mercredi 22 décembre 2010

Pogo vous souhaite un joyeux Noël!

John Wayne Gacy, dit le clown Pogo, serial killer.

POGO VOUS SOUHAITE UN JOYEUX NOËL!
J’aimerais devenir un écrivain célèbre dont les talents littéraires équivaudraient à la culture historique qui est la mienne. Mais, je dois avouer que je me sens piètre écrivain. Pourtant. Si je m’essayais à un roman que l’on pourrait comparer à un Dan Brown, sans doute aurais-je plus de chance. Ainsi, on me ferait une publicité - à condition de publier chez Québec-Loisir - où j’apparaîtrais à la télé, dans une pub, lisant, avec ma tête chauve, mon petit chef-d’œuvre soi-disant inspiré de lettres découvertes dans une malle ayant appartenu à, mettons, pour ne pas plagier mais seulement pasticher, dans un sac d’entraînement d’un lutteur de la Lutte Grand-Prix. Ainsi, je pourrais dire, à mon tour: «Je n’ai pu résister à l’envie d’écrire ce roman où la troublante réalité dépasse la fiction. La même femme aurait donc aimé à la fois Little Beaver et le cardinal Paul-Émile Léger…». Mon imagemaker y ajouterait le commentaire d’un ex-Premier ministre du Canada - pas Jean Chrétien puisqu’il a déjà contribué -, mais, mettons, Brian Mulroney ou Paul Martin (seulement pour faire chier Jean Chrétien) qui dirait que la lecture de mon roman lui a procuré «des heures de lecture captivantes». On en ferait sans doute une série-télé! Une pluie de dollars s’abatterait sur moi. Je pourrais rembourser mes dettes de prêts étudiants qui s’accumulent sur ma tête depuis des décennies… Et, pourquoi pas, un meilleur logement. Digne de ce qu’on imagine généralement de celui d’un écrivain qui a réussi dans la grande société. On me réclamerait, non sans insistance, une suite. La recette ayant fonctionné, il me suffirait d’ajouter une série de couples dépareillés… Dès mon adolescence, un de mes professeurs m’avait suggéré d’écrire des histoires de cul de Louis XIV ou des grands rois de France. J’avais beau m’user à lui dire que ç’avait déjà été fait, mais… il y a toujours de la place, en histoire-spectacle, pour les turpitudes sexuelles des Grands de l’Histoire. Ainsi, Yvonne de Gaulle apprenant que son mari la trompe avec la jeune Margaret Thatcher pourrait s’exclamer: «Oh! Charles, des éléphants!»… Et elle-même irait se consoler avec Consuelo de Saint-Exupéry et Denis de Rougemont …en train d’écrire son essai moralisateur contre l’amour-passion… Vous voyez les dommages que la culture historique jointe à l’esprit pervers peut causer en ce bas-monde!

Nous allons fêter Noël dans quelques jours. Cette période devrait être celle qui nous console de la somme de bêtises qui nous sont tombées dessus durant les 364 dernières journées, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses et lourdes. Faut-il croire que, malgré ce qu'il en dit, le monde s'y est fait? Un moment de paix, de tranquillité, de joie à passer entre amis, ou, à défaut, entre parents; ou, si on ne peut y échapper, émigrer en Floride ou à Cancun rejoindre les Tabarnakos en migration méridionale saisonnière. Bref, un moment libéré de toutes ces niaiseries qui nous accablent. Mais voilà. Noël et la semaine du Jour de l’an sont devenus la plus longue période de concentration par seconde de bêtises et de mièveries. Tous ces feel good movies qui racontent les même niaiseries inspirées du modèle universel que sont les Christmass Carol de Charles Dickens. Scrooge, le capitaliste «sauvage» converti à l’esprit de Noël par un cauchemar rempli de culpabilités refoulées est présenté comme le retour à l’authentique message de Noël. Et le conte finit quand Scrooge amène une dinde et des cadeaux au petit Tiny Tim mourant, le fils de son employé qu’il a malmené le jour même de Noël. Je ne sais plus combien les Américains et les Canadiens-anglais ont fait de versions idiotes de ce conte. Chaque année, il en apparaît des dizaines de nouveaux pour meubler les après-midi et les soirées télévisuelles. Et l’on peut compter sur cette machine de destruction massive qu’est Disney pour nous en abreuver jusqu’à la corrosion totale des neurones du cerveau. C’est à vous donner des frissons dans le dos!

Comment peut-on transformer une période de douceur et de tendresse en véritable orgie d’horreurs consuméristes? Comment associer ce qu’il y a de mieux dans la nature humaine avec le désir d’objets les plus débilitants? Autrefois, les pompiers, dans leur temps libre, réparaîent les jouets pour les redistribuer aux enfants pauvres. Aujourd'hui, ils posent en bobettes où sous la douche pour un calendrier. C'est à un centre d'économie sociale, où sont engagés des bénéficiaires de l'aide sociale, qu'est confié ce que la nouvelle vertu appelle le «recyclage» des vieux jouets. Comment s’apitoyer sur le sort des plus démunis alors que, par notre complicité à ce système économique, nous sommes responsables, en partie, de leur malheureux état? On va nous présenter le traditionnel «Show du refuge» piloté par Dan Bigras. Cette année, on y a chanté les Carmina Burana de Karl Orff. Évidemment, les extraits que j’en ai vus sont lamentables. Ce n’est pas parce que le ton est haut que la meilleure voix pour les porter est le rock. Les Carmina Burana sont des poèmes de goliards, des étudiants allemands plus versés sur la bière et les filles que sur les Sommes de saint Thomas d’Aquin et de saint Bonaventure. Découverts au XIXe siècle, au temps où les nationalités cherchaient désespérément les œuvres littéraires les plus anciennes pour asseoir leurs revendications impérialistes, les Carmina Burana furent mises en musique par le compositeur autrichien Karl Orff au milieu du XXe siècle. Pour ceux qui voudraient accompagner les rockers du «Show du refuge», je donne ici les paroles célèbres:

O Fortuna

O Fortuna
velut Luna
statu variabilis,
semper crescis
aut decrescis ;
vita detestabilis
nunc obdurat
et tunc curat
ludo mentis aciem,
egestatem
potestatem
dissolvit ut glaciem.

Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
status malus,
vana salus,
semper dissolubilis,
obumbrata
et velata
michi quoque niteris ;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.

Sors salutis
et virtutis
michi nunc contraria
est affectus
et defectus
semper in angaria.
Hac in hora
sine mora
cordum pulsum tangite ;
quod per sortem
sternit fortem,
mecum omnes plangite !

Comme on le voit, nous sommes loin d’Il est né le divin enfant et d’Où viens-tu bergère?… Et pour ceux qui n’en seraient pas convaincus, voici les paroles traduites par Nadia Pia:

O Fortune

O Fortune
comme la lune
variable en ton état
toujours tu croîs
ou tu décroîs;
la vie détestable
aujourd'hui s'accroche
et demain se moque
de l'intelligence;
la pauvreté,
le pouvoir,
elle les dissout comme de la glace.

Sort cruel,
et vain,
toi, la roue qui tourne,
attitude malveillante,
salutaire en vain,
toujours prêt à te dissoudre,
couvert d'ombre
et voilé,
tu me harcèles aussi;
aujourd'hui par jeu
voici mon dos nu
que je présente à ton crime.

Sort qui pour mon salut
et ma vertu
m'est aujourd'hui contraire,
mal disposé
et affaibli,
toujours en corvée.
En cette heure,
sans retard
touchez la corde mise en branle;
à cause de ce sort
qui terrasse le fort,
pleurez tous avec moi!

Il s’agit, incontestablement, d’un chant païen érigé sur une Weltanschauung indo-européenne, romaine comme germaine, de la roue de la Fortune où le Fatum, ici incarnée par la malveillance diabolique de la lune, frappe le fort, le puissant comme le pauvre. À l’humilité du Dieu naissant dans une condition prolétarienne dans une crèche «chauffée» par les souffles d’un âne et d’un bœuf, qu’importe ce qu’en disent les textes évangéliques ici la tradition est plus forte, Dan et sa bande nous offrent l’hymne des puissants qui se plaignent du jour où le sort les renverse de leur position de dominants. Enfin, devons-nous voir en cette roue qui tourne, attitude malveillante, salutaire en vain, et toujours prêt à te dissoudre, couvert d'ombre, l’évocation du célèbre swatiska qui représentait exactement ce que la Fortune pouvait faire naître dans l’esprit d’un nazi qui croyait qu’après l’humiliation de la défaite de 1918, les Allemands pouvaient se permettre, en tant que race supérieure côté intelligence et côté force physique, tout ce qu’ils voulaient? Étrange chant de Noël, à vrai dire. Heureusement, le latin est une langue morte.

Parler franchement, j’aime beaucoup les Carmina Burana. Elles méritent d’être le seul produit culturel des temps maudits à survivre à la déconfiture nazie car elles transcendent, et peut-être le devons-nous autant aux goliards du Moyen Âge qu’au compositeur autrichien lui-même, les considérations banales que nous portons quotidiennement sur notre sort et celui du monde. Voilà pourquoi il faut une voix puissante, une voix inspirée par le sort tragique des fortunes de l’humanité afin de pouvoir les chanter à sa pleine mesure. La bande de rigolos qui beuglent les Carmina au «show du refuge» ne sont pas investis de leur puissance spirituelle. À se mesurer à la voix d’homme, on reconnaît le braillage des enfants.

En cette années 2010 qui tire à sa fin, on voit que la période des fêtes nous réserve des tas de bêtises, pardon, de surprises, qui n’ont pas fini de nous étonner. Certes, l’année 2011 n’annonce rien de mieux. «Vous avez été dégoûtés par ce que vous avez vu en 2010 …attendez de voir 2011!» Je comprends mieux pourquoi on fait rire le Père Noël par de gros Ho! Ho! Ho!. Et que nous devrions tous répondre par des «oh! oh! oh! là les paiements!» La seule médication face à tant d’horreurs, c’est bien sûr le rire. Et d’année en année, je me sens devenir vieux, et je ris moins. Signe inquiétant. Lorsque mes parents m’ont adopté, semble-t-il, j’étais le seul bébé dans sa couveuse - je n’irai pas jusqu’à blasphémer en disant «dans sa crèche», quand même! - le seul bébé, qui riait, les autres pleurant comme des déchaînés. Si je devais perdre le rire avec le temps, quelle triste mort m’attendrait au bout du chemin!!!

À la banalité du mal d’Hannah Arendt a succédé la banalité de l’horreur, et nos niaiseries du temps des fêtes, par rapport au vécu des êtres humains, est un étalage des pires indécences qui soient. Le mardi soir 21 décembre, à Radio-Canada, Joselito Michaud reçoit, dans son wagon de train, les trois enfants-vedettes de la populaire émission Les Parent. Ils sont sympathiques et pas bêtes du tout ces trois enfants, même s’ils ont déjà entièrement assimilé la machinerie dans laquelle ils gravitent. Ils sont attachants parce qu’ils sont beaux, frais et spontanés. Certes, si les réalisateurs de la série avaient pris un p’tit gros, un boutonneux et un enfant qui louche, les spectateurs n’auraient sûrement pas été aussi attachés à la série. Bref, malgré les questions niaiseuses de l’animateur, la pub pour le chef cuisinier qui fait des bonshommes en pain d’épices, on passe à l’autre volet de l’émission. Une famille-type pauvre - disons ultra-pauvre -, un jeune couple avec un bébé. Toujours dans le train qui se rend à Magog je crois, on voit ce jeune couple tout à fait différent des trois enfants roses en santé que nous venons de quitter. La tête du père se remet d’un rase-bol tandis que la mère semble incapable d’endiguer son hystérie, et le bébé, dans sa poussette, se voit soudainement enterré de cadeaux, de couches et de je ne sais pas quoi d’autres, car, écœuré, j’ai tout de suite fermé la télé. Pour le papa embrassant sa dulcinée, «c’est Noël». Le seul peut-être qu’ils auront vraiment, le seul qu’ils passeront ensemble sans se chicaner… La télévision fait véritablement bien les choses.

Tout cela me rappelle l’émission du canal 10 des années 1960: Le cœur sur la main, animée par Frenchie Jarraud, un animateur d’origine belge qui, disait-on, se serait enfui de Belgique après la guerre pour cause de collaboration avec les nazis. Mais… Carmina Burana. Quoi qu’il en soit, cette émission avait pour but de récolter de l’argent, une fois tous les mardis, pour venir en aide à la famille pauvre de la semaine. C'était bien avant les beaux gosses et les jolies pitounes d'Occupation double! Comme dans les bonnes émissions de Soirée canadienne, où on voyait toujours un maudit bout de film platte sur un rigodon joué par un violonneux, avec toujours la même maudite entrée de village, la même maudite église, la même maudite hôtel de ville, la même maudite caisse populaire, la même maudite rue de sortie avec seulement le nom du village qui changeait, Le cœur sur la main envoyait une caméra jouer au voyeurisme dans la maison des pauvres. Je devais avoir sept ou huit ans à l’époque et je regardais ces bouts de films horrifiés! Je me souviens de ce petit logement remplie d’enfants, tous du même couple, entassés dans une maison où la toilette ou le bain était à même la cuisine. Ça devait être dans ces cabanes loties sous le pont Jacques-Cartier avant leur démolition pour la construction de Radio-Canada et de l’autoroute Ville-Marie. Pour moi, c’était le sort qui m’attendait si jamais mon père perdait son emploi. C’était donc cela une famille pauvre! Et la mienne n’était pas riche. Pour susciter les dons, Frenchie nous promettait qu’un artiste (en espérant que ce soit Olivier Guimond) irait chercher l’argent chez vous! Je plains la déception de ceux qui durent recevoir Muriel Millard!

Ah! Muriel Millard! La dernière fois que j’en ai entendu parler, elle faisait partie de ces Québécois qui vivaient leur agonie en Floride. Elle avait fini par peindre des figures de clowns, des figures d’enfants surtout. Les parents envoyaient une photo du petit protégé et elle le peignait en lui ajoutant des attributs burlesques de clowns. Considérant les critères excentriques de l’art moderne, oserais-je titré certaines de ces toiles: Face de Clown nº 1, Face de Clown nº 2, Sans Titre: Face de Clown, etc. Le catalogue risque d’être d’une lecture mortellement ennuyeuse s’il n’est pas accompagné de reproductions des œuvres. Enfin, Muriel restera toujours une chanteuse entraînante, aimée de son public - maintenant disparu -, mais comme peintre…

J’ignore si Pogo s’est inspiré d’une Face de Clown nº 13 de Muriel Millard, mais John Gacy avait une façon bien particulière d’animer une fête d’enfants. Même les photos où il apparaît déguisé en clown montrent un clown inquiétant, comme ceux que l’on retrouve dans les films gores. Et pour raison. Gacy était un tueur en série. Entrepreneur âgé de 37 ans, il fut accusé du meurtre de trente-trois jeunes hommes et adolescents dans la région de Des Plaines, à une quarantaine de kilomètres de Chicago. Ses voisins et proches amis furent les premiers surpris que le monstre qui semait la mort dans leur coin de patelin était ce joyeux drille qui organisait chez lui des barbecues géants où se retrouvaient même des policiers! Nous sommes en 1978. John Wayne Gacy commettait des crimes sexuels, mais pour Helen Morrison, qui en a fait l’analyse psychologique, il ne ressemblait nullement à ces psychopathes de Criminal Minds. Au contraire, c’était un être hypersensible, écrasé par un père autoritaire et castrateur. Il avait refoulé en lui une dose de colère et d’agressivité qui se déchargeait dans le meurtre d’enfants ou d’adolescents. Contrairement aux choristes de Carmina Burana, il n’était habité ni par le désir de pouvoir ni par celui de domination.

La carrière de criminel de Gacy commence sur un air de Christmass Carol inversé: «À l’approche de Noël 1967, à l’âge de vingt-six ans, il commença à attirer des adolescents dans sa maison en banlieue. Dans un premier temps, il s’efforça simplement d’obtenir des faveurs sexuelles. C’est ainsi qu’il proposa au jeune Donald Voorhees, seize ans, de venir regarder des films pornographiques chez lui sous prétexte de faire son éducation sexuelle. Là, il lui mentit avec aplomb, lui affirmant que selon le rapport Kinsey, cette célèbre étude publiée en 1948 sur les comportements sexuels des Américains blancs de moins de trente-cinq ans, de nombreux jeunes gens s’initiaient à la sexualité en pratiquant la fellation avec un autre homme. Lorsque l’adolescent objecta qu’il craignait que le sperme n’ait mauvais goût, Gacy s’empressa de le détromper: cela n’avait aucun goût, la fellation n’était pas sale, c’était exactement comme sucer son pouce. Fort du poids moral que lui conféraient ses responsabilités au Jaycees (Junior Chamber of Commerce) local, il lui assura encore que ce n’était pas péché. Il lui donna même de l’argent afin d’acheter un ampli pour son groupe de rock, et l’adolescent finit par céder». Plus tard, Gacy chargea un autre garçon de donner une correction à Voorhees, pour l'empêcher de témoigner, ce qui n’empêcha pas qu’il soit arrêté et emprisonné. (Helen Morrison. Ma vie avec les serial killers, Paris, Payot, 2008, pp. 96-97.) Une fois libéré, Gacy recommença, en ajoutant la torture sadique, la séquestration et le meurtre, jusque sur des enfants de 10 ans, à son palmarès. Après son arrestation et un procès fort médiatisé - j’ignore, si, comme au célèbre procès du singe au Tennessee dans les années vingt, on fit des poupées Pogo à donner aux petits Américains? -, quoi qu'il en soit, Gacy fut finalement exécuté en 1994. Helen Morrison assista à l’autopsie: «Le crâne de Gacy fut ouvert avec une scie électrique. Il y avait là ces mille trois cents grammes de matière grise responsables de tant d’horreurs et de larmes, qui nous livreraient peut-être la clé de l’enfer tortionnaire et criminel de Gacy. On sectionna sans difficultés les attaches qui reliaient la substance molle du cerveau à la moelle épinière et à différentes membranes (les expansions de la dure-mère), puis l’on retira l’organe de sa cavité. Il se dégagea avec un bruit de succion. On le plaça alors dans un bocal rempli d’une solution aqueuse de formaldéhyde. Ce liquide, plus connu sous le nom de formol, a deux effets: d’une part il prévient la décomposition, d’autre part il solidifie l’organe, ce qui permet de le manipuler sans l’abîmer. Je procédai à un préexamen hâtif qui ne révéla aucune anomalie, ce qui ne me surprit pas outre-mesure.» (p. 150). Pourtant, Miss Morrison aurait aimé trouver la cause physiologique du cerveau coupable du comportement sans nom de Gacy. Elle obtint un examen détaillé d’un neuropathologiste qui préféra garder l’anonymat tant l’affaire était choquante, qui avoua n’avoir rien trouvé de spécifiquement anormal dans la structure du cerveau de Gacy.

Mais qu’était finalement John Gacy? Un entrepreneur honnête et travaillant ou un monstre qui, sous les aspects de Pogo, essayait de dissimuler sa face criminelle? Noël: un sauveur nous est né. Occasion que le jeune Gacy s’était offerte pour se taper une pipe par un «broke straight boy». Du sperme perdu dans une bouche d’homme est plutôt contre-indiqué si on veut faire des enfants forts. Gacy voulait moins avoir des enfants qu’il prenait plaisir à les torturer et à les tuer. Il le faisait en toute responsabilité. Il contrôlait ses gestes et ordonnait le meurtre, et l’accomplissait. S’il n’avait pas le goût du pouvoir et de la domination, pourtant, il y accédait par son emprise pécuniaire sur les adolescents qui acceptaient de le suivre pour toucher un bon gros «cadeau». Ce n’étaient pas là des p’tits-Jésus qui se rendaient au Temple pour faire la leçon aux Pharisiens! Et Gacy ne tuait-il pas les enfants mâles un peu comme l’avait ordonné le roi Hérode le Grand à l’annonce, par les rois mages, de la naissance du futur Roi d’Israël? Se sentant menacé dans sa puissance refoulée (Hérode restait roi mais sous la tutelle de l’Empire romain), inquiet de maintenir la paix dans la Palestine occupée et animée par un Front de Libération, les Zélotes, selon les Évangiles, il aurait ordonné le meurtre de tous les enfants mâles nés de quelques jours, ce qui donna l’origine du culte des Saints-Innocents. On sourit toujours lorsque Gilles de Rais, un John Gacy du Moyen Âge qui, lui aussi, aurait tué un grand nombre d’adolescents mâles pour satisfaire sa concupiscence et meubler ses séances d’alchimie diabolique, finançait une chapelle en l’honneur des Saints-Innocents.

En bout de courses, alors qu’une semaine avant Noël, un autre soldat québécois est mort sur une mine artisanale en Afghanistan, ce parcours dans les méandres de la banalité de l’horreur nous ramène à l’essentiel de Noël. Un sauveur nous est né. D’abord, chaque enfant porte en lui, garçon ou fille, blanc, jaune ou noir, chauve ou crépu, le salut de l’humanité. Chaque enfant est Jésus comme, une fois devenu adulte, il deviendra un Christ en puissance, souffrant et appelé à dominer sa souffrance pour, précisément, transcender la banalité, l’horreur, la bêtise et les niaiseries, et s’il n’y parvient pas, il n’en aura pas été moins pour autant un christophoros. Ensuite, la vie de cet enfant tombe entre les mains du Mal dès sa naissance. Déjà des puissances jalouses, inquiètes, angoissées, veulent s’en emparer pour le tuer, non pas physiquement bien sûr, mais pour le mettre sous sa domination, sa puissance, son trône. Elles veulent qu’il s’identifie tout de suite à sa fonction sociale: salariat, servilité, obéissance, respect inconditionnel de toute autorité, enchaînement dans le processus de production, converti à la pensée unique, aux désirs conditionnés, à l’hypocrisie énoncée par des formules apprises par cœur et vidées de toute substance. «Peuple à genoux, attends ta délivrance», ce couplet du Minuit chrétien fut honni par les censeurs de la Révolution tranquille. Pourtant, ce n’est pas parce que le couplet nous irrite que la réalité qu’il dénonce s’est évanouie. Les Hérode sont nombreux à vouloir sauver la peau du cul du marché dévorée par les transactions financières véreuses de ceux qui ne respectent même plus les règles du jeu des affaires! On le voit présentement avec la crise des mafioso à Montréal. Lorsqu’il n’y a plus de lois tacites respectées entre les bandits, l’anarchie sème la terreur et la mort partout. Les enveloppes, brunes l’été, blanche l’hiver, tournoient dans le ciel, faisant tomber des pluies de dollars des contracteurs véreux sur des politiciens indignes. L’incompétence étend son emprise comme un suaire sur les capacités créatrices avortées des hommes qui n’ont pas besoin de salaires pour se motiver à travailler. Eux seuls apportent des cadeaux sincères à une humanité christique qui étouffe sous un fardeau de produits inutiles et lourds à porter.

Et moi? Moi, pour Noël? Je ne le dis pas. Car ce cadeau est impayable, d’autant plus qu’il me ferait chaud au cœur dans une vie froide où les occasions d’être émus aux larmes sont devenues si rares. Je vous laisse spéculer, sous le sapin…⌛

Montréal,
22 décembre 2010.

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