mercredi 8 décembre 2010

La première guerre informatique?




















Julian Assange (à gauche) et Étienne Dolet (à droite)

LA PREMIÈRE GUERRE INFORMATIQUE?

Assistons-nous à la première guerre informatique, comme le titrait un article, à propos de la guerre de piratages entre WikiLeaks et ses partisans d’une part et les hackers (sans doute pilotés par certaines agences privées ou gouvernementales) inquiets des révélations que Julian Assange lance de manière répétée sur la Toile? À la guerre des étoiles envisagée par le président Reagan au début des années 1980, c’est plutôt à une cyberguerre, à la guerre de la Toile, à laquelle nous assisterions aujourd’hui.

Essayons de déblayer un peu mieux l’enjeu historique qui se déroule sous nos yeux. D’abord, depuis la publication de documents secrets et des 250 000 télégrammes diplomatiques, voilà deux semaines, le site de WikiLeaks est sujet à des cyber-attaques. Des hackers, des pirates informatiques inondent le site de messages instantanés. Cette overdose de messages a pour but de noyer le réseau et d’en empêcher la diffusion des télégrammes diplomatiques. D’un autre côté, «les gouvernements font pression sur les sites qui hébergent WikiLeaks pour qu’ils lui en ferment l’accès. Alors le site déploie ses propres stratégies. D’abord en s’appuyant sur les internautes. Il propose à ceux qui disposent d’un serveur, d’héberger le contenu de Wikileaks. C’est ce que les internautes appellent «l’effet de miroir»; le contenu est reproduit à des centaines d’exemplaires». Contre l’assaut des gouvernements en état de choc paranoïaque, ces derniers répliquent en faisant la chasse aux internautes qui hébergeraient le site. Pour se défendre, celui-ci utilise des «miroirs aux alouettes» en vue d’égarer les hackers des gouvernements. Cette stratégie est purement dérivée de la guerre ninetendo en pratique, au moins, depuis la guerre du Golfe de 1991. Aux attaques des missiles Patriotes, les troupes irakiennes dressaient des tanks gonflés afin d’égarer les scruteurs satellitaires, substituant des entrepôts vides là où on espérait y trouver des hangars de matériels militaires, etc.

On sait que Assange s’est constitué une «assurance vie» en cryptant 250 000 télégrammes diplomatiques que chaque internaute peut télécharger librement. La clé de cryptage étant considérée comme indécodable, Assange affirme que «s’il lui arrive quelque chose, les codes seront automatiquement à disposition des internautes». Assange se sait donc dans la ligne de mir de ceux-là mêmes qui essaient de saboter les transmissions de WikiLeaks. Nous ne sommes plus dans les gossips de vedettes. Plus audacieux encore, le second envoie de messages de WikiLeaks ne concerne plus les échanges diplomatiques et les sottises que nos diplomates peuvent s’échanger les uns sur les autres, comme dans un perpétuel congrès de Vienne ou les parties de couchettes alterneraient avec les rencontres autour de la table de conférences entre deux valses viennoises et quelques slams afro-américains. Ces nouveaux messages identifient les entreprises ou des sites de production sensibles à travers le monde, dans de nombreux pays et de nombreuses branches de l’industrie jugés nécessaires à la sécurité des États-Unis. Il s’agit surtout d’entreprises de télécommunications, de production d’énergie, des mines, des sites de l’industrie spatiale ou de la défense, à cela s’ajoutent également des laboratoires pharmaceutiques dont les recherches ne sont pas innocentes ou philanthropiques, mais qui concernent essentiellement l’optique d’une guerre bactériologique.

Les informations WikiLeaks citent les laboratoires pharmaceutiques «comme Sanofi-Aventis, ou GlaxoSmithKline parce qu’ils produisent le vaccin contre la rage ou la grippe aviaire. Des usines chimiques comme BASF en Allemagne parce que c’est le plus grand complexe chimique intégré au monde, ou encore Siemens parce qu’elle assure la production irremplaçable de produits chimiques clés. Même chose pour le site gazier de Gazprom dans l’Arctique parce c’est le plus sensible au monde». Pour les plus informés, des noms comme BASF et Siemens rappellent les mauvais souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, puisque le premier fabriquait le fameux gaz Zyklon B utilisé pour les chambres à gaz d’Auschwitz et autres camps d’extermination nazis. Comme dans les albums de Tintin, on voit régulièrement reparaître les méchants des albums antérieurs. Qui oserait prétendre que nous sommes loin de l’entreprise militaire mobilisée dans une opération guerrière?

Autres domaines surveillés par les États-Unis, le groupe Alsthom pour ses turbines et générateurs pour les barrages hydroélectriques, les points d’arrivées de câbles de télécommunications transatlantiques et jusqu’à l’Hydro-Québec, chargée de dispenser l’énergie électrique pour le Nord-Est des États-Unis. «Bref, aucun pays n’est délaissé par la sureté américaine: de la Russie à l’Amérique latine et au Canada en passant par le Moyen-Orient avec le Qatar qui sera d’ici à 2012, la première source de gaz naturel liquéfié pour les États-Unis [qui] envisagent de protéger ces sites». Tout ce qui était tenu comme informations tacites se voit confirmer, vérifier, affirmer. Si, en démocratie, les peuples ont droit de savoir à quoi servent les dépenses gouvernementales de leurs impôts, que la responsabilité ministérielle n’est pas un leurre qui dissimule l’arme des despotismes, c’est-à-dire la fameuse «Raison d’État», WikiLeaks se révèle un instrument indispensable à la sauvegarde de la démocratie et à la vérité politique en une ère où les gouvernements gouvernent par le cynisme et l’angoisse paranoïde.

On ne peut qu’admirer la perspicacité machiavélienne de M. Assange qui ne fait pas dans la dentelle naïve de la plupart de nos journalistes. L’effet de miroir souligné plus haut relève du «phénomène… connu sous le nom «”d’effets Barbra Streisand”», explique Jean-Marc Manach, journaliste français spécialiste des questions de surveillance et de liberté sur le net. “Il y a quelques années, un photographe avait pris en photo une des maisons de l’artiste. Elle avait porté plainte pour atteinte au droit à l’image et demandé à ce que la photo soit retirée du net. Des centaines de personnes ont recopié la photo sur leur site. Depuis, on surnomme effet Barbra Streisand la diffusion à grande échelle d’une information ou de documents faisant l’objet d’une tentative de censure”, poursuit-il». Ses complices ne sont plus des mercenaires payés par un État affolé, mais des internautes, pour beaucoup inconnus, qui partagent le même souci démocratique que Julian Assange. Il a prévu l’action des hackers pilotés par les entreprises privées dont les noms pourraient figurer sur les documents révélés et les gouvernements en quête d’une sûreté d’État jamais satisfaite. Aussi, telles que prévues, les cyber-attaques sont venues de toutes parts. Des gouvernements, l’ignoble président Sarkozy entre autres, entendent interdire que WikiLeaks viennent loger sur des sites français. Même bloqué à plusieurs reprises, de nouvelles adresses internet se sont multipliées à mesure que les hackers parvenaient à étouffer de messages un premier site WikiLeaks. Ces nouveaux sites ont été vite repérés pour être victimes, à leur tour, d’attaques de type «déni de service», saturation du serveur visé de demandes. On le voit, les hackers en question ne font pas que s’amuser, ils pourchassent directement le site et ne peuvent qu’être des agents payés par des entreprises et des gouvernements menacés par les révélations.

«Autre mesure de précaution, WikiLeaks a entrepris de dupliquer la totalité des câbles diplomatiques en sa possession - plus de 250 000 selon le site - dans un fichier baptisé “assurance.aes256” de 1,5 gigabit, protégé par une clé à 256 bits, les plus puissantes. Fichier disponible sur certains sites, comme thepiratebay.org.» Le secret n’appartient plus à un seul individu, mort ou vif, mais bien à un groupe d’internautes que rien ne lient entre eux sinon l’accès au fichier. Mieux que le livre, mieux que les journaux ou les revues, les documents tabous sont à peu près assurés d’être, un jour ou l’autre, expédiés sur la Toile, envers et contre tous les dirigeants politiques. Le pouvoir du secret, pouvoir essentiel à la puissance de l’État est définitivement cassé. Désormais, plus rien n’est à l’abri de la diffusion des informations de masse. Le secret d’État pourra être tenu de moins en moins longtemps et sa diffusion limitée à quelques esprits informés seulement. Il y a là comme une revange de la démocratie depuis trop longtemps jouée par les artifices du spectacle électoral. Au-delà de la crise de la sécurité nationale, c’est bien la crise du système démocratique qui devient l’enjeu de la cyber-guerre que se livre les internautes de WikiLeaks et les hackers des gouvernements. «“Les archives du Cablegate ont été disséminées, ainsi que des documents significatifs des États-Unis et d’autre pays, à plus de 100 000 personnes sous forme cryptée. Si quelque chose nous arrive les parties clé seront automatiquement rendues publiques. De plus, les archives du Cablegate sont entre le mains de nombreux médias. L’Histoire vaincra. Le monde sera un meilleur endroit”, a expliqué Julian Assange à propos de cette “assurance”, s’exprimant en ligne via le Guardian, un des journaux associés à WikiLeaks». En se livrant à la police britannique, qui l’extradiera vers la Suède probablement pour y subir le procès sur de sombres accusations de viol. Assange semble ne pas se faire d’illusion sur ce qui l’attend, mais, en même temps, il se place sous la garde même de ceux qui pourraient, éventuellement, faire une traite sur sa police d’assurance.

Aussi, d’autres hackers sont-ils apparus en début décembre pour répondre du tac au tac à la chasse médiatique. «Suite à l’arrestation de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks à l’origine de révélations de centaines de milliers de documents classés confidentiels, et aux attaques dont il fait l’objet ainsi que WikiLeaks (blocage de comptes bancaires notamment), certains hackers se déchaînent pour contrecarrer, en attaquant des sites bancaires». Ainsi, «le site PayPal avait décidé de bloquer le compte WikiLeaks le 4 décembre. En réponse, une attaque qui a été revendiquée par un internaute «th3j35t3r» selon le monde.fr, avait été menée ce week-end. De même, les sites Mastercard et Visa ont aussi bloqué les cartes bancaires de WikiLeaks et de Julian Assange: en conséquence des attaques ont été menées pour bloquer l’accès à ces sites, celui de Mastercard n’étant toujours pas accessible aujourd’hui, mercredi 8 décembre 2010. Enfin l’avocat qui défend les deux Suédoises qui ont accusé Julian Assange de viol, Maître Claes Borgström, a lui aussi, subi une attaque informatique sur son site et ses emails après que le site Internet des procureurs suédois ait été lui aussi victime d’une cyber-attaque. On dirait bien que l’on assiste à une opération «œil pour œil, dent pour dent» et que des milliers d’internautes soient prêts à défendre WikiLeaks!»

En cette deuxième étape, on voit l’étendue de la guerre se diffuser aux banques, aux offices de crédit, à un ministère de la justice et à un bureau d’avocats suédois. Pas besoin de s’en prendre à l’appareil militaire, au Pentagone, ou à quelques autres sites mythiques de la superpuissance mondiale. Démocratisée, l’informations cybernétique entre dans chaque foyer, dans chaque établissement civil ou militaire, privé ou public. En s’étendant, au cours des vingt dernières années, la Toile, patiemment tissée, a rendu la Galaxie Gates plus bouleversante que le fut la Galaxie Gutenberg au XVe siècle, avec l’invention de l’imprimerie à caractère mobile. Sans entrer dans une étude comparative, il est intéressant de soulever certains faits comparables, tant par leurs aspects phénoménologiques que par les conséquences qu’ils entraînent sur la civilisation occidentale.

L’invention de l’imprimerie à caractères mobiles, au milieu du XVe siècle, a assuré la diffusion et l’accessibilité de textes qui restaient jusqu’alors en possession privilégiée de certaines institutions qui s’en faisaient les interprètes exclusifs. Je pense ici, bien entendu, à l’Église romaine. Publier la Bible n’avait rien en soi d’hérétique. Mais dans un monde où le visus était moins développé que l’auditus, c’est-à-dire où les informations circulaient moins sur des supports écrits que sur des supports énoncés par la voix des clercs et des lecteurs publics, publier la Bible entraînait un désir d’alphabétisation qui se pratiqua surtout dans les classes bourgeoises des grandes cités européennes de l’époque. S’il n’était pas indispensable de savoir lire et écrire de façon sophistiquée pour un marchand du XVe siècle qui voulait réussir en affaire, cela devenait un atout au moment où la résurrection du droit romain fondait les droits de propriétés et de commerce. Tout comme la comptabilité en partie double devenait un instrument capable d’éclaircir et de mieux surveiller le cours des affaires de l’entreprise, la lecture sécularisée du langage vernaculaire comme des lettres latines ou grecques apparaissait comme une nouvelle nécessité civilisatrice. Aussi, c’est à toute une révolution culturelle qu’invitait l’invention de Gutenberg, et les Occidentaux entendirent et comprirent très vite les possibilités diverses qu’offrait la nouvelle invention.

La première conséquence fut que le discours et l’interprétation orthodoxes des écrits-saints cessèrent d’être portés par la voix professe du prêtre, du pape ou de l’université. La lecture cessait de se faire à haute voix dans les auberges et sur les places publiques pour devenir une lecture à voix basse, sinon silencieuse, s’adressant directement, sans intermédiaire, à la conscience de chacun. Le résultat, on le connaît, fut que chaque conscience se trouva en suspicion devant les interprétations autorisées de la Bible. Les strictes mesures concernant l’interdiction des prêts à intérêt et des spéculations financières ne se trouvaient pas aussi clairement formulées dans les Évangiles. Bien des paroles saintes se contredisaient entre elles, et pour un esprit sagace, frappé de plus en plus par la «raison pure», il n’entendait plus l’ecclésiologie comme la dictait le dogme romain. Bref, la conscience individuelle se dégageait des nœuds de la doctrine pour s’interroger «en son âme et conscience». L’auto-examen de Luther, son défi lancé au pape et à l’empereur, entraînèrent la première réforme, la réforme luthérienne, et Luther trouva auprès de lui des esprits plus subtils que le sien, tel Mélanchton, pour faire d’une crise de la spiritualité occidentale, œuvre d’émancipation et de maturité. Certes, bien des princes terrestres y virent là l’opportunité de leurs intérêts; une foi de rechange mieux adaptée à leurs ambitions politiques et terrestres. Les excommunications furent suivies de schismes volontaires et il devint un article politique que, dans l’Europe du XVIe siècle, la religion du prince était devenue la religion du peuple (selon le principe Cujus regios, ejus religio). Avec la radicalisation de la seconde réforme, celle menée de Genève par Calvin et triomphante dans les Pays-Bas, en Suisse, dans les pays scandinaves et en France, surtout à travers la forte minorité que représentaient les Huguenots, de la crise de civilisation ouverte par Luther, on assistait à une suite de guerres civiles dans ces différents pays, voire de guerrers internationales, comme dans les Pays-Bas, lorsque l’enjeu devenait la libération nationale d’une puissance tutélaire, dans ce cas l’Espagne catholique de Philippe II.

Dans ce contexte de guerre civile, les nouvelles hérésies, devenues nouvelles orthodoxies nationales, trouvèrent dans la presse, l’édition, le support de l’imprimerie à caractères mobiles, le support de diffusion par excellence. Plutôt qu’un Aldo Manuci, éditeur des classiques grecs et latins au XVe siècle, les nouveaux éditeurs devenaient également des journalistes, des éditorialistes, tranchaient plus souvent en faveur de la réforme qui laissaient la liberté de publier comme étant le corollaire de la liberté de conscience, tout en restreignant, sur leur gauche, des libertés franchements hérétiques qui confinaient aux messianismes et à la licence, voire même profitaient du laxisme des États catholiques qui trouvaient que secouer, ne serait-ce que légèrement les chaînes qui les tenaient rattachés à Rome, ne pouvait que faire du bien à l’affirmation de leur autorité temporelle …et spirituelle. Il faudra attendre, en France, Richelieu et Louis XIV pour mettre un frein à la diffusion des gazettes, jusqu’à ce qu’elles reprennent du service sous la Régence, le règne de Louis XV et à la veille de la Révolution.

Luther et Calvin n’étaient pas des Julius Assange. Assange divulgue des documents confidentiels qu’il est parvenu à saisir au vol sur la Toile et, coup de publicité oblige - l’art de la réclame, une autre invention du temps de la Renaissance -, il les renvoie au grand public. Qu’importe ses motivations personnelles ou commerciales, démocratiques ou narcissiques, le fait est que les gouvernements ne peuvent plus nier la véracité de ces documents. C’est la limitation du secret d’État, qui va forcer les gouvernements à transformer du tout au tout les rapports diplomatiques de l’avenir. Afin de conserver la même aisance tacite, les démocraties occidentales, habituées au carrousel des urnes à tous les quatre ans, ne concevaient pas que la diffusion sur une large échelle de documents privilégiés puissent ainsi renverser le laissez-faire aphasique des citoyens. De ce coup de publicité, faisant appel au voyeurisme de chacun, leur disant qu’il y avait des documents obscènes et forts curieux sur WikiLeaks, la démocratie-citoyenne s’est sentie munie d’une nouvelle arme. Il ne faudrait pas, toutefois, se faire d’illusions sur le processus démocratique amorcé derrière ces révélations. C’est moins par investissements politiques des internautes que par voyeurisme pornographique que la plupart d’entre eux se rendent lire des documents dans lesquels ils ne comprennent d’ailleurs pas grand chose, peu informés qu’ils sont généralement des événements et des théories politiques. Mais pour les analystes, les journalistes, les enquêteurs, les chercheurs, les entreprises et combien d’autres groupes intéressés, ces informations valent de l’or en barre. Des coups de Jarnac (entre États), de la corruption (entre États et entreprises), des concussions (entre entreprises), des «crosses» entre alliés et associés, c’est toute la bassesse humaine qui se révèlent, qui met à bas l’optique supralunaire de l’État. L’auctoritas, qui joint la légitimité à la légalité et assoient le pouvoir sur une autorité transcendante - ici le sacro-saint peuple des Droits de l’Homme -, succombe devant ses jeux de renards où les roués et leur duplicité montrent comment le monde est gouverné sur le dos de tant de millions de couillons.

Aujourd’hui, une sombre et sordide histoire de viol place Assange sur la sellette comme criminel. Comme au temps des nazis, où la mise en accusation de prêtres accusés de pédophilie servit à discréditer les discours anti-nazis de l’Église catholique, le procès de viol intenté contre Assange est le bien venu pour discréditer les révélations faites sur WikiLeaks, comme s’il y avait rapport de causes à effets. Certes, les manigances nazies n’ont jamais empêché les prêtres pédophiles d’exister, de la même façon que les manigances des gouvernements occidentaux n’empêcheront jamais les révélations parus sur WikiLeaks d’être vrais! Mais il s’agit d’user du spectacle d’un procès pour révéler l’ignominie de l’âne de la fable afin de protéger tous les autres animaux, les vrais coupables ceux-là, en usant d’une sordide histoire de deux accusatrices dont on ignore encore le sérieux des accusations portées. Les bonnes âmes puritaines, entre l’interdiction de l’avortement au nom du droit à la vie et la défense de la peine de mort, y trouveront à satisfaire leur logique tordue.

Là encore, la comparaison historique n’est pas à dédaigner. De ces journalistes ou publicistes qui appuyèrent de leurs écrits les réformateurs, certains durent subir le martyre, et comme la tenue des procès à l’époque ne faisait pas dans la dentelle, il y a gros à supposer que le dernier jour des condamnés ne fut pas des plus reposants. Le cas d’Étienne Dolet (1509-1546) en France mérite d’être rappelé. Ce fils de bourgeois, admirateur de Cicéron, eut une vie plus qu’agitée puisqu’il tua en duel un peintre et fut gracié par le Roi François Ier grâce à l’intervention de Maguerite de Navarre, sa sœur. Dolet reçu même entière liberté de publication, lui qui se faisait le défenseur de la tolérance, à un point même qu’il défia sa chance en publiant des livres de plus en plus suspect d’athéisme. Les vieilles rancune se liguèrent contre lui et un procès fut intenté devant le Parlement qui le condamna. Après de multiples emprisonnements, il fut brûlé place Maubert. Dans le cas de Dolet, ce n’est pas le sexe qui fut le voile de la persécution mais la religion.

Si je rappelle le cas de Dolet, c’est à cause de certaines similarités qui nous révèlent beaucoup sur ce qui est en train de se passer sous nos yeux. D’abord, ce premier conflit informatique tient moins aux messages livrés sur WikiLeaks qu’au médium lui-même. La loi de McLuhan se confirme une fois de plus. Comme l’imprimerie au second XVe siècle, la démocratisation de l’Internet et de la Toile a été accueilli favorablement par les autorités des différents pays occidentaux. On y a vu une véritable «révolution technologique» appelée à bouleverser les communications de l’avenir. Certes, on y calculait seulement les profits et bénéfices qu’on pouvait en tirer. Puis, on ne pensait pas encore sérieusement au piratage, aux «effets de miroir» ou «Barbra Streisand». On y voyait pas non plus une intervention citoyenne autre que le traditionnel béni oui oui envers les autorités légales. On tapait bien sur les doigts des méchants pédophiles qui collectionnaient des fichiers en quantité industrielle d’images et de vidéos d’enfants violés, soulageant ainsi une conscience inquiète de l’infiltration du mal dans ce nouvel appareil qui, des anges semblaient de plus en plus passer entre les mains des démons. Comme ceux-ci sont légions, le cyber-terrorisme est venu monter d’un cran la paranoïa que nourrissait de plus en plus la galaxie Gates. La cyber-fraude est venue ajouter un élément de plus avec les grands procès d’Enron et autres scandales financiers de la première décennie du XXIe siècle qui conduisirent à une crise économique et financière en 2008. Le cyber-sex, lui, passait de l’étape des rendez-vous virtuels sur le WEB à une forme de prostitution ou masturbation mutuelle via WebCam d’adultes et d’adolescents qui se prêtaient ainsi à des jeux «innocents» en regard des dangers de la transmission du sida. Toutes ces perversions, toutes ces subversions de l’invention de Gates, comme les publications hérétiques et pornographiques à partir du XVe siècle ont perverti et subverti l’invention de Gutenberg, déforment l’idéalisme des premiers temps que ces gouvernements entretenaient, eux qui pensaient qu’avec l’informatique démocratisée, le travail, le divertissement, l’isolement, le contrôle des individus seraient rendus plus facile. Le reste pourrait être encadré par les lois et les surveillances policières. Tant que les créateurs littéraires, musicaux ou artistiques se plaignaient du piratage des œuvres sans passer par les droits d’auteur, il n’y avait là qu’une insignifiance qui ne méritait pas de s’y arrêter. Maintenant que ce sont les précieux contrats d’entreprises et les non moins précieux documents diplomatiques qui sont l’objet de piratage et de diffusion de masse, les États crient qu’il y a péril en la demeure. Que la sécurité nationale est mise en danger. Que la sûreté de nos barrages, de nos entreprises pharmaceutiques, de nos réseaux de circulations aéronautiques, routiers et ferroviaires sont menacés par les terroristes d’Al Qaïda… Du temps de Dolet, l’intégrité de l’Église catholique (ou réformée), la soumission aux rois et à l’empereur, l’insurrection de certaines cités, telle Münster en 1535, et surtout les grandes épidémies de sorcellerie ou l’invasion de démons venus d’Extrême-Orient telles que prophétisées par l’Inquisiteur Pierre de Lancre, jouaient quasiment le même rôle que nos crieurs-paniques d’aujourd’hui. Guerre chimique? Guerre bactériologique? Guerre nucléaire? WikiLeaks apparaît comme le traître, ami de nos ennemis. La Kerkaporta - la petite porte du Cirque par où les Turcs s’engouffrèrent dans Constantinople en 1453 -, passe désormais par les écrans de chacun de nos ordinateurs.

L’Histoire se répète? Absolument pas. Les phénomènes sont répétables dans la mesure où les mêmes causes entraînent les mêmes effets à l’intérieur de cadres identiques. La Galaxie Gates aujourd’hui, la Galaxie Gutenberg au XVe siècle, montrent à quel point nous sommes dépendants des supports de communication beaucoup plus que des contenus des messages. Publier la Bible ou le Coran sur l’Internet n’entraînera sûrement pas de grandes conversions ni d’hérésies fantastiques, mais le viol du secret d’État dans lequel se dissimulent l’action politique et diplomatique face au marché des intérêts nationaux sur la place mondiale est tout simplement insupportable. Ces révélations ne cessent de trahir les idéologies libérales et conservatrices de la libre-circulation des idées et des informations, de la libre-concurrence en affaires, des lois de la nature et de l’offre et de la demande, la juste répartition des richesses seulement déviée par les cataclysmes géophysiques ou climatologiques, bref tous ces mythes que l’on enseigne comme sciences sociales ou humaines se voient emporter par les manipulations et les manigances. L’optimisme libéral, paradoxalement doublé du pessimisme en la nature humaine qui habite le capitalisme, montre que la schize occidentale, creusée depuis l’âge baroque, ne cessera jamais de s’élargir, les plaques idéologiques emportant, à la dérive, les rêves et les illusions des puissants devant la stupeur béate des peuples, une fois de plus médusés par la vérité⌛

8 décembre 2010
Journée de l’Immaculée Conception!
Montréal

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