mardi 4 juillet 2017

Pauvre Macron

Emmanuel Macron, avant l'élection.
PAUVRE MACRON!

Un site facebook présentait une entrevue d'un psychanalyste italien, Adriano Segatori (https://www.youtube.com/watch?v=NNDgsw39m9s), entrevue qui aurait été commanditée par un groupuscule d'extrême-droite italien pour soutenir le clan Le Pen lors de la présidentielle française. Le distingué psy élaborait une thèse concluant qu'Emmanuel Macron avait le profil d'un psychopathe. Ce type d'exercice ressemblait à ceux que de nombreux professionnels psy américains ont fait de Donald Trump avant et après son élection. Le tour pris par l'analyse conduisait à dire que Macron était un homme dangereux qui n'aimait ni la France ni les Français. J'avais fait une contre analyse de cette vidéo qui est, malheureusement, disparue depuis. C'est donc de mémoire que je vais tenter de reconstituer et élaborer mon commentaire. (Bienfait pour vous!)

Précisons d'abord qu'il y a toujours «deux» raisons. La raison logique, épistémologique, liée à l'Imaginaire et ce que de Maistre appelait la raison raisonnante, produit de l'Idéologique, qui vise à employer la raison logique pour la détourner à des fins d'intérêts ou de partisanerie. Ainsi, l'exposé de Segatori suivait les règles de l'art, mais sa conclusion débouchait sur un jugement moral et politique, ce qui n'est pas l'objectif de la démarche scientifique. Le problème de la démonstration vise à conduire du rationnel au réel et non à une prise de position en faveur d'un produit ou d'un autre. Si on vous fait une longue démonstration psychanalytique qui se termine par «Macron est un homme dangereux qu'il ne faut pas élire», vous êtes dans l'idéologie, même si des éléments de la démonstration demeurent objectifs et pertinents.

Je trouve que les Français sont actuellement victimes d'un mimétisme inconscient dû à l'élection sur-commenté de Donald Trump. Cette haine viscérale de Trump s'est transportée sur Macron. Un jour il est porté aux nues comme un sauveur et le lendemain devient la Bête de l'Apocalypse. Macron n'est ni de Gaulle ni Pétain. C'est un technocrate, ambitieux et narcissique sans doute, mais pas très différent de ses prédécesseurs dont certains étaient dotés d'un profil psychologique beaucoup plus inquiétant, voire pathologique : pensons seulement à Mitterand, Chirac et Sarkozy. De plus, il a hérité d'une haine profondément ancrée depuis quelques années sur son ancien mentor, François Hollande. Enfin, il a frustré les le penistes et les mélenchistes à qui il a coupé l'herbe sous le pied. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas de bonnes raisons pour haïr Macron, mais qu'il faut distinguer l'individu, le personnage et la subjectivité de la population, prompte souvent à varier. Comme à peu près partout en Occident, les Français ne croient plus, non seulement dans les hommes politiques mais dans les structures mêmes du régime. À force d'abuser cyniquement de la démocratie, les hommes politiques l'ont dénaturé et, par le fait même, comme ils ont fait le vide idéologique d'une alternative possible, il ne reste plus que des voix dites démagogiques pour véhiculer et canaliser les voix imbus de ressentiments vers un individu plutôt qu'un autre, et c'est ainsi que Macron, profitant des déçus du Parti socialiste et des Républicains de Fillon qui se sont massés derrière le mouvement «La France en marche» du jeune technocrate Macron, ancien commis de la Banque Rostchild a ramené à lui la majorité du scrutin. Le vote aux Législatives, malgré le taux d'abstention record, l'a consacré dans son pouvoir quasi-absolu.

Le roman de Segatori commence par une «grave agression sexuelle violente» subit par le jeune Macron à l'âge de 15 ans par sa professeur de théâtre de 39 ans. Ce qui est déjà une affirmation douteuse, surtout qu'il conclut l'affaire par le mariage «réparateur» du viol, ce qui fait abstraction de tout le familienroman de Macron précédent le viol pour faire développer le tout à partir de ce traumatisme. Évidemment, toutes les voies alternatives de la démonstration sont écartées. Le fait que le tabou (l'interdit) se soit normalisé en mariage (réparation morale et légale) aurait donné à Macron l'illusion que tout lui était permis. Par le fait même, serait à l'origine de la psychose qui sépare la réalité du fantasme de l'individu qui se regarde comme tout-puissant. La bonne bourgeoisie d'Amiens a sauvé la victime du viol en lui faisant épouser la figure maternelle (l'agresseur féminin). S'il avait appartenu au prolétariat, Macron serait aujourd'hui en thérapie et sa femme en prison. Tout le reste de la démonstration repose sur cette base, et ce qui affaiblit l'argumentaire de Segatori est l'association constante qu'il fait de nominatifs techniques avec des adjectifs relevant de la morale, du genre : «narcissisme malveillant». Ainsi, le profil Macron serait caractérisé par son goût pour le superficiel, sa capacité d'attraction (son charisme aurait écrit Max Weber) et le malaise dans la confrontation. Lorsqu'il dit que «Le psychopathe n'est pas digne de confiance, mais réussit à travers la fascination qu'il exerce à convaincre son interlocuteur. Il n'a aucun remords», on est ici dans un profilage d'Esprits criminels. Voulant analyser les phrases injurieuses de Macron à l'égard des prolétaires du nord, Segatori en appelle à l'analyse de Lacan sur les psychoses. Ici, l'inconscient parle. C'est lui qui trahit la pensée et les sentiments profonds de Macron envers les travailleurs et il n'en éprouve aucun remords puisqu'il ne ressent aucune culpabilité. C'est alors que nous plongeons dans l'Idéologique lorsque Sergatori finit par demander : «Quelle est la dangerosité du personnage?». Nous sommes projetés en plein cas Trump. Évidemment, comme tous les psychopathes, «Macron est particulièrement dangereux»; il souffre de «perturbations bien intégrées» chez les notables. (sic!) Et voici le deuxième saut dans Esprit criminel : «les serial killers détruisent les familles, alors que les psychopathes en poste au sommet de la politique et de l'économie ruinent les sociétés»; décidément, on ne badine pas une bonne formule. Confronté à Marine Le Pen, il ne s'agit plus uniquement d'une confrontation politique mais également sexuelle, car il ne peut accepter qu'elle représente la Marianne sur laquelle il projette l'imago de la mère nourricière. Étrange retour d'une figure archaïque à fin et non au commencement de l'analyse. Voilà notre Macron enfant narcissique, égoïste et mégalomane. Qu'on le veuille ou non, il y a des mauvais usages de la psychanalyse et nous venons de vous en démonter une.

On se rappelle de ce panneau qui passait sur les fils d'actualités facebook montrant Freud associé à une déclaration que dans l'actuelle élection française, Oedipe était au cœur de l'enjeu puisque l'un avait épousé sa mère (Macron) et l'autre tuée son père (Le Pen). Macron a effectivement épousé sa mère et l'hypothèse de l'agressivité violente relèverait plutôt de l'effet que de la cause. Macron, enfant-roi, n'est pas cette victime qu'essaie de nous faire croire Segatori. Les rumeurs d'homosexualité qui ont circulé un temps sur Macron et de prétendus ménages à trois avec son chauffeur, démentis par le principal intéressé, offre un autre indice à partir duquel on peut décrypter le personnage (et l'individu qui se cache derrière). Son narcissisme est incontestable; sa prétention à exercer un pouvoir révolutionnaire des institutions afin d'harmoniser les intérêts nationaux avec ceux de l'Europe dans le contexte du néo-libéralisme indéniables, et sa profession de foi répétée dans l'humanisme apparaît comme un véritable anachronisme dans l'ensemble des discours politiques actuels.

Partons plutôt de l'hypothèse que le narcissisme et le goût du pouvoir de Macron partent d'un état de forclusion. Que la personnalité de Macron est forclose, nous obtenons un diagnostic plus cohérent que celui de Sergatori. La forclusion est un terme lacanien, traduction du mot utilisé par Freud de Verwerfung. Il s'agirait d'un mécanisme de défense spécifique à la psychose dont elle origine. Il faudrait donc partir de la forclusion pour remonter à la cause des symptômes exprimés par les discours et les actions de Macron. La forclusion opère par le déni de quelque chose, généralement le pénis qui est projeté hors du Symbolique de la représentation mentale de l'individu. Il n'est pas refoulé (comme un désir inavouable du pénis chez un homosexuel névrosé enfermé dans le placard), mais tout simplement nié. Ce déni conduit effectivement à des délires ou au déni. Contrairement à ce que dit Sergatori, ce n'est pas l'inconscient qui parle chez Macron lorsqu'il s'en prend aux travailleurs du Nord de la France, c'est la relation qu'il entretient avec cette couche de la population qu'il déni comme lieu de fantasmes libidineux. Un rejet du symbole sexuel viril qui niche dans la fantasmatique homosexuelle bourgeoise qui porte les êtres féminins à lorgner du côté d'un prolétariat brutal et désinhibé.

Macron, dont l'identité sexuelle est en effet ambiguë, navigue du sadisme au masochisme. Foncièrement sadique, il met «la France en marche» - titre de son mouvement politique – i.e. qu'«il fait marcher la France» au sens figuré comme au sens propre. Au sens figuré dans la mesure où il l'engage dans ses délires de grandeur et ses hallucinations politiques; au sens propre dans la mesure où si elle ne suit pas, il aura recours à la trique. Mais ce sadisme se renverse en masochisme lorsqu'il devient captif de la foule. Contrairement à oncle Adolf qui faisait renverser la foule dans ses bras à l'image de Zorro renversant la belle dans ses bras, c'est Macron qui se renverse dans les bras de la foule lorsqu'il se laisse emporter par ses discours où sa voix famélique enrouée lance des cris hystériques sortis de la rhétorique patriotique. La forclusion permet de jouer sur les variations de la personnalité psychotique selon les situations devant lesquelles il se retrouve. La psychose apparaît lorsque s'effectue un clivage du moi (Ichspaltung), lorsque sa réalité psychique se fracture en deux, projetant hors de lui la partie affectée hors de la conscience : cet homosexualité déniée. Ce déni produit alors par mécanisme de défense une production de délires. Ce qu'il perçoit de réel est incompatible avec ses propres exigences pulsionnelles. Contrairement à notre Robert Bourassa, dont l'homosexualité était refoulée et se défoulait à l'occasion, Macron la nie et se sent menacé chaque fois qu'une contestation quelconque lui rappelle le déni et rend son conflit psychique intolérable, d'où cet emportement hystérique maintes fois toujours sur le point d'être avoué. Dans ce clivage, la pleine conscience du réel est incapable de communiquer avec ce qui est rejeté (et non refoulé), ce qui le distingue d'un type comme Bourassa. Il ne peut donc établir une stratégie de compromis (comme aller rencontrer des garçons au sauna ou à la piscine du Collège de France; éventuellement des travailleurs contestataires et négocier un compromis). Assis entre deux chaises, Macron ne peut donc qu'amplifier ses mécanismes de défenses (le narcissisme, la rhétorique ampoulée, les mouvements de foule, le jeu sentencieux du Président de la République) au fur et à mesure que sa psyché se sent menacée par des contradictions, des oppositions, des résistances. Ce qui en fait un être à la psychologie fragile et dont l'identité incertaine rappelle son mentor, François Hollande, qui avait besoin de raffermir sa virilité en courant la starlette. Sarkozy avait réglé le problème dès le début de son mandat en faisant disparaître l'épouse gênante pour la starlette montante, ce qui accentua son narcissisme effronté et sa passivité féminine devant les milieux d'affaires (Sarkozy à Sagard, c'était Nana dans les bras du comte de Vandeuvres qui regardaient courir les canassons).

Segatori a raison toutefois de parler de la théâtralité de Macron. On l'a vu lors de la séance de la prise de photographies officielles, tenant précieusement un livre de la pléiade, tournant soigneusement les pages du papier bible, y glissant le cordon en marque-page et bien étalé sur le pupitre. La mégalomanie de Macron commence par la façon dont il perçoit son époque et le conflit entre les Français et l'Union européenne. Dans une entrevue donnée à Michel Winock et Guillaume Malaurie pour la revue L'Histoire, il avoue : «Pour ma part, je retire... de l'histoire le sentiment que les grandes mutations sont des moments d'une extrême fragilité. Tout ce sur quoi reposaient nos sociétés est soudain fragilisé. Si on laisse les forces de l'entropie l'emporter, tout peut s'effondrer». Il nous dit, du même souffle, qu'il est la cheville ouvrière d'une mutation importante de l'Histoire de France; qu'il y a la grandeur (qui l'interpelle, un peu comme le jeune Bonaparte) qu'exige la mutation actuelle et la fragilité – sa fragilité psychique – et la France qui serait «fragilisée», c'est-à-dire doublement menacée à la fois au point de vue du passage de la mutation historique et du déni de la réalité expulsée. (La répétition fragilité-fragilisé en témoigne). Pour ce faire, il doit donner des signes, manifester une arrogance qui cherchera à impressionner les institutions qui le confrontent/le menacent. Son annonce de la réduction du nombre des députés est une solution personnelle qui agit comme une opération magique mais faisant clairement percevoir au pouvoir législatif et à la société française qu'il est le chef sans partage de l'exécutif.

Devant le défi historique auquel il est confronté, il tire que «l'histoire nous enseigne que certaines crises sont en fait le moment où le passé et l'avenir se nouent en un lieu puissant et propulsent l'humanité vers l'avant». Il se présente donc comme celui qui est chargé de réconcilier la France afin d'exercer une plus grande force au sein de l'U.E. Ainsi se présente-t-il, en usant de la phrase célèbre de Marc Bloch, comme celui qui va réconcilier ceux qui fêtent le sacre de Reims et ceux qui fêtent la Fédération. Se situant entre les deux drapeaux durant la séance de pose, il est le « + » de la réconciliation. Mais ce + n'est qu'apparent car le déni l'oblige toujours à redéfinir le réel pour l'adapter à sa psychose. Ainsi, si la réforme du code du travail, quoi qu'en disent les travailleurs mécontents, est à réformer, la réforme qu'il propose n'est pas celle qui s'impose. Il répond ainsi de manière passive au patronat qui, lui non plus, n'a pas le sens exact du réel : ayant promu depuis des décennies la fin du travail (et des travailleurs) par la mise à jour technologique, il demeure toujours dépendant de ces travailleurs lorsqu'ils se transforment en consommateurs. Des consommateurs sans salaire, ça ne fait pas une économie saine ni forte. Voici le déni psychique d'un individu qui rencontre le déni sociologique d'une ploutocratie financière et technocrate. Le + de tantôt change de sens. Mais l'addition de deux dénis ne fait pas une réalité objective pour autant. On voit mieux où se trouve le point de tension, entre l'anachronisme socio-économique et la fragilité mentale du président. C'est l'embryon d'une Commune de Paris que couve le quinquennat Macron.

Le nouveau président, dans l'article cité, affirmait : «oui, nous sommes face à un choix historique, face à un carrefour comme la France en a déjà connus. L'histoire française est toujours aussi une volonté d'accéder à l'universel. C'est par l'énergie et l'audace qu'elle s'en est toujours sortie». Évidemment, Macron fait référence aux mots célèbres de Danton au moment de l'invasion de la France par les troupes austro-prussienne en 1792. C'est là qu'entre en compte l'«humanisme» de Macron, mot qu'il répète dans plusieurs discours et entrevues. Aujourd'hui, les hommes politiques se disent libéraux, tolérants, partisans des compromis, ouverts sur le dialogue, etc. mais jamais humanistes. C'est un archaïsme en politique, totalement étranger au monde de la technocratie où Macron a été formé. Le système néo-libéral qui l'anime est tout sauf humaniste. Alors, d'où provient ce délire? Du déni de la réalité exclue. Le mot agit comme un endorphine au moment où la dénaturation du réel par la rhétorique et lui permet de justifier moralement une politique ou une stratégie dont il est incertain ou dont il doute de l'efficacité ou de la légitimité. Il ne tient pas à exposer son impuissance devant les média, contrairement à Hollande qui a été un modèle d'arrogance et d'incompétence. Aussi, pour être pris au sérieux au milieu de ses contradictions perçues toujours comme menaçantes doit-il crier le plus fort. Inutile de dire que devant Angela Merkel, Macron est comme devant sa femme, dans la position passive, dominée. Non seulement parce que Merkel a plus d'expérience et une intelligence plus grande que Macron, mais parce qu'il se place lui-même dans un état masochiste lorsqu'il est devant une personnalité (féminine) plus forte que lui. De cela, je pense, tous les Français se sont aperçus
Montréal,
4 juillet 2017

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