieille noblesse bretonne».

La raison pour laquelle il nous est difficile, même lorsque nous sommes fédéralistes convaincus, de nous approprier l’historicité canadienne (anglaise), c’est que son Poétique, son Imaginaire, est totalement différent du nôtre. Je l’ai démontré ailleurs, en me servant des deux cartes géohistoriques publiées par le McLean/l’Actualité durant la crise constitutionnelle au temps du Lac Meech. Alors que la vision organiciste d’une communauté se chantant Ton histoire est une épopée structure la vouloir-vivre ensemble québécois, les Canadiens Anglais vivent leur histoire comme une addition mécaniciste de «Légendes» où chaque Canadien fait l’Histoire du Canada par son seul fait de participer ou de témoigner d’un moment précis (precious memories, titrait l’album de famille des Simpson avant d'être jeté au feu), un moment charnière de la durée canadienne. Moins de dix ans après la publication de ces deux cartes géohistoriques adressées aux «deux peuples fondateurs», voici que l’O.N.F. et les différents diffuseurs présentaient une série de vignettes vidéos sponsorisée sous le chapeau d'«Héritage Canada», un organisme créé par le gouvernement fédéral aux lendemains du référendum de 1995, visant à faire de la propagande fédéraliste au Québec. Rattaché à cet organisme, on trouvait le projet Les Minutes du patrimoine, chargées d’illustrer certains moment de l’histoire canadienne. Chaque «minute»  était tournée comme un vidéo-clip, avec un luxe de décors, de costumes, de figurants digne de n’importe quel film ou chanson rock. Vedettes de la télévision et du cinéma, tant francophones qu’anglophones, participèrent à ces réalisations et, côté francophone, beaucoup d’entre elles avaient sûrement voté «Oui» aux référendums de 80 et de 95, mais, comme on dit aux États-Unis, money talks et il ne faut pas toujours prendre les convictions politiques des comédiens trop au sérieux. Mon oncle Henry (Kissinger) disait: «Tout homme a son prix», et, voyez-vous, moi aussi j’ai le mien comme les autres, mais comme je ne vaux pas grand chose, alors je reste sur les tablettes, ce qui me permet de m’abandonner en toute liberté et écrire des messages pour étriver mon lectorat.

Ces Minutes du patrimoine suscitaient l’hilarité plus qu’autre chose. Nous les appelions «les minutes du pogne-le-moine», offrant l’occasion d’aller tirer une pisse avant que la partie de Hockey ne reprenne. Après tout, si le Survenant vivait au Chenal-du-Moine, alors pourquoi se formaliser d’une coquinerie envers une propagande publicitaire. On a ri beaucoup moins cependant lorsqu’on apprit, à travers le célèbre et médiatisé «scandale des commandites», combien d’argent avait été distribué aux amis du parti Libéral fédéral pour des productions qui n’avaient jamais été réalisées ou des ristournes d’argent qui passaient par une entreprise avant de se retrouver dans les coffres du parti. Parmi ces commandites, Héritage Canada fut particulièrement visé et les Minutes du patrimoine éclaboussées. Or, leur producteur était le journaliste bien coté de Radio-Canada/CBC, Robert-Guy Scully, qui avait une entreprise de production qui fournissait le réseau national, dans les deux langues, de rencontres ineptes et de propagande néo-libérale.

Pour ceux qui ne l’ont pas connu ou s’en souviennent guère, comment décrire Robert-Guy Scully? Ce petit minet blond, un peu pâle, tout à fait terne sinon maladif, était ce qu’on appelait jadis, d’un mot désuet, un cuistre. Il se donnait des airs de pudding velouté, onctueux, crémeux, avec des grands gestes répétitifs, adorant fréquenter le monde de la finance et des V.I.P., les gens de la «haute» quoi. Ainsi le vit-on se mettre à quatre pattes devant le richissime travailliste anglais Robert Maxwell, magnat de la presse, au point que c’en était indécent. Surtout lorsqu’on apprit plus tard que Maxwell avait culbuté du pont de son bateau pour finir dévoré par les requins qui l'avaient reconnu comme l'un des leurs! Tous ceux qui l’ont vu se souviendront toujours de l’entrevue accordée par le peintre Jean-Paul Riopelle, saoul et délirant, qui ne cessait de se foutre de sa gueule en plein figure. On riait, mais on riait jaune. Je n’aurais sûrement pas voulu me trouver ce jour-là - ni les autres d’ailleurs - dans ses culottes! Pauvre Scully. Lorsque le scandale des commandites éclaboussa ses Minutes du patrimoine, il quitta la SRC/CBC, fermit boutique et le petit minet, devenu un chat tout rond, s’en alla gros Jean comme devant.

Un autre journaliste de Radio-Can. se montra particulièrement cinglant à l’égard de Scully, Normand

Lester. Contre les Minutes du patrimoine, il répondit par trois volumes, Le livre noir du Canada Anglais, dont le troisième est décidément de trop. Cette chasse aux Canadiens Anglais consistait à exhiber toutes les manigances de notre jumelle contre le Québec. L’entreprise historiographique n’est toutefois pas sans intérêt, comme nous le verrons, et mérite d’être prise au sérieux. Lester est un journaliste beaucoup plus crédible que Scully et son goût de l’enquête journalistique l’a entraîné vers l’enquête historique. Or, dans le prologue du tome 1, il écrit: «Les Minutes du patrimoine, diffusées depuis dix ans à la télévision et au cinéma, sont la version populaire de cette entreprise de négation historique parrainée par le gouvernement fédéral. Avec la complicité de sociétés et de fondations écrans, le ministère du Patrimoine de Sheila Copps a versé 7,2 millions de dollars pour blanchir l’histoire du pays et donner à ce dernier une bonne impression de lui-même, qu’il ne mérite pourtant pas. Ce livre est ma réponse aux Minutes du patrimoine. Une enquête journalistique sur le côté noir, le côté sanglant de l’histoire du Canada. Un démenti au mensonge par omission que constitue ce projet de lessivage historique» (N. Lester. Le livre noir du Canada anglais, t. 1, Montréal, Les Intouchables, 2001, p. 27). Si les Minutes du patrimoine représente la «bonne impression de lui-même» donné au Canada, Le livre noir représente la «mauvaise impression sur l’autre» offerte au Québec. Non que les faits et les interprétations de Lester seraient tendancieuses, une propagande négative chargée de répondre à une propagande positive de l’adversaire politique, mais ils révèlent un double standard qui constitue le Canada depuis la Conquête britannique, et surtout depuis la Confédération présentée comme une alliance «des deux peuples fondateurs», en pleine égalité, voire en pleine «souveraineté».

Mais le livre de Lester, pas plus que les Minutes du patrimoine ne répondent à notre question de départ: pourquoi la conscience historique québécoise ne peut-elle pas se fondre avec la conscience historique canadian? Si, par deux fois, les Québécois ont dit «Oui» au Canada - puisqu’ils ont répondu «Non» au Québec -, pourquoi ne sont-ils pas parvenus à se reconnaître dans les vignettes-vidéos d’Héritage Canada? Parce que c’était de la propagande, répondrez-vous. Et la propagande est une offensive du Socius sur la Psyché. Il s’agit d’obtenir un acquiescement, une volonté de s’intégrer et de participer. Mais si la propagande ne touche pas au niveau symbolique de l’inconscient de cette collectivité, alors elle ne parviendra pas à obtenir les résultats qu’elle cherche. D’où l’échec des Minutes du patrimoine. Les Libéraux fédéraux qui commanditaient ce projet savaient que pour plaire à la majorité anglophone du Canada, il fallait recourir aux «légendes» canadiennes et non tracer une «épopée» des deux peuples fondateurs qui aurait fait hurler ce qui reste d’Orangistes en Ontario et les pompeux de pétrole de l’Alberta. Le bénéfice d’inventaire négatif des deux Canadas est un contentieux lourd auquel Lester avait moins d’effort à faire qu’on ne le croit pour l’exposer au grand public. Depuis que Laurier l’a reconnu, au début du XXe siècle, le Canada est un pays difficile à gouverner. Les Québécois, même lorsqu’ils lisent leur histoire du Canada, ont une vision cohérente qui donne «un sens à leur vie collective» (Ton histoire est une épopée). Ce n’est pas le cas pour les Canadiens Anglais, toujours en train de se comparer à leurs Voisins du Sud. Tant de traits communs unissent les grands thèmes historiques et littéraires des deux Canadas, pourquoi l’une a-t-elle tant de difficulté à se constituer organiquement comme une «épopée» alors que les histoires de France, d’Angleterre et des États-Unis y parviennent tous malgré des récits de conflits internes sanglants? L’unité de l’histoire canadienne-anglaise semble reposer entièrement sur cette némésis que représente le Québec francophone. Voilà pourquoi le Quebec bashing est si important dans le discours politique et journalistique canadien, c’est lui qui donne «un sens à cette histoire» qui ne s’en trouve pas. Sans ce Quebec bashing, la cohérence canadienne s’effrite en mille morceaux qui sont autant de Canadiens qui se lèvent le matin pour la pêche aux écrevisses, s’en vont travailler à la bourse de Toronto, grimpent sur leur tracteur pour le travail des Prairies, iront s’enfouir le nez dans les émanations toxiques des gaz pétroliers ou tout simplement se baigner à poil dans les eaux du Pacifique! Toutes ces parties donnent moins qu’un tout. Deux conclusions: la première, on ne crée par une Historicité par une reconnaissance négative (Enfin, la Nouvelle-France est tombée!). La seconde, le Socius peut difficilement, à lui seul, créer une conscience collective s’il en reste au niveau idéologique, même en usant d’une propagande simpliste. L’Historicité étant un tout qui est plus que la somme de ses «légendes», ce que recherchent désespérément les Canadiens Anglais serait une conscience historique aussi cohérente, portant un «sens à la vie» collective, coast to coast to coast, au moment même où les Américains, et en particulier les républicains créationnistes et protofascistes de My Canada, sont passés en mode blitzkrieg depuis que l’un des leurs est devenu Premier Ministre du pays.

Pourquoi alors revenons-nous sur ces Minutes du patrimoine? Parce qu’il ne faut pas me croire sur paroles. Je rejette cette paresse intellectuelle actuelle qui prétend qu’il suffit d’affirmer pour être compris. Or il ne s’agit pas de comprendre un «discours», une «rhétorique», mais des faits, des structures représentationnelles, des échanges interstructurelles. Les Minutes du patrimoine, propagande futile, propagande inutile, échec idéologique, n’en ont pas moins existé - et elles circulent encore sur le Web, aussi ont-elles des choses à nous apprendre sur la conscience historique canadienne-anglaise, partagée par certains fédéralistes québécois; des plus vieux, qui ont toujours dans le nez le cléricalo-nationalisme de leur enfance, aux plus jeunes qui espèrent faire affaires aussi bien à Toronto qu’à Montréal.

L’article Wikipedia sur les Minutes du Patrimoine recense une trentaine de titres, mais il en manque quelques uns. La réalisation de la plupart de ces Minutes est léchée, à l’image de leur producteur, impeccable. Le jeu des comédiens est sans reproche. Les décors, tout comme les costumes, sont véristes. La voix-off complète l’illustration comme dans un manuel scolaire. La fonction est donc essentiellement didactique et ses visées propagandistes cherchent à donner un sens commun à partager de l’histoire canadienne. Qu’en est-il maintenant du côté de l’exactitude historique? Là, le côté légendaire l’emporte sur le côté critique - d’où la gueule que lui fait Lester. L’art de Paul-Émile Borduas et la Révolution tranquille est une interprétation libérale à la Pierre Eliott Trudeau, qui, jeune, fréquentait les milieux automatistes et le lien entre les deux épisodes, séparés par plus de dix ans, n’est que conjoncturel. L’union Lafontaine-Baldwin, traité dans un autre de mes messages, n’a rien d’«interlinguistique», mais d’une coopération entre réformistes des deux Canadas visant à obtenir le gouvernement responsable. Jacques Cartier est accompagné d’un curé (interprété par Jean-Louis Millette) alors qu’aucun membre du clergé - pas plus dans le premier voyage de Colomb - n’accompagnait l’équipage français. Il y raconte Donnacona qui lui apprend le mot Kanata pour désigner son village. (Il n’est pas fait mention que Cartier enleva Donnacona et ses deux fils, qu’il emmena en France où ils moururent). Tout le reste est de la même eau. Une mini-intrigue, dans un temps qui n’est pas toujours bien défini, dans un espace qui n’est que provincial (et non national), transforme le Canada en unité de lieu, de temps et d’intrigue; situé  entre un nowhere et un nowhen. Tout le contraire de l’histoire américaine qui ne cesse de raconter la proximité des États (malgré leurs particularismes étroits) dans la lutte contre l’ennemi commun Britannique, puis les dissensions régionales contre l’Union, enfin la conquête du continent et du monde, qui ressemble vaguement à l’histoire romaine qui aurait été inspirée par l’historicité juive (L’Exode).

Jetons un rapide coup d’œil sur ces 40 vignettes-vidéos. Cela rappellera sans doute de bons et joyeux souvenirs.

1- «Agnes Macphail [à ne pas confondre avec Nounou McPhee] demande la réforme pénale». En fait, Agnes Macphail fut la première femme élue aux Communes en 1921. Ardente pacifiste, elle siégea parmi les Réformistes (qui n’ont rien du Reform Party) et fut une ardente féministe. Sa demande de réforme pénale ne fut sûrement que l’une des activités qui étaient propres aux mouvements pacifistes de l’époque. Plutôt que souligner un aspect controversé, son activisme anti-militariste (n’oublions pas le Canada des années 90 participe à la Guerre du Golfe et en Serbie), on a fait de Miss Macphail une Nounou McPhee des prisonniers.

2- «Le développement de l’Avro CF-105 Arrow», un chasseur supersonique à réaction mis au point au Canada. C’était l’appareil le plus perfectionné en son genre, étant conçu pour transporter des missiles à ogives nucléaires qui sont capables d’abattre en plein vol des bombardiers russes en mission d’attaque. L’Arrow fut toutefois sacrifié. Le Premier ministre conservateur Diefenbaker se vit intimider par le gouvernement américain, dont les appareils étaient de moins bonne qualité, et proposa en échange de construire la ligne DEW de radars Arctique à ses frais si le Canada cessait sa production du Arrow. L’avion de 12 millions de dollars ne trouva acquéreur ni en Amérique ni en Europe. On se demande ici où s’arrête la fierté de la légende?

3- «Louis-Hippolyte Lafontaine et Robert Baldwin bâtissent une coopération interlinguistique». Voir ce que j’en ai dit plus haut.

4- «L’invention du basket-ball par James Naismith» à l’université McGill. Comment découper le fond d’un filet plutôt que toujours monter sur une échelle pour aller y chercher le ballon. Ou comment l’intelligence vint à l’homme…
 







5- «La dernière course du Bluenose», le voilier célèbre sur les pièces de 10 cents.

6- «L’art de Paul-Émile Borduas et la révolution tranquille». Voir ce que j’en dis plus haut.

7- «Les orgues renommées de Joseph Casavant».






8- «L’art de Emily Carr». Fortement inspirée des totems des tribus amérindiennes de Colombie Britannique, son œuvre est connue mondialement.

9-   «La quête de Emily Murphy pour l’équité des droits pour la femme».




10- «Étienne Parent demande l’équité entre le français et l’anglais». Même thème que le nº 3. Étienne Parent, journaliste, libéral, conciliateur plutôt que rebelle, préfigure la politique du bilinguisme et biculturalisme du parti Libéral.

11- «La planification de l’Expo 67 à Montréal» minute où la fiction et le documentaire sont fondus l’une dans l’autre et de laquelle, paradoxalement, est absent Jean Drapeau.


12- «Le député John Matheson regarde les candidatures pour le nouveau drapeau canadien». Un inventaire des horreurs qui furent soumis et d’où l’on tira l’unifolié rouge-libéral.


13- «John McCrea et ses poèmes». En fait, il s’agit de la composition du poème sur le coquelicot. In Flanders Field. McCrea mourut à l’hôpital où il travaillait comme médecin sur le front, en janvier 1918.



14- «La Nouvelle-France, sous le leadership de Louis de Buade de Frontenac, repousse les invasions britanniques de 1690». Il s’agit en fait de l’épisode célèbre: «Sachez, monsieur, que je vous répondrai par la bouche de mes canons…» Du vieux stock.

15- «Le Collège Frontière éduque ceux qui sont loin des centres urbains». Fondé en 1899, son but était d’aller porter l’enseignement et lutter contre l’analphabétisme dans les régions éloignées du Canada, et maintenant dans l’ensemble du monde.

16- «L’Anglais Archie Belaney devient Grey Owl». Il servit de modèle spirituel à Pierre Eliott Trudeau!


17- «Vince Coleman sacrifie sa vie pour sauver un train de l’explosion de Halifax». C’est une des légendes populaires pan-nationales inscrite dans les formulaires d’impôts. L’explosion d’un navire français, Mont-Blanc, le 6 décembre 1917, qui souffla une partie de la capitale néo-écossaise.

18- «Louis-Joseph Papineau donne le droit égalitaire de religion aux juifs du Canada». Thème de prédilection de Denis Vaugeois: comment fut reconnu, pour la première fois dans un parlement de souche britannique, un député de religion juive, Ezekiel Hart. Le jeune Louis-Jospeh Papineau était alors Orateur de l’Assemblée.

19- «Un inukshuk est bâti» sur un air de ruine-babine inuit.





20- «Jackie Robinson se joint à l’équipe des Royals de Montréal». Il fut le premier joueur noir de la ligue de baseball (1946), les Américains étant plutôt racistes, excluaient les Afro-américains. Accepté au Canada, il alla poursuivre sa carrière aux États-Unis pour les Dodgers une fois qu’il se montra champion. Le racisme aussi a un coût.

21- «Jacques Plante devient le premier gardien de la LNH à porter un masque de hockey à temps plein». Quand on a rien à dire.

22- «Jennie Trout devient la première femme médecin au Canada». (1875).







23- «John Cabot découvre les Grands Bancs de Terre-Neuve» (1497). Pour les Canadiens Anglais, il est le vrai découvreur du Canada. Voilà pourquoi la formulation vise à ne pas heurter la sensibilité francophone. Mais il est vrai aussi qu’il n’alla pas plus loin et comme Terre-Neuve n’est devenue province du Canada qu’en 1949, C.Q.F.D.
24- «John Humphrey compose la Déclaration des Nations Unies pour les droits de la personne». En fait, cet avocat de Montréal n’a que composé l’ébauche et non le document définitif.  
25- «L’inventeur Joseph-Armand Bombardier et ses débuts en ingénierie»

26- «Mary Travers devient une chanteuse populaire au Québec». Il s’agit de la Bolduc, qui connut son heure de gloire à l’époque de la Crise de 29.



 




 27- «Laura Secord aide les Britanniques dans la guere de 1812 en prévenant l’avance militaire américaine». Outre le chocolat, un grand succès des légendes canadiennes (l’équivalent anglophone de Madeleine de Verchères).





 



28- «Thomas Eadi développe le Micro-ondes trans-canadiennes».  Ingénieur chez Bell Canada, Thomas Wardrope Eadi a réalisé le réseau hertzien pan-canadien entre 1953 et 1963.





29- «La première performance du O Canada», par la fanfare des Voltigeurs de Québec.



 30- «La vie et l’exécution de Louis Riel». Joué par Roy Dupuis, méconnaissable, on entend la conscience de Riel se repentir pendant qu’une voix-off lit la sentence. Le tout se termine par la trappe du gibet qui s’ouvre et la corde du pendu qui, toute roide, se balance. «On regrette, mais dura lex sed lex».

31- «La médecin Lucille Teasdale dévoue sa vie à la pauvreté en Afrique». Elle est morte à peu près au même moment où se réalisait la Minute du patrimoine, (1996) emportée par la sida qu’elle avait contracté au dispensaire ougandais.

32- «Guglielmo Marconi reçoit le premier signal radio trans-Atlantique à Terre-Neuve et Labrador». On ne peut parler d’Eadi sans penser à Marconi, comme la radio précède la télévision.

33- «Marion Orr, une femme pilote lors de la Seconde Guerre mondiale». Elle pilota, en Angleterre, des avions des usines aux lieux de combats. Victime de l’une de ces ruses de la raison, elle mourut suite à un accident de voiture en omettant de faire un arrêt (avril 1995).

34- «Marshall McLuhan, philosophe canadien», qui se siphonne les neurones pour accoucher du «Médium, c’est le message».

35- «Harry Colebourn donne le nom de Winnie à l’ourson mascotte de son régiment, en honneur de sa ville de Winnipeg». Le petit Christopher Robin aurait voulu que son père Alan Alexander Milne ramène l’ours à la maison, mais comme cela n’était pas possible, il décida d’écrire le premier livre des aventures de Winnie l’Ourson (1926), aujourd’hui propriété exclusive …de Walt Disney Pictures.

36- «Jacques Cartier rencontre Donnacona». Voir ce que j’en dis plus haut.

37- «Sitting Bull vient demander refuge au Canada après le massacre de Little Big Horn». L’officier britannique qui le prend en charge, le lieutenant-brigadier Walsh, résiste fièrement à l’officier américain venu lui demander qu’on lui remette le chef Sioux. Sitting Bull restera quelques temps au Canada, mais les conditions auxquelles il sera astreint le désespérèrent. Aussi retournera-t-il aux États-Unis, embauché par le cirque Barnum avant d’être assassiné avec ses deux fils.


38- «Les lucioles de Ville-Marie». Jeanne Mance enferme des lucioles dans un bocal afin de servir de flash light la nuit; l’une des historiettes de mon enfance.

39- «Maurice Richard». Roy Dupuis reprend son rôle tenu dans le film éponyme.

40- «Lafontaine, emprisonné, fait parvenir un message secret aux rebelles patriotes». Étrange duo entre Daniel Gadouas, le patriote pas encore devenu complètement sage, et Patrice Lécuyer en garde-chiourme qui se rentre les doigts sous la croûte de tarte alors que le message est en-dessous.

Voici donc les 40 vignettes-vidéos de Scully. Quelles observations pouvons-nous en tirer? D’abord, l’historicité canadienne-anglaise ne s’est pas modifiée depuis le milieu du XXe siècle, lorsque la compagnie d'assurance Confederation Life faisait peindre des tableaux historiques pompiers, genre Meissonnier, jusqu'à mon étude de 1992. Vingt ans plus tard, l’historicité canadienne-anglaise se reconnaît toujours dans une suite de légendes où chaque Canadien incarne un épisode de l’Histoire du Canada. Le Tout est complètement dilué dans ses parties. Ce qui veut dire que tout ce qui y est raconté aurait pu se passer n’importe où ailleurs qu’au Canada, sans que ça ne fasse la moindre différence. Les héros sont des héros quotidiens, qui ont fait ce qu’ils avaient à faire, mais qui nous apparaissent exceptionnels considérant qu’ils furent, soit les premiers à le faire au Canada, soit reconnus nationalement ou internationalement comme une «célébrité». Celine Dion y aurait eu sa place, dix ans plus tard. Le premier… la première… mais surtout le plus grand, la plus grande.

La complaisance envers les groupes qui étaient ignorés ou rejetés comme marginaux de l’histoire traditionnelle du Canada est évidente mais non significative en soi. Il s’agit toujours de donner des leçons de morale, non d’intérioriser un drame, un trauma ou une lutte en partage. «Nounou» Macphail, Emily Carr, Emily Murphy, Jennie Trout, Lucille Teasdale, Laura Secord, Marion Orr et la Bolduc, huit femmes au centre de 40 vignettes, c’est déjà plus que la carte de 1992. Côté autochtone, l’Inukshuk (l’homme de pierre) des Inuits, l’École Frontière, Sitting Bull et les étranges Iroquois qui recueillent Laura Secord et à qui elle demande de la conduire auprès de FitzGibbon, enfin ces tout aussi étranges Autochtones rencontrés par Cartier à Stadaconé avec qui il s'entretient par le truchement d'un curé qui n'était pas là, dénotent une perte d’importance du fait amérindien dans la construction du Canada. Enfin, pour 40 vignettes, 14 concernent l’histoire du Canada Français. C’est-à-dire, moins de la moitié. Les néo-canadiens ont-ils une présence marquée? Si on excepte Jackie Robinson, qui ne fut jamais Canadien, absolument pas. Sans aider à consolider l’historicité canadienne, les Minutes du patrimoine se sont montrées étrangères à la réalité canadienne pour s’abandonner aux légendes édifiantes passéistes. Entreprise de propagande qui, avec ou sans scandale des commandites, était appelée à échouer, le projet de Héritage Canada véhiculait déjà un discours anachronique lorsqu’il fut songé. Comme échoua, d’ailleurs, la série Le Canada Une histoire populaire de Pierre Turgeon, Don Gillmor et Achille Michaud, qui aurait mérité meilleur accueil puisque les auteurs ont tenté de créer une véritable historicité organique canadienne. Comme le manuel de Ouellet, Trudel, Cornell et Hamelin, elle s’est retrouvée au fond des «poubelles de l’Histoire».

Ce n’est pas la télévision qui est un médium difficile. C’est le sens à la vie collective qui n’est pas donné comme une simple leçon morale à tirer des événements, comme le pense trop souvent la littérature de propagande. L’utopie libérale, qui voulait que l’instruction, l’éducation, soit un gage d’ouverture de la conscience, s’est avérée fausse, et rien, sinon le bourrage de crâne, ne l’a remplacée. L’intelligence de Robert-Guy Scully, qui se considérait comme un disciple en journalisme de cette vieille savate qu’était Claude Ryan, borné, têtu, passéiste enfin dément, relevait un défi au-delà de ses compétences. Le mépris qui lui fut versé à grosses chaudièrés était sans doute exagéré. Comme je l’ai dit, bien des acteurs qui ont joué dans les Minutes du patrimoine, et ont reçu des retombées de cet argent maudit, avaient voté Oui au Référendum de 1995 et, comme il faut bien gagner sa vie, ont donné leur prestation à ces vignettes dont on ne pouvait ignorer la mission propagandiste. J’ai mentionné Roy Dupuis, mais il y avait aussi Guy Nadon, René-Richard Cyr, Gaston Lepage, Patrice Lécuyer, Daniel Gadouas (qui avait joué dans le désolant film de Denis Héroux, Pour quelques arpents de neige), Guy Richer, Linda Sorgini, Jean-Louis Millette et combien d’autres. Tout cela rappelle que sans le Conseil des Arts du Canada et les commandites fédérales, les dramaturges et les artistes vivraient bien maigre s’il n’en tenait au gouvernement du Québec, qui, durant toute cette période, ne contre-attaqua pas les Minutes du patrimoine alors qu’il était dirigé par le Parti Québécois, cuvée Lucien Bouchard.

Tout cela nous ramène à la Poverty of Historicism du philosophe Karl Popper - je me souviens, quand j’étudiais un cours d’épistémologie au niveau maîtrise et que je devais me taper ce livre hyper-idéologique, je disais à mes confrères-consœurs, «ne lisez pas popper, sniffez-le». Poverty of Historicity décrirait mieux le mal-être de la conscience historique canadienne, et tant que les partis politiques et le gouvernement fédéral se donneront la mission de la faire naître en partant de projets, toujours les mêmes, d’additionner plutôt que de fusionner. ils maintiendront l'infranchissable gouffre qui sépare les deux solitudes Se servant de l’histoire comme propagande, le Socius emprisonnera une conscience malheureuse de l'histoire, défaite, parcellarisée, aliénée, plutôt prête à se laisser tenter à devenir américaine à l'exemple de Terre-Neuve jadis, devenue canadienne. Pourtant, la culture canadienne-anglaise résiste, souligne à caractères gras ce qui la distingue de l’historicité américaine. Elle sait qu’elle ne pourrait être, une fois américanisée, qu’un satellite, une succursale du dumping américain. Alors, elle s’accroche à la conscience historique québécoise, au point que celle-ci porte l’Histoire du Canada sur ses épaules. Ce faisant, le Québec ne peut se résigner à couper les fils qui la retiennent à cette sœur bougonne. Le Canada, dernière chance de l’Europe, titrait voilà un demi-siècle un livre de Claude Julien. Le Québec, dernière chance du Canada. Oui, et plus vrai que jamais avec les conservateurs-républicains au pouvoir à Ottawa. Voilà pourquoi, ultime ruse de la raison, les Canadiens Anglais devraient craindre de voir le gouvernement du Québec, libéral, péquiste ou autre, saboter cette conscience historique québécoise comme il le fait présentement. Ce n’est pas à Fabienne Larouche seule qu’incombe le devoir de consolider un sens à l’histoire qui est collectivement la nôtre. Pas plus au Québec seul de porter le fardeau de l’historicité canadienne sur son dos. Mais dans cette Cancanie austro-canadienne, plus rien ne doit nous étonner comme phénomène de cirque, tant les Minutes du Pogne-le-Moine implorent, pathétiquement, pitié⌛
                                                                                                                                                  Montréal
23 janvier 2012

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