mercredi 23 mars 2011

Le Canada entre en érection

The Wizard of Oz, film de Victor Fleming, 1939


LE CANADA ENTRE EN ÉRECTION

Heureusement, tout va se dérouler en avril, entre deux saisons. Entre les dernières belles tempêtes de neige du mois de mars et la feuillaison des arbres en mai. C’est le mois de mon anniversaire ainsi que celui d’un ami, mais on survivra, à n’en pas douter. Ce n’est pas officiellement fait encore, au moment où j’écris ces lignes, mais ça ne saurait tarder considérant que les trois partis de l’opposition au gouvernement minoritaire des conservateurs va voter contre le budget déposé, mardi le 22 mars 2011.(1) Ça ne pouvait pas attendre en septembre, où l’on en aurait profité pour fêter le dixième anniversaire des attaques suicides sur les tours du World Trade Center. Pour porter le bouquet de fleurs canadien, il faudra donc choisir, en ce début mai, si ce sera l’ours A&W ou le comte Dragnatieff qui rendra les hommages dus aux victimes du 11 septembre. L’ours carré, se dandinant en se rendant «là où tout ours doit aller quand ça dit qu’il faut y aller» - même pendant un sommet du G-20 (ou du F-18, je ne sais plus trop) -, ou le vampire libéral au sourire inquiétant, historien russo-canado-anglo-américain. Tous les sangs sont bons quand les couleurs du parti et du pays sont le rouge.

Dans l’ensemble des petits partis aberrants qui constituent le fond de cour de la politique canadienne: ces résidus de communisme d’un autre âge; ces transcendantalistes qui pratiquent la lévitation envers et contre l’attraction terrestre; ces rigolos de tout acabit d’extrême droite ou d’extrême gauche, pro-vie ou pro-choix, il y a les Verts d’Elizabeth May. Elizabeth May, avec son nom et son sourire, est la personnalité politique la plus sympathique du Canada, celle à qui on n’oserait refuser son vote.

Mais le vote écologiste est un vote pour l’éther. L’idéologie environnementaliste me rappelle le socialisme utopique du XIXe siècle. Les deux prennent une Idée pour une réalité. Dans le cas des socialistes utopiques, c’était la société l’Idée qu’ils pensaient organiser selon un plan tellement tricoté serré que la société en devenait une, étouffante et suicidaire pour l’individu. L’Idée écologiste ou environnementaliste - mais ici l’environnement, c’est la nature, plus précisément la Mère Nature -, est un salmigondis de tout et de son contraire. La formule magique, c’est «développement durable». Répéter là trois fois les yeux fermés, et les affreux derricks, dominants comme des dinosaures futuristes les cratères lunaires et les eaux polluées et saumâtres des résidus des sables bitumineux d’Alberta, s’évanouiront pour laisser place à une réplique du paradis perdu, un Éden pour végétaliens. Comme si les apôtres de l’évolutionnisme n’avaient pas compris que si l'habileté des carnivores avaient toujours dominé sur l'agilité fugitive des herbivores dans tous les phyla zoologiques, c’était précisément parce qu’ils se nourrissaient de protéines et de graisses animales? C'est tragique, mais c'est comme ça.

Le dilemme du gaz de schiste au Québec illustre assez bien ce conflit entre l’Idée et le réel. Est-on pour le développement des gaz de schiste avec redevances ajustées pour remplir les coffres du gouvernement du Québec, toujours vidés aussitôt remplis, ou bien sommes-nous contre l’exploitation des gaz de schiste pour la protection de l’environnement? D’où la conséquence qu’on n’aura pas à revendiquer l’ajustement des redevances, car sans exploitation, pas de redevances… Cette aporie, les dirigeants de l’industrie gazière et pétrolière en sont conscients, et ils savent que c’est là leur principal atout. Pour le moment, la coalition des petits propriétaires fonciers et des environnementalistes tient, mais dès que le gouvernement Charest aura légiféré et augmenté «substantiellement» les droits de redevance, mais pas assez pour grever les coûts de production, on verra se partager ceux qui sauteront sur les redevances alléchantes de qui continuera la lutte pour l’Idée d’une nature saine et propre de ses gaz délétères. Les contradictions écologistes me dépasseront toujours tant qu’ils défieront la simple logique. Alors, malgré son sourire de mai invitant, je préfère renvoyer Elizabeth à son jardin et m’en prendre à ceux qui seront les vainqueurs de cette course inégale et méchante qui s’amorce.

Le Canada entre en érection. C’est ainsi que je m’attends à entendre Stephen nous annoncer, dans son franglais de comédie musicale, à sa sortie de sa rencontre avec le Gouverneur général, le fait que les Canadiens devront se rendre aux urnes. Le Canada du parti conservateur, c’est le pays féerique du Magicien d’Oz, où, cependant, le bon magicien s’est fondu dans la méchante sorcière à cause des nains Munchkins qui le vénèrent aveuglément, sans distinguer le bien du mal, prêchant le bien au nom du mal: l’éthique au nom de l’opacité; la justice au nom de la vengeance, la défense des victimes au nom du plaisir sadique de la détention; la liberté au nom de l’agressivité militaire; le respect de la dignité humaine du fœtus au nom de la foi fondamentaliste en Dieu; bref l’amour au service de la haine. Il est vrai que saint Augustin disait que du mal peut naître le bien, mais trop de mal annihile toute espérance dans le bien.

Il est sûr que diaboliser ce pauvre Stephen n’est pas de bonne politique. Stephen est un Albertain comme Jean Charest est un Québécois. Il pense au développement de sa province sur le même mode que Duplessis vendait les richesses naturelles du Québec à 1¢ et quart la tonne. Le développement, ça reste le développement, et il faut le saisir le temps que ça passe. Il est vrai que l’exploitation de l’amiante valait bien celle des sables bitumineux. Poison pour poison, il a fallu attendre des décennies avant que des médecins, assez honnêtes pour le reconnaître, conviennent des dangers mortels contenus par ce produit, qui était pourtant plus bénéfique que celui qui résulte des sables bitumineux. Que les Albertains veulent se vendre aux plus offrants en pensant encaisser les miettes qui tombent de la table du banquet des pétrolières, c’est leur affaire; qu’ils entraînent le reste du Canada dans ce néo-colonialisme made in Britain dix-neuvième siècle, c’est autre chose.

Reste son dandinement qui lui donne la démarche de l’ours de la publicité A&W, même s'il va jusqu'à s'évader de l'ONU pour se rendre en Ontario inaugurer un comptoir de beignes 'tits-mottons de Tim Horton's. C’est sympathique. C’est drôle. Autant que les béquilles de Franklin Roosevelt ou le fauteuil roulant de Lise Thibault. Les unes associées à la guerre mondiale, l’autre au trône amovible d'une précieuse ridicule capable de vider, sans retenue, les poches des contribuables québécois en offrant des petits fours qu’elle n’a sûrement pas cuisinés amoureusement elle-même. Un dernier cadeau de ce farceur de Jean Chrétien aux Québécois, qui lui ont été si fidèles au gouvernement fédéral pendant tant d’années! En fait, après l’affaire Jean-Louis Roux, Chrétien voulait équilibrer la plate-forme politique québécoise en ajoutant un contre-poids à la canne de Lucien Bouchard. Stephen ne s’est pas laissé prendre à ce jeu pervers, et a chassé Michaëlle Jean - pour satisfaire sans doute à certains extrémistes racistes de son parti qui trouvaient que le temps des «colorées» assises sur le Saint Siège d’Élisabeth II par les libéraux cosmopolites avait assez duré - pour la remplacer par un professeur d'université «blanc», aussi terne que Stephen peut être terne lorsqu’il se déguise en cow-boy. (Ensuite, de méchantes langues, comme l'écrivain Yann Martel, diront qu'il n'aime ni les artistes, ni les intellectuels!) Dans le Magicien d’Oz, c'est indubitablement l’Homme en fer blanc tant sa pensée mécaniste, automatiste, est censée être d'acier inoxydable, bien qu'éclaboussé par les déchets scatologiques du bitume albertain.

En face, nous retrouvons le libéral Ignatieff, descendant d’une famille de diplomates et de ministres russes réactionnaires au service des tsars autocrates Alexandre III et Nicolas II. Sa famille, après avoir pourvu de conseils malavisés ce paresseux de Nicolas, s’était sauvée devant la Révolution, et l’une de ses branches était venue se perdre dans les Bois-Francs, au Québec. Là, de génération en génération, ces exilés nostalgiques, déracinés, n’ont cessé de penser à la Russie pétersbourgeoise, aristocratique, qu’ils avaient dû fuir pour venir s’ennuyer dans ce trou perdu de la région de Magog. C’est pour cette raison que le jeune Michaël, historien de formation, s’est tourné successivement vers l’Angleterre et les États-Unis où il a enseigné avant de se redécouvrir Canadien. Russes, encore un effort si vous voulez être Canadiens… Il ne suffit pas d’être bon au hockey, encore faut-il participer à la «patente», en vieux langage québécois, à une entreprise de coulisse qui rapporte de la bonne monnaie sonnante et trébuchante.

Quoi qu’il en soit, le passage du comte à la populaire émission Tout le monde en parle était pour le moins affligeant, surtout quand l’animateur lui a demandé de nommer cinq Premier Ministre du Québec et que le malheureux comte patinait sur la bottine. Heureusement, à ses côtés, l’animateur Mongrain - l’exorbité pas la poule -, lui a soufflé le nom Johnson, comme ça il en aurait trois d’un coup, et comme le comte ne voulait surtout pas nommer René Lévesque - qu’il ne pouvait ignorer -, et qu’il se rappelait vaguement de Bourassa, on devine bien la gêne qui régna en studio. Bref, entre l’ours A&W, le casque de bain et le comte, le cœur des Québécois a déjà fait son choix, et comme le disait si bien Wilfrid Laurier à Henri Bourassa: «mon cher Henri, les Canadiens français n’ont pas d’opinion, ils n’ont que des sentiments»…

Mais pour le reste du Canada? L’image va faire le reste. Figure émaciée, sourcils broussailleux, mâchoires crispées même quand il sourit, on surveille les canines du coin de l’œil. Mais on sait que c’est la nuit qu’elles poussent, lorsqu’elles menacent le cou d'albâtre d’une belle brunette au clair de lune. Devrait-on se munir d’un pieu et d’un marteau, faire bénir des balles si jamais le vilain comte Dragnatieff devenait le nouveau Premier Ministre du Canada? À côté de lui, ne trouve-t-on pas déjà son Redfield - ce fou, cette âme damnée du comte, qui mange des araignées dans sa cellule pour malades mentaux -, qui arrache sa chemise aux Communes, réclamant la construction d’un nouveau pont pour pallier à la menace d’effondrement du pont Champlain? Je parle, bien évidemment, de l’increvable Denis Coderre, qui est passé des araignées aux couleuvres. Et sortira-t-on le méchant chien Kyoto avec son verdâtre maître «irradieux», Stéphane Dion? Et Justin Trudeau? Le comte a aussi ses nains Munchkins derrière lui, mais il n’est que l’épouvantail dans le Magicien d’Oz plutôt qu’une menace réelle pour le rêve conservateur.

Un pas de plus vers la gauche et on retrouve Jack Layton, ou plutôt, en français «parisien», Jack L’est-on? L’est-on socialiste? Et si oui, n’est-ce pas de ce socialisme anglais - le Labour Party - qui a donné un Tony Blair, pitoyable complice du gouvernement George W. Bush? L’est-on environnementaliste face aux nécessités (qui font lois) de l’économie nationale? L’est-on décentraliste, ou n’aura-t-on qu’un Mulcair pour assurer une présence québécoise (Outremont, qui n’est pas le comté la plus pauvre du Québec) au nom de la défense des intérêts des plus démunis? L’est-on pour les classes pauvres ou les classes moyennes, qui ne sont pas rigoureusement les mêmes? L’est-on bien de ces choses qui, comme pour ce lion du Magicien d’Oz, le fait trembler de peur au moindre signe de succès ou de responsabilité, et dont la situation favorable de détenir la balance du pouvoir a permis, au cours des deux mandats minoritaires de Harper, de soutirer quelques miettes pour sa clientèle électorale? Dans le fond, tout ce que peut souhaiter notre «bon Jack», c’est un troisième gouvernement minoritaire, qui est la seule façon pour le N.P.D. d’accéder à une part du pouvoir sans responsabilité ministérielle, et espérer qu’il ne fasse pas les frais de l’agacement des Canadiens d’aller voter à tous les deux ans.

Enfin notre «casque de bain» provincial, le «nihiliste» québécois Gilles Duceppe. Habitué de faire de la nage synchronisée mixte avec ma tante Pauline sur la vague de la souveraineté ASSOCIATION, il représente la majorité de l’électorat québécois à Ottawa, et son succès ne se dément pas. En province comme en zone montréalaise. Ni les frasques du gros Coderre et de ses couleuvres, ni les dandinements de Harper et de son troupeau de Munchkins imbéciles comme ce ministre Christian Paradis, sorti tout droit, dirait-on, d’un asile d'aliénés - une déclaration de sa part vaut mille maux! -, ne parviennent à ronger sa majorité. Depuis les deux référendums de 1980 et 1995, les souverainistes du Bloc Québécois ont appris que «Non» était une réponse rentable. Dire «non» au Canada, c’est dire «oui» au Québec, mais cet axiome ne fonctionnait que le temps qui séparait la création du Bloc en 1990 du second référendum de 1995. Depuis, on doit tenir la réponse majoritaire de «Non» au Québec pour un «Oui» au Canada. Mais les Québécois ne peuvent pas dire oui car ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Ou plutôt, ils ne peuvent se décider entre le beurre et l’argent du beurre. Aussi, ont-ils besoin d’être-là sans y être réellement. Dasein sans dasein.

De plus, il ne faut pas oublier que le sort de la décomposition de l’ancien parti Progressiste-Conservateur l’avait hissé à l’opposition officielle à Ottawa lors des élections fédérales du 25 octobre 1993! Ce tour historique pourrait très bien se reproduire, survenant une décomposition semblable du parti Libéral qui, après un troisième échec avec le comte Dragnatieff, pourrait tout aussi bien s’enfoncer dans une série de fractures et de fragmentations qui hisserait le Bloc comme opposition officielle aux élections fédérales de 2011. Il ne faut jamais oublier que l’ancien parti Libéral anglais s’est ainsi décomposé au milieu du XXe siècle, pour devenir un tiers parti entre les Travaillistes et les Conservateurs. Gilles Duceppe, chef de l’opposition à un gouvernement Harper majoritaire? Ce serait là l’une de ces «ruses de la raison» dont parlait le philosophe allemand Hegel.

Notre Gilles national ne serait-il pas la Dorothy du Magicien d’Oz? Pourquoi pas, puisque c’est ainsi que nous le voyons, dans son rêve où il s’agit de parvenir au Palais d’Émeraude, qui ne serait pas toutefois celui ciblé par Stephen Harper, c’est-à-dire à un Parlement québécois qui aurait l’entière souveraineté tout en profitant des avantages forfaitaires de garder un lien administratif avec le Canada (Leurs avions de chasse seraient nos avions de chasse; leur passeport, notre passeport; leurs ambassadeurs, les nôtres, etc.). La souveraineté-association, c’est le déplacement des querelles fédérales-provinciales au niveau des querelles internationales. Aussi, la sagesse populaire, pour le moment, préfère-t-elle la solution du Noui, qui semble être le mode d’adaptation collectif des Québécois à leur principe de réalité canadien. Pourquoi balancer une formule gagnante? La sentence de Shakespeare a été modifiée depuis longtemps par le balancement québécois: «Être et ne pas être, voilà la question»…

Pourquoi être si «méchant» envers ces politiciens que les journalistes ne cessent de nous convaincre de leur grand dévouement à l'électorat? Sont-ils si méchants? Non. Pour la plupart, ce sont de bonnes personnes. Ils ne sont que bêtes. Et comme l’auteur français Frédérick Tristan, je tiens la bêtise pour la forme moderne, post-religieuse, du démoniaque. Voilà près d’une décennie que nous les voyons s’agiter sans agir, ou pire, quand ils agissent, c’est pour enfoncer le pays dans la régression la plus ignoble. Dire que nous sommes revenus au colonialisme made in British dix-neuvième siècle n’est pas qu’une formule de ressentiment. C’est bien le portrait de l’état actuel du développement du Canada, conforme à la thèse du staple system telle qu’exposée par l'historien canadien Harold Innis à partir d’un article sur l’exploitation de la fourrure en Nouvelle-France.(2) Le staple - traduit en français de manière peu littéraire par «produit générateur» - suppose que le développement économique du Canada dépend d’un seul produit d’exploitation dominant, autour duquel se développe quelques industries de sous-traitance pour fournir l’équipement, les moyens de transports et les services à la population mobilisée par l’exploitation du staple. C'est une économie où l'on retrouve un secteur primaire et un secteur tertiaire forts, mais où le secteur secondaire exclut l’industrie de transformation, la seule qui soit véritablement créatrice de richesse. Ainsi en aurait-il été des fourrures sous la Nouvelle-France, puis, pendant le blocus napoléonien imposé par les Français à l’Europe, le bois d'œuvre nécessaire à la fabrication des navires en Angleterre. La colonie demeure un centre de prédation de la métropole, et celle-ci développe son industrie de transformation à ses dépens, ce qui lui permet d’amorcer un démarrage économique profitable. La stratégie de rentabilité de ce système, consiste toutefois à empêcher tout développement de l’industrie de transformation (le secteur secondaire «pur») dans les colonies mêmes. Ainsi, la production du coton en Inde, qui était alors colonie britannique et avait développé sa propre industrie du vêtement, fut littéralement contrainte par l’action de la Compagnie des Indes à tuer son industrie du vêtement pour que le coton soit désormais exporté dans la métropole pour y être transformé et revendu sur les marchés à prix compétitifs pour la grande consommation: cette stratégie fut à l'origine, parmi d'autres causes bien entendu, de la célèbre Révolution industrielle anglaise. L’image de Gandhi se promenant avec son petit rouet sous le bras est un rappel de cet événement qui est à l’origine de la grande pauvreté que connue l’Inde à partir du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours. - Sans le coton comme staple dans l’histoire indienne, il n’y aurait pas eu besoin d'une Mère Theresa de Calcutta un siècle et demi plus tard!

De même, si l’on en croit l’étude comparée de l’économiste libéral W. W. Rostow (Les étapes de la croissance économique), le mouvement de «décollage» de l’industrie canadienne n’aurait eu lieu qu’autour de 1900, lorsque l’industrie canadienne fut assez forte pour se dégager d’une économie de prédation coloniale pour devenir une économie industrielle vraiment libérale. Le désastreux traité de libre-échange canado-américano-mexicain des années 1990, a commencé par ruiner l’industrie agricole de la vallée du Saint-Laurent, sacrifiée alors pour la production des céréales de l'Ouest, puis s’est poursuivie avec la vieille industrie «de la guenille» dont les propriétaires ont préféré la main-d’œuvre docile chinoise afin de fermer leur vieilles usines de briques rouges fumantes et puantes (c’est depuis qu’est ressuscité, sur la rue Sainte-Catherine, à Montréal, le magnifique portail, bien nettoyé de la suie incrustée dans la pierre, de l’église Saint-James), et les transporter dans ces pays lointains au régime étatique antidémocratique peut-être, mais aussi, et cela compte pour beaucoup dans les coûts de main-d’œuvre, antisyndicale. C'était, pour le Canada, le début de la fin de l'industrie transformatrice, que les politiciens de l'époque, qui sont encore, pour beaucoup ceux d'aujourd'hui, essayèrent de nous dissimuler, en nous vantant la montée des dynamiques industries de nouvelles technologies. C'est ce qui s'appelle avoir le doigt rentré dans l'œil jusqu'au coude…

Chaque région canadienne a maintenant retrouvé son staple system. Les provinces maritimes, les plus pauvres, face aux pêcheries moribondes de l’Atlantique, reluquent l’exploitation pétrolière sous-marine dans le Golfe Saint-Laurent. Les voies d’eau harnachées du Québec et le retour à la vieille exploitation minière font de Charest et de Marois les dignes successeurs de Taschereau et Duplessis. Certes, il y a toujours l’exception, l’Ontario, dont la grande partie du territoire est pauvre comme la gale, mais où les centres urbains et industriels, intégrés à l’économie régionale des Grands-Lacs, où Toronto et Windsor voisinent avec Chicago, Pittsburg et Détroit, forment un ensemble économique, autonome des territoires nationaux respectifs: ce n’est pas pour rien que le Canada, c’est l’Ontario plus une immense arrière-cour déficitaire. Les prairies de l’Ouest, autrefois «grenier du monde» pendant la Seconde Guerre mondiale, sont maintenant soumises au staple du pétrole des sables bitumineux et le recyclage des gaz délétères. Enfin Vancouver et la vallée de l’Okanagan restent tournées vers l’exportation asiatique (l’économie intégrée du Pacific Rim) avec ses pêcheries et ses forêts quasi inépuisables. L’économie canadienne, fidèle aux traits marqués depuis l’époque de la Nouvelle-France et des deux Canadas de 1791, reste le seul pays du G-20 à avoir essentiellement une économie de type colonial, alors qu’à ce «party» de privilégiés, la présence de ce type de pays «sous-développés» apparaît comme «déplacée», sinon offensante!

Rien ne change au pays du Canada, disait la Maria Chapdelaine de Louis Hémon, ou, comme l'évêque Cauchon au procès de Jeanne d'Arc dans la pièce de Bernard Shaw, «comme un chien retourne à ses vomissures» de son passé. Préférera-t-on l'accent biblique du «plus ça change, plus c’est pareil» de l'Ecclésiaste? Et cela vaut autant du reste du Canada que du Québec, qui montre que nous ne sommes pas si différents malgré nos deux solitudes. L’heure s’est arrêtée sur le cadran de l’horloge du Parlement d’Ottawa, et nous en sommes venus à réélire les mêmes faces, les mêmes idées, les mêmes équipes depuis tant d’années. On a vu vieillir et mourir les longs règnes de Pierre Trudeau, de Brian Mulroney (dont on va présenter une comédie musicale dans quelques mois à Toronto) et de Jean Chrétien; on l’a vu s’époumoner à fomenter ce love-in canadien pour torpiller la démarche référendaire québécoise, se souvenant de la phrase de Laurier à Bourassa. Les opinions valent des bizous (et non des bidous) au pays du Québec. Les nounours aux unifoliés rouges ont vaincu les fleurdelysés bleus peinturés sur les joues roses des enfants. Au prix du nounours à l'unité, chez Jean-Coutu, et compte tenu que la peinture tend à s’effacer avec de l’eau et du savon, nous avons compris où était notre «intérêt bien compris».

Peut-être est-ce mieux ainsi, car, si l’horloge du Parlement revenait à compter le temps, nous pourrions peut-être entendre annoncer qu’il est «minuit docteur Schweitzer», et le Palais d’Émeraude se changer en citrouille?⌛

(1) Finalement, c'est sur une motion de non-confiance envers le gouvernement, pilotée par les Libéraux, que le régime est tombé, ce qui a l'avantage de ne pas faire reposer la décision d'aller en é(r)ection sur une question budgétaire mais sur une question de crédibilité, voire jusqu'à dénoncer le despotisme et l'arbitrarité du ministère, que le Parlement a fini par retirer sa confiance au gouvernement. Harper s'est levé, indigné, et à parlé d'une «coalition» des libéraux, des séparatistes et des socialistes pour abattre son bon gouvernement. Piètre défense. C'est donc 1/0 pour le comte contre l'ours A&W.

(2) The economic history of Canada has been dominated by the discrepancy between the centre and the margin of western civilization. Energy has been directed toward the exploitation of staple products and the tendency has been cumulative. The raw material supplied to the mother country stimulated manufactres of the finished product and also of the products which were in demand in the colony. Large-scale production of raw production, of marketing, and of transport as well as by improvement in the manufacture of the finished product. As a consequence, energy in the colony was drawn into the production of the staple commodity both directly and indirectly. Population was involved directly in the production of the staple and indirectly in the production of facilities promoting production. Agriculture, industry, transportation, trade, finance, and governmental activities tend to become subordinate to the production of the staple for a more highly specilized manufacturing community. These general tendencies may be strengthened by governmental policy as in the mercantile system but the importance of these policies varies in particular industries. Canada remained British in spite of free trade and chieffly because the continued as an exporter of staples to a progressively industrialized mother country.
H. A. Innis. The Importance of Staple Products, in W. T. Easterbrook and M. H. Watkins. Approaches to Canadian Economic History, s.v. McClelland and Stewart Limited, Col.Carleton Library, #31, 1967, p. 18.


Montréal
23 mars 2011

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