samedi 20 janvier 2018

Pourquoi tant de lâchetés?

Soldats tombés à Dieppe, 19 août 1942, archives allemandes

POURQUOI TANT DE LÂCHETÉS?

(Article paru sur Facebook, le 11 novembre 2017, 48 lecteurs)
Il m'arrive rarement de recevoir des lettres de mépris dans ma boîte Messenger. J'en ai eu deux à ce jour. Il y a un an, de la part d'un libraire qui s'est fait une réputation you tube en résumant des quatrièmes de couverture de livres amplifiées de ses états d'âme et sur lequel je ne reviendrai pas. Ce libraire, entiché du nouveau chef péquiste, Pierre-Karl Péladeau, dont il se vantait lui-même d'avoir donné, durant ses folles années de jeunesse, un coup de poing sur la baboune aux Foufounes électriques, désormais il se disait prêt à l’embrasser!

Après ce premier nationaliste soumis, j'ai reçu cette semaine une réponse à un commentaire sur le site d'un ami facebook concernant la refus de la mémoire du débarquement (manqué) de Dieppe de 1942. J'évoquais dans mon commentaire le fait que les nationalistes québécois du P.Q. n'ont jamais tenu à vraiment célébrer ce fait important de notre participation à la guerre, même s’il faut reconnaître qu'une cellule du FLQ de 1970 portait le nom de Dieppe. Voici ce que ce monsieur, Jean (à ne pas confondre avec Nicolas) Boileau m'a répondu, non sur le site du tiers, mais personnellement, par Messenger :

«Je préfère répondre en privé… Monsieur Coupal, en tant que nationaliste et ayant voté PQ à quelques reprises, votre vision simplette de la chose me paraît un peu dépassée. Vous ramenez un conflit mondial au niveau de la petite politicaillerie mesquine et je vois bien que je n’ai pas ma place dans cette conversation. Ceci dit, pour votre édification personnelle, je vous suggère de lire le livre extraordinaire d’Anthony Beevor: La Seconde Guerre mondiale. Excusez-moi encore de ma présence inopportune, et considérez-vous comme insulté».

À ce persifleur de mauvais aloi, j’ai suggéré de lire les deux gros volumes sur La guerre-monde dirigés par Aglan et Frank s'il tenait tant à m'épater, et d'y ajouter, ce qui ne lui ferait pas de tort, s’il savait lire, les ouvrages de René Abautret, Dieppe, le sacrifice des Canadiens, publié dans la collection “Ce jour-là”, chez Robert Laffont et de Béatrice Richard, La mémoire de Dieppe, radioscopie d'un mythe, paru chez VLB. C'est étonnant comment, au Québec, ce sont les incultes qui prétendent savoir plus que tout autre! J'ai terminé mon avis en disant espérer la disparition du P.Q. le plus rapidement possible puisqu'il était devenu un cancer pour la cause même qu'il prétend promouvoir. Il peut même emporter avec lui son Péladeau, son Lisée et son libraire de vaudeville.

Venons-en aux choses sérieuses.

Le livre de Béatrice Richard a ceci d'intéressant, c'est qu'il passe en revue toutes les interprétations qu'on a pu faire sur le raid de Dieppe de 1942. D'une génération l'autre, on a établi des hypothèses sur le fait que les Canadiens avaient été envoyés sur la plage sans la préparation nécessaire; qu'on s'était servi d'eux comme bouclier; qu'il s'agissait d'un complot afin d'épargner l'armée britannique; que Churchill y avait répété la bourde commise durant la Première Guerre à Gallipoli, où cette fois-là, c'étaient les soldats Australiens qui avaient été sacrifiés à l'armée turque... De ces on-dit, mon père, ex-soldat de l'armée canadienne mais qui ne participa pas à Dieppe, en véhiculait quelques-uns. Il avait la haine des Anglais qu'il manifestait par un tatouage du drapeau écossais avec un caméo montrant les Highlands sur l’avant-bras.

Dans les années 1990-2000, le thème des lieux de la mémoire et du devoir de mémoire étaient dominants. Un pays comme la France, avec un passé si long, est riche en lieux de mémoire pour toutes sortes d'occasion. En Amérique du Nord, c'est assez différent. En fait, on a jamais eu qu'une vague mémoire au Québec, ce qui est paradoxale pour une province dont la devise est Je me souviens! Il faut donc constamment mettre en scène des souvenirs qui seront accompagnés de spectacles, d'évocations, de discours. Lionel Groulx, qui était un fin renard, voyait bien durant sa jeunesse, à la fin du XIXe siècle, que les Québécois se souvenaient surtout des horreurs que les plus vieux avaient vécues lors de la répression des troubles de 1837-1838. Aussi inventa-t-il, à partir d'un fait isolé, le personnage de Dollard des Ormeaux. Il fit même campagne pour ramasser la somme suffisante à l'érection d'un monument, sis toujours au coin des rues Rachel et du Parc Lafontaine à Montréal. De biais avec l’impayable poste de police du Plateau Mont-Royal. Dollard avait même sa journée fériée sur le calendrier liturgique nationaliste, le troisième lundi du mois de mai, façon de donner un équivalent national à la fête impérialiste de la Reine. Un Premier ministre péquiste a eu la brillante idée d'y superposer la fête des Patriotes, faisant en sorte qu’on a fini par célébrer une Toussaint du printemps. Héros, saint, bandit, tueur d'Indiens, tous les qualificatifs étaient bons pour se souvenir du personnage de Dollard, ce qui l’a finalement évacué de notre mémoire.

À travers une discussion récente autour du concept de «mémoire volontaire» et «involontaire» chez Proust, il ressortait que pour l'auteur de La recherche du temps perdu, la «mémoire involontaire» désignait cette mémoire spontanée, authentique, qui surgit par une association ou une connotation avec une sensation ou une action qui venait la tirer des profondeurs, non pas de notre inconscient mais de cette mémoire morte où sont stockés tous les rappels d'événements antérieurs qui, chez Proust, évoque le bonheur. La «mémoire volontaire», par contre, serait ces souvenirs que l'on suscite volontairement et qui sont refabriqués pour des raisons bien pensées. Au fur et à mesure que meurent les anciens combattants, la «mémoire involontaire» s'éclipse devant la «mémoire volontaire»; la mémoire, tout simplement, devant le souvenir. L'expression Jour du Souvenir prend de plus en plus cette dimension de rappel fabriqué par l'État en vue de souligner que les soldats ayant participé aux deux grands conflits mondiaux furent des héros, partis en ayant une conviction au cœur, celui de la défense de la démocratie et des libertés. Ce qui est, bien évidemment, faire le ménage des conscrits, déserteurs, suicidés, et autres décimés qui présentent la face négative de ces hommes glorieux. Si on a souvenir des héros de 14-18 et de 39-45, on ne garde pas en mémoire ceux rejetés par la célébration. Le terme Remembrance Day des Canadiens Anglais porte le même vice caché que l'expression française. Par contre, aux États-Unis, le Memorial Day, célébré le 29 mai de chaque année, appelle plus spontanément à la mémoire le jour des soldats, confondant toutes les guerres (de la guerre de Sécession à nos jours) en une seule cérémonie.

Ce contraste nous apprend beaucoup sur notre Jour du Souvenir. D'abord, il fait abstraction de tous les combattants canadiens mort dans une guerre ou une autre de son histoire : la guerre de la Conquête par exemple, les deux guerres lors des invasions américaines de 1775 et de 1812, la guerre contre les Métis en 1885, et les participations libres à la guerre des Boers ou à l'expédition du Nil. Ce ne sont donc pas tous ceux qui ont offert leur vie pour le Canada, mais seulement les combattants des deux guerres mondiales. Pourquoi? Sans doute parce qu'au cours du XXe siècle, ces deux guerres étaient encore fraîches à la mémoire des anciens combattants et de leur famille. Depuis l'entrée dans le nouveau millénaire, ces anciens tendent à nous quitter et l'on y ajoute des combattants de guerres plus récentes : la Bosnie, l'Afghanistan... Le Jour du Souvenir tend de plus en plus à devenir un Memorial Day auquel, pour être juste envers le construit de la nation, il faudrait ajouter tous ceux qui ont combattu avant les épisodes de la Seconde Guerre de Trente Ans (1914-1945).

Si pour beaucoup encore, cette journée du 11 novembre fait surgir une mémoire authentique, involontaire selon le mot de Proust, c'est qu'affectivement nous sommes touchés par ces événements extraordinaires que furent les deux grandes guerres du XXe siècle, mais aussi de la monstruosité de tous les conflits industrialisés qui se déroulent présentement. C'est davantage une sensibilité au monde actuel qui efface progressivement l'opération idéologique menée par les autorités nationales en vue de s'auto-célébrer sur les dépouilles des disparus.

Car, en effet, pourquoi devrait-on se rappeler uniquement des soldats qui ont combattu durant les guerres mondiales sinon que pour rappeler qu’ils menèrent une guerre juste. Mais les Canadiens qui se battirent aux côtés des Français lors de la guerre de la Conquête, ne défendaient-ils pas eux aussi une guerre juste? Alors Wolfe et les conquérants anglais? Ne seraient-ils que des usurpateurs? Nous tenons là, peut-être, un cailloux agaçant dans la conscience historique du Canada anglais qui lui empêche de célébrer avec enthousiasme les guerres passées. À l’époque (fin du XVIIIe siècle), le concept de guerre juste n’existait pas et on reconnaissait aux différentes parties belligérantes des raisons acceptables de se faire la guerre. Voilà pourquoi Lévis fut si colérique lorsque les Anglais refusèrent les honneurs de la guerre à son régiment et qu’il brisa son épée et brûla ses drapeaux. Il en va de même de la résistance de 1776 aux envahisseurs américains et la guerre de 1812 qui était affaire entre le gouvernement britannique et le gouvernement américain. Plus gênant de penser que des Canadiens Français, enthousiastes, s’embarquèrent dans les trains pour aller faire la guerre à leurs parents métis de l’Ouest sous les ordres d’un officier britannique particulièrement imbécile, Middelton. C’était rejoindre Colborne pour faire goûter aux Bois-Brûlés la répression qu’ils avaient souffert en 1837. Dans la mesure où le Jour du Souvenir célèbre les vainqueurs de la guerre juste, l’intention idéologique de ces célébrations dépasse le devoir de mémoire. Le Memorial day américain, lui, célèbre aussi bien les vaincus sudistes que les vainqueurs nordistes. Il n’y a pas de guerres justes, il n’y a que des guerres d’intérêts. Telle est la triste vérité qu’il ne faut pas avouer.

On peut bien se promener dans le cimetière de Vimy en disant, «mon grand-père y était, voici sa tombe». Ceci ne relève pas tant de la «mémoire involontaire» qu'un souvenir fabriqué à l'intérieur d'un cadre qui ressemble davantage à du tourisme qu'à un pèlerinage. Quelques vieilles photos ne font pas un souvenir. C'est tout un baratin qui s'est greffé sur cette «mémoire volontaire» qui lui donne tantôt cette saveur, tantôt cette morgue. Le souvenir empiète ici sur la mémoire. Il y a du refoulé qui pèse la transgression que signifie toute guerre : l'interdit de l’homicide (“Mon Guillaume qui tue des hommes!” s’exclame la mère Plouffe à la fin du roman), du viol des femmes, du vol, des agressions en tous genres, du suicide, de la lâcheté, de l'ignoble. Le Jour du Souvenir n'est pas là pour nous rappeler ces transgressions. On s'en est aperçu lorsqu’un groupe de militants gays, venus porter une couronne au cénotaphe de Montréal le Jour du Souvenir en mémoire des combattants homosexuels (et peut-être aussi des triangles roses), a vu un nombre d'anciens combattants se rebiffer et déchirer la couronne.

Le Jour du Souvenir, c'est virtuellement l'idée que ces soldats n'ont pas tué, mais qu'ils ont été seulement les corps souffrants de l'agression ennemie. Que ces soldats n'ont pas violé de femmes, volés des objets, agressés des innocents; ne se sont pas suicidés par désespoir, n'ont pas tenté de déserter, n'ont pas été ignobles. Ils n’étaient que les combattants d’une guerre juste. Toutes ces méchancetés (on ne le dit pas depuis qu’ils sont redevenus nos alliés), étaient le fait des soldats ennemis : les soldats nazis ou nippons. S'il y a eu des moutons noirs dans nos armées, il y avait la police militaire et la cour martiale pour les juger. Le refoulement est aussitôt engagé. Non, ils n'existaient pas puisque nous nous souvenons seulement de héros défendant les causes justes de la démocratie et de la liberté. Autant dire les intérêts des gouvernants.

Ce double standard est commandé bien sûr par les États, les gouvernements, les autorités instituées qui ont déclenché la guerre et qui n'entendent pas qu'on remette en question les vrais motifs des justifications idéologiques claironnées. Nous n’avons pas, malheureusement, cet esprit auto-critique mordant que les Américains manifestent parfois. Je me souviens. Oui, nous avons des souvenirs. Ceux appris à l'école, au cinéma, dans la littérature ou à travers des célébrations publiques. Mais avons-nous de la mémoire? C'est bien autre chose. Individuellement, c'est incontestable. Collectivement? J'ai de sérieux doutes. Plus notre conscience historique se révèle vide des événements nationaux et sociaux, plus nous devons avoir à l'esprit que l'inconscient collectif travaille à refouler et à enfouir les traumas du passé. Notre conscience est essentiellement malheureuse et malgré le dynamisme positif de nos motivatologues, nous restons le cœur lourd devant ces souvenirs du passé, maquillages de non-dits par des on-dit.

Par exemple, ces victoires morales du P.Q. refoulant des défaites crève-cœurs. De toutes ces stratégies en vue de refouler les traumas plutôt que d'apprendre et de les surmonter, les nationalistes québécois sont devenus non plus ces courageux militants du référendum de 1980, mais des individus pour beaucoup toxiques, désagréables, mus par des ressentiments amers, cultivant l'anti-intellectualisme pour se donner un nouveau Duplessis qui ferait marcher la société à coups de triques comme dans le bon vieux temps, dont ils n’ont que des souvenirs et aucune mémoire. Moi, ce ne sont pas des souvenirs que j’ai de la lâcheté péquiste depuis les soirs où, dans le bunker à Québec, les ministres se faisaient livrer du poulet St-Hubert pendant qu’ils s’arrachaient leur chemise pour formuler une question alambiquée qui devait leur exploser dans la figure le 30 mai 1980. De cela, j’ai la mémoire

Montréal
11 novembre 2017
Commentaires
Lisette Tardif
Lisette Tardif Malgré le fait que vous soyez sans merci pour les péquistes, au sujet de l’hypocrisie du Jour du Souvenir, je suis d’accord avec vous.


Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Nous avons été longtemps charitable, mais comme Catilina, ils abusent de notre patience.
Frédéric Lapointe
Frédéric Lapointe Des non-dits par des on-dits.... ça me fait réfléchir.Et quand je pense au Québec, j'ai tout de suite l'impression d'avoir oublié quelque chose à son sujet. C'est vague, je ne sais pas quoi, mais quelque chose fait défaut... Sa littérature, son art, son histoire, sa politique, son savoir faire, ses agriculteurs, ses bûcherons ? Je ne sais pas trop. J'ai beau lire les auteurs d'ici ou regarder notre peinture, il y a toujours quelque chose que je saisis pas.
 
Michel Belisle
Michel Belisle "C'est tout un baratin qui s'est greffé sur cette «mémoire volontaire» qui lui donne tantôt cette saveur, tantôt cette morgue." quelle phrase, monsieur, quelle phrase !!

Jérôme Lefebvre
Jérôme Lefebvre Eh ben moi, le Sir Jean-Paul Coupal, eh ben je le connais personnellement ! J’suis d’la plèbe intellectuelle sur laquelle il a daigné posé son bienveillant regard. Michel, mais comment fait-il pour nous supporter ?! Serait-ce un saint qui aurait planqué son auréole sous ses cheveux filasses ? Un ange déchu ayant pour tâche de sauver les pauvres hères que nous sommes ? Ou un alien avide d’humains ignorants ?
Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Je ne parlais pas de la plèbe intellectuelle en parlant du PQ, mais bien de la plaie anti-intellectuelle qui se nourrit des quatrièmes couvertures... quand il y a un texte sur la quatrième de couverture. En effet, comment fais-je pour vous supporter? C'est insupportable! Je ne suis pas un saint élias, mais un déchu, sans doute. Mes cheveux filasses ne cachent que des pellicules... mais elles valent de l'or. C'est à peu près tout ce qu'on peut récolter quand on a la fièvre. En fait d'alien, j'aurais l'estomac trop délicat pour me nourrir de cette pauvre plèbe. :'(
Michel Belisle
Michel Belisle c'est peut-être juste qu'on est distrayants dans notre inculture ? (pourtant Jérôme a lu 5000 livres)
Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Des albums à colorier, comme pour tous les plébéiens.
Michel Belisle
Michel Belisle ça ainsi permis à mini-Pet de se hisser au rang de premier ministre, Jérôme sera le prochain
Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Le goujat! Il barbouille tous les livres à colorier de Mahlia.

Anne Klein
Anne Klein "nous restons le cœur lourd devant ces souvenirs du passé, maquillages de non-dits par des on-dit." magnifique! Et puis : http://www.bertrandcarriere.com/jubilee/Gérer
Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Merci Anne Klein, venant de ta part, cette référence n'en est que plus appréciée. :-*
Anne Klein
Anne Klein Ton texte, au complet (bon peut-être moins l'entrée en matière), est vraiment superbe. J'apprécie que tu apprécies et m'en vais de ce pas, ce soir que j'ai un peu de temps, lire ton commentaire sur Benjamin/Proust. 

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