mercredi 16 mars 2011

Panique en Cancanie

Mire de Radio-Canada vers les années 1960


PANIQUE EN CANCANIE

La panique semble jaillir de partout. Les bulletins d’information transmettent des «nouvelles» qui ont toutes un aspect plutôt vieillot. La perte de contrôle de l’administration japonaise dans la gestion de crise des incendies des centrales nucléaires; le reflux des armées du général Khadafi contre les rebelles libyens et la paralysie de la communauté européenne; les mensonges et autres obscénités du gouvernement conservateur canadien de Harper, enfin la crise du financement des universités au Québec. Pour les lecteurs qui seraient déconcertés par cette suite hétérodoxe de sujets, je répondrai que je ne fais que suivre la liste des informations telles qu’elles me parviennent à l’oreille pendant que j’écris ces mots.

Mais, qu’est-ce que la panique? La panique apparaît souvent dans les foules, bien qu’elle soit un sentiment individuel. Alors que l’Éros tient les individus agglutinés les uns aux autres en une masse compacte (il faut aimer ses semblables pour supporter de se compresser comme dans un rassemblement populaire), la dissolution souvent explosive de cet agrégat, sous le coup d’un acte ou d’une rumeur (un cancan, comme on disait dans le temps), c’est ce que nous appelons ordinairement la panique. Comme l’écrit Henry-Pierre Jeudy: «la psychosociologie analysant les phénomènes de panique repère des constantes:
• une terreur subjective intense,
• un comportement inutile ou autodestructeur motivé par une alarme extrême (comme lorsqu’on se jette d’une fenêtre d’une maison en feu juste au moment où arrive l’échelle des pompiers),
• une contagion de l’alarme dans le groupe (les signes de la peur d’autrui accroissent les appréhensions dans chaque individu),
• la fuite en avant,
• la situation est telle que l’attention de chaque individu à sa sécurité menacée exclut l’attention d’autrui. Pour fuir un danger imminent, les individus se nuisent ou se détruisent les uns les autres…» (H.-P. Jeudy. La panique, Paris, Galilée, 1981, p. 22)

Le paradoxe de la situation panique est qu’elle contredit un sentiment de surface - le désir d’être en groupe - par une réaction émotive exclusive - le désir de sauver sa peau au détriment de celle des autres s’il le faut. Bref, l’état de panique n’est pas un état glorieux. Il rabaisse les vanités humaines à leur état premier, celui du mammifère qui ne peut raisonner une situation de danger. À un niveau ou à un autre, la panique est dite «contagieuse» dans la mesure où elle se transmet facilement d’un individu à l’autre. C’est l’état de foule lui-même qui facilite la diffusion de la rumeur, puis de la panique. Le catalogue filmé et télévisé des scènes de panique, partout dans le monde, est suffisamment étoffé pour qu’il soit utile d’y élaborer une chronologie.

La crise nucléaire japonaise.

Depuis le tremblement de terre qui ébranla le Japon, voilà moins d’une semaine, la panique est passée de la menace tellurique à la menace nucléaire. Plusieurs centrales ont été affectées par le tsunami qui a suivi la secousse et certains réacteurs menacent de fondre sous l’intensité de la chaleur. Aux bulletins d’information du midi de la S.R.C., lundi le 14, un ex-inspecteur des équipements nucléaires du Canada déclarait qu’il n’y avait rien à craindre, que les installations nucléaires niponnes étaient de beaucoup supérieures à celle de Tchernobyl, d’inquiétante réputation, et que les scientifiques japonais étaient les meilleurs au monde dans ce domaine. Le lendemain, 24 heures plus tard, un autre «spécialiste» de la question, relativisait la déclaration de son confrère de la veille. Maintenant, on en était à jeter des airs, par avion, de l’eau sur les réacteurs afin de les refroidir, ce qui laissait présager que le contrôle de la situation était en train d'échapper aux ingénieurs japonais. L’un d’eux parla même de solution de désespoir. Aujourd’hui mercredi, après avoir vu le vénérable empereur lire un message qu’il n’a visiblement pas écrit, essayer de rassurer une population déjà en proie à une panique plus grande, on ne peut que constater que le gouvernement a perdu le contrôle de la gestion de crise. Un troisième observateur de dire à l’animatrice, tout penaud, que la situation de la centrale de Fukushima se situait nettement entre les accidents historiques de Three Mile Island (Pennsylvanie, 1979) et de Tchernobyl (Ukraine, 1986). Demain, nous dira-t-on que les effets de Fukushima dépasseront de loin les effets anticipés?

Qu’est-ce que tout cela signifie? Que nous sommes bien entrés, et pas seulement au Japon, dans un état latent de panique qui pourrait passer assez rapidement à un état manifeste, comme c’est le cas en Colombie britannique où on a vu une ruée vers les capsules d’iode au cas où… L’état latent confirme les étapes enregistrées par la psychosociologie. Une terreur subjective intense est en train de s’emparer de la population japonaise. Elle déborde les limites du territoire affecté par le tsunami et les possibles retombées radio-actives. Tokyo s’inquiète. Et pas le Japon seul. La Russie, proche voisine du nord-est du Japon, a envoyé de ses experts afin de mesurer la quantité de radio-activité contenue dans l’atmosphère. Les Japonais, peuple civilisé, d’un ordinaire très calme et stoïque devant les dangers, suivent encore les ordres venus de leurs autorités. D’ailleurs, ils n’ont pas le choix. Mais les compagnies, elles, sont en état de panique. Certaines des plus grandes firmes ont déménagé leur personnel des usines du nord vers le sud du pays où la production peut se maintenir. Les marchés boursiers, affolés les premiers jours malgré la bonne cote du Japon, ont compris que quel que soit l’ampleur de la catastrophe appréhendée, le Japon sera un pays en reconstruction et, aujourd’hui, la cote faisait un rebond. Ce sera bénéfique d’investir dans les îles du Soleil Levant …dès que la catastrophe aura fait place nette à la «reconstruction».

Le seul indice que nous avons de la contagion de l’alarme dans le groupe, ici, est l’isolement d’une population dans ses demeures et ses quartiers, elle qui est toujours en transit sur les routes. On connaît l’achalandage de Tokyo. Maintenant, tous les journalistes s’entendent pour reconnaître l’aspect insolite que prend la mégapole japonaise! Dans les cadres de la culture japonaise, contrairement aux cultures occidentales, les signes de la peur se manifestent entre soi, dans son salon, par pudeur.

Nos n’en sommes pas encore arrivés à la fuite en avant. Faudra-t-il que la centrale de Fukushima atteigne un stade de désagrégation plus grand pour la voir survenir? Auquel cas, nous pourrions voir le chacun-pour-soi s’ériger en norme de panique. Alors le tableau serait complet. Il est certain que tout le monde croise les doigts pour que l’incendie de Fukushima soit le plus rapidement sous contrôle et qu’ainsi le mal ne progresse davantage. En attendant, nous sauterons d’un spécialiste à l’autre qui nous dira, comme dans la bonne blague américaine : «it’s a plane, it’s a bird, it’s…»

La crise lybienne.

La crise lybienne faisait les premières manchettes avant le tremblement de terre de vendredi au Japon. C’était alors l’heure des grandes espérances. La population lybienne, qui se réveillait soudain de quarante ans d’oppression khadafienne, était célébrée par toutes les presses du monde entier comme un peuple assoiffé de liberté et de justice contre ce méchant terroriste, avec lequel les puissances occidentales avaient pourtant fini par faire la paix, moyennant un dédommagement pour les victimes de l’attentat de Lockerbie du 21 décembre 1988, lorsqu’un Boeing 747-100 de la compagnie américaine Pan Am, qui assurait la liaison Londres – New York explosa en plein vol au-dessus de la petite localité, faisant des centaines de morts. Les terroristes qui avaient posé la bombe étaient des exécutants du général lybien. Maintenant, une semaine plus tard, la situation s’est complètement retournée. Les révoltés se replient de leurs points stratégiques devant les armées du colonel. Tous les stratèges des guerres insurrectionnelles et révolutionnaires vous le diront: il est essentiel, pour un mouvement révolutionnaire, de prendre la direction offensive des opérations et de s’emparer des points stratégiques gouvernementaux dès la première phase de la révolution. Dès que la guerre devient défensive, elle est perdue pour les insurgés. C’est ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Si Khadafi reprend les zones occupées par les insurgés, on assistera à un bain de sang digne de la Commune de Paris de 1871 ou de Cronstadt de 1921.

Qui prend réellement panique dans ce cas-ci? Les puissances occidentales auxquelles ne cessent de s’adresser les forces révolutionnaires lybiennes. Seules la France et la Grande-Bretagne, dans l’ensemble de la communauté européenne, sont prêtes à intervenir militairement, mais le désaccord des autres puissances sert de prétexte à dissimuler leur inaction. La terreur subjective est de voir la Libye tomber entre les mains de groupes musulmans. Déjà ses voisines, l’Égypte et la Tunisie, se sont défaits de leurs gouvernements corrompus, laissant place à une démocratie incertaine. Si la Lybie tombe à son tour, entre un tiens (Khadafi) vaut mieux que deux tu l’auras (que proposent à la communauté internationale les insurgés?) devient un corollaire de la Realpolitik. Les Américains, de leur côté, de même que leur suiveux septentrionnal, hésitent, ne voulant pas s’embarquer dans un autre four irakien. Bref, la communauté internationale est sur un qui vive attentiste.

Car si, d’un autre côté, les forces occidentales attendent trop longtemps pour se débarrasser de ce pain in the ass qu’a toujours été ce colonel fantasque et cruel, alors les scènes de massacre et de dévastation dépasseront tout ce qu’on a vu depuis la Bosnie. Avant que les troupes alliées puissent pénètrer en Lybie, nous aurons vu des scènes de résistance extrêmes (à la Massada ou ghetto de Varsovie). De plus, il sera plus difficile aux troupes occidentales d’investir le territoire lybien considérant que Khadafi aura reconstitué son armée et occupera tout le territoire national. La perte de confiance dans l’aide étrangère étant accomplie, il sera également plus difficile de trouver des alliés parmi les résistants qui auront survécu aux purges vengeresses. Ce qui veut dire, plus de morts du côté des soldats de l’alliance. La contagion de la panique précipitera les populations lybiennes vers les frontières d’Égypte ou de Tunisie où les attendront les O.N.G. humanitaires pour éponger le sang coulé par l’incurie des puissances occidentales. L’enthousiasme de la victoire d’il y a une semaine laisse déjà place à l’alarme et aux pires appréhensions avant que ne se réalise la fuite en avant, devant les chars et les canons de Khadafi. Là encore, il est minuit moins une et après, il sera trop tard. Khadafi se souviendra du soutien psychologique des puissances occidentales à l’égard des insurgés, et son mépris de l’Occident lui suggérera sans doute de financer d’autre Lockerbie ou défier ouvertement la communauté internationale. Les gouvernements occidentaux pleutres et opportunistes n’auront qu’à s’en mordre les doigts. C’est triste à dire, et franchement, jamais je ne pensais devoir écrire ces lignes, mais il y a des occasions où avoir un George W. Bush à la tête d’une puissance occidentale est plus profitable qu’une série de gêneurs qui brandissent le drapeau de la paix pour mieux se torcher le cul plein de pétrole avec.

Harperland

Il semble maintenant inévitable qu’il y aura des élections fédérales au Canada au cours du printemps prochain. Les feuilles nouvelles des arbres, au doux vert tendre, apparaîtront en même temps que cette pollution visuelle que sont les panneaux de campagne électorale. Après deux tentatives, il semblerait, cette fois, que le parti de Stephen Harper pourrait former un gouvernement majoritaire. Lorsque, autrefois, on disait des Anglais que c’étaient des «têtes carrées», le Premier Ministre du Canada est une illustration parfaite de ce stéréotype. Il est carré de partout. Il avance comme un robot crinqué par les compagnies pétrolières de l’Ouest qui font de l’Alberta une colonie à ponctions de ressources naturelles polluantes pour la surconsommation américaine de pétrole. Il vend son Alberta natale avec autant d’entrain que Taschereau et Duplessis jadis vendaient le Québec aux intérêts étrangers. Décidément, la nature d’un pays colonisé est plus difficile à extirper autant que le gouvernement du Canada ne cesse de montrer sa fierté d’être une bonne poire à purgation. Alors que, après huit années de régime Bush, les Américains se sont dotés enfin d’un président qui a de l’allure avec Obama, nous, nous avons régressé et nous nous sommes donnés ce petit maître contrôlant, apôtre des idéologies réactionnaires de l’hinterland, et vendu aux intérêts sionistes au point de devenir la risée du monde entier sur les tribunes internationales. Cette fois-ci, la panique serait-elle justifiée de voir reconduire ce gros bêta à la tête d’un gouvernement majoritaire?

Devrais-je m’interroger? Suis-je en proie à une terreur subjective intense? Sans doute. S’il faut reconnaître au Premier Ministre Harper la modération face à son aile droite extrémiste, on le doit davantage à sa situation minoritaire (en attente d’une élection future qui lui donnerait la majorité) qu’à sa conviction modératrice personnelle. Ses incessants appels à Dieu pour bénir le Canada sont un tantinet fatigants. Ses interventions internationales polarisent les autres dirigeants contre lui. Question économie, sa démarche, imitée de celle de l’ours A&W, n’en fait pas pour autant un Premier Ministre supérieur à la moyenne des ours de Yellowstone. Sa paranoïa du contrôle de son cabinet et de la presse lui a causé de mauvaises surprises, en nommant par exemple des imbéciles comme Maxime Bernier, Josée Verner, Bev Oda et quelques autres squareheads de l’Ouest à des dossiers importants, comme ce partisan créationniste à la tête du ministère de la science et de la technologie. Je voudrais donc que ma terreur soit purement subjective, mais comme le passé est garant de l’avenir, j’ai bien peur que cette terreur soit entièrement objective.

Je n’émigrerai pas du Canada si Harper est élu majoritaire. Je n’en ai pas les moyens. Eh puis, la bêtise sait toujours comment nous rattraper. Je n’aurai qu’à plaindre ces malheureux jeunes délinquants qui goûteront aux prisons canadiennes où la sodomie est un rite d’initiation très biblique. Je m’amuserai à revoir les femmes lutter pour le droit à l’avortement, me rappelant mes jeunes années. On retrouvera enfin notre bon vieil Ottawa unilingue anglais avec quelques faire valoir qui baragouineront un français de Broadway. Je verrai les artistes à genoux auprès d’un gouvernement provincial à la sacoche percée, incapable de compenser les budgets coupés du Conseil des Arts du Canada. Enfin, nous aurons le plaisir d’avoir notre armée de petits soldats de plomb revenir d’Afghanistan avec les honneurs, les drapeaux au vent et les fanfares de zouaves alors que leur prime de retour sera sabrée par le gouvernement qui n’est fier d’avoir des soldats que lorsqu’ils sont sur les champs de bataille! Un bel enterrement est toujours moins onéreux qu’une pension à vie d’un handicapé de guerre.

Il n’y a donc pas matière à paniquer à voir le Canada devenir un vrai Harperland, puisqu'on a atteint la phase hystérique de l’aphasie politique la plus totale. Après tout, Ignatieff, descendant d’une famille d’aristocrates policiers sur lequel s’appuyait le tsar terroriste Nicolas II, n’inspire pas plus de confiance qu’il faut. Entre la peste et le choléra, ne reste plus qu’à faire comme lors de la Grande Peste de 1348 : s’enterrer soi-même dans sa propre tombe et s’endormir dans la paix de la santé plutôt que dans la souffrance de l’épidémie.

Les frais de scolarité augmentés au Québec

Je me réserve ce dernier point comme un dessert. Un petit bonbon après tant de nouvelles déprimantes et fatalistes. Demain, 17 mars 2011, ce sera le dépôt du budget Bachand, ministre des Finances du Québec. Il annoncerait une augmentation des frais de scolarité universitaire. Les groupes d’étudiants sont déjà mobilisés, et comme toujours, nous attendons, avec le printemps, la grève des cours et des travaux. Combien de fois faudra-t-il leur rappeler que nous sommes en Amérique du Nord, et non en France, et qu’il n’y a no free lunch in America. D’un côté, leurs revendications du gel des frais de scolarité est inapplicable dans un monde capitaliste tel que le nôtre. S’ils veulent avoir des frais de scolarité bas - ou pas de frais de scolarité du tout - ils devront sacrifier le beau monde capitaliste dans lequel ils baignent, et comme personne n’a assez d’imagination pour proposer un monde alternatif concret et viable, alors ils sont dans la position de la momie dans son sarcophage. Bachand augmentera les frais et ils finiront bien par payer. Contre mauvaise fortune bon cœur!

D’un autre côté, et pour une fois le P.Q. a fait son travail, ce qui n’est pas coutume, les budgets de dépense des universités est une véritable foire de c.p.e. Passons rapidement sur le gaspillage éhonté des gestionnaires (anciens marxistes) de l’U.Q.A.M., qui nous ont laissés l’îlot de Gilligan, au terminus Voyageur de Montréal. On pourrait photographier ce squelette de béton et de ciment et l’exposer comme un édifice éventré de Beyrouth dans les années de bombardements du Liban. Que l’on paie un condo à un professeur, rien là que de plus normal, si c’est pour attirer une vedette célèbre (pas Clothaire Rapaille j’espère?) à une université. Il faut le dire, le niveau des cours universitaires est celui des cours du cégep d’il y a quarante ans! Combien de subventions à des recherches qui n’ont aucune utilité en soi et n’existent que pour soi, que pour justifier des salaires de chercheurs et des bourses d’étude. Ça, c’est du gaspillage, et du vrai! Là réside le vrai scandale universitaire de la dilapidation des fonds publiques. L’intouchabilité des élites universitaires est un privilège et non un droit.

La tradition scolaire du Québec, depuis vingt ans avec la normalisation des notes, force les universités à jouer le même jeu; aussi attribuent-elles plus de diplômes, mais que valent ces diplômes si, à côté d’une thèse innovatrice, le rectorat reconnaît une dizaine de thèses notées selon la normalisation qu’impose la compétition entre universités. Tout le monde ment. Tout le monde se ment. Des étudiants, aux compétences spécialisées médiocres jumelées à des têtes mal faites, voilà le résultat que nous obtenons pour ne pas avoir eu dans nos enfants, la confiance qu’ils méritaient devant les risques d’échec. Plutôt que de leur cibler des défis plus difficiles à surmonter mais qui les auraient mis en confiance avec leur capacité et leur potentialité à dominer les connaissances, nous leurs avons facilité les efforts, non par appui, mais par pitié. Plutôt que de se dire que tout est meilleur ici qu’ailleurs, alors que nous croyons précisément le contraire, il aurait mieux valu jouer franc jeu avec eux, comme avec nous-même.

Cette augmentation des frais de scolarité n’ira pas dans l’amélioration de l’enseignement ou même de l’équipement universitaire. Il ira dans le déficit de nos mensonges face à notre jeunesse. Même compétents dans leurs domaines respectifs, ces étudiants resteront des êtres partiels, des hommes et des femmes dont la banalité de l’existence finira par avoir raison au bout d’un certain temps, les condamnant à une compétition féroce où chaque nouvelle génération (c’est-à-dire à tous les ans) les confronteront à sauter d’un contrat à l’autre, et pas toujours du plus payant au plus payant. Les déceptions, les surcharges de travail (eux qui auront été habitués à négocier leur charge de travail en classe!), les responsabilités accumulées (conjoint, enfants, etc.), la réussite jamais assurée face aux aléas d’un capitalisme toujours en crise, combien la société paiera en frais de tranquillisants, de cures, de thérapies, de suicides, ce monde du travail maniaco-dépressif qu’elle leur léguera comme héritage? Tel sera le prix à payer pour n’avoir pas voulu comprendre que l’éducation de la personne vaut autant que l’instruction technique pour le soi-disant marché de l’emploi. Le malaise dans la culture est déjà là.

Si j’éprouve une terreur subjective intense, c’est précisément parce que j’ai passé par cette université où le peu qu’elle m’apporta, en définitive, n’a servi qu’à la mesure où j’étais déjà un autodidacte et que j’étais passé par les restes d’humanisme de l’ancienne éducation scolaire québécoise. J’avoue que, dans les conditions qui furent les miennes, je ne m’en suis pas si mal tiré. L’alarme n’en est pourtant pas moins grave et si je ne suggère pas de détruire le système scolaire québécois, c’est que je pense qu’il peut être encore réformable pour autant qu’on aime nos enfants et qu’on veuille en faire de véritables humains éduqués et instruits, capables de réellement se mesurer aux petits vaniteux de France ou d’Allemagne qui ne sont pas meilleurs que nos étudiants Québécois en termes de personnalité mais qui ont eu, eux, la chance d’avoir un système scolaire un peu plus respectueux de lui et de ceux qu'on lui confiait.

Faut-il donc que notre système soit une fuite en avant? Mais la fuite en avant, c’est celle que nous propose chaque réforme de l’éducation depuis le rapport Parent. Allez au-devant de l’échec afin de le prévenir, d’où ces solutions aberrantes de normalisation des notes (afin d’éviter les redoublages), le gag des compétences transversales qui n’ont traversé rien d’autre que la cervelle vide des conseillers du Ministère, les modifications des bulletins scolaires et la chicane entre notes chiffrées et notes lettrées, tant les lettres sont des espaces d’évaluation alors que les chiffres indiquent une docimologie précise. Or, par expérience de correcteur, je sais qu’il est difficile d’établir une échelle d’évaluation lorsqu’il ne s’agit pas d’examens simples construits sur des automatismes catéchistiques. D’où que le système universitaire en est venu à être un lieu où le chacun pour soi est la règle de la jungle.

J’ai vu des professeurs paranoïaques (en sexo par exemple), fermer les tiroirs de leurs bureaux à clefs au cas où des voleurs viendraient s’emparer de leurs précieuses recherches, comme si le monde et l’avenir en dépendaient! J’ai vu des professeurs défendre bec et ongle leur spécialité comme un territoire sur lequel ils auraient pissé pour s’en conserver l’exclusivité de la domination, et se plaindre ensuite de l’impossible interdisciplinarité. J’ai vu des professeurs régler des conflits de personnalités en prenant un mémoire d’étudiant en otage. J’ai vu des étudiants paresseux sentir le cul des professeurs incompétents et s’accoupler ensemble comme des chiens, le dimanche après-midi, dans le parc. Décidément, les professeurs libidineux du Déclin de l’empire américain sont bien loin de la réalité, trop civilisés, trop cultivés, pour qu’on y reconnaisse des gens bien réels. Enfin, en tant que conférencier invité, j’ai vu des étudiants étrangers enthousiastes d’apprendre et de discuter la connaissance assis à côté d’étudiants québécois dits «de souche» somnolés, être indifférents, aphasiques, inintéressés et inintéressants. C’est ce qu’il y a de plus triste à constater. Le manque de vie, de curiosité, d’intérêts manifesté par des étudiants en qui, peut-être, on a pas assez eu confiance pour les confronter à de véritables défis qui auraient démontré leurs valeurs, à leur entourage, mais surtout à eux-mêmes. On a échoué à leur faire aimer la connaissance et l’acte d’apprendre, en ne cessant de les divertir avec des gadgets qui devenaient la seule raison d’apprendre, les moyens étouffant les fins. Quand les moyens divertissants se sont dissipés, la matière perdait, par le fait même, tout intérêt. Et cela, le budget Bachand ne prévoira rien pour compenser ce manque d’intérêt, avec ou sans augmentation de frais de scolarité⌛

Montréal
16 mars 2011



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