vendredi 7 janvier 2011

Du pétrole dans l'étant ou «ethical gas shit pit»


DU PETROLE DANS L’ÉTANT
ou «ethical gas shit pit»

Voici un titre qui fait fureur présentement dans la littérature anglaise: Ethic Oil, de l’auteur canadien Ezra Levant. Cette petite bible pour pétrolières excite au plus haut point les réformistes conservateurs de l’Ouest canadien qui se demandent, non sans candeur, si, avec le pétrole sassé des sables bitumineux de l’Alberta, nous ne serions pas à même de fournir à l’ensemble de l’Amérique du Nord un pétrole «éthique», prédisposé (par Dieu) à notre enrichissement, et policé par les lois d’un gouvernement élu démocratiquement! En effet, est-il vraiment «éthique» d’importer, en Amérique du Nord, du pétrole en provenance du Soudan, de la Russie ou du Mexique, pays très peu coopératifs dans la lutte contre le terrorisme? Et comment ne pas mettre en balance, en ce qui concerne l’Arabie Saoudite par exemple, son poids d’émission de gaz carbonnique avec ses violations répétées des droits de l’homme? Cher lecteur, tu es maintenant en droit de te demander: est-ce là du pharisianisme (nous, exploiteurs de sables bitumineux, ne sommes-nous pas plus «éthiques», c’est-à-dire moins pêcheurs, que ces contrées qui abritent des terroristes?) Ou encore, ne serions-nous pas plutôt des sophistes (tant qu’à émettre des gaz carboniques, mieux vaut libérer les nôtres et en tirer le profit financier, tout en fournissant nos alliés surmenés à torturer les terroristes?). Il y a quelque temps, je maugréais un texte lu par Charles Tisseyre, attribuant la «gloire» - valeur éthique proprement humaine -, à un glacier. Quel naïf je fais de ne pas croire que les glaciers puissent avoir leur moment de gloire, alors que les sables bitumineux sont déjà, foncièrement éthiques… et de la bonne éthique?

Du «pétrole éthique», voilà la traduction littérale du livre de M. Levant. Et un ministre de façade nommé à l’environnement par le très incolore Premier Ministre Harper, Peter Kent, répète devant chaque micro qu’il aperçoit - ne lui en présentez pas un lié à un karaoké, vous serez déçu de sa chanson -, cette formule turlutée à la Bolduc: l’exploitation des sables bitumineux d’Alberta est une exploitation éthique du pétrole et ses adversaires n’ont fait que le «diaboliser». Outre la phrase connue de Baudelaire qui considérait que la plus grande ruse du diable consistait à ne pas faire croire à son existence, je retiens les propos de M. Kent, non pas tant comme une vérité de La Palice que la profession de foi d’un Créationiste qui croit que Dieu a créé les dinosaures, jadis, pour mettre du pétrole dans les sables bitumineux de l’Alberta et en faire un pays riche, comme auparavant il avait créé les bœufs et les vaches pour mettre du steak dans leurs assiettes.

Les imbéciles dominent le monde, c’est évident depuis que deux auteurs italiens ont écrit un livre à partir de cette observation, hélas vraie mais ô combien douloureuse. Après l’incident de l’été 2010 à la plateforme de forage Deepwater Horizon et les quantités phénoménales de litres de pétrole qui se sont répandues dans le Golfe du Mexique, détruisant des niches écologiques d’une grande richesse et polluant les plages des états du sud jusqu’à la Floride, sans oublier les pêcheurs qui se sont vus transformer, par la compagnie BP, en nettoyeur de marées, c’est à se demander s’il y a bien une façon «éthique» d’exploiter les ressources naturelles dont la limite ultime serait la catastrophe écologique. Katrina, l’ouragan qui avait dévasté les mêmes côtes, voilà cinq ans, était-elle un ouragan «éthique»? Charles Tisseyre se pose sûrement la question, et plus encore s’il a lu le livre de M. Levant.

Restons dans la mythologie biblique. Puisqu’il y a «diabolisation» des sables bitumineux, je ne pense pas faire outrage à la logique de mon discours si j’en réfère à la tour de Babel. Il y a confusion des langues, ou plus exactement, confusion des langages. On ne s’entend plus sur la désignation des êtres, ce qu’ils sont intrinsèquement (in se) ni de leurs relations entre eux, et surtout avec l’homme (per se). Nous avons perdus «les choses» du regard et «les mots» dérapent de sens. Le glorieux glacier, l’huile éthique, l’homme (ou la femme)-objet, le sujet discursif, etc. Ce n’est pas suffisant de se perdre dans la glose de la gnose, si, déjà, on est tout embrouillé avec la gnose de la glose! Quand parler veut dire, c’est plus qu’une formule. Il existe une branche de la philosophie, l’ontologie, dont la fonction est précisément d’établir une suite de catégories dans lesquelles ranger les êtres. À l’origine, elle allait de l’atome jusqu’à Dieu. Heureusement, Aristote est passé par là et s’en est tenu à trois qualités d’êtres matériels: minéral, végétal et animal (parmi lequel, l’homme). Au-dessus, dans les hautes sphères qu’avait déjà méditées Platon, la métaphysique, comprenait les êtres qui se distinguaient des êtres matériels, les situant dans le domaine des Idées et de l’âme. Elles étaient là en liaison avec les divinités supralunaires, les daimons intérieurs aussi. Mais des êtres pouvaient également appartenir à une autre nature, celle des lois intangibles. Lorsqu’on dit «nécessité fait loi», nous désignons précisément cette catégorie tenue pour universelle. La loi de la gravité, les lois de l’hérédité, certains tabous anthropologiques (meurtre et inceste en particulier), des états d’êtres qui furent longtemps tenus pour des lois, jusqu’à ce que Kant les embrigade dans ses impératifs catégoriques, telles la liberté, la dignité, l’égalité.

L’ontologie peut se spécialiser, comme toute bonne science, selon, précisément, les catégories dans lesquelles sont tenues ces êtres. La métaphysique s’intéresse au supralunaire et n’a guère de place dans un monde exclusivement matérialiste, même en matière religieuse. L’ontique se penche sur les catégories matérielles. Une observation primaire constate qu’il y a des objets statiques et d’autres dynamiques. Certains sont passifs, d’autres actifs. Les objets minéraux sont statiques. Le pétrole bitumineux était là avant que les prospecteurs viennent y fourrer leur nez. Les gaz de schiste? La même chose. Le glacier de Charles? Itou (idem, en québécois). À l’autre extrême, les animaux, et l’homme surtout, sont des êtres actifs: ils bougent, se déplacent, agissent, développent une volonté indépendante de leurs instincts (dans le cas de l’homme), brefs sont des étants d’une autre nature que celle des objets fixes, matériels, inanimés: ce sont des êtres. Entre les deux, bien sûr, les végétaux. Ceux-ci ne bougent pas d’eux-mêmes mais vivent, se développent, se reproduisent et meurent à l’exemple des êtres vivants. À première vue, ils apparaissent comme un intermédiaire entre les étants et les êtres.

Platon avait supposé que les êtres étaient des idées dont l’essence était, si l’on peut dire, la qualité première. L’essence des êtres était leur identité. Cette essence définissait l’être et, par le fait même, ne pouvait être qu’une. À l’image de dieu. Un être ne pouvait être qu’un être et pas un autre car il était le produit d’une «idée». Aristote, au lieu d’isoler les êtres dans leur identité, les posa en termes dialectiques. Les êtres correspondaient entre eux; il n’étaient plus ni des sensibilités, ni des idées, mais des réalités externes qu’un travail de la logique, de la raison humaine, parvenait à définir après un processus de conformité entre l’idée et l’objet. «Le réalisme se donne, lui le dévoilement immanent des réalités ontologiques. Chaque fois, le point de vue que représente la position adverse est intégré, car il est, on le voit bien, incontournable. Ce qui résulte de ce constat est la nécessité, pour chacune d’elles, de faire jaillir d’elle-même le point de vue qu’elle exclut […]. Ainsi, on a souvent pu observer, dans l’histoire de la philosophie, que les tenants de la théorie de l’être s’intégraient eux-mêmes dans leur théorisation, faisant de la connaissance de l’être une composante de celui-ci. Il est proclamé dans la nature de l’être d’en venir à être connu, en tout cas, à pouvoir l’être. Aristote n’échappe pas à cette nécessité, et l’on retrouvera chez lui… le souci de faire rejoindre l’être et le connaître. Pour cela, il va faire de l’être une réalité qui devient connue, qui est potentiellement connaissable: l’être, l’universel, est connu en puissance, quand bien même serait-il encore inconnu en acte, de fait». (1) Voici, en un certain sens, la genèse de l’être. Est être ce qui se dévoile à notre Logos, mais tous les êtres ne connaissent pas car tous ne sont pas équipés de la faculté du Logos, et c’est là la frontière initiale entre les animaux et l’homme: l’homme seul connaît qu’il est un être, un Être exceptionnel, doué de conscience, d’où l’importance pour les scoliasques du Moyen Âge, à l’image de saint Thomas d’Aquin, de fournir une définition (objective, donc connaissable) de Dieu. La foi devait être confirmé par la connaissance. Grâce à ce même exercice, la science prendra un élan qu’elle n’a jamais perdu depuis la fin du Moyen Âge (c’est la fameuse révolution industrielle au moyen âge de Jean Gimpel).

Le savoir, le Logos, parvient à l’essence même, celle qui servira de partage des eaux entre les étants et l’Être. D’une part, les êtres qui ne peuvent pas progresser par le Logos, tels les minéraux et les végétaux. Certains animaux parviennent, certes, à une certaine capacité de connaissance, mais cela est dû à leur instinct et à ce que Platon appelait le sensible, auxquels on pourrait ajouter leur mimétisme, plutôt que leur activité cérébrale qui correspondrait à l’acte logique chez l’homme. En définitive, si tous les étants ont une essence, cette essence est statique, naturelle et seul l’homme parvient à se la fixer en image dans son Logos. Seul l’homme devient l’être avec un grand «Ê» tant il a des possibilités du Logos incomparables aux autres êtres, sinon qu’à ceux qui relèveraient de la métaphysique. Dieu, le Diable, les anges, les démons, les tentateurs, les âmes mortes, etc. Mais si le Logos distingue l’homme en tant qu’Être, celui-ci conserve des éléments qui sont propres aux étants inférieurs. Sa sensibilité, partagée par des animaux par exemple, devient chez lui un Pathos. Ses règles de vie, jusqu’à Kant considérées comme une métaphysique des mœurs, appartiennent à l’Ethos, à une règle conventionnelle entre les mêmbres d’une même communauté, d’une même culture, d’une même société. Si Aristote pouvait dire que l’homme est un animal politique, désormais nous savons qu’il est un animal social, procédant d’une nature apparentée à la vie sociale des organismes vivants (et pas toujours des espèces supérieures). Le développement social s’inscrit directement dans le prolongement de l’évolution biologique. Il y a un «ethos» de l’humanité comme il y a un «ethos» animalier.

C’est à cet Ethos qu’on s’adresse lorsqu’on lance l’idée qu’il existe un «pétrole éthique». Or, le pétrole, l’huile, le charbon, etc. sont des étants, des êtres sans logos, sans pathos et sans ethos. On a rien écrit encore sur les mœurs du charbon pas plus qu’on penserait à rédiger l’Esprit des lois des Rhododendrons. Le pétrole et le gaz sont des objets inanimés, matériels, et leur essence n’est même pas de servir d’essence aux moteurs fabriqués par l’homme, mais d’être des résidus organiques en décomposition. Leur existence en soi (in se) n’est rien d’autre que le produit de la mort et de la déstructuration naturelle qui obéit aux lois qui président à la destinée des organismes vivants. C’est lorsqu’ils sont utilisés pour soi, (per se) pour leurs qualités intrinsèques en vue du service à l’humanité, qu’ils prennent un «ethos», mais cet ethos n’est pas transférable, comme le suppose le titre de Levant «ethic oil», car il n’y a pas de per se pour un étant; il n’y a pas de volonté à la base de la décomposition qui les ferait pour eux-mêmes, et s’il y a décomposition, c’est en vertu d’une loi naturelle des composites moléculaires organiques sous l’action des pressions de la nature. Pas plus Katrina que le pétrole échappé dans les fonds marins lors de l’incendie de la plateforme de forage Deepwater Horizon ne peuvent se voir attribuer des qualificatifs appropriés à l’ethos des Êtres, à leurs vertus ou à leurs vices. Cette expression d’ethic oil réfère donc à aucun objet concret, réel. Il y a le pétrole, qui vient des sols bitumineux ou des réserves d’Arabie, qui relève de la nature des êtres minéraux inanimés; il y a l’ethos qui relève de la nature des Êtres vivants, animés et subjectifs, qui l’exploitent avec volonté et conscience, et le milieu dans lequel ils vivent. À eux seuls le terme d’«éthique» peut être associé.

Et il y a les dirigeants de la compagnie BP, M. Levant, M. Harper, M. Kent - qu’on pourrait facilement confondre avec un étant -, sont des Êtres dotés de Logos, de Pathos (quoique pour M. Harper, c’est difficile à croire, je sais) et d’Ethos. Ils sont à la fois soumis aux règles de la nécessité, celle des lois qu’on transferre généralement dans le domaine métaphysique, alors que la plupart d’entre elles relèvent, on le sait aujourd’hui, d’un enchaînement d’actions et de réactions de nature physique. (Personne ne considère l’électricité ni le magnétisme terrestre comme des forces métaphysiques, mais bien comme relevant d’effets physiques.) Mais ils ont, depuis qu’Aristote a permis aux contingences de faire irruption dans le monde des images fixes de Platon, le choix d’options par lequel se définira, précisément, leur ethos. Par le fait même, nous pénétrons dans ce que l’ontologie appelle la problématologie. Comment poser un problème donne généralement la logique avec laquelle le résoudre. Celui «qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage»; la rage est le problème mais le fait de noyer son chien n’a aucun rapport avec elle. Elle cesse d’être problématique pour devenir éthique, c’est-à-dire une option choisie en vue d’une problématique sous-tendue et autre que la rage: la volonté de se débarrasser d’un chien devenu gênant. Quand M. Kent parle de la diabolisation des sables bitumineux, il fait le même tour de passe passe: «qui veut empêcher le développement des sables bitumineux (et de l’Alberta) l’accuse d’être une cause première de la pollution de l’atmosphère et de la dégradation des sols et des eaux. Il n’y a donc pas, pour MM. Harper et Kent, de problématique écologique mais seulement une discrimination diabolique relevant d’une éthique subversive des provinces ou des pays «ennemis» ou concurrents des Albertains. Outre les discours de MM. Harper et Kent, on aura reconnu le discours des pétrolières qui, du même coup, financent des publicités racoleuses afin de montrer qu’elles aussi sont soucieuses de l’écosystème et travaillent, avec toute la diligence qui s’impose pour l’environnement, à développer les énergies renouvelables. Ce n’est plus là le Logos au service de l’information, mais bien au service de la propagande, et la propagande n’est jamais sans «intérêts».

Posons donc la problématique comme il se doit: la dégradation des conditions écologiques est le résultat d’un ensemble de facteurs dont l’exploitation des sables bitumineux est l’un des plus dévastateurs. Quelle était blonde ma prairie! aurait pu écrire un romancier albertain, dans les années cinquante, quand les Prairies canadiennes étaient tenues pour le grenier du monde. Aujourd’hui, une partie de ce grenier est creusé de caldeira bourbeux, avec des pépines et des camions qui tournent autour des puits de forage et des nappes d’eau contenues tant elles sont polluées et une menace pour la santé. Ici, les observations et les analyses sérieuses indiquent que le chien a définitivement bien la rage. Sa morsure pourrait s’avérer mortelle, en commençant par l’hydrophobie qui est, comme on le sait, un symptôme évident de la progression de la maladie. Noyer un chien qui a la rage, c’est le plonger dans la panique ultime que développe le virus. Avant de succomber à la noyade, il y a des chances qu’il succombe d’un arrêt du cœur due à la peur elle-même. C’est donc dans la bourbe elle-même que va périr l’Alberta, une fois le boom économique passé. La décontamination des sols sera impensable une fois le pétrole épuisé et les embargos internationaux se multiplieront sur les produits céréaliers canadiens de crainte de consommer des blés contaminés d’Alberta qui auraient poussé sur d’anciennes terres réservées à l’exploitation des sables bitumineux. C’est le syndrome de la vache folle qui refera son apparition. Car qui osera manger de la vache qui aura été nourrie avec des maïs en provenance d’Alberta? À court terme, on ne cesse de passer «go» et de réclamer $ 200; à long terme, certains risqueront de finir en prison et d’autres intoxiqués par l’eau tirée de l’«aqueduc». L’Alberta, et le Canada avec elle, joue à une «game de monopoly» dont les risques se mesureront à long terme, et c’est l’économie du Canada et le porte-feuille des Canadiens qui paieront le prix lourd de son comportement «éthique» de l’exploitation pétrolière. Mais les $ 200 faits à coups répétés auront depuis longtemps déserté les poches des entrepreneurs et des propriétaires albertains.

Notre soif d’énergies, de toute provenance et de toute origine; nos calculs prospectifs sur les quantités d’énergie dépensées au cours du prochain siècle relèvent tout simplement de la science-fiction ou, pire, du cauchemar. Des informations contradictoires, se confirmant comme se démentant les unes les autres, permettent la capitalisation, à la fois des angoisses et des convoitises économiques. Les stocks de pétrole seront épuisés dans quarante ans, entendons-nous dire un jour, et le lendemain, le prix monte en flèche sur la vente du baril comme au détail. Les sources d’énergie sont renouvelables et propres si on s’en tient à l’électricité, à l’éolienne, voire (mais c’est une autre histoire) avec les centrales nucléaires. Mais pour produire de l’électricité, il faut ériger des barrages, toujours plus gros afin de produire toujours plus d’électricité pour approvisionner les mégapoles de l’Amérique du Nord-Est: des rivières sont détournées, des espèces nautiques dangereusement menacées, des propriétés inondées et des populations déplacées. C’est déjà un coût énorme pour notre soif d’énergie! Les éoliennes: ça fait du bruit, ça dévierge un paysage, ça dérange les routes migratoires des oiseaux. L’exploitation des gaz de schiste, avec ces lavabos qui prennent feu, jette un doute sérieux sur le développement de l’industrie gazière. Bref, aucun système de production énergétique ne peut se faire sans entraîner un coût énorme pour l’environnement naturel et humain. Le choix éthique est bien entre la production et la consommation d’énergie d’une part et les coûts dans les transformations environnementales à prévoir de l’autre et les mutations comme side effects sur l’adaptation des organismes humains.

Derrière cette soif irrationnelle d’énergie et ces solutions illogiques de l’industrie, il y a, outre l’Ethos et le Logos, le Pathos qui s’en mêlent. La sensibilité, qui fait de l’Être une catégorie du vivant, du mobile, de la volonté et de l’action, s’inquiète, s’angoisse, se terrifie ou se pétrifie devant l’ampleur de la problématique en train de se développer devant lui. Ou bien, c’est la destruction des espèces vivantes, l’homme étant à l’extrémité de la chaîne (alimentaire). Ou bien, c’est l’économie et le chômage endémique, l’appauvrissement, la prolétarisation des petits bourgeois, la concentration des grosses fortunes dépensées à se prémunir contre les effets environnementaux entraînés par l’exploitation incontrôlée (sinon incontrôlable des ressources énergétiques). L’angoisse économique, disons-le tout de suite, est aussi vrai que la rage qui habite le chien qu’on veut noyer. Aucun emploi, dans aucun secteur d’activités humaines, n’est garantie désormais ad vitam æternam. La richesse des nations ne dépend plus de la production économique mais de valeurs symboliques qui reposent sur autant d’illusions qui, le jour où elles s’effondreront, par manque d’approvisionnemet ou de renouvellement, montreront l’immense colosse aux pieds d’argile sur lequel nous avons érigé nos modes de vie. Les emplois créés dans le secteur de l’énergie ne remplaceront jamais les milliers d’emplois perdus dans le domaine manufacturier ou même agricole. Les industries virtuelles, sur lesquelles repose la société du spectacle, sont des industries spécialisées où travaillent, en Occident, peu d’individus; les pays asiatiques fournissant l’essentiel d’une main-d’œuvre de masse à faible coût. Ceux qui angoissent devraient passer tout de suite à la peur, car le danger est déjà bien réel et rien ne vaut la peine de sacrifier l’environnement humain pour créer quelques centaines de jobs éphémères. Mais ce ne sont sûrement pas les ministres de l’emploi et du chômage qui partiront demain à la chasse à ce tigre dangereux qui ne cesse de faire des carnages sanglants dans le soi-disant marché de l’emploi.

L’angoisse énergétique, elle, reste davantage un désir négatif: celui de voir sa propre vie, sa propre consommation d’énergie corporelle, s’épuiser sans possibilité de renouvellement. Bref, c’est le vieillissement de l’espèce dominant la planète, qui, en deux siècles et un peu plus, a décidé de brûler la chandelle par les deux bouts. C’est l’artérosclérose des conduits énergétiques, l’engorgement de cholestérol, la crise cardiaque du moteur nucléaire, les vaisseaux qui pètent dans le cerveau et inonde la matière grise de sang poisseux. Ces nouveaux cadres, qui se paient des salaires à coups de millions par années à gonfler et à crever des bulles financières, creusent le lit de la sénilité de la civilisation capitaliste née en Occident et reprise, sans réflexion, par les sociétés en développement. La panique économique, développée par la crise de 2008, ne leur laisse pas le choix que d’agir comme des moutons de Panurge et se précipiter, avec le reste de la planète, dans la pollution immodérée des zones d’écosystèmes naturels à la seule fin, non d’améliorer le sort de leurs population, mais de satisfaire l’orgueil et le démon de la puissance de leurs bourgeoisies nationales. Cette soif d’énergie est celle qui saisit les petits vieux qui sentent leur chair se refroidir, les extrémités de leurs membres s’engourdir, la vision se troubler. En réponse, ils commandent à ce qui leur reste d’énergie d’affluer, pour la dernière flamme. Ils développement des comportements d’érotomanes, libidineux et dont la matière blanche a précédé depuis longtemps la matière grise dans sa liquéfaction putride. Ils se font fabriquer des masques, par des esthéticiens payés à dissimuler leurs chairs flasques et molles sous des injections répétées de botox, des face lift et autres perruques qui en font déjà des mannequins de cire à être exposés, encore vivants, au musée Tussaud. C’est l’incontinence que plus aucune couche recyclable ne peut retenir et qui fuit de partout et dont les sables bitumineux ne sont qu’une métaphore grossière mais, hélas! trop vraie. Enfin, la sédimentation pré-cadavérique de ces prédécédés, à l’image du très pétrifié Stephen Harper, accumule des strates de produits de consommation que les sites d’enfouissement ne parviennent plus à contenir et où le capital a trouvé une manière de recycler son système en faisant de l’argent en les exportant dans les pays sous-développés; manière de répartir équitablement la pourriture.
Bien sûr, il n’en tient qu’à nous de changer le cours des événements. C’est l’option découverte par Aristote et qui rend la contingence seule porteuse de liberté et de régénération du cours du développement historique. Mais n’est-il pas trop tard? N’épuisons-nous pas les derniers vestiges de ressources en les gaspillant, de manière suicidaire, à des activités ridicules et sans finalité. Qu’est devenue l’essence de l’Être une fois que celui-ci l’a épuisée? Où se loge la créativité en dehors du mimétisme et de la répétition copiée/collée? Le change vient en petites coupures dévaluées, mais le billet avait encore toute sa valeur⌛

(1) Michel Meyer. Pour une histoire de l’ontologie, Paris, P.U.F., Col. Quadrige # 282, 1999, p. 19.

Montréal,
7 janvier 2011

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