
DU PETROLE DANS L’ÉTANT
ou «ethical gas shit pit»
ou «ethical gas shit pit»
Voici un titre qui fait fureur présentement dans la littérature anglaise: Ethic Oil, de l’auteur canadien Ezra Levant. Cette petite bible pour pétrolières excite au plus haut point les réformistes conservateurs de l’Ouest canadien qui se demandent, non sans candeur, si, avec le pétrole sassé des sables bitumineux de l’Alberta, nous ne serions pas à même de fournir à l’ensemble de l’Amérique du Nord un pétrole «éthique», prédisposé (par Dieu) à notre enrichissement, et policé par les lois d’un gouvernement élu démocratiquement! En effet, est-il vraiment «éthique» d’importer, en Amérique du Nord, du pétrole en provenance du Soudan, de la Russie ou du Mexique, pays très peu coopératifs dans la lutte contre le terrorisme? Et comment ne pas mettre en balance, en ce qui concerne l’Arabie Saoudite par exemple, son poids d’émission de gaz carbonnique avec ses violations répétées des droits de l’homme? Cher lecteur, tu es maintenant en droit de te demander: est-ce là du pharisianisme (nous, exploiteurs de sables bitumineux, ne sommes-nous pas plus «éthiques», c’est-à-dire moins pêcheurs, que ces contrées qui abritent des terroristes?) Ou encore, ne serions-nous pas plutôt des sophistes (tant qu’à émettre des gaz carboniques, mieux vaut libérer les nôtres et en tirer le profit financier, tout en fournissant nos alliés surmenés à torturer les terroristes?). Il y a quelque temps, je maugréais un texte lu par Charles Tisseyre, attribuant la «gloire» - valeur éthique proprement humaine -, à un glacier. Quel naïf je fais de ne pas croire que les glaciers puissent avoir leur moment de gloire, alors que les sables bitumineux sont déjà, foncièrement éthiques… et de la bonne éthique?
Du «pétrole éthique», voilà la traduction littérale du livre de M. Levant. Et un ministre de façade nommé à l’environnement par le très incolore Premier Ministre Harper, Peter Kent,

Les imbéciles dominent le monde, c’est évident depuis que deux auteurs italiens ont écrit un

Restons dans la mythologie biblique. Puisqu’il y a «diabolisation» des sables bitumineux, je ne

L’ontologie peut se spécialiser, comme toute bonne science, selon, précisément, les catégories dans lesquelles sont tenues ces êtres. La métaphysique s’intéresse au supralunaire et n’a guère de place dans un monde exclusivement matérialiste, même en matière religieuse. L’ontique se penche sur les catégories matérielles. Une observation primaire constate qu’il y a des objets statiques et d’autres dynamiques. Certains sont passifs, d’autres actifs. Les objets minéraux sont statiques. Le pétrole bitumineux était là avant que les prospecteurs viennent y fourrer leur nez. Les gaz de schiste? La même chose. Le glacier de Charles? Itou (idem, en québécois). À l’autre extrême, les animaux, et l’homme surtout, sont des êtres actifs: ils bougent, se déplacent, agissent, développent une volonté indépendante de leurs instincts (dans le cas de l’homme), brefs sont des étants d’une autre nature que celle des objets fixes, matériels, inanimés: ce sont des êtres. Entre les deux, bien sûr, les végétaux. Ceux-ci ne bougent pas d’eux-mêmes mais vivent, se développent, se reproduisent et meurent à l’exemple des êtres vivants. À première vue, ils apparaissent comme un intermédiaire entre les étants et les êtres.
Platon avait supposé que les êtres étaient des idées dont l’essence était, si l’on peut dire, la qualité première. L’essence des êtres était leur identité. Cette essence définissait l’être et, par le fait même, ne pouvait être qu’une. À l’image de dieu. Un être ne pouvait être qu’un être et pas un autre car il était le produit d’une «idée». Aristote, au lieu d’isoler les êtres dans leur identité, les posa en termes dialectiques. Les êtres correspondaient entre eux; il n’étaient plus ni des sensibilités, ni des idées, mais des réalités externes qu’un travail de la logique, de la raison humaine, parvenait à définir après un processus de conformité entre l’idée et l’objet. «Le réalisme se donne, lui le dévoilement immanent des réalités ontologiques. Chaque fois, le point de vue que représente la position adverse est intégré, car il est, on le voit bien, incontournable. Ce qui résulte de ce constat est la nécessité, pour chacune d’elles, de faire jaillir d’elle-même le point de vue qu’elle exclut […]. Ainsi, on a souvent pu observer, dans l’histoire de la philosophie, que les tenants de la théorie de l’être s’intégraient eux-mêmes dans leur théorisation, faisant de la connaissance

Le savoir, le Logos, parvient à l’essence même, celle qui servira de partage des eaux entre les étants et l’Être. D’une part, les êtres qui ne peuvent pas progresser par le Logos, tels les minéraux et les végétaux. Certains animaux parviennent, certes, à une certaine capacité de connaissance, mais cela est dû à leur instinct et à ce que Platon appelait le sensible, auxquels on pourrait ajouter leur mimétisme, plutôt que leur activité cérébrale qui correspondrait à l’acte logique chez l’homme. En définitive, si tous les étants ont une essence, cette essence est statique, naturelle et seul l’homme parvient à se la fixer en image dans son Logos. Seul l’homme devient l’être avec un grand «Ê» tant il a des possibilités du Logos incomparables aux autres êtres, sinon qu’à ceux qui relèveraient de la métaphysique. Dieu, le Diable, les anges, les démons, les tentateurs, les âmes mortes, etc. Mais si le Logos distingue l’homme en tant qu’Être, celui-ci conserve des éléments qui sont propres aux étants inférieurs. Sa sensibilité, partagée par des animaux par exemple, devient chez lui un Pathos. Ses règles de vie, jusqu’à Kant considérées comme une métaphysique des mœurs, appartiennent à l’Ethos, à une règle conventionnelle entre les mêmbres d’une même communauté, d’une même culture, d’une même société. Si Aristote pouvait dire que l’homme est un animal politique, désormais nous savons qu’il est un animal social, procédant d’une nature apparentée à la vie sociale des organismes vivants (et pas toujours des espèces supérieures). Le développement social s’inscrit directement dans le prolongement de l’évolution biologique. Il y a un «ethos» de l’humanité comme il y a un «ethos» animalier.
C’est à cet Ethos qu’on s’adresse lorsqu’on lance l’idée qu’il existe un «pétrole éthique». Or, le pétrole, l’huile, le charbon, etc. sont des étants, des êtres sans logos, sans pathos et sans ethos. On a rien écrit encore sur les mœurs du charbon pas plus qu’on penserait à rédiger l’Esprit des lois des Rhododendrons. Le pétrole et le gaz sont des objets inanimés, matériels, et leur

Et il y a les dirigeants de la compagnie BP, M. Levant, M. Harper, M. Kent - qu’on pourrait facilement confondre avec un étant -, sont des Êtres dotés de Logos, de Pathos (quoique pour M. Harper, c’est difficile à croire, je sais) et d’Ethos. Ils sont à la fois soumis aux règles de la nécessité, celle des lois qu’on transferre généralement dans le domaine métaphysique, alors que la plupart d’entre elles relèvent, on le sait aujourd’hui, d’un enchaînement d’actions et de réactions de nature physique. (Personne ne considère l’électricité ni le magnétisme terrestre comme des forces métaphysiques, mais bien comme relevant d’effets physiques.) Mais ils ont, depuis qu’Aristote a permis aux contingences de faire irruption dans le monde des images fixes de Platon, le choix d’options par lequel se définira, précisément, leur ethos. Par le fait même, nous pénétrons dans ce que l’ontologie appelle la problématologie. Comment poser un problème donne généralement la logique avec laquelle le résoudre. Celui «qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage»; la rage est le problème mais le fait de noyer son chien n’a aucun rapport avec elle. Elle cesse d’être problématique pour devenir éthique, c’est-à-dire une option choisie en vue d’une problématique sous-tendue et autre que la rage: la volonté de se débarrasser d’un chien devenu gênant. Quand M. Kent parle de la diabolisation des sables bitumineux, il fait le même tour de passe passe: «qui veut empêcher le développement des sables bitumineux (et de l’Alberta) l’accuse d’être une cause première de la pollution de l’atmosphère et de la dégradation des sols et des eaux. Il n’y a donc pas, pour MM. Harper et Kent, de problématique écologique mais seulement une discrimination diabolique relevant d’une éthique subversive des provinces ou des pays «ennemis» ou concurrents des Albertains. Outre les discours de MM. Harper et Kent, on aura reconnu le discours des pétrolières qui, du même coup, financent des publicités racoleuses afin de montrer qu’elles aussi sont soucieuses de l’écosystème et travaillent, avec toute la diligence qui s’impose pour l’environnement, à développer les énergies renouvelables. Ce n’est plus là le Logos au service de l’information, mais bien au service de la propagande, et la propagande n’est jamais sans «intérêts».
Posons donc la problématique comme il se doit: la dégradation des conditions écologiques est le résultat d’un ensemble de facteurs dont


Notre soif d’énergies, de toute provenance et de toute origine; nos calculs prospectifs sur les quantités d’énergie dépensées au cours du prochain siècle relèvent tout simplement de la science-fiction ou, pire, du cauchemar. Des informations contradictoires, se confirmant comme se démentant les unes les autres, permettent la

Derrière cette soif irrationnelle d’énergie et ces solutions illogiques de l’industrie, il y a, outre

L’angoisse énergétique, elle, reste davantage un désir négatif: celui de voir sa propre vie, sa propre consommation d’énergie corporelle, s’épuiser sans possibilité de renouvellement. Bref, c’est le vieillissement de l’espèce dominant la planète, qui, en deux siècles et un peu plus, a décidé de brûler la chandelle par les deux bouts. C’est l’artérosclérose des conduits énergétiques, l’engorgement de cholestérol, la crise cardiaque du moteur nucléaire, les vaisseaux qui pètent dans le cerveau et inonde la matière grise de sang poisseux. Ces nouveaux cadres, qui se paient des salaires à coups de millions par années à gonfler et à crever des bulles financières, creusent le lit de la sénilité de la civilisation capitaliste née en Occident et reprise, sans réflexion, par les sociétés en développement. La panique économique, développée par la crise de 2008, ne leur laisse pas le choix que d’agir comme des moutons de Panurge et se précipiter, avec le reste de la planète, dans la pollution immodérée des zones d’écosystèmes naturels à la seule fin, non d’améliorer le sort de leurs population, mais de satisfaire l’orgueil et le démon de la puissance de leurs bourgeoisies nationales. Cette soif d’énergie est celle qui saisit les petits vieux qui sentent leur chair se refroidir, les extrémités de leurs membres s’engourdir, la vision se troubler. En réponse, ils commandent à ce qui leur reste d’énergie d’affluer, pour la dernière flamme. Ils développement des comportements d’érotomanes, libidineux et dont la matière blanche a précédé depuis longtemps la matière grise dans sa liquéfaction putride. Ils se font fabriquer des masques, par des esthéticiens payés à dissimuler leurs chairs flasques et molles sous des injections répétées de botox, des face lift et autres perruques qui en font déjà des mannequins de cire à être exposés, encore vivants, au musée Tussaud. C’est l’incontinence que plus aucune couche recyclable ne peut retenir et qui fuit de partout et dont les sables bitumineux ne sont qu’une métaphore grossière mais, hélas! trop vraie. Enfin, la sédimentation pré-cadavérique de ces prédécédés, à l’image du très pétrifié Stephen Harper, accumule des strates de produits de consommation que les sites d’enfouissement ne parviennent plus à contenir et où le capital a trouvé une manière de recycler son système en faisant de l’argent en les exportant dans les pays sous-développés; manière de répartir équitablement la pourriture.

(1) Michel Meyer. Pour une histoire de l’ontologie, Paris, P.U.F., Col. Quadrige # 282, 1999, p. 19.
Montréal,
7 janvier 2011
7 janvier 2011
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire