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LES QUARANTE MINUTES DU POGNE-LE-MOINE
Troisième partie d'une trilogie
Si vous avez pu suivre les deux premiers messages de ce long dialogue avec l’Histoire du Québec à partir d’épisodes d’un téléroman de Fabienne Larouche, si vous pensez même avoir compris ce que j’en ruminais - ce dont je ne suis pas toujours sûr moi-même, mais l’important n’est pas là -, alors vous méritez bien une petite récompense en nous montrant un peu plus désinvolte. Certes, la désinvolture ne veut pas dire qu’on cesse pour autant d’être sérieux! C’est comme une récréation. Un petit bonbon surette après un lourd repas. Lâchons-nous donc lousse dans notre caca, puisqu’il y en a tellement, et mettons en relations ce qui nous pèse le plus sur la conscience (historique).
Si les Québécois ne parviennent pas à se réconcilier avec leur Histoire, à trouver cette cohérence dont Bruno Bettelheim dit qu’elle est la chose la plus importante, l’estime de soi (collectif); si, par deux fois, nous avons voté «Non» au référendum sur la Souveraineté du Québec et sa création en pays, avec un État auto-déterminé, ce que Hegel comme Durham considéraient
«avoir une histoire»; que les jeunes d’aujourd’hui, comme dans mon jeune temps, avant 1970, se considèrent comme «Canadiens Français» plutôt que «Québécois», parce que leur passeport est sans doute plus significatif à leurs yeux que leur carte d’assurance-santé, donc, pourquoi ne rallions-nous pas l’histoire canadienne? Pourquoi ne pleurnichons-nous pas, à l’image de Solange Chaput-Rolland, sur nos belles Rocheuses? Pourquoi ne nous épanchons-nous pas en extases devant l’immensité des Prairies de l’Ouest? Pourquoi nous plaignons-nous toujours que l’eau de mer du Nouveau-Brunswick est toujours trop froide? Aucune plainte semblable n’émanant contre Ogunquit, qui n’est qu’à quelques kilomètres au Maine et où l’eau n’est guère plus chaude? Los Angeles et Disneyland sont le choix de bien des enfants en phase terminale d’un cancer, mais pourquoi pas Marineland, où il est toujours possible de rêver, comme Louis Morissette, qu’un cachalot pourrait sauter et avaler tout rond Stephen Harper! Enfin, alors que les Anglophones riches du Bel Âge vont finir leur jour à Victoria, pourquoi les Francophones lui préfèrent-ils le kitsch floridien? Louis-Joseph Papineau, sur la fin de ses jours, avait-il donc raison: nous lorgnons plus du côté des Américains que du côté des Canadiens, et la fortune gît enfouie dans les coffres de Fort Knox plutôt qu’à l’Hôtel de la Monnaie à Winnipeg (qui vient tout juste de lancer sa monnaie en rubber).
Pierre Falardeau, en faisant d’Elvis Gratton son Québécois à la fois fédéraliste et pro-américain, commettait une confusion. Il est difficile d’être Fédéraliste et pro-Américain à la fois. C’est même illogique. On peut être Québécois nationaliste et pro-floridien, c’est le cas d’un grand nombre de souverainistes et lorsque l’ancien ministre péquiste Marcel Léger voulait acheter les îles antillaises de Caïman et Coco, il savait très bien dans quelle direction le vent du Nord poussait les touristes québécois. Ce soudain excès d’«impérialisme» québécois fut sans suite. Et si de fait Elvis Gratton ne connaît rien du Canada, il connaît certainement mieux «les States». Ne serait-ce que par Elvis Prestley et Nashville, Tennessee. Il y a donc une entreprise de masquage dans l’œuvre de Falardeau autant qu’il y a un schadenfreude à exhiber la vulgarité d’une certaine classe de Québécois qui n’est pas propre à ce peuple. On trouve même un Elvis Wong qui n’appartient sûrement pas à la «vieille noblesse bretonne».
Si les Québécois ne parviennent pas à se réconcilier avec leur Histoire, à trouver cette cohérence dont Bruno Bettelheim dit qu’elle est la chose la plus importante, l’estime de soi (collectif); si, par deux fois, nous avons voté «Non» au référendum sur la Souveraineté du Québec et sa création en pays, avec un État auto-déterminé, ce que Hegel comme Durham considéraient


La raison pour laquelle il nous est difficile, même lorsque nous sommes fédéralistes convaincus, de nous approprier l’historicité canadienne (anglaise), c’est que son Poétique, son Imaginaire, est totalement différent du nôtre. Je l’ai démontré ailleurs, en me servant des deux cartes géohistoriques publiées par le McLean/l’Actualité durant la crise constitutionnelle au temps du Lac Meech. Alors que la vision organiciste d’une communauté se chantant Ton histoire est une épopée structure la vouloir-vivre ensemble québécois, les Canadiens Anglais vivent leur histoire comme une addition mécaniciste de «Légendes» où chaque Canadien fait l’Histoire du Canada par son seul fait de participer ou de témoigner d’un moment précis (precious memories, titrait l’album de famille des Simpson avant d'être jeté au feu), un moment charnière de la durée canadienne. Moins de dix ans après la publication de ces deux cartes géohistoriques adressées aux «deux peuples fondateurs», voici que l’O.N.F. et les différents diffuseurs présentaient

Ces Minutes du patrimoine suscitaient l’hilarité plus qu’autre chose. Nous les appelions «les minutes du pogne-le-moine», offrant l’occasion d’aller tirer une pisse avant que la partie de Hockey ne reprenne. Après tout, si le Survenant vivait au Chenal-du-Moine, alors pourquoi se formaliser d’une coquinerie envers une propagande publicitaire. On a ri beaucoup moins cependant lorsqu’on apprit, à travers le célèbre et médiatisé «scandale des commandites», combien d’argent avait été distribué aux amis du parti Libéral fédéral pour des productions qui n’avaient jamais été réalisées ou des ristournes d’argent qui passaient par une entreprise avant de se retrouver dans les coffres du parti. Parmi ces commandites, Héritage Canada fut particulièrement visé et les Minutes du patrimoine éclaboussées. Or, leur producteur était le journaliste bien coté de Radio-Canada/CBC, Robert-Guy Scully, qui avait une entreprise de production qui fournissait le réseau national, dans les deux langues, de rencontres ineptes et de propagande néo-libérale.

Un autre journaliste de Radio-Can. se montra particulièrement cinglant à l’égard de Scully, Normand
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Mais le livre de Lester, pas plus que les Minutes du patrimoine ne répondent à notre question de départ: pourquoi la conscience historique québécoise ne peut-elle pas se fondre avec la conscience historique canadian? Si, par deux fois, les Québécois ont dit «Oui» au Canada - puisqu’ils ont répondu «Non» au Québec -, pourquoi ne sont-ils pas parvenus à se reconnaître dans les vignettes-vidéos d’Héritage Canada? Parce que c’était de la propagande, répondrez-vous. Et la propagande est une offensive du Socius sur la Psyché. Il s’agit d’obtenir un acquiescement, une volonté de s’intégrer et de participer. Mais si la propagande ne touche pas au niveau symbolique de l’inconscient de cette collectivité, alors elle ne parviendra pas à obtenir les résultats qu’elle cherche. D’où l’échec des


Pourquoi alors revenons-nous sur ces Minutes du patrimoine? Parce qu’il ne faut pas me croire sur paroles. Je rejette cette paresse intellectuelle actuelle qui prétend qu’il suffit d’affirmer pour être compris. Or il ne s’agit pas de comprendre un «discours», une «rhétorique», mais des faits, des structures représentationnelles, des échanges interstructurelles. Les Minutes du patrimoine, propagande futile, propagande inutile, échec idéologique, n’en ont pas moins existé - et elles circulent encore sur le Web, aussi ont-elles des choses à nous apprendre sur la conscience historique canadienne-anglaise, partagée par certains fédéralistes québécois; des plus vieux, qui ont toujours dans le nez le cléricalo-nationalisme de leur enfance, aux plus jeunes qui espèrent faire affaires aussi bien à Toronto qu’à Montréal.
L’article Wikipedia sur les Minutes du Patrimoine recense une trentaine de titres, mais il en manque quelques uns. La réalisation de la plupart de ces Minutes est léchée, à l’image de leur producteur, impeccable. Le jeu des comédiens est sans reproche. Les décors, tout comme les costumes, sont

Jetons un rapide coup d’œil sur ces 40 vignettes-vidéos. Cela rappellera sans doute de bons et joyeux souvenirs.
1- «Agnes Macphail [à ne pas confondre avec Nounou McPhee] demande la réforme pénale». En fait, Agnes Macphail fut la première femme élue aux Communes en 1921. Ardente pacifiste, elle siégea parmi les Réformistes (qui n’ont rien du Reform Party) et fut une ardente féministe. Sa demande de réforme pénale ne fut sûrement que l’une des activités qui étaient propres aux mouvements pacifistes de l’époque. Plutôt que souligner un aspect controversé, son activisme anti-militariste (n’oublions pas le Canada des années 90 participe à la Guerre du Golfe et en Serbie), on a fait de Miss Macphail une Nounou McPhee des prisonniers.
2- «Le développement de l’Avro CF-105 Arrow», un chasseur supersonique à réaction mis au point au Canada. C’était l’appareil le plus perfectionné en son genre, étant conçu pour transporter des missiles à ogives nucléaires qui sont capables d’abattre en plein vol des bombardiers russes en mission d’attaque. L’Arrow fut toutefois sacrifié. Le Premier ministre conservateur Diefenbaker se vit intimider par le gouvernement américain, dont les appareils étaient de moins bonne qualité, et proposa en échange de construire la ligne DEW de radars Arctique à ses frais si le Canada cessait sa production du Arrow. L’avion de 12 millions de dollars ne trouva acquéreur ni en Amérique ni en

3- «Louis-Hippolyte Lafontaine et Robert Baldwin bâtissent une coopération interlinguistique». Voir ce que j’en ai dit plus haut.


5- «La dernière course du Bluenose», le voilier célèbre sur les pièces de 10 cents.
6- «L’art de Paul-Émile Borduas et la révolution tranquille». Voir ce que j’en dis plus haut.

8- «L’art de Emily Carr». Fortement inspirée des totems des tribus amérindiennes de Colombie Britannique, son œuvre est connue mondialement.




12- «Le député John Matheson regarde les candidatures pour le nouveau drapeau canadien». Un inventaire des horreurs qui furent soumis et d’où l’on tira l’unifolié rouge-libéral.


15- «Le Collège Frontière éduque ceux qui sont loin des centres urbains». Fondé en 1899, son but était d’aller porter l’enseignement et lutter contre l’analphabétisme dans les régions éloignées du Canada, et maintenant dans l’ensemble du monde.
16- «L’Anglais Archie Belaney devient Grey Owl». Il servit de modèle spirituel à Pierre Eliott Trudeau!

17- «Vince Coleman sacrifie sa vie pour sauver un train de l’explosion de Halifax». C’est une des légendes populaires pan-nationales inscrite dans les formulaires d’impôts. L’explosion d’un navire français, Mont-Blanc, le 6 décembre 1917, qui souffla une partie de la capitale néo-écossaise.
18- «Louis-Joseph Papineau donne le droit égalitaire de religion aux juifs du Canada». Thème de prédilection de Denis Vaugeois: comment fut reconnu, pour la première fois dans un parlement de souche britannique, un député de religion juive, Ezekiel Hart. Le jeune Louis-Jospeh Papineau était alors Orateur de l’Assemblée.

20- «Jackie Robinson se joint à l’équipe des Royals de Montréal». Il fut le premier joueur noir de la ligue de baseball (1946), les Américains étant plutôt racistes, excluaient les Afro-américains. Accepté au Canada, il alla poursuivre sa carrière aux États-Unis pour les Dodgers une fois qu’il se montra champion. Le racisme aussi a un coût.
21- «Jacques Plante devient le premier gardien de la LNH à porter un masque de hockey à temps plein». Quand on a rien à dire.






27- «Laura Secord aide les Britanniques dans la guere de 1812 en prévenant l’avance militaire américaine». Outre le chocolat, un grand succès des légendes canadiennes (l’équivalent anglophone de Madeleine de Verchères).
28- «Thomas Eadi développe le Micro-ondes trans-canadiennes». Ingénieur chez Bell Canada, Thomas Wardrope Eadi a réalisé le réseau hertzien pan-canadien entre 1953 et 1963.

30- «La vie et l’exécution de Louis Riel». Joué par Roy Dupuis, méconnaissable, on entend la conscience de Riel se repentir pendant qu’une voix-off lit la sentence. Le tout se termine par la trappe du gibet qui s’ouvre et la corde du pendu qui, toute roide, se balance. «On regrette, mais dura lex sed lex».




35- «Harry Colebourn donne le nom de Winnie à l’ourson mascotte de son régiment, en honneur de sa ville de Winnipeg». Le

36- «Jacques Cartier rencontre Donnacona». Voir ce que j’en dis plus haut.


38- «Les lucioles de Ville-Marie». Jeanne Mance enferme des lucioles dans un bocal afin de servir de flash light la nuit; l’une des historiettes de mon enfance.
39- «Maurice Richard». Roy Dupuis reprend son rôle tenu dans le film éponyme.
40- «Lafontaine, emprisonné, fait parvenir

Voici donc les 40 vignettes-vidéos de Scully. Quelles observations pouvons-nous en tirer? D’abord, l’historicité canadienne-anglaise ne s’est pas modifiée depuis le milieu du XXe siècle, lorsque la compagnie d'assurance Confederation Life faisait peindre des tableaux historiques pompiers, genre Meissonnier, jusqu'à mon étude de 1992. Vingt ans plus tard, l’historicité canadienne-anglaise se reconnaît toujours dans une suite de légendes où chaque Canadien incarne un épisode de l’Histoire du Canada. Le Tout est complètement dilué dans ses parties. Ce qui veut dire que tout ce qui y est raconté aurait pu se passer n’importe où ailleurs qu’au Canada, sans que ça ne fasse la moindre différence. Les héros sont des héros quotidiens, qui ont fait ce qu’ils avaient à faire, mais qui nous apparaissent exceptionnels considérant qu’ils furent, soit les premiers à le faire au Canada, soit reconnus nationalement ou internationalement comme une «célébrité». Celine Dion y aurait eu sa place, dix ans plus tard. Le premier… la première… mais surtout le plus grand, la plus grande.
La complaisance envers les groupes qui étaient ignorés ou rejetés comme marginaux de l’histoire traditionnelle du Canada est évidente mais non significative en soi. Il s’agit toujours de donner des

Ce n’est pas la télévision qui est un médium difficile. C’est le sens à la vie collective qui n’est pas donné comme une simple leçon morale à tirer des événements, comme le pense trop souvent la littérature de propagande. L’utopie libérale, qui voulait que l’instruction, l’éducation, soit un gage d’ouverture de la conscience, s’est avérée fausse, et rien, sinon le bourrage de crâne, ne l’a remplacée. L’intelligence de Robert-Guy Scully, qui se considérait comme

Tout cela nous ramène à la Poverty of Historicism du philosophe Karl Popper - je me souviens, quand j’étudiais un cours d’épistémologie au niveau maîtrise et que je devais me taper ce livre hyper-

Montréal
23 janvier 2012
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