JE ME SOUVIENS QUE NÉ SOUS LE LYS, J’AI GRANDI SOUS
LA ROSE
En 1883, Eugène-Étienne Taché, architecte et commissaire
des terres de la Couronne, fait graver dans la pierre de l’édifice du
Parlement, cette seule locution : Je me souviens, sous les
armoiries de la Province de
Québec qui se trouvent au-dessus de la porte de
l’entrée principale. Il faudra attendre 1939 pour que la locution soit associée
définitivement aux armoiries, et 1978 pour la voir inscrite sur les plaques
minéralogiques des véhicules du Québec. Armoiries et devises accompagnaient un
projet de 40 statues appelées à orner la façade de l’Hôtel du Parlement; des
héros du Régime Français, puis aussi quelques gouverneurs anglais
particulièrement sympathiques à la cause des Canadiens Français. En 1978, une
descendante de Taché, Hélène Pâque,t révèlait que le Je me souviens n'était que la
première strophe d’un poème de Taché :

Je me souviens
Que né sous le lys
Je crois sous la rose.
Paradoxalement, il semblerait que Taché l’ait conçu en
anglais :
I remember
That born under the lily
I grow under the rose
En fait, les deux dernières strophes seraient venues
beaucoup plus tard, dans un projet de monument avec scène allégorique
représentant la nation canadienne.
C’était une métaphore fréquente dans la rhétorique politique conservatrice de la fin du XIXe siècle que de lancer des Je me souviens à la fin de tous les banquets patriotiques. Thomas Chapais et Ernest Gagnon y ont été de leurs explications. Mais il appert que l’ensemble des trois vers est bien anachronique. Pourtant, comment se fait-il que nous la retrouvons dans un grand nombre de locutions rapportées par Jocelyn Létourneau dans son enquête menée depuis une décennie sur le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse?
Les résultats de cette longue enquête viennent de paraître chez Fides, dans un livre intitulé, précisément, Je me souviens?, avec un point d’interrogation ironique en prime. La première décennie du siècle, celle où
l’enquête a été menée auprès de jeunes de 4e secondaire et de 5e
secondaire, du Cégep et de l’Université répartis (plus ou moins équitablement)
dans l’ensemble des institutions d’enseignement du Québec, est aussi celle qui
a vécu la crise qui a accompagné la réforme de 2007, au moment où le cours
d’Histoire du Québec et du Canada a été remplacé par le cours d’Histoire et
d’éducation à la citoyenneté. J’ai discuté, ailleurs, dans un article élaboré,
la nature et la complexité du conflit qui agita alors l’enseignement de
l’histoire au Québec, je n’y reviendrai donc pas. Je m’en tiendrai aux résultats de l’étude de
Létourneau.
L’auteur est fier de la couverture de son bouquin qui reproduit une caricature joyeuse de Garnotte, montrant une sorte de professeur Lauzon (ses traits faciaux sont assez ressemblants) faisant passer à un étudiant à la
tronche malicieuse la révision au tableau noir des noms :
Jacques Cartier, Jean Talon, Louis-H. Lafontaine, René Lévesque et les
Patriotes. Le Cary Price de la classe (il porte un chandail du Canadien avec une
casquette la palette en arrière) répond : «Un pont, un marché, un hôpital,
un boulevard, pis, euh ! un club de football». Un club de football
…américain. Puis, la baguette du professeur indique la formule soulignée Cours
d’histoire citoyenne. Létourneau aurait dû prendre plus de temps pour
analyser la caricature de Garnotte. Celle-ci est nettement dépréciative de la
réforme de 2007 pilotée alors par le gouvernement libéral de Jean Charest. Le
drapeau du Canada placé à côté de l’indispensable pomme renforce le sens de la
caricature. Or, les élèves ou étudiants qui ont répondu à l’enquête de
Létourneau sortent, pour la grande majorité, de l’ancien programme qui portait
la traditionnelle historicité québécoise issue des générations cléricales et
nationales antérieures. Voilà pourquoi Létourneau doit distinguer les résultats
cueillis avant et après la Réforme. Reconnaissons, en bout de ligne, que les
résultats ne seront guère différents d’une génération à l’autre.
Jocelyn Létourneau aime parler de la conscience historique. Il est probablement l’un des seuls chercheurs universitaires à vraiment enquêter sur cette conscience, mais il ne le fait pas gratuitement. Je veux dire par là, qu’il lutte dans un conflit qui l’oppose à la plupart des historiens québécois qui, du nationalitaire passent indistinctement au nationalisme. En lui se reproduit la vieille opposition entre les universitaires de Laval et ceux de Montréal; entre l’abbé Maheux et le chanoine Groulx. Il s’en prend parfois violemment aux
historiens nationalistes campés aux
universités montréalaises pour l’abus de «militance» qu’ils déploient dans
leurs travaux. Éric Bédard est sa bête noire. Et cela revient constamment dans
les conclusions qu’il tire de ses résultats. Cela ne veut pas dire que Je me
souviens? est un livre tendancieux, du moins, il ne l’est pas
davantage que les bouquins de ses «adversaires». Comme Maheux autrefois devant
Groulx, il a peu de cordes à son arc pour asseoir une vision alternative à
l’historicité basée sur l’identité nationale, et comme les cours
d’Histoire du Québec ont toujours été porteurs d’intentions politiques – ce qui
est universellement le cas -, le cours d’Histoire du Québec est d’abord un
cours sur l’histoire de la nation québécoise. Et toutes les conséquences,
les jugements, les appréciations qui ressortent des réponses des participants à
l’enquête nous ramènent à cet état que Létourneau voudrait voir modifier, mais
sans savoir précisément comment.
Quelle définition Létourneau donne-t-il de la conscience historique et en quoi celle-ci innove-t-elle? L’historien écrit, en page 13 : «Marginal dans la pensée française actuelle, mais toujours central dans la tradition intellectuelle allemande, le concept de conscience historique peut être défini, simplement, comme ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réfléchie de ce qui fut, sorte d’intellection ou de conceptualisation plus ou moins élaborée d’informations premières ou d’expériences brutes touchant le passé, informations et expériences dès lors portées à un niveau secondaire d’assimilation et d’appropriation. Précisons que, tout en entretenant avec elle une relation dynamique constante, la conscience historique n’est pas réductible à la mémoire historique : l’une et
l’autre doivent être distinguées». Avant d’aller plus loin, je dirai que
cette définition ampoulée, pleine de circon-locutions, n’est rien de plus que la
représentation (mentale collective) sur laquelle je travaille depuis
plus de trente ans. Et pour le fond, celle donnée par Raymond Aron dans Dimensions
de la conscience historique, qui veut que «chaque collectivité [ait] une conscience historique, je veux dire une idée de ce que signifient pour elle humanité, civilisation, nation, le passé et l'avenir, les changements auxquels sont soumises à travers le temps les œuvres et les cités» (R. Aron. Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1964, p. 95). Il est vrai que Aron était l’héritier des néo-kantiens allemands, les Dilthey et les Rickert. Mais Létourneau n’apporte rien de neuf à la fonction de cette conscience, saisie entre Psyché et Sociuus : «La conscience du
passé est constitutive de l’existence historique. L’homme n’a vraiment un passé
que s’il a conscience d’en avoir un, car seule cette conscience introduit la
possibilité du dialogue et du choix. Autrement, les individus et les sociétés
portent en eux un passé qu’ils ignorent, qu’ils subissent passivement… Tant
qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils furent, ils
n’accèdent pas à la dimension propre de l’histoire» (R. Aron. Ibid. p. 5).
Ce qui est nouveau, c’est que M. Létourneau tient à distinguer la conscience de la mémoire historique. «La
mémoire historique découle de ce qu’un individu a vécu ou de ce qui lui a été
transmis et qui, formant une espèce de bagage informatif primaire, habite ou
garnit le fond de son esprit. En pratique, la mémoire historique est constituée
de savoirs entassés, vaguement organisés et faiblement fécondés par la pensée
réflexive [la pensée
historique ou historienne]» (J. Létourneau. Je me souviens?, Montréal, Fides, 2014, p. 13). Il est
pénible de voir que le travail que l’on fait est mis de côté par paresse ou par
ignorance afin de se nourrir d’articles publiés en anglais et qui n’apportent
plus souvent qu’autrement que la réinvention de l’eau tiède! Ce refus de
reconnaître que nous pouvons, nous Québécois, parvenir par nous-mêmes à
contribuer à la pensée théorique aussi bien qu’à une compréhension pratique du
monde qui soit objective, fait de l’historien l’équivalent du cordonnier. C’est
la conscience malheureuse qui
fait son propre malheur, ce qui ressort le plus lorsque la mémoire historique
s’est cristallisée en conscience historique.
C’était une métaphore fréquente dans la rhétorique politique conservatrice de la fin du XIXe siècle que de lancer des Je me souviens à la fin de tous les banquets patriotiques. Thomas Chapais et Ernest Gagnon y ont été de leurs explications. Mais il appert que l’ensemble des trois vers est bien anachronique. Pourtant, comment se fait-il que nous la retrouvons dans un grand nombre de locutions rapportées par Jocelyn Létourneau dans son enquête menée depuis une décennie sur le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse?
Les résultats de cette longue enquête viennent de paraître chez Fides, dans un livre intitulé, précisément, Je me souviens?, avec un point d’interrogation ironique en prime. La première décennie du siècle, celle où

L’auteur est fier de la couverture de son bouquin qui reproduit une caricature joyeuse de Garnotte, montrant une sorte de professeur Lauzon (ses traits faciaux sont assez ressemblants) faisant passer à un étudiant à la

Jocelyn Létourneau aime parler de la conscience historique. Il est probablement l’un des seuls chercheurs universitaires à vraiment enquêter sur cette conscience, mais il ne le fait pas gratuitement. Je veux dire par là, qu’il lutte dans un conflit qui l’oppose à la plupart des historiens québécois qui, du nationalitaire passent indistinctement au nationalisme. En lui se reproduit la vieille opposition entre les universitaires de Laval et ceux de Montréal; entre l’abbé Maheux et le chanoine Groulx. Il s’en prend parfois violemment aux

Quelle définition Létourneau donne-t-il de la conscience historique et en quoi celle-ci innove-t-elle? L’historien écrit, en page 13 : «Marginal dans la pensée française actuelle, mais toujours central dans la tradition intellectuelle allemande, le concept de conscience historique peut être défini, simplement, comme ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réfléchie de ce qui fut, sorte d’intellection ou de conceptualisation plus ou moins élaborée d’informations premières ou d’expériences brutes touchant le passé, informations et expériences dès lors portées à un niveau secondaire d’assimilation et d’appropriation. Précisons que, tout en entretenant avec elle une relation dynamique constante, la conscience historique n’est pas réductible à la mémoire historique : l’une et

Ce qui est nouveau, c’est que M. Létourneau tient à distinguer la conscience de la mémoire historique. «La

«Ainsi, le jeune qui synthétise l’expérience québécoise par l’expression “On s’est fait avoir!” – et la formule revient souvent – admet implicitement qu’il appartient à une société ou à un groupe floué dans l’histoire et qui pour cette raison n’a pu accomplir sa destinée. Savoir comment la duperie s’est effectuée d’hier à aujourd’hui constitue une question secondaire par rapport à l’idée même de tromperie qui traverse comme un leitmotiv – sorte de programme de pensée ou de matrice à penser – toute la vision qu’il a du passé du Québec. Il en est de même de formules comme “La survie d’un peuple”, “Conquête” ou “Les français ont perdu”, toutes porteuses d’interprétations puissantes et souvent univoques de l’expérience québécoise. Dans ces trois phrases (représentatives de beaucoup d’autres), on ne saurait minimiser l’importance des visions du passé sur les données positives de l’histoire, celles-ci étant en quelque sorte appelées par celles-là qui les déterminent. Inutile de dire que le constat s’applique aux anglophones comme aux francophones, lesquels n’ont pas le monopole des conceptions simples ou simplistes du passé québécois» (J. Létourneau. Ibid. p. 17).
Avant donc que les résultats de l’enquête soient connus, Létourneau nous donne à penser ce qui constitue principalement la conscience historique des jeunes Québécois. Ces jeunes vivent, surtout en 5e secondaire, une conscience historique malheureuse parce qu’ils prennent de plus en plus faits et actes, en vieillissant, que leur histoire est une histoire négative. Et pour l’enquêteur, ceci relève de la représentation mentale de


En effet, cette variable psychologique est quasi-absente des considérations que Létourneau tire des déclarations des élèves de 5e secondaire. «Le tableau 5 rend compte, chez les élèves de 5e secondaire fréquentant des établissements francophones (on parle ici de 635 répondants), de la distribution des énoncés par genre de vision du passé. Une réalité saute immédiatement aux yeux : près de la moitié


Au mieux, y entre-t-il, mais sur la pointe des pieds : «-passer en 5e secondaire semble coïncider avec la transformation du régime énonciatif des jeunes, qui sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant à employer des phrases malheureuses ou victimales, y compris des phrases militantes, pour exposer la condition québécoise dans le temps. Comment expliquer cette situation? À partir de l’enquête menée,


Comment? La conscience historique ne s’abreuve pas uniquement à la source scolaire et M. Létourneau le reconnaît. S’il identifie les vecteurs de ces visions exogènes - les familles, les amis, les proches -, jusqu’à tenir compte des nouveaux moyens de communication électronique (le Web), il ne s’aventure pas à nous rappeler


Ceci contribue fortement à faire évoluer le contenu positif de l’histoire du Québec des jeunes de 4e secondaire à une conscience malheureuse chez les jeunes de 5e secondaire. Cette évolution ne repose donc pas uniquement sur le développement, la maturité et la militance du jeune. Cela repose également sur les

tructibilité, de porter avec soi le sens de la Justice et de la Civilisation. Tout ça était mythique, mais nous croyions en tout cela, car ce sont non pas nos valeurs québécoises, mais nos valeurs occidentales qui triomphaient de la sauvagerie. Au lieu de cela, on nous enseignait des histoires malheureuses à fendre l’âme de Dollard des Ormeaux, du marquis de Montcalm, des Patriotes de 37-38 et de Louis Riel! Du coup, les vainqueurs – Madeleine de Verchères, d’Iberville, Lévis, Salaberry, et du 22e Régiment – disparaissent. Les héros québécois étaient mesurés à l’aulne des John Wayne ou des Burt Lancaster! Du coup, ils nous apparaissaient inférieurs. La torpille venait de frapper sous la ligne de flottaison de notre conscience heureuse de la vie.
Ce n’est pas tout. Certains élèves, dans l’enquête de Jocelyn Létourneau, ont l’impression que l’histoire du Québec est une histoire cyclique, et cette perception s’installe dès le 4e secondaire : c’est un «éternel recommencement», «nous refesons les mêmes erreurs similaire», «Peuple cerné dans une roue qui tourne», reprend un étudiant universitaire. C’est tout le contraire de la philosophie de l’histoire des États-Unis qui est le


Il est certain que la maturité des élèves coïncide avec cette surconsommation de bourrage de crâne idéologique américain. Si les films portant sur l’histoire de l’Angleterre ou de la France font encore rêver de châteaux en Espagne, c’est de la culture américaine dont s’abreuvent essentiellement les élèves/étudiants, et celle-ci leur offre le côté réussi d’une histoire nationale. On comprend mieux la réflexion de cet élève qui écrit : «Je me souviens d’être né sous le lys, d’avoir grandi sous la rose et de ne pas avoir atteint la maturité» (Cité in ibid. p. 110). La conscience malheureuse se dédouble entre la crise d’adolescence et l’incapacité du peuple à se donner les instruments pour gérer sa propre croissance et sa propre auto-détermination.
L’impossible maturité de l’élève se reflète dans celle de la nation lorsqu’on lit ce qu’un autre écrit : «Québec : je me souviens… Le sentiment d’avoir été une colonie faible, minoritaire, fragile et abandonné.


Une des réponses est à ce titre assez pathétique : «Un Québécois francophone et fédéraliste, sa l’existe et c’est très triste» (cité in ibid. p. 86). L’élève/étudiant conçoit ainsi une amertume envers son peuple, envers son histoire et entretient par le fait même une haine de soi, puisqu’il lit son propre développement personnel à travers celui de son peuple. Par le fait même, son combat personnel finit par prendre toute la place, et tous


Et, paradoxalement, nous ignorons que les Canadiens Anglais ont également cheminé vers cette même

Voilà pourquoi, lorsque nous considérons les mythistoires américains achevés sur un happy end, nous considérons tristes les mythistoires québécois qui s’achèvent dans le sang, à la prison ou dans la solitude. Il est vrai que dès qu’on se détourne des produits offerts aux blockbusters, il y a un cinéma américain de la misère des bas-fonds où la contre-culture s’épanouit. À la surface même, on peut regarder les films de


Dans l’indifférence, qui se généralisera avec la vie, déjà des élèves/étudiants ne se tracassent pas avec l’inconscient collectif : «Si, pour certains, “l’histoire est au cœur


Ce point est assez tangible lorsque Létourneau aborde la situation des élèves/étudiants issus de l’immigration.
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Létourneau tient à le souligner : «Par rapport aux “non-réformés”, il est vrai de dire que l’on trouve en proportion, chez les “réformés”, un peu plus de jeunes qui associent l’expérience québécoise aux thèmes de la diversité culturelle. Cela dit, ces thématiques demeurent nettement minoritaires. Lorsqu’elles surgissent, elles sont souvent le fait de jeunes néo-Québécois. Les phrases “Multiculturation”, “L’ouverture à plusieurs différentes cultures et religion”, “Vive la multiethnicité” et “Amérindiens + Français + fourrure + évolution + immigration = Québec”, par exemple, viennent

Voilà pourquoi le nœud du récit national qui structure l’unité d’intrigue de l’histoire du Québec pose problème en termes d’intégration des nouveaux arrivants. On ne peut faire des Québécois instantanés à partir de la poudre d’histoire. C’est l’occasion pour Létourneau de considérer le récit traditionnel comme inapte à opérer


Ne nous cachons pas que Létourneau entend ici mettre K.O. l’Histoire du Québec pour les nuls d’Éric Bédard. Comme il le reconnaît dans une note, s’il existe des récits alternatifs de l’histoire du Québec – ceux de Little et Gossage, de Baillargeon, de Young et Dickenson et …Létourneau – ce qu’ils proposent est de peu de poids sur la masse des Québécois qui se sont nourris au gré du grand roman (familial) national –


«On dit que les hommes
vivent par les métaphores. Il semble que ces procédés de langage, aussi
utilisés comme figures rhétoriques, constituent de puissants mécanismes de
captation, de compréhension, d’ordonnancement, d’interprétation et de
restitution de l’expérience vécue et perçue. Dit autrement, c’est par la
production ou l’emprunt de métaphores, notamment, que l’être humain s’empare de
la complexité du monde et lui donne un sens fort, pratique et synthétique qui
sert à la régulation de sa vie ordinaire. Bien sûr, la métaphore n’est pas une
fin en soi; c’est même une erreur de la “déguster comme une intelligibilité
toute faite”. Il faut au contraire la considérer comme une idée de base, pivot
d’un processus d’élémentation du savoir, à partir de laquelle ou grâce à
laquelle des idées plus complexes peuvent être élaborées».
Admettons cette thèse dont on tirera une implication immédiate par l’énoncé d’une proposition conséquente : si les métaphores sont essentielles à la préhension par l’être humain du monde dans lequel il vit, c’est dire que de nouvelles métaphores pourraient faire “revivre” les hommes et leur ouvrir de nouveaux continents de compréhension, y compris à propos d’eux-mêmes. Suivant cette affirmation, produire de nouvelles métaphores serait un moyen d’offrir aux êtres humains et aux sociétés de nouvelles possibilités de compréhension et de retraduction de leur condition historique. De ce raisonnement découle un défi auquel les enseignants, les didacticiens et les historiens paraissent ensemble confrontés : celui de forger une nouvelle idée phare – sorte de métaphore percutante, pertinente et concordante avec la complexité du passé – pour saisir et représenter l’expérience québécoise en vue de la délivrer de ses oripeaux défraîchis» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-236).
Admettons cette thèse dont on tirera une implication immédiate par l’énoncé d’une proposition conséquente : si les métaphores sont essentielles à la préhension par l’être humain du monde dans lequel il vit, c’est dire que de nouvelles métaphores pourraient faire “revivre” les hommes et leur ouvrir de nouveaux continents de compréhension, y compris à propos d’eux-mêmes. Suivant cette affirmation, produire de nouvelles métaphores serait un moyen d’offrir aux êtres humains et aux sociétés de nouvelles possibilités de compréhension et de retraduction de leur condition historique. De ce raisonnement découle un défi auquel les enseignants, les didacticiens et les historiens paraissent ensemble confrontés : celui de forger une nouvelle idée phare – sorte de métaphore percutante, pertinente et concordante avec la complexité du passé – pour saisir et représenter l’expérience québécoise en vue de la délivrer de ses oripeaux défraîchis» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-236).
Nous ne sortons pas de la problématique
posée par le mythistoire en lui substituant la métaphore! Disons-le. Abolir le
mythistoire de l’identité nationale pour la métaphore d’une société de
contacts; c’est-à-dire une histoire de métissages successifs depuis les
premiers contacts entre colons français et autochtones, puis avec les
Britanniques au moment de la Conquête, et les différents groupes ethniques venus après :
Irlandais, Écossais, Italiens, Haïtiens, Maghrébins,
Vietnamiens, etc., pour faire ici ce qui avait été fait avant ou ailleurs, en Amérique ibérique comme aux
États-Unis, mais de manières différentes. C’est l’histoire du Nous «inclusif»
de Pauline Marois! «Le Québec comme société de contacts – en assumant tout
ce que ces contacts peuvent avoir eu (et ont toujours) d’avantageux et de
fâcheux, de positif et de négatif, de conciliant et d’heurtant, de structurant
et d’affligeant, de libérateur et d’assujettissant -; voilà une idée-force qui
pourrait (peut-être) permettre au Québec de passer à l’avenir [c’était le titre d’un autre livre de
Létourneau] sans nier ce qui l’a fait tout en rehaussant ce qui le fera» (J. Létourneau. Ibid, p. 236). L’enjeu du livre interpelle le
lecteur à choisir entre deux systèmes idéologiques clairement identifiés. Mais
comme l’histoire de l’avenir n’a pas encore été écrite, il est difficile d’en
tirer une alternative pratique.
Dans sa Philosophie de l’Histoire, le jeune Michelet disait de la France qu’elle
était un lieu de contact sur le continent européen où toutes les migrations de
peuples avaient fini par aboutir. Contrairement à ses successeurs réactionnaires,
Michelet voyait justement la France comme une creuset où se formait la nation française, une société de contacts, une situation à laquelle aucun autre pays
européen ne pouvait se comparer. Tout cela n’effaça pas la conscience
historique malheureuse des Français de se retrouver toujours en perpétuelles
guerres civiles.
La conscience malheureuse de l’Histoire n’est pas spécifiquement québécoise et la solution de Létourneau consiste à échanger 4 trente sous pour une piastre! Tous les peuples ont des historiens qui leur rappellent leur mauvaise conscience. Lorsque Howard Zinn publie une Histoire populaire des États-Unis, n’est-ce pas à cette mauvaise conscience fortement refoulée qu’il en appelle? Lorsqu'il passe en revue tous ceux qui ont été les laissés pour compte du rêve américain : Amérindiens, Noirs femmes, immigrants, esclaves, ouvriers, gays… la tonitruante histoire
américaine ne découvre-t-elle pas son lot de culpabilités morales et, inquiétés par le vieux sentiment
judéo-protestant du châtiment, les Américains ne savent-ils plus s’ils doivent regarder comme un
signe d’élection ou de damnation le fait, qu’à leur tour, ils imposent (et à
quels prix!) la pax americana à
l’ensemble du monde? Nos «victoires morales» ne peuvent effacer nos défaites
historiques, et qu’importe l’idée force (mythe identitaire ou métaphore de
contacts), notre conscience part avant tout de ce que von Ranke appelait wie es eigentlich
gewesen, ce qui s’est
réellement passé. Et continue de se passer présentement. L’historiographie moderne est née avec les concepts de
nation, d’État, de cultures et si la mondialisation doit changer tout cela, la société
de contacts ne sera pas
québécoise mais universelle, car ce n’est que là qu’elle peut imposer son
paradigme de mythistoire du futur. En attendant, nous vivons encore dans des
sociétés nationales, dominées par des institutions d’État et dont la culture
est la célébration de son identité collective. Libre à M. Létourneau d’y croire
ou pas⌛


La conscience malheureuse de l’Histoire n’est pas spécifiquement québécoise et la solution de Létourneau consiste à échanger 4 trente sous pour une piastre! Tous les peuples ont des historiens qui leur rappellent leur mauvaise conscience. Lorsque Howard Zinn publie une Histoire populaire des États-Unis, n’est-ce pas à cette mauvaise conscience fortement refoulée qu’il en appelle? Lorsqu'il passe en revue tous ceux qui ont été les laissés pour compte du rêve américain : Amérindiens, Noirs femmes, immigrants, esclaves, ouvriers, gays… la tonitruante histoire

Montréal
26 février 2014
Moi aussi je préférais l’histoire américaine même si je n’avais pas encore visité ces lieux. Est-ce possible aussi que la variable « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin » ait joué ?
RépondreSupprimerJ’aime beaucoup ton envolée pour la finale, c’est du grand Coupal.
Bien sûr, chère Rainette que l'herbe est toujours plus verte chez le voisin, ce n'est pas à une grenouille que j'apprendrai ça! Il est vrai que pour l'envolée finale, j'étais monté sur un tabouret.
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