AUDUBON ET LA CHUTE DES MERLES ROUGES
«Le Musée de la civilisation propose un hommage à la beauté de l'œuvre du célèbre naturaliste et artiste John James Audubon, The birds of America. Un projet multimédia mariant la splendeur des gravures originales d'oiseaux à des extraits de musique, de textes littéraires et de poésie. Les 435 gravures constituant cette œuvre sont présentées sous forme d'un catalogue virtuel donnant une description pour chacun des oiseaux qui s'y trouvent». Une pluie d’informations concernant le naturaliste américain John James Audubon s’abat sur nous, et, certes, le livre-trésor mérite toute l’attention qui lui est due.
On se plaît à nous rappeler qu’il y a un mois, en

Qui était ce John James Audubon. Né à St-Domingue, aujourd’hui Haïti, en 1785, d’origine française, il s’est très tôt intéressé au naturalisme, à l’exemple des Linné, Buffon et Humboldt, les plus grands noms dans le domaine à l’époque. Dès l’adolescence, il observe patiemment les oiseaux, en dresse des croquis et fournira ainsi un document ornithologique incomparable à ses compatriotes. Il est mort à New York en 1851.
Par manque d’études supérieures orientées vers les sciences, la nature québécoise a d’abord été le fruit de travaux de voyageurs étrangers. Ainsi, le botaniste français André Michaux, arrivé à Montréal en 1792, a, semble-t-il, été le premier à parcourir, de la vallée du Richelieu au

Les soins apportés par Audubon dans ses reproductions d’oiseaux: le respect de l’échelle de la taille des oiseaux, la description de leur anatomie, les coloris de leur plumage, l’architecture des nids, tout concourent à faire de son œuvre un véritable travail d’observation scientifique. À une époque où la photographie par téléobjectif n’existait pas, on peut à peine s’imaginer le niveau de patience, de talents artistiques, d’éducation du regard qu’il fallut à Audubon pour réaliser cette œuvre magistrale qu’est Birds of America. Car, en plus d’être considéré sous l’angle purement scientifique, la place de Birds of America au sein d’un musée consacrée à la civilisation est pleinement justifiée. Pour les Américains, Audubon reste un fondateur de l’art animalier tant prisé par nos voisins du Sud. Pour Oliver W. Larkin, auteur d’une somme L’Art et la vie en Amérique (1952), Audubon «passa quarante ans de sa vie à explorer les secrets des campagnes américaines, des forêts aussi bien que des marécages, dont il avait décidé, en naturaliste, de copier la faune sauvage. Audubon ne cessa de faire le va-et-vient entre l’Amérique et l’Europe, d’ajouter de nouveaux spécimens à ses collections, et de surveiller les gravures et les éditions qu’on en faisait en Angleterre. Le premier volume, gigantesque, de ses Oiseaux d’Amérique, parut en 1827; les dernières planches virent le jour en 1838. On a dit qu’Audubon avait appris auprès de David le ferme dessin qui tâche de rendre tous les détails d’une plume ou d’une crête; on doit reconnaître que fut un dessinateur prodigieux. Il fallut à cet homme une vigueur et une patience peu communes pour patauger dans la campagne par tous les temps, pour voyager soit en Europe, soit en Amérique en quête de souscripteurs, et pour achever les quatre cents aquaqrelles si grandes et si soignées de ses Oiseaux d’Amérique». (2) Son influence sur les artistes paysagistes américains se fera bien voir dès le milieu du siècle.
Roland Tissot souligne ainsi «cet émerveillement romantique qui préside au destin du fameux portefeuille des Oiseaux d’Amérique de John James Audubon (1785-1851). Si le nom a une consonnance française, c’est qu’Audubon était né à Haïti et avait été élevé en France. Mais il n’en reste pas moins qu’il est de toute évidence

Alexander Eliot, autre historien de l’art américain, nous offre des informations complémentaires au sujet d’Audubon. Nous apprenons ainsi qu’il fût un bâtard, fils illégitime d’un capitaine français et d’une créole de Saint-Domingue. Il fut éduqué en France à l’époque où Rousseau diffusait ses idées de retour à la nature et renvoyé aux États-Unis à l’âge de 18 ans. Audubon semble projeter une âme plutôt mélancolique lorsqu’il se décrit «thoughtless and pensive», ce qui ne l’empêcha pas de se marier et de mener une vie de chasseur et de pêcheur. Sa femme, Lucy, dit en plaisantant: «If I were jalous, I should have a bitter time of it, for every bird is my rival». Sa réputation devin telle que des biographes de fantaisie le présentèrent comme le «lost Dauphin» de France (Louis XVII), ce qu’Audubon laissa faire en affirmant qu’il l’était, effectivement. Eliot nous cite comment Audubon exposait sa méthode de travail: «No one, I thing, Audubon declared, paints in my method. I, who have never studied but by piecemeal, form my pictures according to my ways of study. For instance, I am now sorking on a fox; I take one neatly killed, put him up with wires and when satisfied with the truth of the position, I take my palette and work as rapidly as possible; the same sith my birds; if practicable I finish a bird at one sitting - often, it is true, of fourteen hours - so that I think they are correct, both in detail and composition”». (4) Au-delà de la reproduction du modèle

Audubon peignait en fait les oiseaux comme il pensait les voir beaucoup plus qu’il ne les reproduisait comme un objectif photographique. Le lui reprocher serait vain. Même pour un grand illustrateur de chevaux et dans toutes les postures possibles, Théodore Géricault, contemporain d’Audubon, aucun des chevaux qu’il peignit, lui qui les observait si bien, qui les aimait au point de mourir des suites d’une chute de cheval, lui, Géricault, les posait dans une posture que dans la réalité aucun cheval n’aurait

L’ironie fiévreuse de cette exposition, c’est qu’elle se déroule au temps même où des pluies d’oiseaux s’abattent ici et là de par le monde, sans qu’on puisse repérer une cause apparente, ni soupçonner un indice cohérent de ce qui est en train de se passer. Certes, les pluies de grenouilles, les pluies

Un article modernisé y va dans la dentelle littéraire: «(...) Mais il y a bien du temps qu'on n'a entendu parler d'une chose aussi surprenante et prodigieuse que de ce qui arriva le 26 du mois passé, entre Dole et Salins en Franche-Comté. Sur les neuf heures du matin il parut des légions d'oiseaux si nombreuses que l'air en devint obscur, et comme s'ils s'étaient donnés là le rendez-vous pour leur champ de Bataille, après avoir tournoyé en confusion l'espace de deux heures, de même que s'il était arrivé quelque querelle ou démêlé entre eux, ils se séparèrent en deux corps avec un espèce de défi dont l'effet suivi bientôt, car après avoir donné le signal par des cris et des sifflements terribles et dont tous les lieux aux environs retentirent, ils vinrent fondre les uns contre les autres avec toutes les formes qui s'observeraient entre deux armées ennemies, conduites par des chefs également braves et expérimentés ; ils commencèrent par des escarmouches et étant venus des prés, aux prises, ils combattirent durant plusieurs heures avec tant d'ardeur et d'animosité de part et d'autre, qu'on en trouva plusieurs milliers sur la terre, tant d'étouffés qu'à demi-morts, qu'ensanglantés, que déchirés et le reste des deux partis ennemis en battant des ailes (…) se retirèrent sans qu'on ait su où ils se sont reposés…
(...) Les buissons de la hauteur d'un homme s'en sont trouvés couverts et on en a trouvé la terre couverte à monceaux en beaucoup de lieux, plus de cinq cent pas en longueur où le fort du combat s'est donné, sans plusieurs centaines que l'on a trouvées dispersées çà et là, outre ceux qui sont allés mourir en plusieurs lieux, selon la vigueur qui leur restait où ils sont tombés.
(...) Les Magistrats des Villes ayant une juste appréhension que cette grande quantité d'oiseaux morts n'infectait l'air au lieu où ils sont tombés, ont envoyé là plusieurs pionniers de Dôle pour les y enterrer, dont quelques-uns étant resté malades, soit par la faiblesse de l'imagination qui se laisse facilement blesser d'impressions fâcheuses dans les événements extraordinaires, soit par quelque malignité dont on ignore la cause, cela a donné une telle appréhension à tous ceux de cette Province que beaucoup de gens auront de la peine à s'en remettre. [Et cette conclusion toute en prémonition funeste du chroniqueur]: Il serait trop long si j'entreprenais de déduire ici toutes les interprétations que chacun donne à un événement si étrange selon que la passion anime ou abaisse les coeurs. Mais se trouvant des morts de toutes les espèces, la plupart conviennent que c'est un étrange présage infaillible de grandes Guerres funestes également à toutes les nations. Dieu nous en préserve. Pour satisfaire la curiosité de ceux qui voudront se confirmer dans cette persuasion de cette vérité ; qu'ils voient les Prophéties de Nostradamus, ils y trouveront la suivante qui est à la fin de la première Centurie, Article cent, la prédiction du combat de ces oiseaux entre Dole et Toscane qui est un petit bourge à quatre lieux de Dole.
Longtemps au ciel sera veu gris oiseau,
Aupres de Dole & de Touscane terre :
Tenant au bec un verdoyant rameau,
Mourra tost grand & finera la guerre.»
Aupres de Dole & de Touscane terre :
Tenant au bec un verdoyant rameau,
Mourra tost grand & finera la guerre.»
Plutôt que les prédications interprétées a posteriori, certains esprits éclairés avancent que, selon les observations solaires, nous serions peut-être en train de rentrer dans un petit âge glaciaire, et de comparer qu’en 1676, au moment de la chute des oiseaux en Franche-Comté, les relevés à Paris indiquaient un hiver rigoureux à l’image de celui que les Parisiens et les Européens en général vivent présentement. Voilà donc qu’après plusieurs hivers rigoureux en Europe, un phénomène de pluie d’oiseaux, semblable à celui de 1676, se reproduit: «Coïncidence frappante» souligne, perplexe, notre esprit éclairé. «Rétroversion historique», phénomène de l’inconscient historique qui trouve dans le passé une copie conforme aux événements actuels. Le syllogisme est plutôt simpliste: «1676: Entrée dans une petite période glaciaire simultanément qu’il y a une chute d’oiseaux; 2011: théorie selon laquelle nous serions entrés dans une petite période glaciaire avec des hivers rigoureux depuis 2008 accompagnée, encore une fois, de chute d’oiseaux. CQFD.
En fait, le petit âge glaciaire a commencé bien avant 1676. L’enquête d’Emmanuel Le Roy Ladurie permet de le situer, à partir de l’avance des glaciers dans les Alpes et en Islande, entre 1536 et 1570, soit plus d’un siècle avant la pluie d’oiseau en Franche-Comté. (7) Ne tenons pas les observations de tâches solaires qui, de toutes façons, ne nous apprendraient rien sur la durée d’une éventuelle nouvelle glaciation. Reste alors à évoquer la centurie de Nostradamus. On entre alors de plain pied dans la prose ésotérique ou encore, pour être absolument moderne, dans celle du «réalisme fantastique», genre inauguré par Charles Fort et poursuivi par Bergier et Pauwels.
Mais les événements dont il s’agit, en ce début de janvier 2011, concernent d’abord une «pluie d’oiseaux morts» observée d’abord en Arkansas, puis dans d’autres lieux géographiques aussi divers que la Louisiane et la Suède et même au Québec. Nous aurions tort de mépriser les spéculations oiseuses de notre observateur éclairé tant les explications fournies par les autorités sont stupéfiantes d’imbécilités. Voici, à titre d’exemple, le titre fantastique: «Nouvelle pluie mystérieuse d'oiseaux morts aux Etats-Unis» mis en ligne par l’agence AFP le 4 janvier 2011:
«Un nouveau groupe d'oiseaux morts et mystérieusement tombés du ciel a été découvert dans le sud des Etats-Unis, en Louisiane, après une hécatombe similaire dans l'Etat voisin de l'Arkansas, ont annoncé mardi des responsables locaux. Environ 500 volatiles se sont effondrés dans la paroisse (équivalent d'un département français) de Pointe Coupée, a déclaré Olvia Watkins, du Service de la pêche et de la faune de Louisiane, pour qui la cause de ces décès reste

Comment circonscrire un tel phénomène? La première explication: les pétards du Nouvel An: «Les scientifiques expliquent vite que la «pluie arkansienne» est probablement liée aux tirs de feux d'artifice de la Saint-Sylvestre. Une brusque détonation au milieu d'une nuée de ces oiseaux très sensibles au bruit, expliquerait leur mort brutale et simultanée en plein vol. L'association de protection de la nature, Natagora, évoque l'hypothèse des tornades qui ont touché le Missouri, l'Arkansas et la Louisiane le 31. Celles-ci pourraient d'ailleurs avoir tuées les 500 oiseaux retrouvés en Louisiane. Quant aux poissons, ils ont probablement été foudroyés par une maladie puisqu'une seule espèce a été touchée. Les résultats des analyses, qui prendront encore un mois, permettront de confirmer ce scénario». Après les oiseaux, ce sont des poissons qui meurent en masse dans l'Arkansas : coïncidence? Certes l’explication par les tornades apparaît la plus plausible. La maladie qui aurait affecté une seule espèce de poisson peut, en effet, coïncider, avec l’effet dévastateur de la tornade.
D’autres hypothèses, pourtant, ne sont pas à écarter, telles les perturbations électromagnétiques qui pourraient affecter le sens d’orientation à la fois de certaines espèces d’oiseaux et de poissons. Elle est plus crédible, en tous cas, que la peur panique provoquée par un feu d'artifice. N'importe quel coup de tonnerre devrait alors provoquer une hécatombe chez les volatiles!
C’est qu’il s’agit avant tout de rassurer la population facilement tendue par un phénomène à la X-file. Ainsi, «Kristen Schuler, du Centre national pour la faune de l'Institut de géophysique américain (USGS), ne voit d'ailleurs “rien d'apocalyptique” dans ces phénomènes. Les statistiques de l'USGS regorgent de ce type d'événements: en moyenne, 163 phénomènes similaires sont rapportés chaque année aux Etats-Unis. Ce qui n'empêche pas une carte réalisée par un internaute et recensant les hécatombes rapportées par la presse dans le monde entier ces deux derniers mois de circuler de manière virale sur Internet. En dehors des cas déjà mentionnés, les plus impressionnants événements recensés sont pourtant imputables... au froid. Pas si mystérieux pour les biologistes habitués à ce type de morts massives. La célèbre “pluie de l'Arkansas” a donc tout simplement provoqué un effet boule de neige médiatique sans que les différents événements ne soient liés entre eux. Robert Thomson, professeur de “pop culture” à l'université de Syracuse, l'explique bien : “En 1960, quand des oiseaux se mettaient à tomber du ciel, c'était peut-être noté par quelques personnes et repris dans le journal local, mais cela n'allait pas plus loin. Aujourd'hui, certaines de ces histoires, du fait qu'elles apparaissent sur internet, font tout de suite les titres de la presse nationale si elles sont spectaculaires”. Piqués, les curieux n'ont alors aucun mal à trouver des histoires similaires par dizaines dans la masse d'informations disponible sur le net. Au risque d'alimenter les fantasmes les plus délirants». (Le Figaro).
Puis, au Quebec, les pigeons tombent du

En effet, la mort de milliers d’oiseaux à des kilomètres de distance n’a pas de quoi fouetter un chat. La nature est déréglée clame-t-on quotidiennement dans les journaux, les émissions télé et les sites internets. Peut-être les oiseaux les ont-ils pris au sérieux, eux qui ne semblaient pas s’interroger, du haut des airs, quand les Occidentaux s’entretenuaient à coup de Grosse Bertha entre 1914 et 1918 et avec des bombardements intensifs sur Coventry, Cologne, Dresde et les deux pétards nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. Si une espèce de mammifère a le droit de s’entre-exterminer, pourquoi les oiseaux ne s’abatteraient-ils pas aussi, à l’issue d’une guerre, comme en 1576, ou tout simplement suite à une série de tornades éprouvantes ou un accès de froid qui frappe des espèces non conditionnées à migrer selon les saisons?
Reste à se demander, de toutes les variétés d’oiseaux dessinés par Audubon, combien de ces espèces restent-ils encore aujourd’hui, en Amérique du Nord?⌛

(1) L. Chartrand, R. Duchesne et Y. Gingras. Histoire des sciences au Québec, Montréal, Boréal, 1987, pp. 96-98.
(2) O. W. Larkin. L’Art et la vie en Amérique, Paris, Plon, 1952, pp. 120-121.
(3) R. Tissot. Peinture et sculpture aux États-Unis, Paris, Armand Colin, Col. U prisme # 21, 1973, pp. 30-31.
(4) A. Eliot. Three Hundred Years of American Painting, New York, Time Incorporated, 1957, p. 80.
(5) A. Eliot. ibid. p. 80.
(6). J. Stoetzel. La psychologie sociale, Paris, Flammarion, Col. Champs # 65, 1978, p. 126.
(7) E. Le Roy Ladurie. Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, col. Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1967, ch. IV, pp. 102 sq.
Montréal.
8 janvier 2010
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