samedi 20 janvier 2018

Les fautes du père, les larmes du fils

Le Fils : Justin Trudeau, Premier ministre du Canada

LES FAUTES DU PÈRE, LES LARMES DU FILS
 
(Article paru sur Facebook, le 30 novembre 2017, 19 lecteurs)
 
Au cours du Moyen Âge, il existait ce qu'on appelle le don des larmes. Selon l'historien Piroska Nagy, ces larmes répondaient à la béatitude du Christ : «Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés». Le christianisme antique et médiéval recommandait de pleurer afin de purifier son âme. Pour certains, ce don semblait leur manquer et ils en étaient fort marris se croyant délaissés de la grâce divine. Pour d'autres, c'était le contraire. Les larmes coulaient abondamment, larmes douces et suaves qui créaient un charisme autour de ces bienheureux. Dominique, François d'Assise et Ignace de Loyola, le curé d'Ars au XIXe siècle et le célèbre Padre Pio sous le fascisme italien pleuraient comme des fontaines tant ils étaient imbus de la grâce divine. En serait-il de même du Premier ministre canadien Justin Trudeau
 
Il existe un autre don des larmes, celui du mélodrame. Ici, le procédé est simplement mécanique et, comme les rires du vaudeville, peut se reproduire à l’infini. C’est le rire des shows d’humour. Produit de l'ère industriel, le mélodrame consiste à poser un contraste entre l'innocence d'un personnage et l'amplification des malheurs qui lui arrivent. L'abbé Prévost avec Manon Lescaut, Jean-Jacques Rousseau avec La Nouvelle Héloïse, et surtout en Angleterre avec Richardson et sa Pamela ou la vertu récompensée, contre laquelle on pourrait tout aussi bien mentionner, de Sade, Justine ou les infortunes de la vertu; Daniel Defoe avec Les Heurs et malheurs de Moll Flanders ou de G. Lewis Le Moine qui s'inscrit dans la vague du roman gothique anglais du tournant du XIXe siècle. Souvent mélange d'obscénités et de préciosités, le personnage, essentiellement féminin, sombre dans la pire déchéance avant de remonter, par tous les efforts possibles, vers un bonheur où l'amour authentique se coiffe de l'ascension dans les plus hautes sphères de la société. Ce mécanisme simple joue sur la sensibilité des spectateurs par des effets de contrastes baroques associés à des recettes qui se répètent de chapitre en chapitre. Même les plus grands romanciers du XIXe siècle y ont eu recours : Balzac, Hugo, Dickens... On pleure beaucoup dans les romans de Dostoïevsky qui opère un syncrétisme entre le don des larmes et la structure mélodramatique. Sans être de nature dostoïevskienne, les larmes du Premier ministre Justin Trudeau relèveraient-elles de purs effets mélodramatiques? 
 
Or, le don des larmes de Justin Trudeau ne relève pas de la grâce divine. Elles ne sont pas gratuites, comme elles devraient l'être, si elles étaient authentiques. Les larmes servent ici à clore une injustice : là aux abus physiques et moraux causés aux autochtones du Canada, ici aux fonctionnaires et militaires canadiens victimes de ségrégation due à leur orientation homosexuelle. La structure est donc purement mélodramatique. Justin pleure sur des victimes d'actes atroces commis en d'autres temps. Plus il pleure, plus il amplifie le drame. Non pas qu'en soi ces injustices criantes n’aient été point graves, mais l'amplification du drame a une portée politique autre que la simple réconciliation ou l'expiation des fautes de l’État. État qui, comme on le sait, ne commet jamais de fautes. Comme dans tout bon mélodrame, après avoir beaucoup souffert, beaucoup pleurer, il se passe un moment magique, une sorte de kérygme (terme grec repris par les premiers chrétiens pour marquer l'avènement d'une reconnaissance), événement romanesque ou dramatique qui rédime la victime de toutes ses fautes et la fait accéder au salut et au bonheur. Oliver Twist de Dickens est le modèle idéal de ce genre. Si le kérygme est le moment où Dieu manifeste sa présence parmi les humains, la morale du mélodrame reste de portée strictement bourgeoise. 
 
Le mélodrame a pour but de dire aux spectateurs de la bourgeoisie que malgré les basses activités de leur commerce vient un événement, un moment précis où ils reçoivent le succès qui leur est dû après tant d'efforts dépensés au travail et dans la business. Ce syncrétisme, plutôt médiocre, est facilement dérouté chez les hommes qui ont généralement un cynisme plus aguerri que de sentimentalité; par contre, chez les femmes, l'effet mécanique du mélodrame est accueilli avec un plus vif succès. Ce que les romanciers ont vite compris d’ailleurs en faisant des femmes les victimes privilégiées de leurs mélodrames. L'héroïne est entraînée, à son corps défendant, à se corrompre, se souiller, c'est-à-dire jouir de sa sexualité, même forcée, même violée, puis se refaire une vertu par l'expiation de ses fautes en surmontant les différents malheurs qui ne cessent de la poursuivre. Le kérygme est le moment où le prince charmant entre dans leur vie (parfois, comme dans Fanny Hill de Cleland, en passant par le bordel). Le mélodrame, entretenu depuis par le cinéma et les romans industriels genre Harlequin, est la pornographie de ces dames. Le sexe est rédimé par les intentions vertueuses, alors que le voyeurisme masculin se satisfait par l'onanisme.
 
Souvent, dans le mélodrame, le mal provient de la figure du Père. Le père du chevalier des Grieux est l'auteur des malheurs de Manon Lescaut et de son fils; le père d'Armand est l'auteur des malheurs de Marie Duplessis, la dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils; le Baron d'Étange veut détruire l'amour de Julie pour Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse; Marius, le jeune héros des Misérables, éprouve la tutelle despotique de son grand-père, M. Gillenormand, etc. Il est donc structurel au mélodrame que les fautes du père soient la source des larmes des enfants.
 
Dans le cas qui nous occupe ici, pour Justin Trudeau, qui n'a qu'une formation littéraire et a enseigné le théâtre avant de se trouver une vocation politique, les larmes ont commencé à couler, spectaculairement, sur le cercueil de son père lors de la cérémonie funèbre tenue en la basilique Notre-Dame de Montréal en octobre 2000. L'année précédente, Michel, le plus jeune frère de Justin, était porté disparu dans les Rocheuses. Cette peine avait achevée la vie du père. Tout le gratin des affaires et de la politique canadiennes de même que des milliers de spectateurs découvraient l'aîné des fils Trudeau lors de cet épanchement lacrymale. Pensait-il déjà à faire de la politique? Je ne le crois pas. Trudeau, comme tous les Canadiens français, est une illustration de l'esprit baroque qui est le nôtre, perdu entre la réalité de l'illusion et l'illusion de la réalité. 
 
Justin Trudeau nous dit aimer le Hamlet de Shakespeare. Hamlet, comme Roméo et Juliette ou Antoine et Cléopâtre sont parmi les pièces les plus mélodramatiques de grand Will. Hamlet est le fils dépossédé de son héritage. Hamlet est le fils (de) Hamlet, comme Trudeau est le fils (de) Trudeau. Il s'avère que le père Hamlet a été tué par son frère qui en a épousé la femme, ce qui en fait une complice et un inceste. Le soir, le spectre d'Hamlet père vient hanter son fils et exige de lui qu'il le venge. Pour ce faire, Hamlet fils met en scène le crime, le projetant dans un autre contexte, mais où tout le monde reconnaîtra la cour du Danemark. Le tout s'achève en une série de meurtres où Hamlet fils lui-même finit par y passer. Il ressort de tout ça que Hamlet fils est un personnage fragile, hypersensible, mélancolique et impuissant. Hamlet père, fantôme hantant les tours du château, est fort, sans scrupules, manipulateur et deus ex machina de toute la tragédie. Même mort, son fantôme hante les personnages et les pousse à commettre crime par-dessus crime jusqu’à entraîner la chute du royaume.
 
Notre Hamlet national reste lui aussi prisonnier de la figure du Père. Trudeau fils poursuit la politique de Trudeau père. Pleure-t-il à la cérémonie pour les victimes de l’attentat à la mosquée de Québec ou rend-il hommage au multiculturalisme enraciné par son père? Pleure-t-il sur les agressions commises sur les autochtones ou rend-il hommage à son père qui inaugura jadis les cérémonies protocolaires invitant les autochtones à faire leurs cérémonies rituelles ouvrant les conférences fédérales-provinciales? Pleure-t-il sur les injustices commises envers les fonctionnaires et les militaires homosexuels ou rend-il hommage à son père qui décriminalisa l'homosexualité à travers le bill Omnibus en 1969? On invente pas des émotions sans être préalablement conditionnés, soit par des traumatismes personnels passés, soit par une mise en condition à partir d'une expérience personnelle. Pleurer sur des autochtones qu'on ne connaît que de manière superficielle ou des officiers homosexuels à qui on a donné une poignée de main relèverait plutôt de l'hystérie que de la sincérité. Sur ce point, on a raison de douter de l'authenticité de ces larmes.
 
Toutefois, elles nous en disent beaucoup sur deux points. D'abord le caractère artificiel du gouvernement Trudeau. Des selfies compulsifs aux déguisements appropriés à chaque cérémonie d'une quelconque religion, en passant de la langue tirée six pouces de long lors d'une Gay Pride pour en arriver aux larmes du Fils, nous nous promenons sur une scène théâtrale. Justin Trudeau est une mascotte qui reproduit sur la scène politique des fêtes pour enfants, des carnavals de Rio, des rassemblements de copains. Alors qu'il siégeait dans l'opposition, il se prêta à jouer une séquence dans une série sur la participation des Canadiens à la Grande Guerre de 1914-1918, personnifiant ce fédéraliste acharné que fut Talbot Mercer Papineau, petit-fils du leader de la Rébellion de 1837, tué au champ d'honneur. Il semble ne pas faire la différence entre la fiction et la réalité, ce qui est un caractère propre au Baroque, art par excellence du trompe-l'œil. L'ensemble de la politique de son gouvernement vise donc à créer les illusions de la réalité que le Canada est le plus meilleur pays au monde, comme disait Jean Chrétien. «Le monde a besoin de plus de Canada» lançait le leader du groupe U2, Bono. Il ne voit pas le sérieux de l'affaire. Tout n'est qu'un jeu de théâtre pour Justin Trudeau. On rit ici, on pleure là. Telle est la loi du genre. Justin Trudeau ne vit pas dans l'History, mais dans la Story, comme Hamlet met en scène la réalité du meurtre de son père par comédiens interposés.
 
Ce caractère artificiel se prend dans ses propres rets lorsqu'il s'agit de passer à la réalité des illusions qui consiste, par exemple, à autoriser des ventes d'armes à l'Arabie Saoudite sachant très bien qu'elles serviront à opérer des massacres partout au Moyen-Orient. Des femmes, des enfants, des vieillards mourront, mais la réalité financière des marchands de canon pèse plus lourd dans la balance que les larmes qui seront versés sur les massacres en Syrie ou en Iran par la faute de la cupidité de Canadiens. Se prétend-il défenseur des intérêts de l'écologie en étouffant l'oléoduc Énergie Est sous les règlements environnementaux? Il compte quand même assurer la remontée des finances publiques à l'aide du pétrole provenant des sables bitumineux. Sa sottise va jusqu’à le rendre fier de courtiser les pétroliers texans qui lui remettent, non sans ironie, une récompense pour son dévouement à l'égard de ...l'environnement. Convient-il, pour favoriser les réclamations des Sikhs, d'autoriser le port du kirpan dans les avions canadiens alors que tous couteaux ou armes blanches sont interdits : c'est faire fi perfidement des 329 personnes tuées à bord du vol 182 d'Air India le 23 juin 1985, parmi lesquels on trouvait 80 enfants et 268 personnes de nationalité canadienne et dont la responsabilité revenait à un terroriste sikh habitant la Colombie Britannique? L'irréalisme des politiques de Trudeau vise toujours à faire disparaître le politique derrière le spectacle. Que dire d'un gouvernement qui fait de la légalisation de la marijuana une pierre angulaire de sa politique nationale? Pour lui, la politique, c'est du théâtre. Légiférer est un jeu pour maison de poupées.
 
Mais il arrive parfois que la réalité frappe durement Justin et fasse évaporer toute illusion. On l'a vu avec son rejet maussade et tranchant de l'indépendance catalane après la tenue d'un référendum et son appui inconditionnel à Madrid. Lorsqu'il s'adresse à un adversaire de ses politique et use de l'expression «mon ami», on croirait entendre la voix nasillarde de son père parler à travers sa bouche. Tout n'est pas gentil et fleur bleue chez Justin. Comme Hamlet, il a une double personnalité, celle de l'illusion du saltimbanque qui exécute des pas de danse avec sa femme au soir de son élection et qui rappelle les folles culbutes du père; mais également la réalité d’un narcissisme brutal prêt à exercer opiniâtrement le pouvoir au détriment des citoyens canadiens s'il le faut. Alors? Les larmes de Justin? À quoi servent-elles?
 
Là est l’autre point. Tout simplement à créer des souvenirs-écrans. L'expression, utilisée en psychanalyse, est une réaction post-traumatique qui vise à dissimuler derrière un souvenir quelconque, généralement heureux, un trauma douloureux. En politique, il s'agit essentiellement de dissimuler un état actuel plutôt grave derrière une célébration dont on amplifie la portée. Les célébrations de la guerre de 1812 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper servaient ainsi à dissimuler l’état lamentable de l’équipement militaire canadien et son impréparation à participer à quelques conflits que ce soient. La reconnaissance de la responsabilité de l'État québécois, par la bouche de Lucien Bouchard, pour les dommages faits aux enfants de Duplessis dans les orphelinats de la province au cours des années 40 et 50 dissimulaient les coupures drastiques exercées par son gouvernement, qui appauvrissaient les plus démunis afin de satisfaire son obsession du déficit zéro pour l'an 2000. La réalité des torts faits aux citoyens du Québec se dissimulait derrière l’illusion d’un repentir impossible commis envers les anciens pensionnaires des communautés religieuses.
 
Il en va de même des larmes de Justin. Le voit-on s’essuyer les yeux lorsque, aux côtés du Premier ministre Couillard, du maire de Québec et celui de Montréal, il assiste à la cérémonie funèbre devant le corps des victimes de l’attentat nébuleux de janvier 2017 à la mosquée de Québec. Que signifie un tel drame sinon la défaillance des programmes d’insertion des immigrants dans la société d’accueil québécoise qui dérape à l’unisson de la politique fédérale canadienne? 
 
Les larmes versées sur les injustices commises jadis par le gouvernement canadien envers les autochtones ne servent-elles pas qu’à dissimuler la réalité actuelle de la condition autochtone et le fait que le gouvernement canadien en a perdu tout contrôle? Derrière les excuses pour des actes passés, on dissimule volontairement l'aveu de l'impuissance de l'État à sauver ces premières nations condamnées par l'Histoire à disparaître dans un avenir plus ou moins rapproché et souvent dans des conditions honteuses et indignes de leur dignité humaine.
 
Il en va de même des excuses aux fonctionnaires et militaires victimes de discrimination sexuelle. Là aussi, l'État a perdu le contrôle sur la violence civile faite aux gais et lesbiennes; à la persécution policière qui fut si longtemps le cas et qui est encore aujourd'hui pratiquée dans certaines régions du pays. On oublie volontiers les années de luttes depuis 1950 des groupes homosexuels canadiens alors que la loi nationale tenait toujours l'homosexualité entre adultes consentants relevant du code criminel. Les brimades subies par les fonctionnaires et les militaires ne cachent-elles pas, pire encore, les castrations chimiques et physiques des civils, les traitements délirants prescrits par des psychiatres, l'utilisation des homosexuels à des fins de recherche médicale, la damnation jetée sur eux du haut de la chaire des Églises? Le manque total d'évaluation critique de la part des journalistes devant ces cérémonies mises en scène par le gouvernement Trudeau les rendent complices de cette intoxication propagandiste grotesque.
 
Comme tous ces gouvernements qui ont surfé sur la fête et le badinage des sentiments, la fin du gouvernement Trudeau risque de prendre un tour tragique. Les gouvernements régis par des selfies et des larmes finissent rarement par éviter les impératifs de la réalité. Il vient un temps où le souvenir-écran ne parvient plus à dissimuler les traumas, surtout ceux qui sont actuels. Si l’on est sérieux, on ne demande pas au gouvernement de s’excuser pour des gestes passés auxquels il n’a manifestement aucune responsabilité; on lui demande simplement de se montrer honnête et respectueux des citoyens actuels, ce qui semble être, malheureusement, une illusion
 
Montréal
30 novembre 2017

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