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Journal La Croix, 4 décembre 2017. |
MES DIX FILMS... AVEC UN SUPPLÉMENT DE TROIS
1. LÉOLO
de Jean-Claude Lauzon
Mes 10 films. (1/10) LÉOLO du regretté Jean-Claude Lauzon. Ce
film, houspillé par le public québécois est considéré par le
magazine Time parmi les 100 meilleurs films de tous les temps! Ce
qu'on garde bien de se vanter tellement on l'a détesté parce qu'il
donnait une image véridique de ce que nous sommes.
Que raconte Léolo? Une enfance québécoise entre la contrainte éprouvante de la réalité et les aspirations qui ne peuvent se réaliser que dans les rêves. Une famille québécoise qui finit à l'institut
psychiatrique, le personnage éponyme dans un bain de
glace parce que son esprit a surchauffé à force de rêves
d'Italie, de soleil, de chaleur, de paysages siciliens et
...d'amour. Lauzon, c'est notre Jean Vigo et on ne peut regarder ses
deux films (Un Zoo la nuit et Léolo) sans
penser aux deux films de Vigo (Zéro de conduite et L'Atalante). Leur mort prématuré à tous deux scelle
une œuvre essentiellement anarchiste dont on ne sait ce qu'elle
serait devenue s'ils avaient vécu. Lauzon ne voulait plus faire de
film. Il s'était entiché d'une starlette et vivait de publicités
qui rapportent plus que le cinéma. Lauzon, comme Vigo, est peut-être mort
juste à temps tant il avait tout dit ce qu'il avait à dire.
Que raconte Léolo? Une enfance québécoise entre la contrainte éprouvante de la réalité et les aspirations qui ne peuvent se réaliser que dans les rêves. Une famille québécoise qui finit à l'institut

Lauzon a su éviter le ton mélodramatique traditionnel. Il a préféré la poésie la plus brute, le cinéma


Dans cet univers sordide, l'obsession de la merde agit comme un poids qu'un suicidé par noyade


La photographie de Guy Dufaux joue admirablement sur le contrapposto baroque entre le mât terne de la réalité et la luminosité du rêve. La musique de Richard Grégoire est inoubliable. Et cette phrase de Ducharme qui relance sans cesse le film : "Parce que moi je rêve, moi je ne le suis pas..."
2. TO KILL A MOCKINGBIRD
de Robert Mulligan
Mes 10 films (2/10) TO KILL A MOCKINGBIRD, film de 1962 de Robert
Mulligan d'après le roman de Harper Lee, roman qui vient d'être mis
à l'index dans certaines écoles parce qu'on y parle de la ségrégation
d'avant les lois de l'époque Kennedy.


To kill a mockingbird raconte l'histoire d'Atticus Finch, un avocat d'une petite ville sudiste qui élève seul son
garçonnet et sa fillette, Scout. Il est engagé pour se porter à la
défense d'un Noir qu'on accuse du viol d'une femme blanche. Dans
cette petite communauté raciste, les Blancs assistent au
procès sur
le parquet et les Noirs dans la mezzanine. Au tribunal, tout le monde
se connaît, le juge, les avocats et les témoins. La victime ment
pour protéger son mari. L'iniquité du procès est criante.
Entretemps, des Klansmen essaient d'intimider Atticus qui résiste
pacifiquement à leurs menaces. Condamné, le Noir est ramené en
prison, Atticus demandera révision du procès, le prisonnier est tué
en cellule. Ce film, qui a mérité des Oscars, a servi à
conscientiser le public américain à la cause des inégalités
raciales au moment où les mouvements afro-américains se
développaient sous la direction d'esprits aussi divers que Martin
Luther King et Malcolm X.


damnation, alors
que les Blancs ont évacué la salle du tribunal et qu'Atticus, après
avoir rangé ses documents, s'engage à sortir à son tour, les
Noirs dans la mezzanine lui font la haie d'honneur. Scout,
déçue pour son père, assise parmi eux, se fait dire par un vieil homme. "Levez-vous,
mademoiselle, votre père va passer".
Là où des films comme Mississippi Burning exploitent
la vulgarité et la violence raciale du milieu sudiste, Mulligan porte un
regard réservé, distant. Bien sûr, le Noir est innocent et
Atticus
ne tarde pas à le démontrer à travers les contradic-

tions de la
victime. La justice est de son côté, mais ce consensus
dé-
mocratique, qui effrayait tant Tocqueville, est là pour maintenir
le mensonge et sauver la face. C'est ce que nous découvrons à
travers les yeux de Scout. L'illusion de la bonté naturelle du monde
qui apparaît dans les premières scènes, s'évapore au fur et à
mesure que le procès avance. On prend ses distances devant Atticus.
La cavalerie ne viendra pas, en dernier, délivrer l'innocent; elle
le tuera plutôt. Rien de plus.
3. LA BELLE ET LA BÊTE
de Jean Cocteau
Mes 10 films (3/10) LA BELLE ET LA BÊTE. Bien sûr, pas le navet
de Disney, mais l'authentique, le seul film artistique à porter ce
titre. Celui de Jean Cocteau (1946), Tourné à la fin de la guerre,
ce film, comme Les visiteurs du soir de Marcel Carné (1942),
est une consolation pour les Français qui ont souffert la période
de l'Occupation. Dans l'un comme dans l'autre, on retrouve la magie
là et le rêve ici comme compensations aux malheurs du temps.
Inspiré d'une pièce de théâtre tiré d'un conte pour enfant,
le film de Cocteau commence comme une simple histoire où Belle
(surnommée La belle, Josette Day) est courtisée par un ami de son
frère,
Avenant, un jeune homme beau et très entre-

prenant. On y
retrouve deux soeurs aînées méchantes qui maltraitent Belle, ce
qui donne au départ un air de Cendrillon. Puis, l'intrigue prend une
tournure différente. Obligé de partir en voyage, le père, veuf,
promet d'apporter une rose blanche à Belle. S'égarant en forêt, il
arrive à un château et cueille la rose qu'il offrira à sa fille.
Mais le châtelain le surprend sur les entrefaites. C'est un homme doué
d'un visage si laid qu'on le surnomme la Bête. Il est puissant et
doté de pouvoirs magiques. Il condamne le père à mort pour avoir
dérobé une fleur sur son domaine, mais la peine sera suspendue s'il
lui donne une de ses filles. C'est Belle qui se portera
volontairement auprès de la Bête afin de sauver son père.

tement surréaliste où
des bras sortent des murs en portant des flambeaux, éclairant le
chemin que suit Belle jusqu'au pied de l'escalier au haut duquel se
présente la Bête. Belle s'évanouit de frayeur. La belle et la bête
vivent ensemble, apprennent à se connaître dans un rapport où
délicatesse et compassion révèlent derrière les masques (beauté
et laideur) une âme pure et généreuse. Lorsque la Bête constate
que Belle est mélancolique, elle lui exprime l'ennui de ne pas voir
sa famille; la Bête l'autorise alors à la quitter mais pour un jour
seulement, car si elle ne revenait pas, elle en mourrait. Belle se rend
dans sa famille, Avenant relance ses avances qu'elle écarte et
décide de la
suivre lorsqu'elle s'aperçoit que cela fait plus d'un
journée qu'elle est partie et qu'elle a promis à la Bête de revenir
avant la tombée de la nuit.

Elle revient au moment où la Bête agonise. Avenant, qui essaie
de pénétrer à l'intérieur du château est frappé d'une flèche mortelle et
lorsque la Belle déclare son amour à la Bête, la transformation se
produit : la Bête, en mourant, libère le prince qui prend le visage
d'Avenant, un beau prince condamné par une fée qui lui avait jadis jeté
un sort parce que ses parents ne croyaient pas à l'existence des
fées.
Histoire simpliste, comme le sont les contes pour enfant, mais
sublimée par l'onirisme du poète; entre
le monde bourgeois de la
famille, la forêt quasi impéné-

trable, puis le château de
l'au-delà, la magie et le rêve opèrent un conte qui n'est plus du
tout pour enfant. On oublie vite la leçon morale du film pour entrer
dans l'atmosphère, le huis clos entre deux personnages où Jean
Marais, icône de l'époque, joue les trois personnages masculins
d'Avenant, de la Bête et du Prince. Bien avant un épisode célèbre
de Twilight Zone, Cocteau nous dit que la beauté réside d'abord
dans les yeux de qui regarde et sait dépasser les apparences. Après
avoir vu tant de laideurs depuis trente ans (deux guerres mondiales
et des guerres civiles meurtrières), ce qui a permis
aux humains de
survivre, c'est qu'ils pouvaient trouver dans le rêve l'espoir et la
force qui leur feraient retrouver la beauté du monde. L'amour triomphe du mal
et de la laideur, comme dans les Visiteurs du Soir : là
où les cœurs continuaient à battre dans les corps statufiés de
Gilles et Anne, victimes de la malédiction du diable, la Belle et le
prince peuvent désormais vivre leur amour librement. Le diable est
mort et le masque de la Bête tombée, la famille est réunie. Les
dernières répliques sont à l'image du film :
La Belle :
- Vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu autrefois…
Le Prince :
- Cela vous gêne-t-il ?
La Belle (pensive)
- Oui… (puis avec un visage radieux) Non !

La Belle :
- Vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu autrefois…
Le Prince :
- Cela vous gêne-t-il ?
La Belle (pensive)
- Oui… (puis avec un visage radieux) Non !
4. SALÒ OU LES CENT-VINGT JOURNÉES DE SODOME
de Pier-Paolo Pasolini
Mes 10 films (4/10). SALÒ OU LES CENT-VINGT JOURNÉES DE SODOME de Pier-Paolo
Pasolini (1975). Il est incontestable que le plus grand film poétique
de Pasolini demeure Théoréma, mais son film posthume,
dans lequel il transpose le roman du marquis de Sade dans la
République sociale de Salò est le procès le plus virulent jamais
tenu par le cinéma envers le capitalisme et à sa force débilitante de
l'esprit humain.
Dans la République de Salò, sur les bords du Lac de Garde dans
le nord de l'Italie occupé par les nazis, s'annonce la débâcle du
fascisme. Mussolini y rassemble ses amis afin de faire un
gouvernement fantoche alors que les Allemands se livrent à de
sanglantes représailles. C'est le cadre
politique du film. Dans le
château de Marzabotto, quatre notables qui représentent l'élite de
la société bourgeoise - le Duc, l'Évêque, le Juge et le Président
(la noblesse terrienne, le clergé, la Justice et le pouvoir
politique) - se rassemblent afin de vivre dans la débauche la plus
extrême. Chacun de ces quatre notables a épousé la fille d'un
autre. Des miliciens à leur service se rendent dans une petite ville
pour y rafler des adolescents des deux sexes à condition que leurs
corps soient d'une parfaite beauté. Avertis comme à l'entrée de
l'Enfer de Dante, ils sont invités à abandonner tout espoir. Une
loi perverse établie interdit le sexe qui se recouvrirait d'amour.
La religion y est strictement interdite.

Le film se déroule en quatre tableaux : le Vestibule de l'enfer
où Pasolini nous introduit à ce qui s'en vient; le cercle des
passions, où les notables violent les adolescent(e)s; le cercle de
la merde, où l'on assiste à un festin coprophagique, enfin le
cercle du sang qui applique les tortures aux victimes qui ont désobéi
d'une manière ou d'une autre à la loi..
Film sorti après l'assassinat de son réalisateur, Salò a été
souvent interdit par la censure. Ce film est d'abord un manifeste
contre la démocratie bourgeoise qui n'est rien de plus qu'une pornocratie.
Comme dans l'ancien satanisme ou dans les
cercles sado-masochistes, les membres s'engagent par contrat à
assumer leurs passions jusqu'à l'exter-

mination de l'objet de leurs
coupables désirs. Pour s'exciter, ils emmènent avec eux quatre
historiennes dont le but est de raconter des épisodes salaces de
leur vie de prostituées. Aucune pénétration vaginale n'est
tolérée, seule la sodomie est le mode de défoulement sexuel.
Contrairement à Sade, chez qui Pasolini a repris le thème des
quatre notables, allégorie de la société, pas de sophistique. Seulement
l'expression de la brutalité. Tout est dit dès le premier cercle,
lorsque le film
s'ouvre avec cette réplique : «Nous fascistes, nous
sommes les véritables anarchistes… une fois que l'on s'est emparé
du pouvoir bien sûr… " L'énoncé de l'anti-sacralité du
contrat est même donné en français dans la version originale
italienne :"À l'ombre des jeunes filles en fleur, elles ne vont pas
croire leur malheur. Elles écoutent la radio, elles boivent du thé.
Au degré zéro de la liberté, elles ne savent pas que la
bourgeoisie n'a jamais hésité même à tuer ses fils"

Tout le reste du film est une démonstration de ce postulat de
base. Salò est une mise en scène du concept de Michel Foucault, la
"technique politique des corps". Et des esprits. Les
victimes elles-mêmes participent à leurs tourments. Le prisonnier
désobéissant au pacte, surpris par les quatre notables à faire
l'amour avec une servante, a été trahi par l'un des siens. Il se
lève et brandit le poing des résistants communistes. Ils seront
abattus tous les deux. La ligne de démarcation morale est franchie,
la bourgeoisie n'hésite pas à tuer ses fils.
Dans ce climat obsidional, la régression mentale bourgeoise
ramène ces puissants à un psychisme d'enfant, de ces enfants dont
Freud restait épouvanté à l'idée que leurs désirs puissent se
réaliser. C'est cela Salò. Lorsque trois des bourgeois en robe de
chambre dansent le cancan sur les corps des adolescents torturés,
ils ne sont que ça : des adultes dont le psychisme a été ramené au niveau de celui d'enfants par la
satisfaction de leur perversion polymorphe. C'est là où se niche
l'horreur beaucoup plus que dans les scènes scatologiques ou
d'humiliations physiques ou morales. Les bourgeois de Salò se
livrent à une parodie des valeurs qu'ils défendent lorsqu'ils sont
en position
d'autorité dans la société. Disons, plutôt, qu' à
Marzabotto, toutes inhibitions, toutes censures du surmoi, toutes gênes
sont levées. Ces individus, dont la lâcheté surgit un fugace instant, lorsqu'ils sont devant le communiste nu le poing tendu et que,
pris de désarroi, ils finissent par l'abattre à coups de revolvers,
sont la lie de toutes les tares humaines qui par le pouvoir, l'argent
et le sexe imposent leur état et leur volonté, aidés en cela
par l'armée, la police et le corps médical. La technique politique
des corps procède ainsi par régression. De sujet, on passe par
l'étape ontologique d'objet pour sombrer dans l'abject. Cette
abjection climatisée qui est l'essentiel de notre condition
actuelle.

5. MORT À VENISE
de Luchino Visconti
Mes 10 films (5/10) MORT À VENISE, de Luchino Visconti (1971).
Une danse macabre menée lentement entre le désir et la mort. On pourrait en dire
autant des grands films de Visconti. Ludwig, Senso, L'Innocent et
surtout Violence et passion. Mais avec Mort à
Venise, Visconti s'adonne à son goût pour l'esthétique. Il
exploite à fond la morbidezza vénitienne, la langueur, la
nonchalance de ces touristes qui jouissent de la douceur de vivre
avant que la mort ne vienne les surprendre sous la forme d'un choléra
qui suscite la fuite de la plupart d'entre eux. Parmi ces familles,
une, polonaise, est remarquée par le personnage principal, un compositeur en deuil
de sa fille, d'Aschenbach. Son regard s'attarde sur l'adolescent qui,
par sa beauté provocatrice et lascive rend compte de la notion que Marsile
Ficin donnait à ce terme de morbidezza accolé aux nus de
Botticelli. Tadzio, c'est le nom de l'adolescent, est l'appel de la
mort à travers la beauté et, en tant qu'esthète, d'Aschenbach ne
peut résister à l'appel des profondeurs qui le tourmentent.

Visconti nous fait pénétrer Venise par la voie touristique.
D'Aschenbach débarque devant la place San Marco, avec la façade
de la cathédrale bien connue, puis se retrouve à l'Hôtel des Bains, dans ce microcosme de
l'Europe où le maître d'hôtel parle toutes les langues d'une façon
naturelle. C'est l'Europe d'avant la Grande Guerre (nous sommes en
1911). Visconti joue souvent sur ce côté de la
décadence :
décadence de l'Italie sous le Risor-

gimento, décadence de
l'Allemagne devant les nazis, décadence de la Bavière avec son roi
malade de musique et de beauté... De la mort naît la
beauté. Toute la tragédie est là. Tel est aussi le sort de
d'Aschenbach qui réagit devant elle. Séduit par Tadzio, le
théopompe, il suit, il résiste, il rêve d'un amour paternel
morbide, il fuit, il revient, il s'effondre devant le tourment, va
chez le coiffeur, se fait maquiller, teindre les cheveux, masquer de
rouge aux lèvres. Mais la blancheur de son visage le trahit. Il
n'est plus qu'un mort qui s'avance vers son destin. Affalé dans une
chaise longue, fiévreux, la teinture coule sur son visage pendant
que Tadzio, dressé, lui indique le soleil, à la manière d'un
bronze de la Renaissance. Les employés de l'hôtel viennent chercher
le cadavre de d'Aschenbach isolé sur une plage semi-déserte.
Inspirée d'une nouvelle de Thomas Mann, Mort à Venise
n'est plus La mort à Venise, mais bien les
tribulations d'un homme
déjà mort à son arrivée. Cette lente agonie pourrait être
insuppor-

table au spectateur s'il n'y avait pas la beauté :
beauté des monuments, beauté du Grand Hôtel des Bains, beauté des
vêtements de la famille polonaise, beauté de la musique de Mahler qui accompagne le destin de d'Aschenbach et, bien sûr, la beauté de Tadzio. Le
désir sexuel coupable enveloppé dans un écrin composé de l'esthétique du milieu frappe
le compositeur au cœur.
Un des aspects magistraux du film, c'est l'économie de paroles. En fait il n'y en a que très peu et ne servent qu'à
échanger des informations. Le vrai dialogue se déroule dans les
regards échangés entre Tadzio et D'Aschenbach. Visconti a voulu
éviter les bavardages inutiles qui minent l'intimité de la relation
entre les deux protagonistes. D'Aschenbach observe les clients de
l'hôtel. Derrière son
monocle, il suit les allers et venus des
touristes jusqu'à ce qu'il tombe sur la famille dont il ne comprend
pas le dialecte. Il remarque surtout Tadzio, jeune adolescent
androgyne à la beauté sculpturale. Visconti a réussi ce tour de
force de maintenir un jeu de regards dans l'espace,
dialogue fait uniquement de regards, sans sourire ni grimaces.
L'adolescent a très bien compris la nature du regard de
d'Aschenbach. Non un regard obscène mais un
regard désespéré : "La
mort viendra et elle aura tes yeux" (Cesare Pavese). Si, dans ce dialogue de regards, d'Aschenbach
parvient à saisir que c'est la mort qui s'adresse à lui, la beauté
ne peut l'en détacher et ne cesse de la relancer. Ce qu'il voit dans
Tadzio loge en son for intérieur. Elle a formé son parti pris
esthétique, entretenue ses assurances créatrices, nourrie cette
philosophie qu'il exprime à un ami dans une
scène rétrospective qui précède la mort de sa fillette.

Lorsque d'Aschenbach se rend à la plage, Tadzio l'accompagne, le
précédent, tournant devant lui, offert comme une tentation effrontée, la mouche du coche. D'Aschenbach ne peut plus écrire ni
composer. Il est obsédé par cette présence. Il la cherche
lorsqu'elle n'est pas là, à la salle à dîner. Il
l'épie, la suit
à travers les rues étroites et les ponceaux qui enjambent les
canaux de Venise. Lorqu'on commence à badigeonner les murs de chaux
pour éviter la contagion du choléra, une angoisse profonde s'empare
de lui. Il voudrait interpeller la comtesse, lui dire qu'elle et sa
famille, et surtout Tadzio, sont en danger. La mort le menace, lui.
Mais il ne s'en sent pas le courage de la fuir. Il recule car la
mort est en lui, sa passion le dévore. Elle surgit lorsque des
saltimbanques carnavalesques montent sur la véranda de l'hôtel, un
soir de canicule et d'un air de banjo obsessif, répétitif, le
soliste, édenté, reprend ce jeu de harcèlement de la mouche qui tourne
autour du cocher.

Œuvre
purement poétique, sans véritable histoire – sinon une
histoire d'amour-folie -, description
muette d'une agonie en langueur d'un
artiste, d'un créateur, enveloppé dans la musique de Mahler
(lui-même mort à Venise), est une façon, peut-être, pour Visconti
d'exorciser sa mort. «Le vieil homme et la mort» résume
assez bien le thème de Mort à Venise.

6. LE DÉCLIN DE L'EMPIRE AMÉRICAIN
de Denys Arcand
Mes 10 films (6/10) LE DÉCLIN DE L'EMPIRE AMÉRICAIN de Denys Arcand (1986). Ce double
huis-clos entre quatre hommes et quatre femmes, pour la plupart
enseignants d'histoire dans des universités (Montréal et Laval) se
livre comme un duel de répliques colorées tournant à peu près
toujours
autour du sexe. Un langage crû, des répliques en rafales qui ont
fait la renommée de dialoguiste d'Arcand, le tout entrecoupé de sketches drôlatiques tient le spectateur en haleine tout au long du film alors qu'autrement, il aurait très bien pu s'endormir. Ce tour de force a fait
le succès du film et donner une réputation à Arcand qui,
auparavant, en tant que cinéaste de l'ONF, avait surtout réalisé
des documentaires et trois films de fiction qui étaient d'une rare
brutalité et n'avaient pas attiré le public au box-office. Avec le Déclin...
ce fut le succès mondial, le film ayant été célébré à Cannes,
puis mis en candidature pour l'Oscar du meilleur film étranger
(qu'il n'a pas remporté). C'est un film où il ne s'y passe rien de
vraiment cinématographique. Mais l'étude des plans, la photographie
de Guy Dufaux dans un décor d'automne de l'Estrie sur les bords du
lac Memphrémagog, tout comme l'adaptation de Haendel par Dompierre
visaient à donner une sorte de morbidezza à la québécoise.

Nos historiens obsédés par le sexe se
rencontrent donc pour un souper entre amis, ce qui leur permet de
reprendre un visage plus intellectuel jusqu'à ce que s'amène le lover de la chargée de cours, une sorte de bum avec
qui elle a des relations masochistes. Tout au long du film, Arcand utilise les
flashbacks pour nous
ramener à des épisodes antérieurs illustrant les petits et les grands mensonges, les tromperies sexuelles
de l'un et l'autre des membres de la horde. Mensonges, frustrations,
angoisses, peurs et menaces : l'apparent monde paisible et sous
contrôle des intellectuels émerge de sous un voile que Arcand, sadique, taillade
à coups de couteaux. Le couple de Rémy et Louise se brise; Claude
vit avec la hantise du sida depuis qu'il urine du sang;
Diane, qui a dû interrompre ses études parce qu'elle avait eu une
enfant, se sait condamnée à être une éternelle chargée de cours;
Pierre vit avec Danielle, une étudiante qu'il a rencontrée dans un
salon de massage et Dominique supporte sa vieillesse avec un jeune
étudiant bellâtre qu'elle traîne derrière elle. Sous les rires se
dissimulent des tristesses inouïes.

Arcand, historien de formation avant de
passer au cinéma, connaît bien le milieu qu'il décrit. Son regard
cynique qu'il y porte n'est pas dénué de tendresse. On se prend à
aimer cette bande de joyeux
drilles et à reconnaître dans leurs
tragédies celles qui sont souvent les nôtres. Mais au-delà, Arcand
a réalisé un premier film dont l'exercice relève de la philosophie
de l'histoire. En réfléchis-
sant sur la décadence et l'état de l'Empire américain, tout proche du Québec, une randonnée au bord du lac permet d'énoncer les hypothèses qui rappellent les signes du déclin des civilisations, qui est la thèse pessimiste de Dominique. C'est parce que Diane, l'épouse de Rémy, petite-bourgeoise d'Outremont, s'oppose à cette vision et qualifie l'époque de «renaissance» que Dominique se venge en lui lançant que si son mari ne critique pas son livre, c'est par marque de condescendance parce qu'ils ont couché ensemble. Cette remarque crée le drame qui entraînera la séparation de Rémy et de Diane.. Cette thèse intellectuelle est illustrée précisément par les intérêts et la vie que mènent ces intellectuels.
Eux-mêmes sont le déclin
de l'Empire, ils le portent en eux, en sont affectés comme d'une
tare. Les liens individuels rejoignent les rapports sociaux. Les
mensonges que les individus se racontent se reproduisent au niveau
des institutions; les frustrations qui sèment l'amertume
en eux se répètent dans les ressentiments exprimés aujourd'hui sur les réseaux sociaux; les angoisses qui accompagnent leurs désirs
inassouvissables prolongent le malheur des pauvres assoiffés de richesses
inaccessibles; inquiétudes et menaces sont les mêmes, pour les
intellectuels que pour n'importe quel individu lambda, sinon
même des institutions. Le Déclin de l'Empire américain est un long
crépuscule où le rêve national se perd dans les obscurités qui envahissent la
civilisation. En cela, le film est incomparable. Le succès au
box-office est venu le confirmer.

sant sur la décadence et l'état de l'Empire américain, tout proche du Québec, une randonnée au bord du lac permet d'énoncer les hypothèses qui rappellent les signes du déclin des civilisations, qui est la thèse pessimiste de Dominique. C'est parce que Diane, l'épouse de Rémy, petite-bourgeoise d'Outremont, s'oppose à cette vision et qualifie l'époque de «renaissance» que Dominique se venge en lui lançant que si son mari ne critique pas son livre, c'est par marque de condescendance parce qu'ils ont couché ensemble. Cette remarque crée le drame qui entraînera la séparation de Rémy et de Diane.. Cette thèse intellectuelle est illustrée précisément par les intérêts et la vie que mènent ces intellectuels.

Toutefois, le succès du Déclin...
pèse sur le réalisateur. Chaque film est une tentative plutôt
échouée de répondre au diagnostic posé par le film. Arcand a cru y
répondre en donnant une figure christique à la jeunesse avec Jésus
de Montréal; puis les Invasions Barbares qui est une
continuité du Déclin, avec les mêmes acteurs mais sans l'intimité du premier film; l'Âge des
Ténèbres, puis le Règne de la
Beauté enfin la Chute de l'Empire
américain, malgré leurs qualités, ne parviennent pas à rejoindre la subtilité du maître-film. Entre cela, Arcand a produit des films portant sur la com-
munication de masse : les deux hobos qui nichent dans un ancien théâtre laissé à l'abandon dans Joyeux calvaire raconte le chant du cygne d'une forme antique de communication; l'adaptation d'une pièce canadienne-anglaise, De l'amour et des restes humains place un tueur en série au centre du milieu underground, Stardom dénonce le milieu de la mode et des réseaux de communication de masse... Arcand a fort bien compris que le milieu de la télévision et des potins a remplacé l'Église et que les tiraillements, les faussetés et les dommages que l'on y retrouve aujourd'hui sont équivalents à ceux qu'on retrouvait dans l'ancien catholicisme. Ce thème apparaît dans Le Déclin..., mais n'est que superficiellement abordé par le monologue de Dominique. Dès Jésus de Montréal, il prend de l'ampleur. Le monde des communications est celui des faux prophètes – ce qui vaut une gifle carabinée à Monique Miller -, les jeux de chevaleries dans l'Âge des Ténèbres, le théâtre à la toiture éventrée et les marches de l'Oratoire Saint-Joseph dans Joyeux calvaire, le monde des affairistes du fils de Rémy dans Les Invasions barbares, les auditions dans De l'amour et des restes humains, cumulent dans Stardom.
Dans la Chute de l'Empire américain, la philosophie a
remplacé l'histoire et l'argent (qui devait être le titre original
du film) nous ramène à La Maudite Galette, le premier film de
fiction de Arcand. Le cinéaste, à 77 ans, est enfermé dans son
cercle. La beauté, à laquelle il a voulu rendre hommage avec Éric
Bruneau et les décors de Charlevoix ne réussira jamais à effacer
cette phrase de Pierre dans Le Déclin... «L'histoire de
l'humanité, c'est une histoire d'horreur» et Arcand exprimait
déjà sa déconvenue à ne pouvoir percer le sens de l'Histoire lorsqu'il mettait dans la bouche de Pierre,
encore, la dernière réplique du film : «Moi, j'ai
l'impression qu'on saura jamais vraiment le fond de l'histoire».

munication de masse : les deux hobos qui nichent dans un ancien théâtre laissé à l'abandon dans Joyeux calvaire raconte le chant du cygne d'une forme antique de communication; l'adaptation d'une pièce canadienne-anglaise, De l'amour et des restes humains place un tueur en série au centre du milieu underground, Stardom dénonce le milieu de la mode et des réseaux de communication de masse... Arcand a fort bien compris que le milieu de la télévision et des potins a remplacé l'Église et que les tiraillements, les faussetés et les dommages que l'on y retrouve aujourd'hui sont équivalents à ceux qu'on retrouvait dans l'ancien catholicisme. Ce thème apparaît dans Le Déclin..., mais n'est que superficiellement abordé par le monologue de Dominique. Dès Jésus de Montréal, il prend de l'ampleur. Le monde des communications est celui des faux prophètes – ce qui vaut une gifle carabinée à Monique Miller -, les jeux de chevaleries dans l'Âge des Ténèbres, le théâtre à la toiture éventrée et les marches de l'Oratoire Saint-Joseph dans Joyeux calvaire, le monde des affairistes du fils de Rémy dans Les Invasions barbares, les auditions dans De l'amour et des restes humains, cumulent dans Stardom.

7. LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS
de Peter Weir
Mes 10 films (7/10), DEATH POETS SOCIETY, de Peter Weir (1989), réalisateur australien à la
filmographie hors paire à partir de son second film The
Last Wave, film fantastique autour des relations entre
australiens et aborigènes. Malgré quelques échecs, Weir n'a cessé
d'accumuler les
succès reconnus mondia-

lement. Surtout Gallipoli (le Dieppe des Australiens durant la Première Guerre mondiale);
The Year of Living Dangerously (les tribulations d'un
journaliste australien lors de la tentative manquée d'un coup d'État
en Indonésie en 1965 suivi d'un atroce massacre); Witness
(une histoire policière qui se
passe dans un village amish); The Mosquito Coast (une
tentative d'établir une colonie utopique au Honduras); Dead
Poets Society (un enseignant
non-conformiste est chargé d'enseigner la poésie dans un collège
huppé pour garçon); Green Card (sur
la difficulté d'obtenir la carte verte qui permet de travailler aux
États-Unis); The Truman Show (un
«petit homme» est pris comme cible par une équipe de
téléréalité); Master and Commander (sur
une chasse entre voiliers de guerre vers 1800 dans l'Océan
Pacifique); en dernier The Way Back dans lequel des prisonniers soviétiques s'échappent d'un Goulag en 1940 et
essaient de rejoindre l'Inde britannique.
Afin de percer le
marché mondial, Weir utilise toujours des vedettes américaines
placées au centre de
ses films : Richard Chamberlain, Mel
Gibson, Harrison Ford, Robin Williams, Gérard Depardieu, Jim Carrey,
Russell Crowe portent tous sur leurs épaules la pensée
révo-

lutionnaire du cinéaste, cette société qui serait une
alternative à la société capitaliste de consommation : la vie
des aborigènes australiens, le rêve communiste, le village amish,
la commune utopique, le cercle secret d'élèves, la liberté que
Truman choisit contre les rêves divins de gloire et de
reconnaissance publique, la vie de l'équipage d'un navire de guerre
dont le commandant est un esthète musical... Les films de Weir sont
un appel constant à la liberté contre le conformisme moral et
social étouffant. Mais mieux que tout autre, il sait que cette
liberté a un prix et que celui-ci est élevé.
Chaque
film place ses héros devant ce choix : l'intégration dans le
monde moderne technique et déshumanisant qui procure richesse et
sécurité ou le pari de la liberté, pleine d'incertitudes,
d'échecs,
de révoltes et de défaites. Ce retour de l'humanisme est
ce qui fait la haute valeur des films de Weir. En plus de sa maîtrise
ci-

nématogra-
phique. Weir sait choisir ses décors qui contribuent à
y insérer une intrigue qui vient en troubler la paix : Pique nique
à Hanging Rock, l'Égypte de Gallipoli, la vie rurale des Amishs, le décor de la Nouvelle-Angleterre où est située Welton Academy, la
jungle qui sert de contrapposto à
la métropole, la banlieue, le voilier, sont des microsociétés en même temps que des acteurs du film.
Évoquant tantôt la liberté, tantôt le conformisme, ils sont plus
que l'arrière-fond de l'intrigue.
Dans Dead Poets
Society, le professeur Keating, aux méthodes non-conformistes, est
chargé d'enseigner la poésie à des élèves d'un collège
conservateur, Welton Academy de la Nouvelle-
Angleterre en 1959.
Planté dans le décor d'automne où les feuilles des arbres sont en
pleine explosion de coloris enchanteurs, puis dans l'hiver neigeux et
froid qui transforme la joie de l'initiation poétique en tragédie,
le collège dont la devise est Tradition, Honneur, Discipline, Excellence, le jeune Neil Perry, fils unique d'un couple
conformiste découvre à travers l'enseignement de Keating sa
passion pour la poésie et le théâtre. Jadis, lorsqu'il était
lui-même élève, Keating avait fait partie d'une société secrète
d'élèves dédiés à la poésie et aussi à une certaine liberté
(cigarettes, alcool, filles) qui se tenait la nuit, loin de la
surveillance des pions.

Dans
la classe où Keating enseigne que le principal dans la vie est carpe diem, ce qui va à l'encontre des règles de
l'Académie qui ne pense qu'à l'avenir, aux carrières et à la
bonne réputation du collège, ses méthodes font bientôt jaser.
Mais pour ses élèves, Keating devient un personnage fascinant.
Ayant appris le passé secret de la société des poètes disparus,
ils prennent sur eux de recréer le cercle littéraire. Aussi, se trouvent-ils
une grotte secrète où la nuit, ils viennent réciter
leurs compositions
poétiques. Puis, la société s'étend à des
activités plus ou moins autorisées par la direction de l'Académie et des dissensions se font entendre.
Certains préfèrent reculer devant l'audace et finissent par trahir
la société. Neil, qui a adopté avec passion ce souffle de liberté
qui passe par la poésie, participe à une représentation théâtrale
du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Il en parle à son père
qui le désavoue avec l'insistance la plus féroce. Tourmenté, Neill
veut échapper au destin que lui trace son père, mais en même
temps, la liberté lui fait peur. Keating essaie de le raisonner mais
ne le
décourage pas de ses ambitions. Le soir de la représen-


tation,
Neil est applaudit pour son rôle de Puck. Son père, prévenu,
l'arrache à ses amis et le ramène à la maison où il lui annonce
qu'il l'inscrira à une académie militaire. Désespéré, Neil reprend la couronne de Puck en contemplant la neige tomber, ce qui lui donne une allure
christique, puis se suicide avec un pistolet dans le bureau de son père.
Keating est chassé de son poste. Alors que le superviseur reprend le
cours de poésie dans sa forme la plus «académique»,
Keating vient chercher ses affaires. En sortant, un élève se dresse
sur son pupitre et le salut du vers de Walt Whitman adressé à
Abraham Lincoln : «Ô capitaine, mon capitaine...»
D'autres élèves emboîtent le pas malgré les vaines protestations
du superviseur. Ce dernier hommage montre que les leçons de Keating
n'ont pas été complètement vaines.
Le film doit sans
doute beaucoup aux deux principaux interprètes, Robin Williams et
Robert Sean Leonard, mais Weir oppose «la lumière de la
connaissance», une lumière noire pour la connaissance
morte et stérile de la Welton Academy
à l'esprit de l'humanisme renaissant. Keating est l'héritier des
Guarino da Verona et Vittorino da Feltre qui, à l'opposée de la
scolastique des universités médiévales, amenaient leurs élèves
dans la nature pour y apprendre aussi bien l'art poétique que les
connaissances du monde. C'est la Renaissance qu'apporte Keating
dans sa serviette et la destruction du tombeau de la poésie
lorsqu'il demande à ses élèves d'arracher les premières pages de
l'anthologie de Pritchard. Ce geste profanateur, transgresseur, crée
une alternative au monde ordonné et discipliné de Welton. Chaque
élève sera dès lors confronté à ses démons intérieurs, à son
audace ou à sa couardise. Certains iront au bout de leur audace,
Charlie qui finira par se faire chasser de l'Académie et Neil qui se
suicidera.


PUCK.
Si
nous, légers fantômes, nous avons déplu,
Figurez-vous seulement (et tout sera réparé),
Que vous avez fait ici un court sommeil,
Tandis que ces visions erraient autour de vous.
Seigneurs, ne blâmez point
Ce faible et vain sujet,
Et ne le prenez que pour un songe :
Si vous faites grâce, nous corrigerons.
Et comme je suis un honnête Puck,
Si nous avons le bonheur immérité
D’échapper cette fois à la langue du serpent
Nous ferons mieux avant peu,
Ou tenez Puck pour un menteur.
Ainsi; bonne nuit à tous.
Prêtez-moi le secours de vos mains si nous sommes amis
Et Robin vous dédommagera quelque jour.
Figurez-vous seulement (et tout sera réparé),
Que vous avez fait ici un court sommeil,
Tandis que ces visions erraient autour de vous.
Seigneurs, ne blâmez point
Ce faible et vain sujet,
Et ne le prenez que pour un songe :
Si vous faites grâce, nous corrigerons.
Et comme je suis un honnête Puck,
Si nous avons le bonheur immérité
D’échapper cette fois à la langue du serpent
Nous ferons mieux avant peu,
Ou tenez Puck pour un menteur.
Ainsi; bonne nuit à tous.
Prêtez-moi le secours de vos mains si nous sommes amis
Et Robin vous dédommagera quelque jour.
À
sa façon Peter Weir nous rappelait que l'école ne sert pas
seulement à reproduire un système ou à orienter des carrières
mais avant tout à former des individus libres et responsables. Ce
qui est notre tragédie est de le répéter sans cesse, dans un
désert, où beaucoup le ressentent mais peu ont le courage de
rompre.
8. CHINATOWN
de Roman Polanski
Mes 10 films (8/10) CHINATOWN, de Roman Polanski (1974). Entre Rosemary's Baby et Chinatown, le choix était difficile, mais finalement, le sujet, la grande qualité de la photographie de Alonzo et Cortez, la musique de Jerry Goldsmith – la musique, toujours importante dans les films de Polanski -, l'interprétation inoubliable de Nicholson, Dunaway et Houston, font de Chinatown sans doute le meilleur film du réalisateur. Chef-d'œuvre du film noir, nous restons envoûtés par le parti pris esthéthique hyperréaliste du traitement de l'image qui sera repris, plus tard, dans le film de Brian de Palma, The Untouchables.
Polanski
a un goût morbide pour les thèmes du sexe et du mal, toujours
étroitement interreliés : la psychopathe assassin jouée par
Catherine Deneuve dans Répulsion; les vampires du Bal des
Vampires; la violence de Macbeth;
la névrose du Locataire; le sado-masochisme dans Lune
de fiel; les souvenirs de la torture dans La jeune fille et la mort;
le satanisme dans Rosemary's Baby et Le Neuvième porte; le
ghetto de Varsovie (Le pianiste); les complots
occultes (Chinatown, The ghost writer). Le retour du passé, les
refoulements de la mémoire sont récurrents dans les films de
Polanski. La fatalité y trouve aussi sa place, comme dans Tess
d'Urberville ou The ghost writer; l'humour
noir, souvent manifesté par Polanski. soulage la tension du spectateur
et lui permet de respirer un peu plus dans l'horreur. Chinatown
est à ce titre un modèle du genre.

Un
détective habitué à des petits boulots d'adultère, Jake Gittes,
est engagé par Evelyn Mulwray pour surveiller son mari, Hollis,
qu'elle soupçonne d'une liaison. Banale affaire au départ. Gittes
découvre
que Mulwray rencontre une jeune femme. L'affaire est
dévoilée dans les journaux et Evelyn Mulwray vient s'en plaindre à
Gittes. Or, il s'agit de la vraie Evelyn, la première étant une
fraude. Gittes, frustré d'avoir été la dupe d'une escroquerie, est
engagé par Evelyn pour retracer qui est derrière cette fraude.
Ancien policier qui a refusé de tremper dans des affaires de
corruption, Gittes est toujours en rivalité avec les détectives qui
mènent l'enquête. Car on a repêché le corps noyé de Hollis Mulwray
dans un aqueduc de Los Angeles.

Gittes
enquête sur Mulwray et découvre que l'ingénieur des eaux de la
ville avait été autrefois l'associé de Noah Cross, le père
d'Evelyn. Derrière ce meurtre se profile un complot dont le but est
de détourner l'eau potable vers la mer afin de vendre à la ville un
projet de barrage. Gittes découvre que
la plupart des
terrains autour du projet en question ont été achetés peu
auparavant. Il se rend dans une orangeraie où il apprend que les
fermiers suspectent le département des eaux de saboter les réservoirs
et d'empoisonner des puits. Gittes en conclut que toutes ces manœuvres
sont faites pour faire baisser la valeur des terrains, valeur qui
augmentera lorsque le projet du barrage sera avalisé. Avec Evelyn
qui l'accompagne dans son enquête, il finit par découvrir que les
terrains achetés l'ont été, à leur insu, à des locataires d'un
foyer de personnes âgées.

Poursuivant l'enquête sur la mort
d'Hollis, Gittes arrive trop tard chez la fausse madame Mulwray que
l'on a assassinée. C'est alors que la police lui apprend que Hollis a
été noyé dans de l'eau salée, et non dans de l'eau douce. En se
rendant chez Evelyn, il réalise que le meurtre a dû se produire dans le
marais entretenu par le jardiner chinois. Tout le personnel domestique, d'ailleurs, est composé d'Asiatiques. En même temps qu'il en tombe
amoureux, Gittes soupçonne Evelyn de lui dissimuler des faits et de
constamment lui mentir. Après l'avoir suivie, une nuit, il découvre
qu'elle détient la jeune fille qu'il avait vue avec Hollis. Après
une explication mouvementée avec Evelyn, il apprend qu'elle est à
la fois sa fille et sa sœur, Evelyn ayant été violée par son
père, Noah Cross.

Fraudeur, assassin, père incestueux,
Noah Cross polarise en lui toutes les figures du mal. Gittes découvre
qu'il est manipulé par lui depuis le début, qu'il a envoyé la
fausse madame Mulwray faire
enquête pour retracer sa petite-fille,
qu'il est le comman-

ditaire des truands qui lui ont fendu la narine,
qu'il le fait surveiller par la police. Afin de sauver Evelyn et sa
fille, Gittes organise une fuite au Mexique. Il les envoie se
réfugier dans la famille de l'un de ses domestiques dans le
Chinatown. Après avoir trouvé la preuve contre Cross, Gittes
revient à Chinatown où il trouve son associé menotté par la
police venue arrêter Evelyn. Lorsque les deux femmes s'empressent
de sortir pour regagner l'auto, Cross essaie de reprendre sa
petite-fille que lui soustrait
Evelyn. Elle parvient à s'enfuir
après avoir blessé légèrement son père. Les policiers, persuadés
qu'elle est l'auteur du meurtre de Hollis, déchargent leurs armes
vers la voiture qui roule. À une certaine distance, la voiture
s'arrête, puis on entend d'abord le klaxon en continue, puis des
cris horrifiés de la jeune fille. Lorsque Gittes et les policiers
retrouvent Evelyn, celle-ci est affaissée sur le volant, une balle
lui ayant traversée la tête et sortie par l'œil. Noah Cross tire
la jeune femme de l'auto en lui cachant les yeux de sa main. Le mal
vient encore une fois de triompher.

Intrigue complexe, Chinatown
mêle une affaire inspirée d'une crise réelle de la fin des années
vingt – la guerre de l'eau à Los Angeles -, et un drame familial
au sein du couple Mulwray/Cross. Gittes
devient malgré lui le nœud complexe de
l'affaire que le détective doit dénouer. Dans cette intrigue, tout
est mensonge, fraude, violence sexuelle et meurtrière. Cette série
est rémanente chez Polanski. On en vient à se demander s'il croit
réellement au Diable. Ce qui était à peine suggéré à la fin de Rosemary's Baby apparaît comme réel à la fin de La
neuvième porte qui est un film plutôt raté. Maître du suspens autant qu'on le disait de
Hitchcock, il y a chez Polanski la fascination morbide pour les personnages ambigües, les
liaisons troubles, les dédoublements entre le vrai et le faux, l'art
de jouer sur les climats à la fois naturels et
humains. Les teintes
en jaune qui dominent dans Chinatown, alternant avec l'obscurité de
la nuit, renvoient à l'assèche-


ment et la désertifica-
tion, à l'aqueduc asséché dont le contenu est détourné vers la mer, à l'orangeraie où les
cultivateurs sont agressés par les truands de Cross. Comme une
peinture baroque, Chinatown est tout en clair-obscur, où la clarté
même du jour sert à masquer l'horreur de l'intrigue. Lorsque la
nuit s'abat sur Chinatown et qu'Evelyn est tuée, le nœud se
desserre sur une simple réplique : «Forget it Jakes. It's Chinatown».
Un regard sur la
condition irlandaise en 1904, entre deux périodes de guerre civile.
Un soir de réveillon de l'épiphanie, les demoiselles Morhan
reçoivent leur petit monde. Comme à tous les ans, Gabriel et Gretta
Conroy assistent à la fête. Dans ce film, il ne s'y passe rien
sinon que le regard que promène Huston sur ses personnages, chantant
des vieux airs folkloriques, dansant au rythme des battements de mains, racontant des souvenirs, des
échanges
conventionnels lors de ce genre de festivité. On y parle
aussi de ceux qu'on a connu et qui ne sont plus là. On parle de l'Irlande, de son avenir incertain et plutôt qu'un rebelle, Gabriel donne l'impression de
supporter très bien la domination anglaise. Son épouse, Gretta, jouée par
la fille de Huston, Angelica, se promène comme un nuage dans cette
famille catholique qui fête les Rois mages. Puis, vient le moment de
quitter. Gretta descend l'escalier quand elle entend, provenant de
l'étage, une langoureuse mélopée chantée par un
convive.
9. THE DEAD
de John Huston
Mes 10 films (9/10)
De John Huston, THE DEAD, (1987) est une adaptation toute personnelle de la dernière
nouvelle du recueil de James Joyce, The Dubliners
(Gens de Dublin). C'est le dernier film que tourna le
réalisateur avant de mourir. Cette adaptation à la fois humble et
magistrale est l'adieu
d'un grand réalisateur dont la filmographie
est assez impression-

nante.. Huston ne s'est jamais privé d'adapter une
grande œuvre littéraire comme un défi lancé à l'art
cinématographique. Il en fut ainsi de Moby Dick de Melville, du
Faucon maltais de Dashiell Hammett, The Misfits d'après un scénario
du dramaturge Arthur Miller, Reflets dans un œil d'or,
un roman de Carson McCullers, Under the Volcanoe adaptation du roman
éponyme de Malcolm Lowry et The Dead. Ce film exquis est aussi un
adieu de Huston à son Irlande natale. Les films (pas nécessairement tous bons) de Huston cherchent toujours
à placer des vedettes dans des duels
d'acteurs. The Dead est tout autre chose. Sans doute l'un des films les plus soignés du réalisateur, c'est un legs de reconnaissance au cinéma, un hommage rendu à l'Irlande autant qu'à ses habitants, un adieu serein à la vie, bref un film religieux, un film pieux.


Une bouffée de
nostalgie envahit Gretta. Elle donne le bras à son mari et entre
dans le cabriolet qui, sous la neige, les conduira à leur résidence.
Gabriel est seul à soutenir la conversation. Il passe sa
réflexion
devant la statue de Daniel O'Connell au centre de Dubin, le libérateur des catholiques d'Irlande et de là, de
tout le Royaume-Uni. Lorsqu'ils arrivent chez eux, Gretta s'effondre.
Gabriel ne comprend pas ce qui la chagrine. Elle raconte alors que
lorsqu'elle était jeune fille, un jeune homme, Michael Furey, lui
avait déclaré son amour. Ce jeune homme délicat lui avait chanté cet air qu'elle a entendu en quittant la soirée. Puis Gretta dut partir pour ses études dans un couvent à
Dublin, et, la veille de son départ, sous une pluie abondante,
Michael Furey était venu lui chanter cet air. Une semaine plus tard,
le jeune homme de dix-sept ans mourait d'une pneumonie.

Une
fois que Gretta s'est endormie, Gabriel se met à songer qu'elle ne
lui avait jamais raconté ce lourd souvenir de sa jeunesse. Malgré
toutes ses années passées ensemble, des secrets, des souvenirs habitaient son épouse qui lui étaient inconnus et que ce Michael Fury
l'avait probablement aimée plus que lui-même. Et sur un fond
d'images de paysages irlandais sous la neige, Huston reprend le
dernier paragraphe de la nouvelle de Joyce : «Des larmes
coulèrent de ses yeux, et dans la pénombre il crut voir la forme
d’un jeune homme debout sous un arbre, lourd de pluie. D’autres
formes l’environnaient. L’âme de Gabriel était proche des
régions où séjourne l’immense multitude des
morts. Il avait
conscience, sans arriver à les comprendre, de leur existence falote,
tremblo-

tante. Sa propre identité allait s’effaçant en un monde
gris, impalpable : le monde solide que ces morts eux-mêmes
avaient jadis érigé, où ils avaient vécu, se dissolvait, se
réduisait à néant. Quelques légers coups frappés contre la vitre
le firent se tourner vers la fenêtre. Il s’était mis à neiger.
Il regarda dans un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres
tomber obliquement contre les réverbères. L’heure était venue de
se mettre en voyage pour l’Occident. Oui, les journaux avaient
raison, la neige était générale dans toute l’Irlande. Elle
tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans
arbres, tombait mollement sur la tourbière d’Allen et plus loin, à
l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du
Shannon. Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé,
sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. Elle s’était
amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers
de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. Son
âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige
s’épandre faiblement sur tous l’univers comme à la venue de la
dernière heure sur tous les vivants et les morts».
Le réalisateur, John Huston, lui-même se mit en voyage pour l'Occident, le 28 août de cette même année 1987.
10. THE HOURS
de Stephen Daldray
Mes 10 film (10/10) THE HOURS, de Stephen Daldray (2002), adapté du roman de Michael
Cunningham, est centré autour de deux éléments : l'influence
du livre de Virginia Woolf, Mrs Dalloway, et la musique de Philip
Glass qui accompagne tout le rythme du film. The Hours devait être
le titre du roman de Woolf. Mrs Dalloway, comme Ulysse de
Joyce, raconte une série d'anecdotes dans une unité de temps
d'une journée. Le film de Daldray est également construit sur cette
unité de temps, mais à l'intérieur de trois histoires qui sont
menées indépendamment mais qui se recoupent constamment, donnant
une dynamique au film.
Le film est encadré au début et à la fin par le suicide par noyade de
l'écrivaine Virginia Woolf. La première séquence se passe en 1923, au
moment où elle entreprend l'écriture du roman Mrs Dalloway
qui
raconte une réception que prépare Clarissa Dalloway. Sur son chemin
elle croise différents personnages, dont le médecin d'un
ex-militaire, un jeune poète, Septimus Warren Smith, tourmenté par
des hallucinations qu'il a hérité d'un shellshock durant la guerre et le font sombrer, peu à peu, dans la schizophrénie jusqu'à mettre fin à ses jours.
Dans le roman, Mrs Dalloway est le personnage mondain que se donne
Clarissa qui, au for d'elle-même, ne cesse de s'interroger sur sa vie, son véritable
amour (Peter Walsh) et le ménage avec
son époux (Richard Dalloway).
Walsh réapparaît dans la vie de Clarissa et elle l'invite à la
réception. De même, Virginia est reconnais-


sante envers son époux,
Leonard Woolf, mais son amour est ailleurs. On l'apprendra lorsqu'un
après-midi elle reçoit sa sœur Vanessa Bell et ses insupportables
enfants. Sœur qu'elle embrasse sur la bouche et qui désigne son
véritable amour. À travers cette visite qui la perturbe Virginia
expérimente l'essence même de son roman : «J’y
esquisse une étude de la folie et du suicide ; le monde vu par
la raison et la folie côte à côte», ce
qui illustre assez bien l'ambiance générale du film. La raison
toujours confrontée par la folie et la folie elle-même mise en
demeure par la raison. Comme le soldat Smith, Woolf finira par
choisir le suicide.
La seconde
séquence, en 1951, présente la vie de Laura Brown, parfaite reine
au foyer dans une petite ville américaine des années cinquante.
Elle a épousé un vétéran de la Deuxième Guerre, Dan, un brave
homme qui ne lui apporte pas vraiment le bonheur. Elle prépare un
gâteau pour l'anniversaire de Dan lorsque sa voisine, Kitty, arrive
à l'improviste pour lui demander de s'occuper de son chien
pendant
qu'elle se fera opérer avec l'espoir d'être capable de procréer.
Exaspérée, Laura jette le gâteau qu'elle finissait de préparer.
Comme le soldat Smith, Laura souffre de névrose d'angoisses et d'un
mal-être profond. Enceinte d'un second enfant, elle ne peut le
supporter. Son jeune fils, Richie, l'observe silencieusement, suit avec inquiétude les excès de crise de sa mère dont il est le seul à
réellement percevoir la fragilité. Voulant imiter le
geste du soldat Smith, Laura décide de partir, de laisser son fils à
la garde d'une voisine et d'aller se suicider dans une chambre
d'hôtel. Richie appelle désespérément sa mère lorsqu'elle s'en
va, devinant très bien qu'elle va commettre l'irréparable. Une fois à
l'hôtel, Laura s'est procuré les médicaments pour se suicider,
mais elle hésite. Elle se plonge dans la lecture du roman de Virginia Woolf, puis
sombre dans un sommeil agité où elle voit la chambre se remplir d'eau et
au moment où elle se laisse submerger se débat. Laura choisira
finalement de vivre, mais elle abandonnera sa famille après la
naissance de son second enfant, une fille, pour devenir
bibliothécaire à Toronto et vivre seule.

La troisième
séquence, en 2001, celle qui boucle le tout, raconte la journée de
Clarissa Vaughan, une éditrice de New York qui forme un couple
lesbien avec Sara et à pour ami, Richard Brown, un
écrivain atteint
du sida. Comme Clarissa Dalloway, elle organise une réception en
l'honneur du prix littéraire remporté par Richard. Ce dernier
l'appelle d'ailleurs Mrs Dalloway car elle est la version moderne du
personnage de Woolf, porté à s'interroger sur le bonheur et qui
s'enfonce dans une existence futile. Mais Richard éprouve une
profonde souffrance qui remonte au départ de son amant, Louis
Waters, qui est revenu spécifiquement pour la réception, mais
surtout de l'abandon de sa mère. Richard est le Richie de la
seconde histoire, et il n'appelle plus sa mère que «le
monstre», et ne veut plus quitter son appartement. Devant
l'insistance de Clarissa, il finira par se défenestrer.

La réception se
transforme en cérémonie funèbre. Clarissa a prévenu la mère de
Richard/Richie qui
vient de Toronto pour la rencontrer. Celle-ci lui
révélera les raisons de son départ. Qu'elle avait abandonné son
fils non parce qu'elle ne l'aimait pas mais parce que sa fuite était
devenue une raison de survie. Contre la mort de Smith (et de Virginia
Woolf), elle avait choisi la survie. C'est à ce lourd prix qu'elle
avait sauvé aussi sa raison (en travaillant comme bibliothécaire) plutôt
que céder à la folie. Après ce récit qui bouleverse Clarissa, celle-ci avoue de l'empathie pour Laura. On assiste ensuite à la noyade de Virignia
Woolf.

On a vanté les interprétations de Nicole Kidman, de Julian Moore, de
Meryl Streep et de
Ed Harris, avec raison. Elles sont
bouleversan-

tes dans leur rôle réciproque. Elles incarnent toutes un
aspect de Mrs Dalloway. Pour chacun des personnages, les heures sont
comptées. La profonde question que se posait Clarissa Dalloway :
que se serait-il advenu si le choix avait été autre? Si, au lieu
d'épouser Richard Dalloway, elle avait épousé Peter Walsh?
Question pour la forme sans doute, mais qui plonge le
lecteur/spectateur dans une réflexion mélancolique sur le temps et
les choix que nous faisons dans l'alternative.
C'est le propre de la réflexion qui se plaçait au centre des débats sur le temps au début du XXe siècle, tant chez les philosophes que chez les littéraires et même les artistes. Bergson, Proust, Einstein, V. Woolf, Joyce, Heidegger, Croce en historiographie, tous dissèquent, avec des instruments différents la mémoire, le temps, la durée, ce qu'on rassemblera sous le terme de "relativité". Si en 1923, Virginia avait choisi un
autre destin que le mariage avec Leonard; si en 1951, Laura avait
préféré le suicide à la survie; si en 2001, Richard avait choisi
la vie (même en sursis) plutôt que le suicide ou Clarissa
Vaughan était resté en ménage avec son mari? La
réponse donnée par Daldray et son scénariste, David Hare, est lue
en voix-off par Virginia Woolf (Nicole Kidman), à la toute fin du film, lorsqu'elle
s'enfonce dans la rivière, les poches de son manteau remplies de
roches, et qui s'adresse à Leonard : «Mon chéri,
regarder la vie en face, toujours regarder la vie en face et la
reconnaître pour ce qu'elle est, et puis, y renoncer. Oh!
Leonard. Toujours, toutes ces années ensemble, pour toujours ces
années, pour toujours l'amour et toujours, les heures».

Et trois bonis.
11. GAS BAR BLUES
de Louis Bélanger
(1/3) GAS BAR BLUES, film de Louis Bélanger sorti en 2003, est un devoir de mémoire qui
ne tombe jamais dans la nostalgie. La finale est sereine malgré le
glas qui sonne pour toute une époque. Construit à partir de la vie du
réalisateur et de son frère, musicien, Gas Bar Blues raconte
la fin d'une petite entreprise familiale, celle d'un petit gaz bar de quartier confronté à l'apparition des supers
stations
services avec pompes automatiques et self service. À ce
compétiteur écrasant, le petit gaz bar de François Brochu, dit le Boss n'a guère
de chance de subsister. Le rêve de Brochu, veuf, serait de maintenir
l'entreprise avec l'aide de ses trois fils, mais ceux-ci ont des
préoccupations bien loin du gaz bar. L'aîné, Réjean, étouffe à
servir des clients – toujours les mêmes – qui semblent se tenir
en retrait de l'histoire. On est au moment où le mur de Berlin se démantèle sous
le pic des démolisseurs, où la jeunesse se rassemble et que lui,
rêvant d'être reporter-photographe, sent lui glisser sous les
pieds. Son jeune frère, Guy, passe ses soirées dans les bars à
accompagner à la musique à bouche un band qui vadrouille dans
la province, sinon il est chez l'une ou l'autre de ses petites amies. Le
troisième, Alain, est encore adolescent et répète inlassablement le tic du
lanceur au baseball. Enfin, il y a l'unique fille de la famille,
Nathalie, qui semble être tenue en marge de ce club d'hommes.

Le Gaz bar abrite aussi une faune colorée. Des âmes errantes en quête de socialisation y jettent une
animation sympathique et douloureuse. Gaston Savard sert de bras
droit à Brochu et surveille d'un œil
discret ses fils et la
clientèle. Jos est un solitaire que le livreur, Normand, ne cesse de
provoquer et parfois d'humilier. Ti-Pit et Nelson forment un couple
original, lui en fredonnant des airs d'Elvis et en se trémoussant le bassin et Nelson qui, pour être aveugle, à une ouïe
fine. C'est ainsi qu'il découvre que Yves Michaud, un autre habitué
du gas bar, vole de l'argent en se servant d'une broche à travers
une fente du coffre-fort. Passe également mon oncl' Boivin, un gérant de
streap-teaseuses qui donne aussi dans la drogue. On y retrouve aussi
un attardé mental aux jurons obscènes; Yoyo, un petit voyou qui achète sans payer sa
facture et un douchbag qui n'hésite pas à hold-uper la
station service.

Boss est atteint de la maladie de Parkinson. Son
médecin lui prescrit une thérapie dans une clinique où il ne répond pas à ses rendez-vous. Son deuxième fils, Guy, l'inquiète par ses absences prolongées et
ses fréquentations. Les hold-up se suivent. Un soir, Réjean,
l'aîné, s'est battu pour désarmer le
voleur qui a pris la fuite.
Boss est au comble des tourments. Il réalise qu'on le vole, que
la caisse ne balance pas. De plus, il est la victime d'un agent de
la compagnie Champlain, dont il détient une franchise pour la vente
d'essence, qui se met sur son dos en le poursuivant de ses sarcasmes et
de ses menaces. Réjean part sur un coup de tête en Allemagne,
assister à la révolution qui s'y passe. Guy reparaît mais après
qu'on eût ramené sa voiture accidentée, lui-même portant des bleus au visage. Boss se met en grogne après lui
et le jette à la porte. Aussi ne reste-t-il plus que Alain qui sèche
l'école pour aider son père qui n'a plus la dextérité pour faire
les changements d'huile ou servir à la pompe.

Tourné dans le
quartier Hochelaga-Maisonneuve, ambiance de pauvreté et de
délinquance, le regard
que Bélanger pose sur son passé en est un
plein de tendresse et de sensibilité. Lorsqu'un voleur à main armée
prend Alain en otage, puis Boss, et qu'il est abattu par la
police, Boss réalise qu'il ne peut plus soutenir la
concurrence. Malgré le retour de Réjean, désillusionné de la
victoire de l'Allemagne capitaliste sur l'Allemagne communiste;
malgré l'attachement de Nathalie qui lui fait une déclaration d'amour filiale; malgré la réconciliation avec Guy, que son père
va voir jouer alors qu'il est de passage avec son band, Boss décide de
mettre la clef dans la porte du gaz bar. Les habitués devront se
trouver un autre lieu de socialisation.

Ce qu'il y a de
remarquable avec Gas Bar Blues, c'est que la fin du Gas Bar, si elle
annonce la fin d'une époque, se révèle aussi une libération de ses personnages qui s'engageront
dans leur vie
respective. Le deuil passe vite et laisse la place à l'espérance en l'avenir.
Appuyé sur un dialogue savoureux, des personnages haut en couleurs,
des relations paternelles entre le désespoir et la tendresse, un
tournage qui permet vraiment au spectateur d'être le témoin muet de
cette époque et de s'attacher à chacun de ses personnages, même
les moins recommandables, Gas Bar Blues est l'un de ces films qui
nous réconcilie avec la vie, même s'il ne s'y passe rien d'extraordinaire,
même si les héros sont de humbles individus que l'on rencontrerait n'importe où, n'importe quand, sur la rue. Film témoignant de l'humilité du
réalisateur, Gas Bar Blues est plus qu'un «film de gars»,
c'est un film qui nous révèle que les plus belles histoires ne sont
pas nécessairement les plus névrosées.

12. LE PARRAIN III
de Francis Ford Coppola
(2/3) THE GOODFATHER III de Francis Ford Coppola (1990). Si les deux premiers
films sur la famille Corleone ont soulevé
l'enthousiasme, pourtant ils compteraient pour peu sans la troisième
partie. Si la violence sanglante des deux premiers films s'y retrouve avec son ordinaire de la mafia où les tueries se déroulent en même temps qu'un grand cérémonial, elle n'agit plus ici comme un simple drame de la vie
interlope, mais se structure en véritable tragédie grecque. C'est elle qui donne un
sens là où le spectateur ne voyait, dans les films précédents,
que la banalité du mal des rapports entre mafieux qui ne reculaient devant
rien pour asseoir leur pouvoir et leurs trafics.
Pour
soulager sa conscience de truand, Michael Corleone a fondé une œuvre
de charité en collaboration avec le Vatican et supervisé par Mgr Gilday. Ce dernier révèle à Corleone que la Banque
vaticane est en
déficit de $ 769 millions. Pour redresser les finances de l'État vatican, il offre à Corleone de participer à une
entreprise immobilière interna-

tionale. L'opération ferait de
Michael le plus gros actionnaire de l'entreprise avec 6 sièges au
conseil d'administration sur 13. Michael fait une offre pour acquérir
les 25 % de parts du Vatican dans la compagnie, ce qui lui en
donnerait le contrôle. Mais la chose doit être ratifiée par le Pape.
Entre temps, Michael a des conflits avec ses enfants. Son fils,
Anthony, préférerait une carrière dans l'opéra plutôt que de
devenir avocat et hériter de l'entreprise familiale tandis que sa
fille, Mary, placée à la tête de l'œuvre de bienfaisance, est
amoureuse d'un homme de main de son père, Vincent Corleone, fils
bâtard du frère de Michael, Sonny. Plutôt que l'aspect incestueux
de leur liaison (ils sont cousins), c'est le fait que sa fille soit amoureuse d'un
gangster qui le met hors de lui.
Don Altobello, un des grands parrains
de la mafia, voudrait obtenir des parts dans l'entreprise
immobilière, mais Michael préfère lui donner des ristournes. Pour
lui, l'Église marque un seuil que la mafia ne doit
pas franchir. Il en a un respect sacré tant il est dévoré par
ses remords, surtout le
meurtre de son frère Fredo qu'il a fait
assassiné dans l'épisode deux de la trilogie. Après une tentative
spectaculaire d'assassinat, propre au genre traité par Coppola (un attentat du haut d'un hélicoptère) et une
crise de diabète qui force Michael à l'hospitalisation, ce dernier,
rétabli, se rend en Sicile pour assister à la première de son fils Anthony dans
Cavallera Rusticana à Palerme. C'est l'occasion pour Michael de
renouer avec son épouse, Kay, de qui il vit séparé bien que l'on voit qu'ils sont encore fort épris l'un de l'autres. Ils logent
chez Don Tommasino et au cours d'une promenade dans les rues de Palerme, ils assistent à un théâtre de marionnettes où
l'un des pantins, qui représente une jeune fille, demande la
permission à son père pour épouser l'homme qu'elle aime. Le père la condamne et la tue. Personne ne sent la prémonition de ce qui s'en vient.

En attendant, Vincent espionne
Altobello en disant qu'il a quitté la famille Corleone. Il est alors
présenté à Don Licio Lucchesi, un puissant homme politique italien
qui est également président directeur général de l'entreprise
immobilière sur le comité d'administration duquel siège
Corleone.
C'est alors que Michael découvre que la transaction en
cours est une vaste escroquerie élaborée par Lucchesi, Gilday et un
comptable du Vatican, Keinszig. Sur les entrefaites, Michael Corleone
rend visite au cardinal Lamberto pour discuter de la
transaction dont ce dernier ignore les ficelles frauduleuses.
Discutant dans les jardins du Vatican, le cardinal Lamberto demande à
Michaël, fatigué, de se confesser. Sa première confession en 30
ans. Michael s'effondre en larme et confesse d'avoir fait assassiner
son frère Fredo. Le cardinal lui dit que c'est normal qu'il en
souffre, mais que ses fautes peuvent être pardonnées. Mais Coppola croit peu
au pardon post-mortem. La rémission du péché de Michael Corleone
ne peut se faire qu'en ce bas-monde. Le tribut sera prélevé à la sortie de l'opéra.

Altobello
engage Mosca, un tueur à gage, pour assassiner
Michael. Mosca et son fils, déguisés en prêtres, tuent Don Tommasino
alors qu'il retourne chez lui. Au même moment, le pape meurt et le
cardinal Lamberto est élu pape sous le nom de Jean-Paul Ier. La
transaction est signée. Vincent
informe qu'Altobello a engagé Mosca
pour l'assassiner. Pour le récompenser, Michael en fait son héritier
à condition de ne pas épouser Mary. La famille assiste au spectacle
d'Anthony dans Cavalleria rusticana à l'opéra de Palerme pendant que Vincent fait appliquer sa
vengeance. Keinszig, le banquier du Vatican, est enlevé par
les hommes de Vincent qui l'étouffent et le pendent à un pont,
faisant passer sa mort pour un suicide. Don Altobello, à l’Opéra,
meurt à la suite de l'ingestion de cannoli empoissonnés donnés par
Connie, la sœur de Michael qui l'observe s'étouffer à distance avec ses jumelles depuis son balcon. Calò, l'ancien garde du corps de Tommasino,
rencontre Don Lucchesi à son bureau en affirmant qu'il a un message
de la part de Michael. En lui soufflant le message à l'oreille, Calò
s'empare des lunettes de Lucchesi et le frappe au cou avec ses
branches. Le pape se voit servir du thé empoissonné par
l’archevêque Gilday
et meurt après avoir approuvé la transaction
sur Immobiliare. Al Neri se rend au Vatican où il abat l'archevêque
Gilday et le jette du haut dans une cage d'escalier en spirale. Armé
d'un fusil à lunette dans l'enceinte de l'opéra durant la
prestation d'Anthony, Mosca tue trois hommes de main de Vincent mais
sans atteindre Michael. En tentant de tirer sur Michael à
l'extérieur de l'opéra, il tue Mary. Vincent abat Mosca. Michael
prend Mary dans ses bras et hurle son désespoir. Des années plus tard,
Michael, très âgé, assis seul dans le jardin de la villa de Don
Tommasino, s'affaisse et meurt.


La
troisième partie du Parrain est une vaine quête de rédemption.
Michael croit en la pureté. Il la projette dans sa fille, Mary, à
qui il confie une œuvre de charité et pour le remercier, tombe
amoureuse du violent Vincent, un tueur. Il croit en la pureté de l'Église, parole
vivante de Dieu dont il a un insatiable soif de pardon pour son fratricide. Il ne
peut s'imaginer qu'en elle se déroule des crimes aussi odieux et
violents que dans le monde de la mafia. Inspirée de la mort suspecte
de Jean-Paul Ier et de la faillite de la Banco
Ambrosiano en 1981-1982 et dont le directeur fut trouvé pendu à
un pont de Londres, la finale, comme dans les deux films précédents
de la série, s'achève sur un grand cérémonial, ici laïque (un opéra), dont les scènes alternent avec les mises à mort
violentes. Alors qu'il est lui-même la cible de don Altobello, don
Michael fait exécuter les
comploteurs qui ont voulu le compro-


mettre
dans un scandale financier impliquant le Vatican. La mort de Mary, la
pureté, l'innocence et la charité, sur les marches de l'opéra de
Palerme est la sanction métaphysique des crimes de Michael. Son long cri
où le silence le rend encore plus vibrant, s'achève sur un vieil homme dans un jardin. Michael mourra comme son père, Don Vito, à la
seule différence que don Vito était entouré d'enfants avec
lesquels il jouait. Don Michael meurt seul, abandonné de tous. Y aura-t-il une rédemption pour lui?
13. TRUE CONFESSIONS
de Ulu Grosbard
(3/3) TRUE CONFESSIONS (Sanglantes confessions, en français), est du réalisateur belgo-américain Ulu Grosbard, sorti en 1981 et inspiré
librement de l'énigme du Dahlia noir. Quelques années après la
Seconde Guerre mondiale, Tom Spellacy (Robert Duvall), enquêteur de
police à Los Angeles, est
appelé à se rendre dans un terrain vague
où l'on a découvert le corps nu d'une femme coupée en deux avec,
tout proche, des sacs de ciment. Le frère de Tom, Desmond (Robert de
Niro), est évêque. Les deux hommes ne se voyaient plus depuis
longtemps jusqu'à ce que des indices conduisent à impliquer des
membres du clergé dans l'affaire. Desmond est ambitieux. C'est un
monsignore plus versé
dans l'administration de l'Église que dans la piété. C'est ainsi qu'il a évincé son mentor, Mgr Fargo. Il est en
affaire avec un personnage important mais douteux de la communauté
irlandaise de Los Angeles, Jack Amsterdam. Le cadavre identifié est
celui d'une prostituée, Lois Fazanda. Elle était une fille de la
madame de l'endroit,
Brenda Samuels, que Tom a déjà coffrée pour proxénitisme. Elle l'avait appelée à l'époque
pour signaler la mort d'un prêtre, client de l'une de ses filles.
Tom l'avait alors envoyée purger une peine de prison.

Or,
Tom demande l'aide de Brenda pour retrouver les assassins de Lois.
Celle-ci participait à des films pornographiques et l'une de ses
collègues pourrait aider à identifier le réalisateur et peut-être
l'assassin de Lois. D'un autre côté, il demande à son frère
Desmond de rompre les liens avec
Amsterdam. Au contraire, un des
séides d'Amsterdam vient lui demander d'organiser un banquet pour le
désigner, «laïc de l'année». Au cours du banquet,
Tom provoque Amsterdam en lui demandant si le costume qu'il porte
est le même avec lequel il s'adonne avec les putains. S'envoyant les
pires vulgarités, le banquet du «laïc de l'année» se
termine dans la confusion. Mais en creusant l'affaire, Tom apprend que
Lois était en relation avec plusieurs autres membres de la
communauté catholique. L'avocat de Amsterdam exerce un chantage sur
Desmond afin qu'il neutralise l'enquête de son frère sinon on
l'impliquerait également comme client de Lois. Les ambitions de Desmond s'effondreraient. Tom entend ne pas
céder, surtout lorsqu'il découvre que Brenda a été assassinée,
son meurtre déguisé en suicide.

Tom finira par
découvrir que l'assassin de Lois était bien le réalisateur du film
pornographique, mais qu'après avoir abandonné le corps scié en
deux de la prostituée, il s'est tué dans un accident d'auto. Le
scandale frappera Amsterdam tandis que Desmond sera destitué. Au
début du film, Desmond avait
contribué au renvoi de Mgr Fargo,
qui déplorait que l'adminis-

tration
de l'Église devenait purement une affaire financière. Fargo avait
été relégué dans une paroisse hispanophone à la limite du désert où il a fini humblement et sereinement sa carrière. Après l'éclatement du
scandale, Desmond demande à être affecté à la même paroisse où
est enterré son prédécesseur. Il y vit ses derniers jours, atteint
d'un cancer, lorsque Tom vient le visiter. Les deux hommes ont terriblement vieilli. Tom éprouve une certaine
culpabilité tant son entêtement à coffrer Amsterdam a coûté la
carrière de son frère dans le clergé, mais Desmond l'excuse et considère que ce fut un mal pour un bien.
À
l'heure où les scandales de pédophilies empoisonnent comme jamais
le clergé catholique, True confessions nous
rappelle que bien d'autres crimes souillent l'institution
religieuse. Jean-Paul Ier disait que «les péchés sexuels
sont de bien petits péchés». Probablement qu'il ne pensait
pas à justifier la pédophilie parmi les clercs, mais il rappelait
qu'il y avait bien d'autres scandales, de
natures diverses au sein
de l'Église. Le talent de Grosbard est de faire coexister
l'atmosphère du sacré avec celui du sordide. Si la découverte du corps scié en deux de Lois est
présentée sans plus d'effets, on peut tenir la scène de la
découverte du lieu du crime comme l'une des plus chargée de
violence qui soit et qui servira plus tard aux réalisateurs des
films de tueurs psychopathes (The Silence of the Lambs; Seven, etc). C'est Tom, rentrant seul dans un vieux
hangar désaffecté et poussiéreux. Il trouve des décors en carton laissés à
l'abandon, de vieilles toiles obstruant les fenêtres, le lit où
sont tournées les scènes porno maculé de sang. Il suit les traces jusque
dans une salle de bain où la baignoire est marquée par de
longues
stries de sang séché, le fond en est plein. C'est là qu'on comprend que le corps de Lois a été scié en deux et vidé de son sang. Plus
émouvantes et plus dérangeantes sont les scènes où l'on filme un
endroit où un meurtre a(urait) été commis que de filmer le meurtre
lui-même. Cette scène où Tom découvre le lieu du crime est sans
contredit la plus terrible du film et mériterait de figurer comme une pièce
d'anthologie. C'est là où l'on peut observer à quel point
l'atmosphère est un élément essentiel du cinéma. Un film raréfié d'atmosphère est un film raté⏳


Sherbrooke,
2 septembre 2018
Je savais que tu ne faisais pas les choses à moitié: un bonus de 3. J'ai aimé tous les choix que tu as fais sur les titres des films. Des sujets universels. Content particulièrement de Visconti et Weir. Et, en plus, les images de Salo sont là.
RépondreSupprimerMerci, Raymond. Je savais que je ne te décevrais point.
SupprimerLe cinéma a toujours créée des liens. Merci à toi Jean-Paul.
SupprimerCher Jean-Paul! J'ai vu, et même revu, avec grand plaisir et intérêt la plupart des films de cette plus qu'excellente sélection! Ceux qui m'auront échappés seront à voir et sans doute à revoir prochainement donc. Excellentes "critiques" aussi bien sûr, il va sans dire! Au plaisir!
RépondreSupprimerMerci, cher Sylvain, pour cette appréciation de mes appréciations. À force de s'apprécier on finit par apprécier le monde... À la prochaine.
SupprimerJe t'en prie cher Jean-Paul! Commentaire fort juste. Apprécions le monde donc! À bientôt!
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