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Ygreck. La dernière cenne. |
L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC POUR LES NULS
Alors que personne n’y pensait voilà plus
d’un mois, voici que les esprits s’échauffent dans le contexte de la campagne
électorale de mars 2014. Le Parti Québécois – ce zombie de l’Union Nationale –
ronronnait doucement sur la vague qui le portait, jusqu’à l’arrivée impromptue
de Pier-Karl Péladeau, le millionnaire de la débilitante chaîne Québécor, avec
ses journaux à potins sensationnalistes et
une grande partie de sa programmation télévisuelle digne des faibles d’esprit,
sans oublier ses «Quebec bashers» de la chaîne Sun dans le Canada anglais. Le millionnaire a levé le poing pour
dire qu’il voulait un pays. Le geste théâtral, réminiscence d’une jeunesse
perdue dans la débauche d’un quelconque Parti Communiste, a énervé les
Québécois et paniqué les Canadians. Personne n’a semblé remarquer que tout cela
n’était qu’une singerie du Yes we can du
candidat Barack Obama, du temps où on pouvait croire que ce dernier allait
changer l’esprit de la politique américaine. Tous ces gestes ampoulés, ces
déclarations à l’emporte pièce dignes de mauvais vaudevilles, entraînent
pourtant sa foule de dupes qui ne demandent qu’à mordre aux hameçons enrobés de
miel. Dans les faits, le processus historique est généralement plus triste ou plus
terne. Pour la poésie épique ou le drame tragique, les poings levés, les
déclarations tonitruantes et les poignards dressés font partie du décorum
baroque toujours apprécié des Québécois.

Avec ou sans référendum affirmant la
souveraineté-association ou la souveraineté-coopération, nous sommes
à des
années lumières de la réalité concrète de l’indépen-
dance du Québec. Si on s’en tenait aux discours, on pourrait même croire que c’est le candidat Philippe Couillard du Parti Libéral du Québec qui distille le mieux le venin dans les esprits, allant jusqu’à affirmer que le Québec indépendant serait viable mais qu’il coûterait trop cher à réaliser. Encore là, il n’est pas le premier chef du Parti Libéral à le reconnaître. Robert Bourassa, il y a des lustres, le reconnaissait déjà. Ceux que tout cela semble inquiéter, ce sont les dirigeants du Parti Québécois qui savent bien que l’indépendance du Québec serait la mort même de leur parti, tant ses membres se diviseraient sur la direction à donner au nouveau pays. En faire une république de bananes néo-libérale ou une
République
sociale qui enjamberait cet esprit néo-démocrate qui finit toujours, comme on
sait depuis la République de Weimar, le Parti Socialiste français et le Labor
Party d’Angleterre jusqu’au Nouveau Parti Démocratique canadien sous Thomas
Mulcair, par devenir un Parti Libéral nouvelle mouture. La République sociale
est l’aboutissement des aspirations à la fois socialistes et nationalistes en
créant un État-nation dévoué non à l’intoxication de son propre pouvoir mais à
être un État qui se reconnaît comme mal nécessaire et, par le fait même, se met
au service de sa population non seulement en participant à la création de sa
richesse, mais aussi à sa répartition équitable. Comme tout le monde de sensé peut
le constater, nous sommes non seulement loin de cet idéal, mais toutes les
forces régressives et conservatrices se dressent contre cette utopie en restant
campés soit dans un nationalisme de petits entrepreneurs, soit dans un
socialisme à la carte pour les enfants-rois jouant aux gauchistes.

dance du Québec. Si on s’en tenait aux discours, on pourrait même croire que c’est le candidat Philippe Couillard du Parti Libéral du Québec qui distille le mieux le venin dans les esprits, allant jusqu’à affirmer que le Québec indépendant serait viable mais qu’il coûterait trop cher à réaliser. Encore là, il n’est pas le premier chef du Parti Libéral à le reconnaître. Robert Bourassa, il y a des lustres, le reconnaissait déjà. Ceux que tout cela semble inquiéter, ce sont les dirigeants du Parti Québécois qui savent bien que l’indépendance du Québec serait la mort même de leur parti, tant ses membres se diviseraient sur la direction à donner au nouveau pays. En faire une république de bananes néo-libérale ou une

Il faut donc remettre les pendules à
l’heure pour ceux qui se croiraient à la veille du grand soir.
La tentation est toujours grande de
confondre les mots et les choses. Référendum, souveraineté, indépendance. Pour
beaucoup de Québécois, qu'ils soient pour ou contre, c’est la même chose. Or, ce
n’est pas vrai. D’abord, le référendum ne donne pas la souveraineté. Et la
souveraineté, ce n’est pas l’indépendance (nationale). La souveraineté n'a pas besoin de pays pour être appliquée. Par contre, un pays a besoin de toute sa souveraineté pour exister.
Le référendum
est un processus juridique de nature démocratique, comme le plébiscite. Depuis 1980, le
référendum n’est rien
de plus qu’un accord démocratique donné par la population à son gouvernement
afin de négocier, ici au niveau constitutionnel, un réaménagement des relations
entre l’État québécois, l’État canadien et les gouvernements des autres
provinces (qui ne se considèrent pas comme des États). Dès 1980, le premier
référendum de mai prévoyait un second référendum ultérieur qui devait confirmer
(ou pas) les résultats de la négociation. Ou bien le gouvernement
du Parti
Québécois parvenait à négocier une Souveraineté-Association avec le reste du
Canada, ou il se verrait obliger de rompre ses liens constitutionnels, ce qui
ne l’a jamais tenté plus qu’il le faut. Et rien ne dit que la rupture, si elle
était survenue, n’aurait pas nécessité un plébiscite pour la faire accepter ou
un troisième référendum qui réinsèrerait le Québec dans le Canada. Des
référendums s’annulent les uns les autres, comme on l’a vu lorsque les
Terreneuviens ont refusé une première entente d’intégration au Canada en 1949
et que le Premier ministre, Joey Smallwood, dut en organiser un second qui passa
de justesse. Il y va des référendums, comme les prises de vote dans les
syndicats, par des maraudages jusqu’à l’obtention d’une majorité favorable aux
décisions déjà prises par le «centralisme démocratique» de la bureaucratie. Ce
qu’un référendum émancipe, un autre, toutefois, peut l’aliéner.


Deuxièmement, la souveraineté, ce n’est pas
l’indépendance. Le gouvernement du Québec est présentement souverain en
plusieurs domaines depuis le partage des pouvoirs par l’Acte de l’Amérique du
Nord britannique de 1867. Il est souverain en matière civile, en matière de
l’éducation, de la santé, des services sociaux, de la charité (de la
solidarité), des infrastructures, du choix de ses immigrants, des conditions
avec
lesquelles il développe ses ressources naturelles et humaines. Les
campagnes électorales, à l’image de celle présentement, disputent autour de la
gestion, de la «gouvernance» de cette souveraineté. Un peu plus ou un peu moins
(la sécurité de la vieillesse, la gérance de l’assurance-emploi, comme la
formation de la main-d’œuvre) n’ajoute ni n’enlève rien aux fondements
constitutionnels de cette souveraineté. Cela est tellement vrai que lorsqu’un
État pleinement souverain (comme on le voit en Europe présentement) décide de
s’associer à des partenaires en vue de former un marché commun, il est
immanquable qu’il devra céder des parts de souveraineté sans rien amoindrir, toutefois, de
son fondement
constitutionnel. Dans la réalité, aucun État n’est pleinement
souverain, la coopération nécessite que chacun y sacrifie une part du sien pour
partager un nôtre. Le prix à payer est donc l’amoindrissement de son
rayonnement de souveraineté au niveau international. Ainsi, sous le mandat des
conservateurs de Brian Mulroney, le Canada a signé un accord de libre-échange,
conseillé d’ailleurs par l’indépendantiste québécois Jacques Parizeau. Ce
contrat de libre-échange, d’abord avec les États-Unis puis avec le Mexique, a
nécessité des réarrangements dans la souveraineté canadienne. Il a fallu, pour
respecter les ententes commerciales, payer la libre circulation des céréales
de l’ouest du prix de la culture maraîchère de la vallée du
Saint-Laurent. Et même à cela, le Canada a dû se rendre devant le tribunal du
commerce international plaider sa cause pour le bois d’œuvre que les Américains
refusaient de laisser entrer au cours de la décennie des années 1990.


Il faut donc avoir à l’esprit, lorsque nous
parlons de souveraineté, le qualificatif de «territoriale», car c’est le
territoire qui enracine concrètement les statuts constitutionnels d’un pays.
Comme énoncé par l’antique formule «le roi est empereur en son royaume», l’État
est souverain sur les biens et sur le sang, c’est-à-dire la
terre et les eaux
qui l’environnent ainsi que les êtres vivants qui y habitent. Un État est reconnu,
selon le vieux principe du droit coutumier, comme tenant «feu et lieu» sur le
territoire, c’est-à-dire exerçant l’autorité de plein droit et y faisant régner
l’ordre civil. Un territoire abandonné et sans État devient une véritable terre
vacante sur laquelle n’importe quel voisin peut y établir sa souveraineté.
Ainsi s’est opérée la conquête de l’Afrique et des Amériques lorsqu’on s’est
assuré qu’aucune puissance autochtone ne tenait véritablement «feu et lieu» à
travers un État en pleine autorité, car l’État est souverain sur son territoire
à l’exclusion de tout autre. Ceci est le cas du Canada, mais ne l’est pas du
Québec. Et l’Indépendance réside précisément dans cette différence. Un même
territoire ne peut avoir deux États pour le gouverner. Une population ne peut
faire allégeance à deux autorités en même temps, même si les pouvoirs sont
strictement séparés, ce qui, dans les faits, n’est qu’un modus vivendi temporaire qui peut être renégocié ou aboli par les
deux partenaires ou par l’un des deux à sa convenance.

Cette pleine indépendance n’a jamais été ni
souhaitée ni même désirée par le Parti Québécois. D’où ces tergiversations en
vue d’«associer» le Canada (1980), malgré sa volonté, à une «double couronne»;
ou
encore en vue de créer une «coopération» entre les deux entités (1995) qui
partageraient toujours les mêmes services internationaux (ambassades, consulats, armées, douanes, passeports, monnaies) en se rabattant, par
la bouche de Bernard Landry, à des succédanés hors contextes (l’usage de la
monnaie américaine par l’Argentine par exemple). On le voit, le principe de
souveraineté, tel que véhiculé par le Parti Québécois, est antithétique même à
l’idée d’indépendance du Québec. Entretenir la confusion a toujours été sa
stratégie afin de gagner des scrutins électoraux et le support de la grande
bourgeoisie d’affaires liée naturellement au Parti Libéral. Même le peu de
réflexivité entraîne Québec Solidaire à se laisser prendre à l’illusion
référendaire, et «l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement
l’indépendance» relève du même opportunisme et de la même confusion
constitutionnelle chargés de rassurer un électorat immigrant dont la fragilité
le pousse à se rattacher au Canada et, s’il le pouvait, au rêve américain des
États-Unis.

Il y a bien eu, jadis, le Rassemblement
pour l’Indépendance nationale (R.I.N.) des Bourgault, d’Allemagne et autres.
Dans la foulée de la décolonisation, l’indépendance du Québec relevait
nécessaire d’une lutte de
libération. Sa «branche armée», si on peut dire,
c’était le Front de Libération du Québec, le F.L.Q., imité du modèle irlandais
de l’I.R.A. Ses principaux penseurs étaient d’origine européenne et les poseurs
de bombes, des petits-bourgeois idéalistes peu intelligents. Personne
n’envisageait réellement une guerre de Sécession à l’Américaine. Les camps,
tels que filmés par Jean-Pierre Lefebvre en 1965, dans son film Le Révolutionnaire, rassemblaient plutôt un groupe d’amateurs encore plus près des jeux de soldats de plomb que de la véritable prise d’armes, même si leur conscience nationale ou historique était
en éveil. Les tragiques événements d’octobre 1970 devaient tristement et
honteusement le confirmer.

Un véritable pays indépendant peut naître
de deux façons et aucune n’apporte la sécurité ni la paix. La voie légale et la
voie violente. La voie légale a amené, par des moyens pacifiques, la formation
de nouveaux pays hérités de l’expansion européenne. Le Canada, l’Australie, la
Nouvelle-Zélande sont tous nés d’une loi
britannique. La voie violente procède
généralement d’une guerre d’indé-pendance, comme les États-Unis d’Amérique, les
pays hispano-américains, les Philippines, le Vietnam et l'Algérie. D'autres, nés d’une guerre
d’indépendance, comme le Texas ou le Vermont, refusent de s’associer comme
partie constituante durant un certain temps. Ainsi, le Texas est resté dix ans
un pays indépendant entre le moment de son émancipation du Mexique et le moment
de son rattachement aux États-Unis (1836-1845). De 1777 à 1791, le Vermont fut
un État indépendant que liait déjà un traité de libre-échange avec la
Province
of Quebec. C’était le temps où Ethan Allan et ses Green Mountains Boys faisaient la guerre
aussi bien aux policiers de l’État de New York qu’à l’armée britannique. En
1791, le Vermont devenait le premier État indépendant à rejoindre
volontairement les États-Unis d’Amérique. Un pays naît donc d’une voie légale
ou d’une voie violente. Dans les deux cas, l’établissement de l’autorité
entraîne des contradictions qui peuvent dégénérer aussi bien en guerres civiles
qu’en guerres internationales. Le processus d’accession à l’indépendance ne
garantit rien en ce qui a trait aux lendemains de l’indépendance.


Le cas du Manitoba est éclairant, lui qui
est né de la révolte métisse contre la Compagnie de la Baie d’Hudson. Déjà en
1868, une première République de Caledonie, puis rebaptisée République du
Manitobah
avait été créée à Portage-La-Prairie par Thomas Spence. Non reconnue
par la Compagnie, Spence alla rejoindre le chef des rebelles métis, Louis Riel,
et la République indépendante du Manitoba fut proclamée en 1870. Grâce à
l’action pleine de duplicité envers la confiance de Riel et des métis,
Macdonald parvint à faire intégrer le Manitoba comme Province du Canada moins
d’un an plus tard. Cette courte phase d’autonomie régie par un gouvernement,
sans doute provisoire mais totalement légitime, permet de rappeler que
l’indépendance se négocie non seulement pour l’affranchissement, mais se dissout
également par l’aliénation à une autre puissance. C’est ainsi que se forment
généralement des grands empires comme la Russie, la Chine, l’Inde…

Si nous revenons plus spécifiquement au cas
du Québec et de son indépendance, celle-ci n’est pensable et réalisable que
dans la mesure où il y a une impossible assimilation au reste du Canada,
c’est-à-dire une spécificité quelconque (culturelle ou autre) qui (se) refuse à
se fondre entièrement dans la majorité homogène. Tant qu’il y a refus de
l’assimilation et lutte contre le processus de folklorisation qui réduirait
cette spécificité historique à se pétrifier dans des rites ou des pratiques
dénués de toute évolution, l’idée d’indépendance demeure et nourrie une marge
plus ou moins élargie d’aspirations à sa réalisation. De là, les
solutions ou
légales ou violentes. Le fait que deux États dominent le même territoire et la
même population crée d’autre part des situations mentales collectives
pathologiques, tant qu’un serviteur ne peut avoir deux maîtres ou qu’on ne peut
satisfaire Dieu et son père en même temps. C’est ce qu’on appelle le problème
identitaire des Québécois. Québécois ou Canadiens, qui a priorité au niveau de
la fidélité et de l’identification? Pour reprendre l’alternative des deux cités
de saint Augustin, doit-on aimer le Québec au détriment du Canada, ou aimer le
Canada au détriment du Québec? Affectivement, le choix est trouble et
entretient le mythe fédéraliste qu’on peut être Canadien et Québécois en même
temps. Mais la pauvreté des symboles nationaux canadiens tend plutôt à
démontrer le contraire. Ce problème ne se pose pas dans les autres provinces qui
donnent son homogénéité au Canada.

Ou encore, on peut essayer, comme le
discours fédéraliste canadien tente encore de le faire, d’élargir l’appartenance
au territoire jusqu’aux frontières de l’océan Pacifique. Or, les Québécois se
sentent parfois aussi étrangers à Vancouver qu’ils le seraient
à Miami. La
source commune de la civilisation rend cette étrangeté vivable, mais
l’identitaire doit faire un effort intellectuel et non affectif pour surmonter
son sentiment d’appar-tenance. Si l’on suit la logique fédéraliste, on pourrait
l’étendre jusqu’à comprendre l’ensemble de l’Amérique du Nord. En cela, la
réaction culturelle québécoise a consisté à développer le sentiment de l’américanité,
à la fois contre un enracinement anachronique avec les origines européennes et
pour dissoudre le discours d’appartenance fédéraliste, puisque vivre à Miami
n’est pas différent que vivre à Vancouver. En ce sens, l’appartenance à
l’Amérique protège la spécificité de la culture et des représentations mentales
québécoises, à la fois contre l’impérialisme culturel français et le fédéralisme
canadien.

N’empêche, cette solution ne résout pas le
problème identitaire que l’on peut ramener au diagnostic établi dès 1970 par
Jean Bouthillette dans Le Canadien
Français et son double. Une schizophrénie collective
empêche tout
enracinement soit dans le Québec indépendant, soit dans le Canada uni. Le
dédoublement de personnalité se traduit par l’usage de deux langues que l’on
voudrait d’égal penser. Le bilinguisme et le biculturalisme appliqués par le
gouvernement Trudeau à partir de 1968 a donné des francophones pensant anglais
mais très peu d’anglophones pensant français. Tant que la langue structure la
façon de penser, il est impossible de tenir le pari d’user également de deux
langues comme expression d’une seule personnalité. Dans les faits, l’une finira
toujours par s’imposer à l’autre et à la dominer; dans le cas du français, sa
position demeure précaire, encore plus depuis que les nouvelles techniques de
communication nuisent à son rayonnement universel.

Un philosophe québécois d'origine allemande inspiré par René
Girard et C. G. Jung, Heinz Weinmann, a porté l’attention sur la façon dont la
défaite des Plaines d’Abraham servait de souvenir-écran à la défaite des
Patriotes lors des rébellions de 1837-1838. Cette thèse reste toujours valide.
Elle permet d’expliquer certains éléments du
comportement québécois, comme la
haine de soi, son double statut de porteur du chapeau du colonisateur et du
fardeau du colonisé à la fois, son attachement nostalgique à un territoire dont
il est réellement dépossédé. Cependant, elle n’épuise pas totalement la
réminiscence douloureuse que Bouthillette évoquait à propos de la défaite du 13
septembre 1759. Une fois que l’on a bien compris que la défaite de 1759 est une
défaite française et non québécoise devant l’ennemi anglais; une fois que l’on
a bien compris et accepté que la France, pour des raisons diplomatiques, avait
sacrifié l’avenir de la Nouvelle-France dès le traité d’Utrecht de 1713, le
traumatisme de la bataille des Plaines d’Abraham demeure toujours l’événement
qui justifie l’idée d’indépendance du Québec. Pourquoi?

Précisément pour la raison évoquée plus
haut concernant la définition de l’indépendance territoriale. La souveraineté
territoriale ne donne que le droit d’exploiter les ressources naturelles et
humaines du sol et du sang. Si l’État n’est pas pleinement et uniquement
propriétaire du territoire, affranchi et reconnu au niveau de la diplomatie
internationale, il n’en a pas la pleine juridiction, même s’il tient «feu et
lieu». Cette situation est très désavantageuse pour le développement économique
du Québec. Elle pose un loquet sur l’économie politique coloniale qui
demeure le mode de développement de la province. N'avons-nous pas vu, au cours
des dernières décennies, nos industries créatrices d'emplois se dissiper au profit d’une ponction des ressources naturelles qui sont
expédiées à l’étranger pour être transformées industriellement et renvoyées au Québec
à fort coût? C'est le portrait typique d'une économie coloniale. C’est parce que les ressources naturelles et humaines ne lui
appartiennent que partiellement et relèvent d’une autorité autre, une
subjectivité collective dont nous ne formons plus qu’une minorité fragile et
qu’aucune garantie de solidarité ne peut venir renforcer cette confiance, que
les Québécois sont livrés à eux-mêmes dans un simulacre de fédération
égalitaire. C’est ainsi que, selon les conjonctures internationales, le drame
de 1759 pourrait toujours se répéter dans un Québec inséré dans la fédération
canadienne.

Même si nous savons cette fiction plutôt
improbable, supposons que le Canada et les États-Unis entraient en guerre, comme en 1812,
et que le Canada perdait devant son voisin du Sud. Dans une négociation du
traité de paix, les Américains pourraient exiger, comme condition, la cession
du Québec aux États-Unis, répétant ainsi le traumatisme du traité de Paris de
1763. Si Ottawa jugeait bon de signer la paix à ce prix pour rassurer les
Américains qui détiendraient ainsi la voie de pénétration du fleuve Saint-Laurent,
le territoire, les
ressources naturelles et humaines du Québec seraient cédés,
sans référendum ni autorisation de la part de l’État du Québec et de ses
citoyens, à la nation voisine. La réplique qui voudrait que de telles
transactions sont désormais rendues impossibles et que la reconnaissance de
l’impératif catégorique des droits de l’homme suffirait à empêcher une nouvelle
cession du Québec ne tient pas la route. Combien de fois avons-nous vu, au XXe
siècle, l’Habeas Corpus et les droits
et libertés individuels suspendus en temps de conflits internationaux dans
lesquels était engagé le Canada ou de crise civile intérieure (comme en octobre
1970)? Le principe de «sécurité nationale», comme nous le constatons
présentement aux États-Unis, devient prioritaire sur tout autre droit. De sorte
que l’anticipation d’une nouvelle cession demeure refoulée au fond de
l’inconscient collectif qui, lui, mieux que la raison, sent la chose possible.

En effet, trop souvent par le passé des
portions du territoire canadien ont été cédées aux États-Unis, que ce
soit lors
du traité de Webster-Ashburton de 1842, qui a cédé aux États-Unis une partie
importante du territoire québécois de la Rive-Sud à l’État du Maine, ou encore
le traité de Hay-Herbert de 1903 qui conduisit à laisser une large bande de
territoire de la Colombie britannique à l’État de l’Alaska, ce qui fâcha
sévèrement le Premier ministre Wilfrid Laurier qui avertit Londres désormais
que le Canada réglerait ses propres différends de frontières. Enfin, en ce qui
concerne le Québec, la façon dont une grande portion de son territoire, le
Labrador, fut cédée à une puissance alors étrangère, Terre-Neuve, liée toujours
à l’Angleterre, par la décision de 1927 statué par un décret du Comité
judiciaire du Conseil
privé de Londres, Ottawa échouant a bien représenter le Québec
dans ce duel judiciaire, nous montre combien le sort du territoire du Québec et
de ses habitants relève d’une puissance «étrangère», ici le Canada. Tenant des
droits de propriétés qui font que l’État est empereur en son territoire, le
Canada peut céder, vendre, négocier le tout ou une partie du Québec avec une
puissance étrangère sans avoir à tenir compte de l’intérêt ou de la volonté de
la population qui y habite. De même, comme les deux crises de la conscription,
en 1917 et en 1942, l’ont montré historiquement, le gouvernement du Canada peut
disposer de la population québécoise comme bon lui semble. Et si celle-ci
refuse et résiste, alors il peut user de son droit discrétionnaire d’user de la
violence pour en venir à bout. Là réside toute la question de l’indépendance du
Québec. Notre sort vital et existentiel repose entre les mains essentiellement
d’une quantité numérique d’individus qui n’ont aucun intérêt, privé ni
collectif, investi dans le territoire ou parmi la population du Québec.


Il est clair que l’État du Québec n’a pas
besoin de référendum ni de consultation populaire préalable pour auto-émanciper
la province et en faire un pays. La situation s’est présentée en juin 1990,
lors de l’échec des
accords du Lac Meech négociés entre le gouvernement
conservateur du Canada de Brian Mulroney et le gouvernement libéral du Québec
de Robert Bourassa. Les accords concernaient essentiellement la reconnaissance d'un statut de «société
distincte» pour le Québec spécifié dans le préambule de la constitution de 1982. Il a suffi que deux
provinces, manipulées par les intérêts des Libéraux fédéraux – Terre-Neuve et
le Manitoba – renient la parole donnée pour que la réforme constitutionnelle
échoue. Ce jour-là, à la veille même de la fête de la Saint-Jean-Baptiste,
«saint patron des Canadiens Français», Robert Bourassa aurait pu proclamer
unilatéralement l’indépendance du Québec; il aurait fait preuve de courage,
d’affirmation, d’émancipation et de responsabilité qui font l’Histoire.
Malheureusement, à la place, il servit une rhétorique grandiose mais
pathétique, se refusant le titre d’homme d’État pour garder celui d’un bedeau
de paroisse.

L’irresponsabilité historique des hommes
politiques québécois, tous partis confondus, demeure lamentable
tant ils
refusent de reconnaître la situation existentielle du Québec. Cette immaturité
condamne la population à une schizophrénie identitaire qui prend des relents
morbides, comme le montre la crise entourant la Charte dite des valeurs
québécoises, ce qui n’est qu’une simple législation sur la laïcité de l’État.
L’incapacité à voir l’urgence de protéger et de stimuler le développement de
l’usage de la langue française, l'impuissance à développer l’intelligence québécoise
autrement que pour faire de l’argent à des corporations pitoyables de petits
entrepreneurs ou du big business qui
ne comptent que sur les marchés internationaux, expliquent un certain désarroi de la population éclairée devant
tant de médiocrité, de platitudes, de
rhétoriques creuses et d’individus douteux. S’ima-
gine-t-on l’épigone de la cupidité néo-libérale, Stephen Harper, ou un fou délirant à lier, Justin Trudeau, disposer au gré de la fantaisie des caprices des temps, des richesses matérielles et humaines du Québec? Pourtant, c’est bien la situation réelle et actuelle du Québec, demi-portion du territoire canadien. Seule opposition à cette aberration, des politiciens à l’esprit provincial qui glosent sur une souveraineté qui satisferait leurs besoin baroques d’avoir un siège pour asseoir le péteux de madame Louise Beaudoin à l’O.N.U. et la joie d’avoir deux «flags» du Québec sur le «hood» des limousines diplomatiques. Ce goût de la mondanité kitsch est ce jeu qui anime la plupart des souverainistes qui ont perdu le sens historique de l’État et de la nation.


gine-t-on l’épigone de la cupidité néo-libérale, Stephen Harper, ou un fou délirant à lier, Justin Trudeau, disposer au gré de la fantaisie des caprices des temps, des richesses matérielles et humaines du Québec? Pourtant, c’est bien la situation réelle et actuelle du Québec, demi-portion du territoire canadien. Seule opposition à cette aberration, des politiciens à l’esprit provincial qui glosent sur une souveraineté qui satisferait leurs besoin baroques d’avoir un siège pour asseoir le péteux de madame Louise Beaudoin à l’O.N.U. et la joie d’avoir deux «flags» du Québec sur le «hood» des limousines diplomatiques. Ce goût de la mondanité kitsch est ce jeu qui anime la plupart des souverainistes qui ont perdu le sens historique de l’État et de la nation.
Province de bananes de l’Amérique du
Nord, au moins aurons-nous la consolation de partager notre schizophrénie avec
les Canadiens Anglais lorsque viendra le temps de les voir complètement
s’assimiler à l’américanité. Et, qui sait, peut-être ce jour-là
obtiendrons-nous l’indépendance par défaut?⌛
Montréal,
23 mars 2014
Pour tous ceux et celles qui ont répondus au Vox Pop de Guy Nantel sur la rue !
RépondreSupprimerBonne chance ! Je vais dire comme Gilles Proulx ; GAGNE D' IGNORANTS !!!!!!
On ne «gagne» rien à rester dans l'ignorance, mais les ignorants ont tous tendance à se tenir en «gang». Merci pour ce commentaire à la fois triste et affligeant d'une réalité qui ne cesse de s'étendre dans un monde où la surinformation est à porter de tous.
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