mercredi 12 octobre 2016

Le moment d'Arcy McGee

Funérailles de Thomas d'Arcy McGee à Montréal, avril 1868.
LE MOMENT D'ARCY McGEE
Sur l'élection de J.-F. Lisée à la tête du Parti Québécois

Enfin! Cette ennuyeuse course à la chefferie du Parti Québécois est terminée. Après plusieurs semaines où le burkini, le python en fuite, l'incendie du camion sur l'autoroute Crémazie et autres distractions estivales l'avaient complètement effacée dans l'esprit de la population, le sort en est jeté. Les dernières semaines ont vu les réseaux sociaux et les débats s'envenimer jusqu'à atteindre des affirmations outrancières et peu amènes entre les candidats. La terreur des islamopho-
bes, le peu subtil Adil Charkaoui s'est même prononcé pour Cloutier, comme si ce simple choix suffirait à mener les musulmans à voter P.Q. Il est vrai qu'une fois débarrassé de cette nuisance publique qu'est Pierre-Karl Péladeau, il fallait revenir aux «vraies affaires», et comme tout politologue le sait, pour un parti, les «vraies affaires» ne consistent pas à réaliser ses aspirations, mais à prendre le pouvoir. L'establishment du parti voulait Alexandre Cloutier, un député drabe qui siège à l'Assemblée nationale depuis une dizaine d'années. Face à lui se tenait Jean-François Lisée, personnage ambiguë, idéologue du parti, auteur de deux méchants bouquins contre l'ex-Premier ministre Robert Bourassa (le Tricheur et le Naufrageur) qui se meurent aujourd'hui par piles dans la dump du Colisée du livre.

Onctueux, princier, ambitieux... l'élection de Lisée ne peut être pire que le couronnement de P.K.P. Du moins m'apparaît-il nettement plus intelligent, mais un duel Couillard/Lisée va vite ennuyer les électeurs. On s'échangera de bons mots, genre :  «Tirez les premiers, messieurs les Fédéralistes!», et ils tireront; mais tout cela finira au Restaurant du Parlement, devant un bock-côté de bière. La prochaine décennie s'annonce platte et ronflante, comme on dit en bon Québécois québécisant. C'est ce que veulent surtout les Québécois : ne pas se faire déranger dans leur petit confort. Pour les authentiques indépendantistes, la défaite de Martine Ouellet est inconsolable. Mais, avouons-le, cela n'aurait pas changé grand chose. Le manque de discernement de l'establish-
ment péquiste au cours des vingt dernières années a creusé le tombeau du parti et surtout de son idéal, de son âme. Cette épave qui tangue entre le Parti Libéral du Québec au pouvoir et la Coalition Avenir Québec dans l'opposition condamne Lisée à relever deux défis simultanément : 1° s'affirmer comme authentique Union Nationale afin de ronger le membership de la Coalition; 2° gagner l'élection provinciale de 2018. Une chose, toutefois, était nettement visible en cette soirée du 7 octobre 2016 : l'accueil des résultats ne suscita pas de ces envolées enthousiastes que l'on retrouvait, naguère encore, du temps de l'élection de André Boisclair et de son coffre à outils. Le Parti Québécois est une épave échouée sur ses propres contradictions (et non sur l'échec de son option souverainiste). Il a beau croire qu'il a l'Île aux Trésors en vue ou d'être sur le point de mettre le pied sur la Terre Promise, mais comme Moïse, il semblerait condamné à ne jamais pouvoir y pénétrer. Avec l'élection de Lisée, Maître chez nous, on peut toujours fixer cela aux calendes grecques.

Comme troisième mousquetaire : Martine Ouellet, une «pure et dure» comme on dit dans le jargon. Agressive, elle balançait par-dessus bord la monarchie et ses symboles, affirmait la prochaine tenue d'un référendum qu'elle voyait gagnant et le retour à l'affirmation de la langue française tant la loi 101 n'est plus qu'une martingale moquée par tout le monde. Enfin, comme dans le roman de Dumas où les trois mousquetaires sont quatre, Paul Saint-Pierre Plamondon, une relève terne et sans relief mais qui a su plaire aux vieilles matantes du parti. Après avoir comptabilisé le vote des plantes et des animaux de compagnie, la surprise a été totale. Cloutier a été balayé d'une manière imprévisible et humiliante. Ouellet a fait du surplace. On a applaudi Plamondon comme prix de consolation et Jean-François Lisée s'est retrouvé élu chef du Parti Québécois; son neuvième en 39 ans d'existence (et ce, sans compter Chevrette qui a siégé comme chef intérimaire pendant des mois). Sur ces 39 années, dix ont été occupées par René Lévesque. Les autres ont vu se succéder leurs chefs sur une moyenne d'environ trois ans et un tiers chacun.

Dans l'ensemble, oui, les candidats étaient ternes et sans grandeur. Mais, ce qu'il y avait de bien chez Martine Ouellet, c'était qu'elle est jeune, enthousiaste et sa ferveur à l'opposé de la dame de Béton, Pauline Marois, dont les deux seules notoriétés auront été d'avoir été la première femme à occuper le siège du Premier ministre au Québec et d'avoir eu le mandat le plus court de l'histoire de la Province. Pour en revenir à Ouellet, la question n'était pas à savoir si elle précipiterait ou non la tenue du référendum (perdant), mais que cette maîtresse-femme pouvait très bien ne pas dépareiller le Québec face à Justin Trudeau, le selfieman du gouvernement canadien. L'insipidité de Clouter, agent de l'immobilisme de l'establishment du parti qui voulait se faire financer par les fonds de Péladeau, l'ambiguïté frappante des discours de Lisée et l'opportunisme de Plamondon, renouvelaient les pires façades de la démocratie québécoise. Quoi qu'il en soit, même s'il est certain que Lisée est un homme plus intelligent et plus expérimenté que Justin Trudeau, à l'ère de la Trudeauselfie, quelle image rappellera le futur Premier ministre du Québec, s'il s'appelle Jean-François Lisée, sinon le côté vétuste de son parti plutôt que la conviction portant avec vigueur un «plan», comme disait Trudeau durant la dernière campagne fédérale, puisque l'idée d'indépendance est placée au congélateur? (Ce qui n'empêchera pas Couillard et les Libéraux du Québec de dénoncer le fameux agenda caché de l'indépendance du chef péquiste. Cet agenda est tellement usé que le rebord des feuilles en retrousse!) Bref, on retourne à l'attentisme des Pierre-Marc Johnson et Bernard Landry. Après le long hiver Harper, Trudeau représentait pour tous les Canadiens (y compris les Québécois), une régénération, une foi dans le projet fédéraliste canadien au moment de fêter le 150e anniversaire du pays. Le résultat de vendredi soir dernier tombe plutôt mal. Lisée affichera l'image de son discours de réception, c'est-à-dire un souverainiste verbomoteur dans le visage duquel se lira l'impuissance des aspirations de son parti. Oui, Trudeau affiche la régénération du Canada, même si cette régénération est purement illusoire, mais les mille et une crosses du Parti Libéral du Québec s'effaceront devant la «résilience» péquiste. Un peu comme la reflétait René Lévesque après le coup de 1982 et qui devait le conduire à la paranoïa... Quoi qu'il en soit, la régénération du Parti passait davantage par une Martine Ouellet que par un Jean-François Lisée. Son enthousiasme n'aurait pas fait de mal pour un parti aussi usé et qui navigue au hasard entre les récifs.

Je demeure persuadé que la stratégie référendaire est la pire qui soit. D'abord, elle est impossible à réaliser pour l'ampleur du projet et ses conséquen-
ces. Les peuples n'ont jamais préféré leur indépendance à la sécurité et à l'immobilité auxquelles les condamnaient les empires (ou les fédérations). Toujours il a fallu la pression des événements et la confrontation poussée jusqu'à la guerre (c'est le cas de l'indépendance des États-Unis comme de celle de l'Algérie ou de l'Irlande). Le rêve norvégien, c'est-à-dire une indépendance négociée avec le dominant suédois est une expérience minoritaire, surtout que le territoire norvégien couvrait plus de la moitié du territoire suédois (1905)! L'Écosse a suivi la voie québécoise et s'est dite non à elle-même elle aussi. Sous l'impact du Brexit, la reprise du vote pourrait donner une toute autre réponse. Mais en aucun cas, cela n'infirmerait ce que j'en dis. Tant qu'il pensera référendum, le P.Q. creusera sa tombe. Un gouvernement élu est libre de briser une constitution à laquelle il n'a pas adhéré. Un parti qui prétend à une telle aspiration de faire naître un pays libre et indépendant ne doit pas attendre le holà de la population qui ne le lui donnera jamais. Une fois élu, le parti doit assumer la légitimité de l'auctoritas et non seulement la légalité du potestas, et c'est cela qui est révolutionnaire pour un système de monarchie constitutionnelle. La nouvelle structure mise en place, parvenant à fonctionner sans trop de pépins, se montrant cohérente et éliminant les agents étrangers dont le but est de la déstabiliser, alors il deviendra possible de plébisciter «le coup d'État», comme ses ennemis l'appelleront. Peu importe le dédain, si tout marche bien, personne ne voudra se payer le retour en arrière. Et c'est ainsi que naissent les pays et pas autrement, sinon que par la politique des armes. C'est la seule stratégie réalisable plutôt que d'attendre que la désagrégation inéluctable de la fédération laisse tomber le fruit de l'indépendance dans le bec des politiciens. Tant qu'il pensera référendum, le P.Q. creusera sa tombe et celle des Québécois en même temps.

Dans la stratégie purement électoraliste qui est celle du nouveau chef du parti, si celui-ci est porté au pouvoir, le parti pourra continuer à faire comme avec Bouchard et Couillard, rabattre leur amertume sur le dos des plus démunis de la société. C'est toujours la même question qui se pose aux Québécois – question très augustinienne d'ailleurs - : aimez-vous le Canada au détriment du Québec, ou le Québec au détriment du Canada. Dans un premier cas, on les traitera de traître; dans le second de séparatistes, anyway, les Québécois auront toujours le fardeau de la conscience malheureuse, du mal-être dans leur peau. Schizophréniques dans le premier cas, avortons dans le second. Mais dans le cas d'un adhérent au Parti Québécois, le paradoxe augustinien se formule autrement. Les Péquistes aiment-ils les Québécois au détriment de l'État du Québec ou aiment-ils plutôt l'État du Québec au détriment des Québécois? Force est d'admettre que le passé ne donne pas une réponse bien encourageante. Malgré la récupération des tunes de Gilles Vigneault ou la poésie de Gaston Miron, on a rarement vu les gouvernements péquistes montrer leur affection pour les Québécois. Afin de sauver la mise des financiers et des industriels et assurer la paix sociale qui était devenue l'obsession de Robert Bourassa après son tragique premier mandat, on a sacrifié les porteurs de la victoire de 1976 et de la défaite de 1980 sur l'autel des conventions collectives de tous les salariés de l'État; on a constamment fait porter sur le dos des plus démunis les obsessions du déficit zéro de Lucien Bouchard et le maquillage peu subtil des politiques économiques de Bernard Landry. Tant qu'à Pauline Marois, pour le peu de temps où elle fut Premier ministre du Québec, on a eu le droit à cet oxymoron méprisable de voir sa ministre en visite à Ottawa, Agnès Maltais, se faire du capital politique à la façon dont le gouverne-
ment fédéral mutilait l'assurance-chômage alors que dès son retour à Québec, elle appliquait une politique de contraintes envers les assistés sociaux, politique que les Libéraux se sont empressés de reproduire sitôt élus et même «d'améliorer» dans l'odieux à travers le parler en langues de Sam Hamad. La réponse est donc clairement toujours la même : les Péquistes aiment l'État du Québec au détriment de l'amour des Québécois... et ceux-ci le leur rendent bien.

La troisième reproduction de l'alternative augustinienne pourrait se formuler ainsi : les souverainistes aiment-ils l'indépendance du Québec au détriment de la survie du Parti (et des intérêts qui le soutiennent) ou préfèrent-ils la survie du Parti à l'indépendance du Québec qui mettrait fin, de facto, à son existence? Le «choix stratégique» se pose là. Contraire-
ment à un Gilles Duceppe qui se servait du vote par conviction pour mousser le Bloc Québécois à la Chambre des Communes contre le vote stratégique (pour le N.P.D.), les Québécois ont voté stratégiquement (libéral) de préférence à voter par conviction. Cloutier, Lisée et Plamondon auraient pu se diviser le vote stratégique, pourtant, c'est le vote par conviction, représenté par la candidate Ouellet qui s'est retrouvé minoritaire! Là encore, la stratégie l'a emporté sur les convictions. Contrairement au mythe qui dit que le Parti Québécois est un parti de débats et d'idées, aucune idée neuve ou remarquable n'a été brassée dans cette course à la chefferie et ne le sera dans les congrès ultérieurs. Rares sont les Péquistes qui entendent transcender la «résilience» (entendre la résignation, mot plus brutal et peu amène à l'époque de la bizounourserie) pour s'activer à faire du Québec un pays avec ses institutions propres, se contentant toujours du «bon gouvernement», dont on a vu qu'il n'était pas si bon pour la population québécoise que pour une multinationale comme Kenworth par exemple, ou encore les pétrolières qui souhaitaient faire de l'exploration sur l'île d'Anticosti naguère. La même minorité dominante, qui déjà gave le Parti Libéral du Québec de ses deniers, fournie également au râtelier du Parti Québécois. Durant plus de la moitié de son existence, on a vu le sauveur Bouchard, le patriote Landry, le coffre à outils à Boisclair, le Drame de Béton et l'abrutissant Péladeau faire les lèche-bottes des grands capitalistes. À chaque nouvelle compromission se développait une minorité intègre de membres du parti qui parvenait à faire sauter le chef peu fiable : le député-poète Gérald Godin a ainsi obtenu la peau de Johnson; le quadriumvirat Curzi-Lapointe-Beaudoin-Aussant a échoué à obtenir le béton de Marois, enfin c'est l'ex-épouse même de Péladeau, la sémillante Julie Snyder, qui nous en a débarrassé en lui tordant le cou devant des millions de téléspectateurs. La raison est évidente : le Canada (tel que nous le connaissons) et le Parti Québécois partagent une chose en commun : ils ne veulent pas mourir. Et devant cette coalition plus ou moins tacite, l'aspiration, l'idéal de l'indépendance, ne fait pas le poids.

On devine déjà ce que serait un gouvernement Lisée, ce maintien du mélodrame bourgeois du p'tit patira qui, transportant son petit panier, ira chercher chez la mégère d'Ottawa un p'tit chèque de péréquation en promettant qu'à la prochaine fois qu'il reviendra, il sera plus gros... Lorsqu'on est habitué depuis un demi-siècle à un même scénario, pourquoi en changer? En mettant l'option sur la glace – comme le patriote Landry à l'époque -, on sentira assez vite les relents du duplessisme émaner des discours de M. Lisée, ne serait-ce qu'afin de servir de sucre pour les abeilles de la Coalition Avenir Québec et rassurer les conservateurs et les bailleurs de fonds du parti. Puis, il y a cette tare du Parti Libéral que le P.Q. porte dans son A.D.N. et que le Premier ministre Couillard rappelait à Sylvain Gaudreault – le chef intérimaire du parti après la défection de Péladeau – à travers les vers d'un petit poème. (C'est sans doute ce qui a choqué le plus les Péquistes, ce rappel de la scission du Parti Québécois du Parti Libéral en 1968.) Politiquement velléitaire et économiquement opportuniste, c'est l'impuissance même qui marque les Québécois depuis 200 ans et qui se ramène à la formule : Quand dire, c'est faire. Et comme l'on peut dire tout et son contraire (ce qui est plutôt problématique pour le "faire"), on réalise assez vite qu'il y a beaucoup de vent dans le dire autant qu'il y a peu d'action dans le faire. Ce qui fait régresser encore plus la cause indépendantiste et ce que soulignait l'impayable Gilles Duceppe, «critique politique» et supporteur avoué de Cloutier : Jean-François Lisée parle un double langage. C'est-à-dire qu'il parle des deux côtés de la bouche. Une semaine avant le vote, il affirme que «la souveraineté est un fardeau pour le parti» et le soir de son élection, il rappelle que son parti conserve son option qui guidera son action. Suivant le schéma infantile exposé par Mélanie Klein, il y a là l'imago du patriote (dans la deuxième phrase), le bon Jean-François Lisée disait Duceppe et l'imago du traître (dans la première phrase) le mauvais Jean-François Lisée. Dans l'esprit des indépendantistes (ceux qui ne se laissent pas prendre par la stratégie référendaire et le discours sur la souveraineté), la psychologie est fractionnée dans l'image qu'il a de lui-même et ne peut la réconcilier pour former un tout qui le conduirait au-delà de la simple partisanerie. Or s'il en est ainsi, que penser des Québécois dans leur ensemble? C'est ici que le choix augustinien donne naissance à deux véritables poupées gigognes : Ceux qui aiment le Canada, le Parti Québécois, la stratégie de l'impuissance référendaire et ceux qui aiment le Québec, les Québécois et l'auto-détermination active.

Mais de préférence aux grandes théories, le politicien préférera les rivalités stratégiques entre copains de golf et de bordel de luxe à Cuba. La première course se livrera entre le P.Q. et la C.A.Q. afin de chausser les vieilles godasses de l'Union Nationale. La tentation unioniste a toujours marqué le Parti Québécois. C'est d'ailleurs un député de l'Union Nationale, Jérôme Proulx, qui a traversé la chambre pour aller rejoindre René Lévesque en 1968. Dès sa fondation sous la dénomination d'Action Démocratique du Québec, Mario Dumont avait récupéré le concept d'autonomie provinciale de Maurice Duplessis. Ce concept plaît aux conservateurs de province qui rejoignent le Parti Conservateur du Canada. Mais dans la deuxième course, en vue de vaincre les Libéraux, le P.Q. devra recourir à la rengaine du référendum, balancé comme la carotte devant l'âne pour faire avancer l'électorat partisan afin d'obtenir le nombre de sièges requis. En le repoussant en 2022, Lisée pense pouvoir s'assurer la victoire pour 2018; puis en 2020, le référendum sera repoussé à 2024 et ainsi de suite. Pour piquer les fesses de l'âne, on insistera sur les magouilles du gang Charest-Couillard et on vaselinera le tout avec des déclarations anti-islamistes. Comme un mauvais soap d'après-midi, la stratégie péquiste et les répliques libérales sont prévisibles deux ans à l'avance.

Lorsqu'on a une aspiration profonde dont le but est de changer les fondements des institutions et créer un monde selon un modèle éthique qui répondrait à la définition donnée par Lincoln de la démocratie, i.e. un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple; qu'on se verrait une république sociale (et non socialiste) avec un souci d'équité de la redistribution de la richesse qui n'est pas le produit du capital mais du travail; que l'on valorise l'égalité des chances contre les blocages corporatifs qui discriminent selon l'âge, le sexe ou le népotisme; il n'y a aucun parti au Québec qui va dans cette direction. L'échec du second référendum a tué le Parti Québécois dans la mesure où même en ayant concédé aux frileux que le passeport, l'armée, les douanes et autres privilèges de l'État canadien seraient conservés, le Non l'a emporté. On a dissimulé le geste honteux d'abord sous l'immigration et le Capital, puis sous la formule de Philpot du référendum volé, mais c'était l'inefficacité même du processus référendaire que l'on cherchait à voiler. Soyons profondément machiavélique. On n'attend pas que l'État du pays nous tombe dans les mains. Il faut s'en emparer. Il y aura des cris, des holà!, des "ce n'est pas démocratique" - comme si l'État actuel était démocratique alors qu'il n'est qu'électoraliste -, la peur de la guerre civile qui hantait les pires cauchemars de René Lévesque (entre deux clopes, une game de cartes puis une pute). Après avoir carburé à l'enthousiasme des RINistes, Lévesque le premier, avec «le beau risque» à la François Hertel, a laissé mourir la flamme des années 60. Ce parti n'est plus alors devenu que l'ombre de lui-même : impuissant, vidé de toute la confiance populaire et entretenu par des gens qui s'imaginent que la conjoncture des années 60 reviendra.

Entre temps, des opportunistes véreux sont venus, comme Péladeau, phagocyter ces espoirs en espérant mettre leur nom dans le dictionnaire. Le Parti Libéral du Québec est haïssable, mais le Parti Québécois est méprisable, et derrière la haine, il y a un sentiment d'amour inavouable, alors que le méprisable porte en lui le mépris de soi-même. Voilà pourquoi, si on ne pourra jamais l'effacer des manuels d'histoire, du moins qu'on lui injecte l'aide électorale à mourir le plus rapidement possible car si la nécessité de l'Indépendance s'impose, elle ressuscitera sous des augures nouvelles et peut-être meilleures. Tant qu'on s'attachera, comme le divin Bock-Côté, à cette momie péquiste, oui, le monde s'écroulera! Avoir confiance dans la vie, c'est, comme dit l'Ancien Testament, amputer le membre dévoré par la gangrène qui nous tue. Les compromis vont pour la gestion domestique de l'administration publique. Lorsqu'on place un changement constitutionnel au centre de sa politique, la tactique du compromis ne satisfait personne et accroît les frustrations. Voilà pourquoi les deux échecs référendaires ont amené le P.Q. a se venger sur la population comme il a été rappelé plus haut.

Les hésitations et les incertitudes du Parti Québécois ont sans doute divisé la droite politique, mais la gauche a subi les contre-coups de son association avec le nationalisme québécois. Le Parti Québécois a joué à son aile gauche le mauvais tour que Duplessis avait jadis joué à l'Action Libérale Nationale, surtout après l'amertume de la défaite de 1980. Le vote en masse et sans lecture des décrets la veille de Noël 1981, puis la menace du renérendum contre ceux qui voulaient soustraire l'association de la souveraineté (chantage affectif de la démission brandit par Lévesque, stratégie ignoble que reprendra Lucien Bouchard), enfin le comportement méprisant de Lévesque lors de la grève tenace des enseignants de la C.E.Q. ont sévèrement été jugés par l'un des premiers historiographes du Parti, Graham Fraser :
«Quoique les syndicats aient été les grands perdants, on ne saurait dire que le gouvernement soit sorti gagnant de toute cette histoire. Il s'était mépris sur le sens véritable de la négociation en inscrivant la masse salariale dans son budget avant même que les discussions ne commencent, et il se méprit également sur la détermination des syndicats à résister. Ce qu'il ne put obtenir par la persuasion au cours de ce que Gérard Bergeron appela "cette bizarre négociation à l'envers", il l'arracha par la menace et la coercition.
Par conséquent, le gouvernement se coupa des éléments les plus idéalistes, les plus progressistes et les plus actifs du parti. Il dévalorisa le concept de la loi en l'utilisant comme un instrument circonstanciel. Il fit montre de mépris à l'égard des droits fondamentaux. Sa crédibilité comme gouvernement responsable s'en trouva sérieusement entamée "il serait impossible de faire pire une prochaine fois", comme le dira Gérard Bergeron.
Comme Lévesque le prouva par sa remarque impatiente sur les "gens normaux", il ne fut pas fâché que le parti se détache de ceux qu'il avait toujours considérés comme des extrémistes irresponsables. Selon ce qu'il laissa entendre à Peter Desbarats, en 1969, il prévoyait que le Parti québécois se scinderait après l'indépendance en un parti de gauche et un parti de droite. En 1960, Lévesque s'était senti à l'aise dans la dissidence; vingt ans plus tard, il la considérait comme une conduite anormale et intéressée.
Le conflit mit fin au désir du parti de s'identifier au mouvement ouvrier. Du même coup, il intensifia la tendance à penser en termes corporatistes de "concertation", c'est à dire de groupes d'intérêts, en l'occurrence le salariat et le patronat, appelés à collaborer sous l'égide gouvernementale à la planification économique. Les événements forcèrent le parti à se redéfinir idéologiquement comme un parti centriste et dirigiste à la fois» (G. Fraser. Le Parti Québécois, Libre Expression, 1984, pp. 356-357)
Le Anybody but Ryan avait ramené un Parti Québécois démoralisé au début de 1981, obligé de négocier le rapatriement de la Constitution, promesse faite par Pierre-Elliott Trudeau si le Non était vainqueur au référendum. On en connaît la suite douloureuse. La gauche, c'étaient alors les centrales syndicales, des groupes communautaires, des groupes représentant surtout le mouvement féministe. Ceux-ci finirent, après de longues années, par se fusionner et produire un parti de gauche, Québec Solidaire, essentiellement actif dans le centre de Montréal, premiers fiefs péquistes en 1972. Mais qu'est-ce que Québec Solidaire?

Q.S. n'est pas un parti... c'est un menu à la carte qui rappelle la pastorale pizza des années 70. Un amalgame de toutes sortes de revendications englobées sous le parapluie social. Mais on y retrouve la pensée la plus égotiste qui soit. Les féministes, l'environnement, les vieux cocos passés date, des anarchistes bon teint, des véganes, des groupes de défenses de malades, des handicapés, des alarmistes de la diététique, les groupes d'inclusion d'immigrants, les L.G.B.T.Q.... mais il n'y a pas de pâte pour faire lever tout cela. En fait, Q.S. est aussi le plus Québécois des partis car il montre quelle est la conception de l'État que ceux-ci se font : une machine distributrice de services. On ne se préoccupe pas trop comment la machine se remplit (ce que ses adversaires ne cessent de lui rappeler), mais seulement comment la vider en fonction de justifications humanitaires, de droits humains inaliénables, de la justice sociale, équitable, d'engagements contre les injustices étrangères, l'accueil aux réfugiés et la protection tout azimut de l'environnement, de la santé individuelle tant côté prévention que cathartique. La distribution à la consommation la plus démocratiquement possible. Au niveau du remplissage de la machine, on n'élabore guère au-delà de piller les coffres en banque des riches, ramener l'argent détourné et caché dans les paradis fiscaux par les salopards, jouer sur des taxes répressives... Le reste viendrait comme par miracle.

Pour avoir accès aux tas de cochonneries étrangères, même Parizeau a conseillé Mulroney dans la négociation du Traité de libre-échange Canada-USA-Mexique. Notre secteur de production, non seulement au Québec mais dans l'ensemble du Canada, en a subi les contre-coups que les syndicats avaient vus venir. Nous consommons trop pour ce que nous produisons et le résultat est un déséquilibre budgétaire autant privé que public. Le secteur agro-alimentaire a été démantelé pour l'expansion urbaine et pour le secteur de l'agriculture extensive orienté pour le commerce étranger, des pans entiers de la production québécoise ont été sacrifiés sur l'autel de l'Organisation Mondiale du Commerce. Et on remet ça avec le traité transpacifique et l'accord de libre-échange Canada-Europe. L'effet est de nous ramener 200 ans en arrière, avec un statut économique colonial dont Harper a été le principal artisan et que le P.Q. endosse : la prédation des ressources naturelles. Entendons-nous, ne serait-ce que sur la crise de l'oléoduc Énergie-Est. On y retrouve, militant contre son passage sous le Saint-Laurent, des environnementalistes, oui certes, mais aussi beaucoup de petits propriétaires qui ne voudraient pas voir le mastodonte crever sous leur terrain entraînant la perte de la valeur immobilière. Évidemment, Q.S. va vanter le nombre impressionnant des manifestants participant à des mouvements de masse anti-oléoduc pour confirmer sa position, mais tous ces participants n'accepteraient pas pour autant la politique migratoire de Q.S. ou l'indépendance du Québec qui font également partis du menu. Comme les Libéraux, les Péquistes au pouvoir seraient moins catégoriques dans leur refus de laisser passer le pipeline si les redevances et les garanties de l'entreprise satisfaisaient les coffres de l'État toujours aussi bizarrement vidés...

Je veux bien qu'on pleurniche sur nous les délaissés du système, mais comment créer la richesse dans un Québec social quand l'économie mondiale carbure à l'avidité des capitalistes? Les Québécois sont quand même contents de la manière dont vont les choses. Mais contents ou pas, cela n'a rien à voir avec l'option soulevée par le Parti Québécois. De telles réactions montrent combien les Québécois ne comprennent rien à ce qu'est LE politique. Ils suivent les joutes comme des amateurs de hockey avec des commentateurs sortis des ligues de garage. Et, en effet, comment pourrait-on avoir de l'intérêt pour ces opinions superficielles sur des enjeux aussi fondamentaux? Les Grecs anciens savaient que lorsqu'une fin de culture arrive, il est important de savoir choisir la forme avec laquelle on devra disparaître. Entre les malversations des Libéraux et la couardise des Péquistes, entre l'inconscience manifeste des Caquistes et les contradictions pathétiques des Solidaires, nous sommes encore à en chercher une qui sera au moins digne du peuple que nous nous disons être. N'est-ce pas le Parti Québécois qui, dans sa foulée des obsessions du déficit zéro de Bouchard a liquidé l'un des meilleurs programmes d'intégration des immigrants à la société québécoise? Les Libéraux ont continué à sous-financer ces programmes, puis le P.Q. de Marois a joué la carte de la Charte des valeurs québécoises. On voulait bien paraître. On a paru une bande d'arriérés mentaux. Se montrer accueillant? Soit en jouant la carte du multiculturalisme des Libéraux, soit en jouant la carte de l'intolérance identitaire des Caquistes : entre les deux, des Indépendantistes toujours aussi incertains. L'option indépendantiste dépasse les compromis au ras de pâquerettes auxquels se livrent les politiciens. Toute la différence entre LE et LA politique tient dans cette impasse. Trudeau le comprenait mieux que Lévesque. Il aimait le Canada au détriment du Québec, mais il n'aimait pas le Parti Libéral du Québec au détriment de lui-même, de sorte que même le Parti Libéral du Québec ne peut entièrement se fondre, malgré les efforts successifs de Charest et de Couillard, dans le projet constitutionnel de 1982. Pour l'ensemble des Québécois, la population s'abandonne au jeu de hasard et des paris de la politique de partis, ce qui ne cesse de miner LE politique du pays.

La joute politique ne se tient plus en fonction du pouvoir du peuple, encore moins par le peuple, et sûrement pas pour le peuple. Il s'agit de la viabilité de ces intermédiaires présentés comme un mal nécessaire dans le principe de la représen-
tativité : les partis politiques. L'erreur première du Parti Québécois, préalable à toutes les autres, fut qu'une identité ethnique soit associée à un parti, car il est de nature que les partis ne changent rien. Tous les partis sont nocifs pour la société à cause du désengagement des populations. On voit la chose aux États-Unis, en France, et à peu près partout en Europe. Plus personne ne croit ni aux politiques, ni aux partis, ni aux politiciens dont très peu montrent de réelles qualités de chefs d'État. Ce sont les événements, souvent imprévus, qui obligent à changer en vue d'adapter des institutions qui ne conviennent plus au nouveau mode d'être. Les partis sont des avatars religieux, des reliquats du temps où ils étaient encore des sociétés secrètes en lutte contre des despotismes. Ce sont eux qui ont pris la place des absolutistes et s'y trouvent parfaitement bien installés. Le Parti Libéral du Québec se présentait comme le parti des libertés du temps de l'ultramontanisme clérical. Depuis qu'il s'est assis au gouverne-
ment, au début du XXe siècle, il s'est approprié le pouvoir jusqu'à l'exercer de façon autoritaire car il ne trouve devant lui aucun principe unificateur. Le seul principe unificateur qui le dépasse, c'est l'idole mal conçue qu'est le lieutenant-gouverneur, représentant de la Reine du Canada au Québec. Jamais l'idée de Voltaire (ou d'Alain, ou de lord Acton au choix) - que le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument - ne lui effleure l'esprit. Aussi le Parti Libéral vit-il cette prétention centenaire d'être le parti des Québécois, capable de réconcilier les ethnies et les intérêts. Cette prétention est précisément celle que les Péquistes aimeraient goûter; cette tare héritée de leurs origines libérales. Comme tous les partis dans le monde, ils peuvent promettre l'indépendance ou la prospérité; le socialisme ou le communisme; le bonheur pour tous sur terre comme au Paradis : et voilà pourquoi, vivant d'espoir, les gens s'accrochent à eux. Et dans le cas où l'éducation politique est pratiquement nulle, comme parmi les Québécois, ces partis deviennent rapidement de petits despotes.

Mais ils sont indispensables, car l'anarchie telle que nous la voyons dans une grande partie du monde entraîne souffrances inutiles et désolations. La société québécoise n'a pas eu à lutter pour que la démocratie s'inscrive dans ses institutions. La monarchie anglaise elle-même a montré, depuis la Glorious Revolution de 1688, qu'elle pouvait évoluer et un Patriote comme Papineau n'avait qu'éloges pour le système britannique. L'auctoritas, si elle n'est pas incarnée par un roi, le sera par un président de la République. L'essentiel qui se dégage de cette fonction plus symbolique qu'idéologique, c'est le sens de l'unité subjectif que ces institutions assurent à la collectivité. La couronne britannique (devenue canadienne avec la Constitution de 1982), qui est le chef d'État du Québec dans la personne du lieutenant-gouverneur, n'a jamais réussi à endosser le sens de l'unité des Québécois. A priori, le chef du gouvernement ne l'incarne pas non plus. Il n'y a donc aucune structure supérieure en laquelle notre collectivité peut reconnaître ce sens de l'unité, en cela réside la différence fondamentale entre le Canada et le Québec. Les Canadiens peuvent se reconnaître dans la figure du gouverneur-général, délégué de la reine au Canada, gardant son siège bien au chaud entre ses visites; mais le lieutenant-gouverneur, par son insignifiance et sa vacuité politique, renforce la fonction symbolique du Premier ministre. Elle a jadis permis à des individus comme Duplessis ou Lévesque, d'incarner cette auctoritas au-delà des intérêts paroissiaux qu'ils représentaient. Le Parti Québécois n'a cessé de jouer sur cette ambiguïté qui, à défaut de réel pouvoir, dans l'opposition par exemple, prétendre surpasser son rôle parlementaire. Nous l'avons vu à travers la citation de Fraser, lorsque Lévesque, au gouvernement, a abusé de cette ambiguïté pour bafouer et la dimension éthique ou morale de la grève des enseignants, et les lois votées, ce qui a maintenu ouverte cette porte par laquelle ses successeurs, essentiellement Lucien Bouchard, Jean Charest et Philippe Couillard, se sont engouffrés avec l'impunité la plus scabreuse. Un Québec indépendant - et il faut reconnaître à Martine Ouellet cette maturité politique - ne s'imagine pas sans une proposition définie de l'exécutif du pays à venir, ce que Jacques Parizeau lui-même avait conscience en formant son cabinet en 1993. Ses héritiers ne l'ont pas compris et nous passons d'un opportuniste à l'autre depuis 20 ans. Le fait de ne pas résoudre définitivement la question constitutionnelle laisse un vide juridique plus important symboliquement dans la mesure où le sens de l'unité des Québécois tendra de plus en plus à se déplacer vers le gouvernement fédéral, le commun des Québécois ne distinguant pas un chef de gouvernement d'un chef d'État. Ce sens de l'unité se dissout dans le tout canadien, tuant en lui sa spécificité culturelle et historique. L'idée que les Québécois forment bien un peuple distinct dans l'ensemble occidental s'efface plutôt que de se raffermir. Les Québécois prétendent de moins en moins appartenir à un Volksgeist, ramenant leur sens de l'unité à l'orientation sexuelle ou à des réseaux d'intérêts qui ne dépassent pas souvent le niveau du virtuel. Et notre extinction réside là et non dans les querelles stériles de partis.

Il faut lire ces textes du XIXe siècle, les mandements des évêques ou les discours des politiciens, même les plus patriotes, pour voir tous les mérites reconnus et les bienfaits de la cession de 1763 qui nous a soustrait aux turpitudes de la Révolution française. Ce n'est pas la monarchie anglaise la cause des problèmes du Bas-Canada, mais la lutte des partis au Parlement de Londres dont le gouvernement colonial est tributaire. À son retour d'exil, Papineau ne prônera pas l'indépendance du Bas-Canada, mais son annexion aux États-Unis. Papineau s'adressait en anglais au Parlement du Canada-Uni, même lorsque Lafontaine eut fait reconnaître l'usage des deux langues officielles. Ce qui étonna d'ailleurs le jeune Louis Fréchette qui assistait à un débat parlementaire. Le sens de l'unité portant l'auctoritas était investi jadis dans un ordre supérieur, divin et monarchique. Avec la montée de la bourgeoisie occidentale, c'est la fiction du contrat social qu'elle imposa. Le régime britannique, consistant en une constitution (non écrite) passée entre les citoyens et leur gouvernement est le modèle qui s'applique au Canada : le contrat social tel qu'interprété par le philosophe Hobbes. Un siècle plus tard, le contrat social, dans la version de Jean-Jacques Rousseau, liait les citoyens les uns aux autres d'où se dégageait la volonté populaire garantie par une constitution écrite, c'est le système français et le modèle exporté en Europe par les conquêtes napoléoniennes. Dans le contrat social hobbesien, le roi est l'incarnation du sens de l'unité de ses sujets. Il serait ainsi protégé contre l'action des intérêts particuliers, élevé au-dessus des partis; le potestas, lui, devenant le vrai gouvernement, renvoyé au scrutin populaire avec l'établissement de la démocratie. Voilà pourquoi un parti qui parvient à s'identifier à l'État, comme dans le fascisme, le nazisme ou autres formes de totalitarisme, apparaît vite inacceptable et anti-démo-
cratique. La fiction du contrat social n'est jamais totalement rassurée sur la légitimité de qui incarne l'unité. De l'impératif catégorique de l'État selon Kant à la monarchie britannique convertie en monarchie canadienne, Trudeau enchâssa dans la Constitution une Déclaration des droits et liberté qui, en bon catholique qu'il était, fit de Dieu le principe suprême dans lequel se ralliait le maximum des consciences de la population. On comprend que les partisans du P.Q. aient fulminé. Implicitement, c'était reconnaître à la fois le multiculturalisme (toutes les cultures ou presque reconnaissant l'existence de Dieu quel que soit le nom qu'on lui donne) et la primauté du droit individuel sur le droit collectif ou historique sur lequel se base la légitimité de l'indépendance du Québec (mais aussi les prétentions amérindiennes de posséder des territoires nationaux). Le gouvernement Lévesque fit voter une charte analogue, mais répondant aux traits spécifiques de la nation québécoise. Qu'en sera-t-il de la constitution que le think tank péquiste cogite présentement autour de Daniel Turp?

Certes, bien des gens ne croient ni en Dieu ni au Diable, ni en Couillard ni en Élizabeth II, ni en Obama et pour les Péquistes, ni en Jean-François Lisée, mais ce ne sont pas les individus qui décident de cela! C'est un PRINCIPE, une transcendance à laquelle chacun accepte de se rallier par convention. Voilà pourquoi la démocratie-en-mouvement représente le mieux l'unité d'une communauté : une identité, une distinction qui ne peut se démontrer par une méthode scientifique ou mathématique. Une motivation psychologique, purement subjective (croire et non savoir), permet d'adhérer à une commu-
nauté, une société, bref un tout qui se distingue des autres touts qui l'environnent. Si on ne croit pas dans cette unité du peuple québécois, qu'il existe ou non dans le réel, on ne peut adhérer à son destin qui est de s'incarner dans une structure supérieure à chacun de ses membres. Voilà pourquoi cette croyance dépasse les intérêts paroissiaux ou individuels et pourquoi le Canada n'est pas une nation, mais le résidu de l'Amérique Britannique du Nord, comme le stipulait le titre de l'acte de naissance de 1867. Simple loi votée par le Parlement de Londres et déposée dans les filières du Colonial Office. La notion de nation canadienne, une fois qu'elle se fut répandue du Québec vers le reste du Canada, fut une annexion fédérale plus qu'une convention à laquelle ce R.O.C. résista jusque dans les années soixante du XXe siècle! (Pensons au refus de la Colombie Britannique de prendre le nom de Colombie Canadienne dans ces années 1960.)

Dans le cas du Québec, la foi nationaliste est le résultat du déplacement de la foi catholique vers la nation sans qu'on ait jamais pensé définir cette nation au-delà de ses traits ethniques. Sieyès ou Mirabeau, en 1789, pouvaient définir la nation sur la base de tous ceux qui produisent à l'intérieur et contribuent à enrichir le royaume. On y voyait surtout les bourgeois, les cultivateurs libres, les propriétaires et ceux qui étaient sous leur dépendance (ouvriers et employés). La nation française ne se définissait pas par des structures ethniques ou linguistiques et on pouvait appeler l'empire napoléonien la Grande Nation, défendue par la Grande Armée, qui regroupait des soldats provenant de toutes les régions d'Europe... Mais le clergé ultramontain et nationaliste du Québec de la fin du XIXe siècle a préparé la voie à la transition qui s'est opérée avec la Révolution tranquille. La nation québécoise est-elle ethnique ou non? Elle le fut dans la mesure où la religion cédant ses privilèges institutionnels, la langue resta seule la garantie de son identité, d'où la vigueur des débats et des manifestations en faveur de la protection de l'usage courant de la langue française au Québec entre les années 1960 et la fin des années 1980. La défaite référendaire de 1995 a coïncidé avec l'anglicisation progressive de la planète due à l'étendue de la toile électronique. On discute sur le WEB essentiellement en anglais. Les publications savantes et même littéraires sont favorisées par le marché qui est essentiellement anglophone et multinational. Les Québécois instruits ne cessent de vanter la magie de la langue anglaise dans les affaires, les sciences et les techniques, voire dans les arts et la littérature, le cinéma, la dramaturgie. Faire carrière à New York ou à Hollywood est devenu facilement accessible aux réalisateurs québécois. Et les universitaires maîtrisent mieux l'anglais écrit et parlé qu'ils ne saisissent le français. Un des Pères de la Confédération, l'Irlandais Thomas d'Arcy McGee (qui tomba sous la balle d'un assassin le 7 avril 1868) avait bien saisi la corde sensible des Québécois de l'époque : «La langue est pour eux un point d'honneur et le levier du pouvoir. Aussi longtemps qu'ils la conservent, ils sont inconquis. Si leurs enfants cessent de la parler, ce sera une perte encore plus grande que celle de Montcalm» (cité in G. Fraser. p. 113). L'observation de D'Arcy McGee est importante car, en tant qu'Irlandais, lui-même avait lutté dans sa jeunesse contre l'imperium britannique et pour l'indépendance de l'Irlande. C'est un indépendantiste irlandais d'ailleurs, Patrick Whelan, le considérant comme traître à sa patrie irlandaise, qui le tua. Les Irlandais avaient choisi de sacrifier leur langue pour se rabattre sur la religion catholique. Les Canadiens Français demeuraient accrochés à leur Église, certes, mais bien davantage à leur langue, choix que la Révolution tranquille confirma. Or, nous en sommes précisément à ce moment prophétisé par McGee du laisser-aller de la langue française, surtout dans la métropole du Québec qu'est Montréal, ce qui, selon la métaphore même de McGee, devrait sonner l'heure de la conquête définitive et irréversible.

La crise identitaire des Québécois, telle que nous la percevons à travers des manifestations disproportionnées vis-à-vis les signes «ostentatoires» des cultures musulmanes et l'islamophobie qui s'installe parmi la population, surtout en région, est un dérivatif sur lequel Libéraux, Caquistes et Péquistes s'entendent, car elle cache ce moment d'Arcy McGee que, politique-
ment, aucun parti ne veut assumer. Ouvrir la question de la langue au Québec devient synonyme d'ouvrir la boîte de Pandore. Même durant le court laps de temps où le gouvernement Marois était à la barre de l'État, ce gouvernement souverainiste glissa vers la Charte des valeurs avec l'obsession (légitime) de l'égalité homme/femme. Or cette égalité est moins structurante de l'identité québécoise (en fait, elle ne l'est pas du tout) que la question de la vivacité de la langue française comme trait caractéristique des Québécois en tant que peuple tenu par un sens de l'unité. Les gouvernements libéraux de Charest et Couillard laissent dériver l'application des mesures de la loi 101 à la grande satisfaction d'une partie des commerçants et des industriels. L'arrogance avec laquelle certains commerçants de Montréal refusent le service en français devient injurieux, voire intolérable. Et au moment où s'achève cette course stérile à la chefferie du Parti Québécois, les journaux révèlent que 53% des étudiants qui franchissent le secondaire ou obtiennent des diplômes du CEGEP sont des analphabètes fonctionnels. Il aura fallu moins de trente ans pour abaisser la garde et permettre ce que les lointains ancêtres, avec leur latin prétentieux, n'avaient permis. À quoi sert alors une stratégie référendaire si, de toutes façons, nous nous acheminons volontairement vers la mort? Un affrontement Trudeau-Lisée sur les Plaines d'Abraham complèterait le sort tiré le 13 septembre 1759. Telle est l'aboutissement de cette tare nationale de l'auto-destruction et l'impossible sens de l'unité identitaire des Québécois devant le reste du monde. Du moins aura-t-on les figures de styles onctueuses de MM. Couillard et Lisée pour prononcer l'oraison funèbre et un chœur cacophonique qui entamera le Te Deum multiculturel⌛
Montréal
12 octobre 2016

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