JE ME SOUVIENS QUE NÉ SOUS LE LYS, J’AI GRANDI SOUS
LA ROSE
En 1883, Eugène-Étienne Taché, architecte et commissaire
des terres de la Couronne, fait graver dans la pierre de l’édifice du
Parlement, cette seule locution : Je me souviens, sous les
armoiries de la Province de
Québec qui se trouvent au-dessus de la porte de
l’entrée principale. Il faudra attendre 1939 pour que la locution soit associée
définitivement aux armoiries, et 1978 pour la voir inscrite sur les plaques
minéralogiques des véhicules du Québec. Armoiries et devises accompagnaient un
projet de 40 statues appelées à orner la façade de l’Hôtel du Parlement; des
héros du Régime Français, puis aussi quelques gouverneurs anglais
particulièrement sympathiques à la cause des Canadiens Français. En 1978, une
descendante de Taché, Hélène Pâque,t révèlait que le Je me souviens n'était que la
première strophe d’un poème de Taché :
Québec qui se trouvent au-dessus de la porte de
l’entrée principale. Il faudra attendre 1939 pour que la locution soit associée
définitivement aux armoiries, et 1978 pour la voir inscrite sur les plaques
minéralogiques des véhicules du Québec. Armoiries et devises accompagnaient un
projet de 40 statues appelées à orner la façade de l’Hôtel du Parlement; des
héros du Régime Français, puis aussi quelques gouverneurs anglais
particulièrement sympathiques à la cause des Canadiens Français. En 1978, une
descendante de Taché, Hélène Pâque,t révèlait que le Je me souviens n'était que la
première strophe d’un poème de Taché :
Je me souviens
Que né sous le lys
Je crois sous la rose.
Paradoxalement, il semblerait que Taché l’ait conçu en
anglais :
I remember
That born under the lily
I grow under the rose
En fait, les deux dernières strophes seraient venues
beaucoup plus tard, dans un projet de monument avec scène allégorique
représentant la nation canadienne.
C’était une métaphore fréquente dans la rhétorique politique conservatrice de la fin du XIXe siècle que de lancer des Je me souviens à la fin de tous les banquets patriotiques. Thomas Chapais et Ernest Gagnon y ont été de leurs explications. Mais il appert que l’ensemble des trois vers est bien anachronique. Pourtant, comment se fait-il que nous la retrouvons dans un grand nombre de locutions rapportées par Jocelyn Létourneau dans son enquête menée depuis une décennie sur le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse?
Les résultats de cette longue enquête viennent de paraître chez Fides, dans un livre intitulé, précisément, Je me souviens?, avec un point d’interrogation ironique en prime. La première décennie du siècle, celle où
l’enquête a été menée auprès de jeunes de 4e secondaire et de 5e
secondaire, du Cégep et de l’Université répartis (plus ou moins équitablement)
dans l’ensemble des institutions d’enseignement du Québec, est aussi celle qui
a vécu la crise qui a accompagné la réforme de 2007, au moment où le cours
d’Histoire du Québec et du Canada a été remplacé par le cours d’Histoire et
d’éducation à la citoyenneté. J’ai discuté, ailleurs, dans un article élaboré,
la nature et la complexité du conflit qui agita alors l’enseignement de
l’histoire au Québec, je n’y reviendrai donc pas. Je m’en tiendrai aux résultats de l’étude de
Létourneau.
L’auteur est fier de la couverture de son bouquin qui reproduit une caricature joyeuse de Garnotte, montrant une sorte de professeur Lauzon (ses traits faciaux sont assez ressemblants) faisant passer à un étudiant à la
tronche malicieuse la révision au tableau noir des noms :
Jacques Cartier, Jean Talon, Louis-H. Lafontaine, René Lévesque et les
Patriotes. Le Cary Price de la classe (il porte un chandail du Canadien avec une
casquette la palette en arrière) répond : «Un pont, un marché, un hôpital,
un boulevard, pis, euh ! un club de football». Un club de football
…américain. Puis, la baguette du professeur indique la formule soulignée Cours
d’histoire citoyenne. Létourneau aurait dû prendre plus de temps pour
analyser la caricature de Garnotte. Celle-ci est nettement dépréciative de la
réforme de 2007 pilotée alors par le gouvernement libéral de Jean Charest. Le
drapeau du Canada placé à côté de l’indispensable pomme renforce le sens de la
caricature. Or, les élèves ou étudiants qui ont répondu à l’enquête de
Létourneau sortent, pour la grande majorité, de l’ancien programme qui portait
la traditionnelle historicité québécoise issue des générations cléricales et
nationales antérieures. Voilà pourquoi Létourneau doit distinguer les résultats
cueillis avant et après la Réforme. Reconnaissons, en bout de ligne, que les
résultats ne seront guère différents d’une génération à l’autre.
Jocelyn Létourneau aime parler de la conscience historique. Il est probablement l’un des seuls chercheurs universitaires à vraiment enquêter sur cette conscience, mais il ne le fait pas gratuitement. Je veux dire par là, qu’il lutte dans un conflit qui l’oppose à la plupart des historiens québécois qui, du nationalitaire passent indistinctement au nationalisme. En lui se reproduit la vieille opposition entre les universitaires de Laval et ceux de Montréal; entre l’abbé Maheux et le chanoine Groulx. Il s’en prend parfois violemment aux
historiens nationalistes campés aux
universités montréalaises pour l’abus de «militance» qu’ils déploient dans
leurs travaux. Éric Bédard est sa bête noire. Et cela revient constamment dans
les conclusions qu’il tire de ses résultats. Cela ne veut pas dire que Je me
souviens? est un livre tendancieux, du moins, il ne l’est pas
davantage que les bouquins de ses «adversaires». Comme Maheux autrefois devant
Groulx, il a peu de cordes à son arc pour asseoir une vision alternative à
l’historicité basée sur l’identité nationale, et comme les cours
d’Histoire du Québec ont toujours été porteurs d’intentions politiques – ce qui
est universellement le cas -, le cours d’Histoire du Québec est d’abord un
cours sur l’histoire de la nation québécoise. Et toutes les conséquences,
les jugements, les appréciations qui ressortent des réponses des participants à
l’enquête nous ramènent à cet état que Létourneau voudrait voir modifier, mais
sans savoir précisément comment.
Quelle définition Létourneau donne-t-il de la conscience historique et en quoi celle-ci innove-t-elle? L’historien écrit, en page 13 : «Marginal dans la pensée française actuelle, mais toujours central dans la tradition intellectuelle allemande, le concept de conscience historique peut être défini, simplement, comme ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réfléchie de ce qui fut, sorte d’intellection ou de conceptualisation plus ou moins élaborée d’informations premières ou d’expériences brutes touchant le passé, informations et expériences dès lors portées à un niveau secondaire d’assimilation et d’appropriation. Précisons que, tout en entretenant avec elle une relation dynamique constante, la conscience historique n’est pas réductible à la mémoire historique : l’une et
l’autre doivent être distinguées». Avant d’aller plus loin, je dirai que
cette définition ampoulée, pleine de circon-locutions, n’est rien de plus que la
représentation (mentale collective) sur laquelle je travaille depuis
plus de trente ans. Et pour le fond, celle donnée par Raymond Aron dans Dimensions
de la conscience historique, qui veut que «chaque collectivité [ait] une conscience historique, je veux dire une idée de ce que signifient pour elle humanité, civilisation, nation, le passé et l'avenir, les changements auxquels sont soumises à travers le temps les œuvres et les cités» (R. Aron. Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1964, p. 95). Il est vrai que Aron était l’héritier des néo-kantiens allemands, les Dilthey et les Rickert. Mais Létourneau n’apporte rien de neuf à la fonction de cette conscience, saisie entre Psyché et Sociuus : «La conscience du
passé est constitutive de l’existence historique. L’homme n’a vraiment un passé
que s’il a conscience d’en avoir un, car seule cette conscience introduit la
possibilité du dialogue et du choix. Autrement, les individus et les sociétés
portent en eux un passé qu’ils ignorent, qu’ils subissent passivement… Tant
qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils furent, ils
n’accèdent pas à la dimension propre de l’histoire» (R. Aron. Ibid. p. 5).
Ce qui est nouveau, c’est que M. Létourneau tient à distinguer la conscience de la mémoire historique. «La
mémoire historique découle de ce qu’un individu a vécu ou de ce qui lui a été
transmis et qui, formant une espèce de bagage informatif primaire, habite ou
garnit le fond de son esprit. En pratique, la mémoire historique est constituée
de savoirs entassés, vaguement organisés et faiblement fécondés par la pensée
réflexive [la pensée
historique ou historienne]» (J. Létourneau. Je me souviens?, Montréal, Fides, 2014, p. 13). Il est
pénible de voir que le travail que l’on fait est mis de côté par paresse ou par
ignorance afin de se nourrir d’articles publiés en anglais et qui n’apportent
plus souvent qu’autrement que la réinvention de l’eau tiède! Ce refus de
reconnaître que nous pouvons, nous Québécois, parvenir par nous-mêmes à
contribuer à la pensée théorique aussi bien qu’à une compréhension pratique du
monde qui soit objective, fait de l’historien l’équivalent du cordonnier. C’est
la conscience malheureuse qui
fait son propre malheur, ce qui ressort le plus lorsque la mémoire historique
s’est cristallisée en conscience historique.
C’était une métaphore fréquente dans la rhétorique politique conservatrice de la fin du XIXe siècle que de lancer des Je me souviens à la fin de tous les banquets patriotiques. Thomas Chapais et Ernest Gagnon y ont été de leurs explications. Mais il appert que l’ensemble des trois vers est bien anachronique. Pourtant, comment se fait-il que nous la retrouvons dans un grand nombre de locutions rapportées par Jocelyn Létourneau dans son enquête menée depuis une décennie sur le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse?
Les résultats de cette longue enquête viennent de paraître chez Fides, dans un livre intitulé, précisément, Je me souviens?, avec un point d’interrogation ironique en prime. La première décennie du siècle, celle où
l’enquête a été menée auprès de jeunes de 4e secondaire et de 5e
secondaire, du Cégep et de l’Université répartis (plus ou moins équitablement)
dans l’ensemble des institutions d’enseignement du Québec, est aussi celle qui
a vécu la crise qui a accompagné la réforme de 2007, au moment où le cours
d’Histoire du Québec et du Canada a été remplacé par le cours d’Histoire et
d’éducation à la citoyenneté. J’ai discuté, ailleurs, dans un article élaboré,
la nature et la complexité du conflit qui agita alors l’enseignement de
l’histoire au Québec, je n’y reviendrai donc pas. Je m’en tiendrai aux résultats de l’étude de
Létourneau.L’auteur est fier de la couverture de son bouquin qui reproduit une caricature joyeuse de Garnotte, montrant une sorte de professeur Lauzon (ses traits faciaux sont assez ressemblants) faisant passer à un étudiant à la
tronche malicieuse la révision au tableau noir des noms :
Jacques Cartier, Jean Talon, Louis-H. Lafontaine, René Lévesque et les
Patriotes. Le Cary Price de la classe (il porte un chandail du Canadien avec une
casquette la palette en arrière) répond : «Un pont, un marché, un hôpital,
un boulevard, pis, euh ! un club de football». Un club de football
…américain. Puis, la baguette du professeur indique la formule soulignée Cours
d’histoire citoyenne. Létourneau aurait dû prendre plus de temps pour
analyser la caricature de Garnotte. Celle-ci est nettement dépréciative de la
réforme de 2007 pilotée alors par le gouvernement libéral de Jean Charest. Le
drapeau du Canada placé à côté de l’indispensable pomme renforce le sens de la
caricature. Or, les élèves ou étudiants qui ont répondu à l’enquête de
Létourneau sortent, pour la grande majorité, de l’ancien programme qui portait
la traditionnelle historicité québécoise issue des générations cléricales et
nationales antérieures. Voilà pourquoi Létourneau doit distinguer les résultats
cueillis avant et après la Réforme. Reconnaissons, en bout de ligne, que les
résultats ne seront guère différents d’une génération à l’autre.Jocelyn Létourneau aime parler de la conscience historique. Il est probablement l’un des seuls chercheurs universitaires à vraiment enquêter sur cette conscience, mais il ne le fait pas gratuitement. Je veux dire par là, qu’il lutte dans un conflit qui l’oppose à la plupart des historiens québécois qui, du nationalitaire passent indistinctement au nationalisme. En lui se reproduit la vieille opposition entre les universitaires de Laval et ceux de Montréal; entre l’abbé Maheux et le chanoine Groulx. Il s’en prend parfois violemment aux
historiens nationalistes campés aux
universités montréalaises pour l’abus de «militance» qu’ils déploient dans
leurs travaux. Éric Bédard est sa bête noire. Et cela revient constamment dans
les conclusions qu’il tire de ses résultats. Cela ne veut pas dire que Je me
souviens? est un livre tendancieux, du moins, il ne l’est pas
davantage que les bouquins de ses «adversaires». Comme Maheux autrefois devant
Groulx, il a peu de cordes à son arc pour asseoir une vision alternative à
l’historicité basée sur l’identité nationale, et comme les cours
d’Histoire du Québec ont toujours été porteurs d’intentions politiques – ce qui
est universellement le cas -, le cours d’Histoire du Québec est d’abord un
cours sur l’histoire de la nation québécoise. Et toutes les conséquences,
les jugements, les appréciations qui ressortent des réponses des participants à
l’enquête nous ramènent à cet état que Létourneau voudrait voir modifier, mais
sans savoir précisément comment.Quelle définition Létourneau donne-t-il de la conscience historique et en quoi celle-ci innove-t-elle? L’historien écrit, en page 13 : «Marginal dans la pensée française actuelle, mais toujours central dans la tradition intellectuelle allemande, le concept de conscience historique peut être défini, simplement, comme ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réfléchie de ce qui fut, sorte d’intellection ou de conceptualisation plus ou moins élaborée d’informations premières ou d’expériences brutes touchant le passé, informations et expériences dès lors portées à un niveau secondaire d’assimilation et d’appropriation. Précisons que, tout en entretenant avec elle une relation dynamique constante, la conscience historique n’est pas réductible à la mémoire historique : l’une et
l’autre doivent être distinguées». Avant d’aller plus loin, je dirai que
cette définition ampoulée, pleine de circon-locutions, n’est rien de plus que la
représentation (mentale collective) sur laquelle je travaille depuis
plus de trente ans. Et pour le fond, celle donnée par Raymond Aron dans Dimensions
de la conscience historique, qui veut que «chaque collectivité [ait] une conscience historique, je veux dire une idée de ce que signifient pour elle humanité, civilisation, nation, le passé et l'avenir, les changements auxquels sont soumises à travers le temps les œuvres et les cités» (R. Aron. Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1964, p. 95). Il est vrai que Aron était l’héritier des néo-kantiens allemands, les Dilthey et les Rickert. Mais Létourneau n’apporte rien de neuf à la fonction de cette conscience, saisie entre Psyché et Sociuus : «La conscience du
passé est constitutive de l’existence historique. L’homme n’a vraiment un passé
que s’il a conscience d’en avoir un, car seule cette conscience introduit la
possibilité du dialogue et du choix. Autrement, les individus et les sociétés
portent en eux un passé qu’ils ignorent, qu’ils subissent passivement… Tant
qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils furent, ils
n’accèdent pas à la dimension propre de l’histoire» (R. Aron. Ibid. p. 5).Ce qui est nouveau, c’est que M. Létourneau tient à distinguer la conscience de la mémoire historique. «La
mémoire historique découle de ce qu’un individu a vécu ou de ce qui lui a été
transmis et qui, formant une espèce de bagage informatif primaire, habite ou
garnit le fond de son esprit. En pratique, la mémoire historique est constituée
de savoirs entassés, vaguement organisés et faiblement fécondés par la pensée
réflexive [la pensée
historique ou historienne]» (J. Létourneau. Je me souviens?, Montréal, Fides, 2014, p. 13). Il est
pénible de voir que le travail que l’on fait est mis de côté par paresse ou par
ignorance afin de se nourrir d’articles publiés en anglais et qui n’apportent
plus souvent qu’autrement que la réinvention de l’eau tiède! Ce refus de
reconnaître que nous pouvons, nous Québécois, parvenir par nous-mêmes à
contribuer à la pensée théorique aussi bien qu’à une compréhension pratique du
monde qui soit objective, fait de l’historien l’équivalent du cordonnier. C’est
la conscience malheureuse qui
fait son propre malheur, ce qui ressort le plus lorsque la mémoire historique
s’est cristallisée en conscience historique.«Ainsi, le jeune qui synthétise l’expérience québécoise par l’expression “On s’est fait avoir!” – et la formule revient souvent – admet implicitement qu’il appartient à une société ou à un groupe floué dans l’histoire et qui pour cette raison n’a pu accomplir sa destinée. Savoir comment la duperie s’est effectuée d’hier à aujourd’hui constitue une question secondaire par rapport à l’idée même de tromperie qui traverse comme un leitmotiv – sorte de programme de pensée ou de matrice à penser – toute la vision qu’il a du passé du Québec. Il en est de même de formules comme “La survie d’un peuple”, “Conquête” ou “Les français ont perdu”, toutes porteuses d’interprétations puissantes et souvent univoques de l’expérience québécoise. Dans ces trois phrases (représentatives de beaucoup d’autres), on ne saurait minimiser l’importance des visions du passé sur les données positives de l’histoire, celles-ci étant en quelque sorte appelées par celles-là qui les déterminent. Inutile de dire que le constat s’applique aux anglophones comme aux francophones, lesquels n’ont pas le monopole des conceptions simples ou simplistes du passé québécois» (J. Létourneau. Ibid. p. 17).
Avant donc que les résultats de l’enquête soient connus, Létourneau nous donne à penser ce qui constitue principalement la conscience historique des jeunes Québécois. Ces jeunes vivent, surtout en 5e secondaire, une conscience historique malheureuse parce qu’ils prennent de plus en plus faits et actes, en vieillissant, que leur histoire est une histoire négative. Et pour l’enquêteur, ceci relève de la représentation mentale de
l’histoire nationale telle que véhiculée depuis toujours. Le revers de cette
conscience malheureuse, c’est-à-dire l’expression d’une représentation qui se
voudrait heureuse d’un passé québécois positif s’exprime surtout par des
locutions. Létourneau le rappelle au moins à deux reprises : «…c’est la
tendance de plusieurs d’entre eux à percevoir et remâcher le passé collectif à
travers le filtre de leur condition personnelle au présent. La chose est
particulièrement visible dans le cas des jeunes qui usent de formules positives
et générales pour dépeindre l’expérience québécoise. La condition de ces jeunes
étant sans doute agréable au présent, ils la projettent sur celle de leur
société au passé. C’est ainsi que l’histoire collective devient le miroir de
leur existence courante. Des énoncés comme “Le Québec est un pays jeune et plein
de potentiel” ou “Nous sommes très chanceux de vivre ici” sont représentatifs
de pareille mise en relation du sort individuel et du destin collectif» (J. Létourneau. Ibid. p. 74). Il m’apparaît paradoxal que
Létourneau ne retient pas cette même projection du Moi sur le Nous québécois
lorsqu’il parle de la conscience malheureuse qui semble relever totalement de
la connaissance (mal assimilée) de la mémoire historique. De même, Létourneau
retrouve la même ambivalence heureuse parmi les élèves anglophones : «Comme
dans le cas des “francophones”, les cadets sont souvent vagues et joviaux dans
leurs formules. En les lisant, on a presque l’impression qu’ils transposent
leur bonheur personnel sur le destin de la collectivité qu’ils habitent. Par
exemple : “The best place to live in”; “An honour to live in Quebec”;
“Quebec history is about people spending their
lives looking for our wonderful
province”. En pratique, ceux qui usent d’une phrase positive pour représenter
le passé québécois s’identifient fortement au Québec et assument allègrement
leur québécité. Ainsi : “Quebec history is my past and how I came to be
where I am”; “The growth of our lives”, et encore : “It has definned our
nation”. Ces dernières formules sont intéressantes à considérer, car elles donnent
à penser – l’hypothèse s’appuyant sur des cas également relevés en 4e
secondaire – que si l’on est heureux de vivre au Québec ou content d’être
québécois, on a tendance à voir le passé de la province sous un angle positif.
Le cas échéant, il s’agirait d’une marque tangible de présentisme, ce qui n’est
pas rare chez les jeunes non plus que dans la population en général» (J. Létourneau. Ibid. pp. 127-128). Ainsi, la connaissance du
passé (exacte ou approximative) aurait peu à voir dans cette vision positive
qui ira, avec les années, s’effaçant. Il s’agit que l’élève réagisse bien à son
environnement et toute l’histoire du Québec aura été celle d’une heureuse
famille travaillant pour le bien-être de tous et chacun. La faiblesse de la
pensée de Létourneau est de ne pas considérer les différents états de crise de
l’adolescence comme génératrice d’un phénomène analogue chez ceux pour qui
l’histoire du Québec est un long calvaire humiliant et décevant.En effet, cette variable psychologique est quasi-absente des considérations que Létourneau tire des déclarations des élèves de 5e secondaire. «Le tableau 5 rend compte, chez les élèves de 5e secondaire fréquentant des établissements francophones (on parle ici de 635 répondants), de la distribution des énoncés par genre de vision du passé. Une réalité saute immédiatement aux yeux : près de la moitié
des jeunes de ce niveau (49,4%) ont une vision malheureuse ou mixte de
l’aventure québécoise dans le temps. Par rapport aux élèves de 4e
secondaire, il s’agit d’une augmentation de plus de 22 points de pourcentage,
ce qui est majeur. Si l’on s’en tient aux seules locutions exprimant une vision
malheureuse ou victimale du passé, la différence entre les jeunes des deux
niveaux scolaires est également appréciable : en 5e secondaire,
deux élèves sur cinq, par rapport à un élève sur cinq en 4e
secondaire, ont du passé du Québec une vision pessimiste, défaitiste, tragique
ou désenchantée. Il y a là quelque chose de significatif» (J. Létourneau. Ibid. pp. 77-78). Significatif est le mot juste.
Entre le 4e secondaire et le 5e se
passe quelque chose de
plus profond chez ces élèves que seulement un cours d’histoire qui raconte en
général la même histoire, sauf peut-être avec plus de détails. Létourneau
parlera du rôle joué par la militance qui s’empare d’élèves plus vieux affectés
par les débats politiques. À mon avis, c’est prendre le problème à l’envers. Ce
qui prédispose à la militance, comme ce qui induit à changer totalement la
vision du passé, c’est une identification intime des jeunes avec un monde
actuel «en devenir, mais jamais aboutit». Un monde avorté qui produit des
avortons; et des avortons qui avortent leur devenir. C’est la faiblesse déjà mentionnée de l’analyse de Létourneau : ne jamais creuser en profondeur les énoncés des
élèves/étudiants pour se réfugier, aussi vite qu’il le peut, derrière la
traditionnelle tarte à la crème positiviste (dans le cadre de nos
connaissances actuelles, etc. etc.).Au mieux, y entre-t-il, mais sur la pointe des pieds : «-passer en 5e secondaire semble coïncider avec la transformation du régime énonciatif des jeunes, qui sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant à employer des phrases malheureuses ou victimales, y compris des phrases militantes, pour exposer la condition québécoise dans le temps. Comment expliquer cette situation? À partir de l’enquête menée,
il n’est pas possible d’établir de lien causal entre le
fait de suivre le cours d’histoire nationale et l’assimilation d’une vision
victimale du passé québécois. Certes, la relation entre le cours d’histoire
nationale et l’énonciation des jeunes est probable, dans certains cas, elle
crève même les yeux. Dans d’autres cas, toutefois, le lien pourrait être
indirect plutôt que franc. Rien n’interdit en effet de penser que, dans le
cours d’histoire du Québec qui leur est obligatoire, les élèves cherchent ou
trouvent ce qui conforte des points de vue acquis ailleurs ou autrement. Il
faut comprendre que le cours d’histoire nationale n’opère pas dans un vacuum idéel. L’esprit des élèves est
déjà habité de représentations historiques, soient-elles primaires. Par
ailleurs, les jeunes sont parfaitement capables d’établir des liens entre les
thèmes abordés dans le cours d’histoire, des points de vue qui circulent dans
la société et certaines réalités qu’ils vivent au
présent. Dans ce contexte, il
pourrait bien s’orchestrer, entre le cours suivi et les situations vécues ou
locutions entendues par les jeunes dans d’autres milieux sociaux ou cadres
d’énonciation, des concordances de sens, des transferts d’opinion ou des
accords de raisonnement dont témoigneraient les phrases forgées» (J. Létourneau. Ibid. pp. 79-80). Bien sûr que le résultat des
cours est une chose, la culture de l’élève une autre. En fait, M. Létourneau ne
fait que regarder le lien entre les cours d’histoire nationale et ce qu’en
disent les élèves. Ce faisant, son enquête, par ses formulaires, les limites de
leur diffusion auxquelles il a été contraint et le classement des réponses en
vue d’obtenir des statistiques les plus indicatives de la réalité ne suffisent
pas à tenir compte de facteurs exogènes aux cours d’histoire. Même la
comparaison avec le questionnaire déposé au Musée de la Civilisation du Québec
ne suffit pas à ouvrir le champ des réponses, de sorte que nous sommes toujours
dans le même rapport simple qui va du cours d’histoire donné à sa régurgitation
par les élèves. Aussi, l’analyse en souffre-t-elle.Comment? La conscience historique ne s’abreuve pas uniquement à la source scolaire et M. Létourneau le reconnaît. S’il identifie les vecteurs de ces visions exogènes - les familles, les amis, les proches -, jusqu’à tenir compte des nouveaux moyens de communication électronique (le Web), il ne s’aventure pas à nous rappeler
le contenu et l’esprit
que véhiculent ces visions. Depuis la Seconde Guerre mondiale au moins, il est
évident que le cinéma américain est une source de connaissance historique
(vraie comme fausse) qui contribue à fabriquer des mythistoires qui, en retour, influent sur les jeunes.
Létourneau définit le mythistoire «comme, tout à la fois, une fiction
réaliste, un système d’explication et un message mobilisateur qui rencontrent
une demande de sens, si ce n’est un désir de croyance, chez ses destinataires.
Précisons que la force et la persistance d’un mythistoire tiennent à l’arrimage
existant entre la structure représentative et la matière représentée. Une
structure représentative déliée de tout fondement empirique court en effet le
risque de disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Autrement dit,
l’artificialité exagérée d’un mythistoire est préjudiciable à sa ténacité. A contrario, dans la mesure où une
structure représentative s’enracine dans une factualité qu’elle recycle ou
récupère à son profit, le mythistoire peut se durcir au point de devenir axiome
et s’ériger comme prémisse et épilogue d’un imaginaire collectif» (J. Létourneau. Ibid. p. 239, n. 18). Bref, le roman historique
(fort en vogue au Québec), les films, les séries télé, les téléromans, les
bandes dessinées (Le Magasin général de Tripp et Loisel) sont d’aussi bons supports du mythistoire
national tant ils sont en
accord avec la connaissance historique. Mais lorsque
nous disposons d’un équipement culturel de destruction massive comme en possèdent les États-Unis, il est
possible de défier même la connaissance historique nationale pour la confondre
avec les anciennes mythologies helléniques ou germaines. La guerre de Troie,
Alexandre le Grand, la Rome des Gladiateurs ont remplacé Robin des Bois et les westerns
au cours de la décennie où Létourneau a fait circuler son enquête. Mais il va
de soi que derrière tous ces masques, c’est l’histoire américaine qui se profile
à travers un regard fabriqué avec des intentions impérialistes (dans l’espace
certes, mais aussi sur les temps). M. Létourneau aura beau dire que le
mythistoire disparaîtra si ses liens avec le contenu réel de l’Histoire sont
lâches; mais il oublie le premier facteur, celui de la croyance des récepteurs qui préfèrent le mythe à la
connaissance. Depuis le temps où l’on espérait voir un mon oncle riche des
États venir nous léguer sa fortune jusqu’à ceux qui jubilent devant les combats
de gladiateurs alors que le Vésuve s’apprête à anéantir Pompéï, la foi dans
l’espérance américaine pour le Québec est d’une constance indéfectible.Ceci contribue fortement à faire évoluer le contenu positif de l’histoire du Québec des jeunes de 4e secondaire à une conscience malheureuse chez les jeunes de 5e secondaire. Cette évolution ne repose donc pas uniquement sur le développement, la maturité et la militance du jeune. Cela repose également sur les
comparaisons que le jeune
peut établir entre cette histoire apprise à l’école et celle des mythistoires
importés de l’extérieur. Or, depuis le temps des westerns et des films sur la
Seconde Guerre mondiale, on peut dire que les générations successives de jeunes
Québécois se sont abreuvées des mythistoires américains et ont transformé un
récit national déjà passablement triste sur plusieurs aspects en une véritable
série de défaites et de trahisons. Le politically correctness des dernières décennies leur a appris à
quel point les Français avaient exterminés les autochtones, non parfois sans un
plaisir sadique. Ce qui est faux. À l’exception de la tribu des Renards, aucun
peuple amérindien n’a été exterminé volontairement. Les raisons des mutuelles
guerres entre Indiens puis contre les puissances coloniales sont plus complexes.
Ce qui était héroïque de mon jeune temps est devenu honte nationale. Mais si
l’on regarde les westerns classiques, la destruction de l’autochtone était
présentée comme une nécessité tragique peut-être, mais indispensable à
l’implantation de la civilisation et du progrès …américain. Lorsqu’à la fin d’un
bon western, le héros et les survivants sortaient du cercle des tructibilité, de porter avec soi le sens de la Justice et de la Civilisation. Tout ça était mythique, mais nous croyions en tout cela, car ce sont non pas nos valeurs québécoises, mais nos valeurs occidentales qui triomphaient de la sauvagerie. Au lieu de cela, on nous enseignait des histoires malheureuses à fendre l’âme de Dollard des Ormeaux, du marquis de Montcalm, des Patriotes de 37-38 et de Louis Riel! Du coup, les vainqueurs – Madeleine de Verchères, d’Iberville, Lévis, Salaberry, et du 22e Régiment – disparaissent. Les héros québécois étaient mesurés à l’aulne des John Wayne ou des Burt Lancaster! Du coup, ils nous apparaissaient inférieurs. La torpille venait de frapper sous la ligne de flottaison de notre conscience heureuse de la vie.
Ce n’est pas tout. Certains élèves, dans l’enquête de Jocelyn Létourneau, ont l’impression que l’histoire du Québec est une histoire cyclique, et cette perception s’installe dès le 4e secondaire : c’est un «éternel recommencement», «nous refesons les mêmes erreurs similaire», «Peuple cerné dans une roue qui tourne», reprend un étudiant universitaire. C’est tout le contraire de la philosophie de l’histoire des États-Unis qui est le
parangon du progrès linéaire. Je me souviens qu’étant enfant, j’aimais beaucoup plus
l’histoire des États-Unis que celle du Canada, même si c’était l’histoire du
Canada qui m’y avait conduit. Je retenais par cœur le nom des présidents des
États-Unis, alors que les Premiers ministres canadiens ou québécois, allant et
revenant au pouvoir, me donnaient l’impression d’un piétinement interminable
(des «règnes» de 15 à 20 ans avec mandats interrompus). La philosophie
américaine de l’histoire est construite sur une
course sans retour. Alors que
nous sautons, ici au Québec, d’un mode de domination à un autre (Régime
Français, Régime Anglais, Impérialisme américain ou dominance d’Ottawa); aux
États-Unis, tout est rectiligne : période coloniale, Révolution
américaine, Constitution, Guerre de Sécession, Reconstruction, Guerres et
entre-deux-guerres, Guerre Froide, société de consommation et de communication.
Il n’y a aucun retournement, aucun piétinement, aucune avancée suivie de recul.
Les Américains marchent avec une apparente confiance à toutes épreuves vers la
Fin de l’Histoire, alors qu’ici tout est toujours à recommencer. C’est ce qu’un
répondant appelle «la quête tranquille».Il est certain que la maturité des élèves coïncide avec cette surconsommation de bourrage de crâne idéologique américain. Si les films portant sur l’histoire de l’Angleterre ou de la France font encore rêver de châteaux en Espagne, c’est de la culture américaine dont s’abreuvent essentiellement les élèves/étudiants, et celle-ci leur offre le côté réussi d’une histoire nationale. On comprend mieux la réflexion de cet élève qui écrit : «Je me souviens d’être né sous le lys, d’avoir grandi sous la rose et de ne pas avoir atteint la maturité» (Cité in ibid. p. 110). La conscience malheureuse se dédouble entre la crise d’adolescence et l’incapacité du peuple à se donner les instruments pour gérer sa propre croissance et sa propre auto-détermination.
L’impossible maturité de l’élève se reflète dans celle de la nation lorsqu’on lit ce qu’un autre écrit : «Québec : je me souviens… Le sentiment d’avoir été une colonie faible, minoritaire, fragile et abandonné.
Toujours en quête d’une indépendance totale»
(Cité in ibid. p. 110).
Le drame de la comparaison explique aussi bien pourquoi les élèves anglophones
éprouvent également l’histoire du Québec (plus souvent pensée en termes de
canadienne) avec un sentiment d’incomplétude et une conscience malheureuse. Ce
que l’on a atteint de meilleur au Canada restera toujours inférieure, voire
inaccessible à ce que les Américains ont atteint durant la même période. Les
Américains peuvent se croire maîtres du monde, mais ils sont, de fait, maîtres
d’eux-mêmes, c’est-à-dire «Maître chez nous», le rêve avorté de la Révolution
tranquille. Plutôt qu’une bande de barbares ayant exterminé une bande de
sauvages pour devenir un peuple enfin «civilisé» (sans trop insister sur le jugement
de valeur que comporte ce terme), l’histoire du Québec se révèle, comme dit
l’un des répondants «Une bande de barbares ont presque exterminé une bande
de sauvages pour être ensuite séquestrés par une bande d’anglophones» (Cité in ibid. p. 171). Le ressentiment ne repose pas ici
dans l’extermination des uns et la séquestration des autres; il repose dans un
échec, un manque comme
dit Létourneau, «c’est-à-dire l’idée selon laquelle le parcours québécois
tient de l’acte inachevé ou inaccompli, voire avorté» (J. Létourneau. Ibid. p. 174). Or, comme tout psychanalyste le
reconnaît depuis Lagache, le manque est la source du désir. On ne désire pas ce
qu’on possède. Si les Américains ne
possèdent jamais assez et, comme les
constructeurs de Babel, espèrent atteindre le sommet des cieux et égaler les
dieux, le désir des Québécois, toutes tendances politiques confondues, demeure
celui d’être, enfin, «maître chez soi», comme les Carbonaris des romans
d’Alexandre Dumas. La frustration est d’autant plus grande que des occasions
s’étaient présentées par le passé de se joindre aux Américains et qu’à chaque fois,
pour faire plaisir, ici aux gouverneurs anglais là aux curés, on a refusé ces offres.
Rappelons que la décennie, où se tient l’enquête dans les milieux d’enseignement
– la première décennie du XXIe siècle -, est également celle où l’historien
Gérard Bouchard, partout sur les ondes des radios et des télévisions, posait la
question à propos des «nouveaux pays» nés de l’Europe : pourquoi le Québec seul
n’avait pas accédé à l’indépendance? Sans connaître les faits exacts, chacun
pouvait soupçonner que les occasions qui s’étaient présentées dans le passé
avaient toutes été refusées, ce qui rendait les Québécois artisans ou responsables
de leur propre malheur historique. Certes, on ne se demandait pas comment les
autres étaient parvenus à cette émancipation. On n’osait pas regarder de trop
près tellement notre malheur apparaissait grand, car il était évident que nous
n’avions pas fait ce que eux avaient fait, c’est-à-dire que, comme des lâches,
des paresseux ou des ivrognes, nous n’avions qu’hésiter, reculer, parloter,
refuser, plutôt que tout simplement agir.Une des réponses est à ce titre assez pathétique : «Un Québécois francophone et fédéraliste, sa l’existe et c’est très triste» (cité in ibid. p. 86). L’élève/étudiant conçoit ainsi une amertume envers son peuple, envers son histoire et entretient par le fait même une haine de soi, puisqu’il lit son propre développement personnel à travers celui de son peuple. Par le fait même, son combat personnel finit par prendre toute la place, et tous
ses efforts sont
portés en vue de son propre affran-chissement de la nécessité, ce qui laisse peu
de place à la participation citoyenne. Le «chacun pour soi» dans une
collectivité de moins en moins tricotée serrée, contribue à dévaloriser la conscience morale de l’élève/étudiant. C’est ainsi que le cinéaste Pierre Falardeau nous présentait
son célèbre Elvis Gratton. Elvis Gratton, sans avoir la culture historique qui
s’impose, exprime cette conscience malheureuse tout en s’efforçant de la nier.
Comme lui, nous voudrions être des winners. C’est pour ça qu’il y a des fédéralistes
convaincus, même parmi les nationalistes québécois, ce qui est, en effet, très
triste. Chaque drame
tragique que nous voyons dans le théâtre ou le cinéma québécois est une version
condensée de cette conscience malheureuse, ce qui a longtemps donné l’impression
que le cinéma québécois était morne et ennuyeux. Comment pourrions-nous être,
une fois
mature, heureux du récit de l’Histoire du Québec? Qui aime être
perdant? Looser? Le
malheur provient du fait que le nationalisme québécois s’est glissé dans le lit
du masochisme moral propre au catholicisme. Toute histoire étant une
histoire sainte, le
mythistoire a eu beau se laïciser, il n’a rien perdu de son terreau mélancolique.
Ce mythe pervers, où à défaut d’asseoir la liberté nous érigeons l’orgueil en vertu, nous a toutefois permis de nous entêter, de devenir opiniâtre
face aux Anglos comme aux boss.
Ainsi s’est organisée une résistance culturelle moins passive que la résistance
politique. Résistance sans doute peu glorieuse à première vue, mais à certains
degrés thérapeutiques. D’une thérapie que les Américains parviennent
difficilement à suivre.Et, paradoxalement, nous ignorons que les Canadiens Anglais ont également cheminé vers cette même
conscience malheureuse.
Il faut lire le livre de Margaret Atwood, Survival, thème supposément très québécois que celui
de la survivance et que retiennent certains locuteurs ayant répondu à l’enquête
de Létourneau; livre qui a bêtement été traduit en français sous le titre Essais
sur la littérature canadienne-anglaise. On retrouve dans cette littérature les mêmes descriptions, les
mêmes caractères du beautifull looser, les
mêmes rêves avortés ou déçus, les mêmes luttes contre la nature impitoyable,
bref les mêmes souffrances que décrites dans la littérature «malheureuse» des
Québécois. Le cinéma canadien-anglais des années 1970 était tout aussi
déprimant que le cinéma canadien-français de l’époque.Voilà pourquoi, lorsque nous considérons les mythistoires américains achevés sur un happy end, nous considérons tristes les mythistoires québécois qui s’achèvent dans le sang, à la prison ou dans la solitude. Il est vrai que dès qu’on se détourne des produits offerts aux blockbusters, il y a un cinéma américain de la misère des bas-fonds où la contre-culture s’épanouit. À la surface même, on peut regarder les films de
Peckinpah, de Scorcese, de Kubrick ou lire les
romans de Gore Vidal qui s’attaquent de front au mythistoire américain. Quand
même! Lorsque les élèves/étudiants des High School ou des universités se lèvent
le matin, c’est avec une vision édifiée et édifiante de leur pays; ils savent
qu’ils sont des winners comme
nous nous sentons des loosers dans
l’âme. Nous ne les verrons pas, sauf exceptions, pleurnicher sur l’extermination
des Amérindiens ou l’aliénation des immigrants. Il fallait passer par ces
moments pénibles, sans doute pour devenir, grand, fort, uni, dominant. À notre
masochisme ils préfèrent
s’orienter vers une psyché sadique, machiavélique, impudique. Et c’est
ce surplus de violence et de mépris qui finit par engendrer une certaine
conscience malheureuse qui, sans perdre de son sadisme, se retourne contre eux.
Les guerres mondiales furent vécues avec héroïsme et patriotisme; la guerre du
Vietnam comme l’enfer d’une jeune génération sacrifiée à des escrocs de Wall
Street et des magouilleurs de Washington. Le règne de Kennedy fut glorifié (à
tort), mais ceux de Johnson et de Nixon ont conduit les américains à vivre une
phase dépressive qui a duré vingt ans. Pour un temps, comme le chante
Vigneault, tout le monde était malheureux en Amérique du Nord.Dans l’indifférence, qui se généralisera avec la vie, déjà des élèves/étudiants ne se tracassent pas avec l’inconscient collectif : «Si, pour certains, “l’histoire est au cœur
de [leurs]
vies”, pour reprendre la formule d’un locuteur, chez d’autres, le rapport au
passé semble n’avoir qu’une place résiduelle dans leur existence : “Je
n’ai pas besoin de savoir l’histoire de ma ville [sic] pour vivre pleinement ma
vie”, affirme ainsi un répondant»
(J. Létourneau. Ibid. p.
218). Il ne faut pas s’en faire trop avec ce type de réponse. La plupart
d’entre nous demeurons assez indifférents à l’histoire, et le cas est le même
aussi bien pour les Américains que pour les Français ou les Britanniques.
Lorsqu’il ne s’agit pas d’indifférence ou de mépris, Létourneau suppose qu’«en
fait, il semble que les représentations dont se dotent les jeunes pour rendre
compte du passé du Québec leur servent de stabilisateur psychique et d’outil
stratégique. Elles leur permettent aussi de se satisfaire intellectuellement
pour vivre et progresser dans une société où la complexité de ce qui s’offre à
eux ne peut exiger de leur part, en tout temps et dans tous les contextes, les
représentations ou connaissances les plus avancées et les plus élaborées en
chaque matière. […] S’agissant
de l’histoire collective, il se trouve des jeunes dont l’esprit curieux, le
souci général, la motivation personnelle ou la volonté de dépassement les mène
à se faire une tête aussi pleine que possible concernant l’expérience
historique de leur société.
La majorité semble toutefois animée d’autres
desseins. Sans être désintéressés du passé québécois, un très grand nombre de
jeunes se contentent en effet d’acquérir ou de se munir d’un savoir
instrumental et plus ou moins minimaliste…» (J. Létourneau. Ibid. pp. 218-219). Ce qui veut dire en gros que la réussite personnelle
est une bonne façon de soulager la conscience malheureuse collective, et c’est
ainsi que l’idéologie libérale voit essentiellement la fonction sociale de
la connaissance historique : un incitatif à réussir sa vie personnelle en partant des
échecs collectifs. C’est tordu sans doute, mais c'est surtout une stratégie profitable. Le
seul point d’interrogation demeure : dans quelle mesure l’idéologie libérale ne joue
pas le jeu de l’inconscient, d’opérer une alchimie psychique qui transforme un
état collectif négatif en stimulant individuel positif? Ce point est assez tangible lorsque Létourneau aborde la situation des élèves/étudiants issus de l’immigration.
Bien sûr, nombre d’entre eux n’éprouvent aucun intérêt pour les cours d’histoire
ni pour la matière, et leurs réponses peuvent parfois se montrer aussi
méprisantes que celles des Québécois dits de souche. Ce sont eux qui
appartiennent au nombre de répondants issus de la réforme du gouvernement
Charest de 2007. «Comment comprendre la situation? Se demande Létourneau. Bien que
l’interprétation demeure conjecturale, il faut se rappeler qu’un nombre assez
élevé de répondants de 4e ou de 5e secondaire, parmi les
“réformés”, viennent de communautés culturelles. Par l’usage de phrases ironiques
à propos du passé québécois ou de formules désenchantées à l’égard du cours
suivi, se pourrait-il que ces derniers aient témoigné de leur distance ou de
leur désintérêt envers le passé québécois par lequel ils se sentent peu ou pas
concernés? Dans certains cas, la chose paraît évidente :
“C’est
intéressant, mais personnellement cela m’importe peu car je ne suis pas né au
Québec”, avoue l’un; “C’est plate! Et j’[m]en cawliss”, affirme un deuxième.
Dans d’autres cas, le détachement semble compensé par une certaine sympathie
envers le Québec…» (J.
Létourneau. Ibid. pp.
205-206). Rappelons-nous que nous sommes en pleine période où s’amorce la
discussion sur les accommodements raisonnables et qui se terminera (momentanément) par la
tenue de la Commission Bouchard-Taylor. Quelle que soit l’issue de cette
confrontation de part et d’autre, on ne peut ignorer que la venue de ces néo-Québécois
change la donne non, seulement de la conscience historique des élèves, mais
du travail historien lui-même.Létourneau tient à le souligner : «Par rapport aux “non-réformés”, il est vrai de dire que l’on trouve en proportion, chez les “réformés”, un peu plus de jeunes qui associent l’expérience québécoise aux thèmes de la diversité culturelle. Cela dit, ces thématiques demeurent nettement minoritaires. Lorsqu’elles surgissent, elles sont souvent le fait de jeunes néo-Québécois. Les phrases “Multiculturation”, “L’ouverture à plusieurs différentes cultures et religion”, “Vive la multiethnicité” et “Amérindiens + Français + fourrure + évolution + immigration = Québec”, par exemple, viennent
toutes d’élèves fréquentant des écoles multiethniques de
Montréal. Précisons que l’environ-nement pluriculturel n’est pas toujours
propice au développement d’une altérité harmonieuse, comme en témoigne cet
énoncé produit par un jeune Québécois d’héritage canadien-français : “On
est au Québec ici, si t’es pas content décalisse!”…» (J. Létourneau. Ibid. pp. 210-211). Que l’on ne soit pas surpris
que des immigrantes voilées se promènent après ça avec, écrit sur une
pancarte : «Le Québec, sans nous, n’est rien»! D’autre part, on comprend
du même souffle, l’engouement chez les Québécois dits de souche pour la Charte
des valeurs québécoises proposée par le Parti Québécois. Tout ça a été préparé de longue
date et sans le prévoir – bien au contraire -, par la réforme de 2007 du
gouvernement Charest!Voilà pourquoi le nœud du récit national qui structure l’unité d’intrigue de l’histoire du Québec pose problème en termes d’intégration des nouveaux arrivants. On ne peut faire des Québécois instantanés à partir de la poudre d’histoire. C’est l’occasion pour Létourneau de considérer le récit traditionnel comme inapte à opérer
sur ce métissage ethnique
nouveau. Pour lui, l’immigration sonne le glas de la tradition groulxiste. La
conscience malheureuse persiste chez les élèves tant «il est fascinant de
voir à quel pont les jeunes Québécois, dans les phrases qu’ils forgent pour
faire état de leur vision du passé du Québec, s’inspirent ou reprennent
directement les thématiques identitaires, figures rhétoriques, schèmes
d’intelligibilité, séries culturelles, topiques narratives ou éléments de la
doxa de leur groupement référentiel. Cette dynamique d’emprunt est visible chez
les “francophones” autant que chez les “anglophones”» (J. Létourneau. Ibid. p. 220). Les thématiques identitaires sont
l’obstacle majeur à une conscience heureuse de l’histoire et à la possibilité
d’«ouvrir la mémoire apprise et la conscience simpliste par l’histoire
comprise, de manière à défaire les représentations acquises et complexifier les
visions assises pour parvenir à la conscience critique, tel est le but de
l’éducation historique»
(J. Létourneau. Ibid. p.
233). L’auteur entrevoit même l’amorce d’un processus d’ouverture dans certains
types de phrases positives : «Au vu des phrases produites – souvent
triviales, surtout dans le cas des formules à connotation positive – on se
demande si les intéressés se détachent de cette représentation par choix, par
candeur ou par inconnaissance. On ne contestera pas que certains jeunes s’écartent
de la vision hégémonique du passé du Québec parce qu’ils adhèrent franchement à
un point de vue non négatif de l’expérience québécoise. Ceux-là ont clairement
une conscience différente du passé de la province. En délaissant les schèmes
habituels d’intelligibilité de l’aventure québécoise dans le temps, peut-être
font-ils preuve d’ailleurs d’une sorte de résistance active par rapport au
récit dominant. D’autres jeunes,
possiblement insatisfaits des représentations
existantes du passé québécois, mais incapables de trouver une alternative qui
leur convienne, finissent par employer, faute de mieux, une formule simpliste
et peu historisée, à caractère positif, pour exposer leur vision de
l’expérience québécoise. En pratique, ces jeunes pourraient être fiduciaires
d’une conscience autre de l’aventure québécoise; cependant, ils n’ont pas
(encore) déniché de quoi rassasier leur esprit sur ce plan. Si leur vision
positive est fidèle à leur pensée, elle est également naïve et mal fondée sur
le plan empirique, d’où la banalité des formules qu’ils emploient» (J. Létourneau. Ibid. pp. 225-226). C’est à l’ouverture sur une
expérience positive de l’histoire qu’appelle l’utopie de Létourneau; la
capacité d’offrir un discours alternatif à l’histoire nationale mélancolique
enseignée depuis toujours aux élèves du secondaire à laquelle il veut œuvrer
dans le contexte où les thématiques identitaires doivent céder le pas à la
multivalence de la nouvelle société québécoise.Ne nous cachons pas que Létourneau entend ici mettre K.O. l’Histoire du Québec pour les nuls d’Éric Bédard. Comme il le reconnaît dans une note, s’il existe des récits alternatifs de l’histoire du Québec – ceux de Little et Gossage, de Baillargeon, de Young et Dickenson et …Létourneau – ce qu’ils proposent est de peu de poids sur la masse des Québécois qui se sont nourris au gré du grand roman (familial) national –
les Lacoursière, Vaugeois, Bédard, etc.,
«qui vendent les ouvrages qu’ils produisent par dizaines de milliers
d’exemplaires et qui sont continuellement présents sur les plateaux de
télévision ou dans les émissions de radio!» (J. Létourneau. Ibid. p.100, n. 2). Je comprends parfaitement ta frustration, mon Jocelyn!
Voilà la «vraie raison» qui motive l’auteur à se pencher sur «la possibilité
de sortir les jeunes des trappes identitaires dans lesquelles ils semblent pris
à un âge précoce, trappes qui hypothèquent lourdement leurs chances de
renouveler les représentations historiques par lesquelles ils se voient – ainsi
que les “Autres” – dans le temps et le théâtre de l’histoire…» Contre les mythistoires hérités de
l’enseignement des Lacoursière et autres Bédard, Létourneau se demande : «Est-il
pensable que les jeunes puissent s’extirper des mythistoires constitutifs de
leur identité historique? Difficile de répondre à la question de manière
assurée. L’enquête révèle en tout cas que l’entreprise ne sera ni facile ni
rapide. Les récits identitaires fondés sur des mythistoires restent en effet
largement structurants de la conscience historique des jeunes. On doit
d’ailleurs se demander si l’être humain peut exister en dehors de récits
mythistoriques par lesquels il conjugue son destin personnel aux temps
d’ensembles sociaux qui, tout à la fois, lui
offrent tremplin, refuge et
réconfort identitaire. Pour plusieurs, la réponse à cette question est
affirmative. Mieux, le moyen de cette sortie (salutaire) du cadre mythistorique
est à portée de main : il s’agit de la pensée historique, qui libère les
capacités réflexives individuelles et ouvre les portes de l’autonomie intellectuelle.
Cette thèse est assurément séduisante. La réalité n’est pas aussi évidente. En
vérité -, et c’est l’un des constats auxquels il faut bien parvenir au terme de
cette étude – les récits identitaires à caractère mythistorique apparaissent comme
des prêts-à-croire ou des prêts-à-penser avidement recherchés ou passivement
adoptés par l’être humain en quête de sens» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-235). Mais, comme le remarquait Mircea Éliade dans son
livre La nostalgie des origines, toutes
démystification d’un récit entraînent automatiquement un processus qui
remythifie le récit. Dans le cas de Létourneau, celui-ci proposera les métaphores.
«On dit que les hommes
vivent par les métaphores. Il semble que ces procédés de langage, aussi
utilisés comme figures rhétoriques, constituent de puissants mécanismes de
captation, de compréhension, d’ordonnancement, d’interprétation et de
restitution de l’expérience vécue et perçue. Dit autrement, c’est par la
production ou l’emprunt de métaphores, notamment, que l’être humain s’empare de
la complexité du monde et lui donne un sens fort, pratique et synthétique qui
sert à la régulation de sa vie ordinaire. Bien sûr, la métaphore n’est pas une
fin en soi; c’est même une erreur de la “déguster comme une intelligibilité
toute faite”. Il faut au contraire la considérer comme une idée de base, pivot
d’un processus d’élémentation du savoir, à partir de laquelle ou grâce à
laquelle des idées plus complexes peuvent être élaborées».
Admettons cette thèse dont on tirera une implication immédiate par l’énoncé d’une proposition conséquente : si les métaphores sont essentielles à la préhension par l’être humain du monde dans lequel il vit, c’est dire que de nouvelles métaphores pourraient faire “revivre” les hommes et leur ouvrir de nouveaux continents de compréhension, y compris à propos d’eux-mêmes. Suivant cette affirmation, produire de nouvelles métaphores serait un moyen d’offrir aux êtres humains et aux sociétés de nouvelles possibilités de compréhension et de retraduction de leur condition historique. De ce raisonnement découle un défi auquel les enseignants, les didacticiens et les historiens paraissent ensemble confrontés : celui de forger une nouvelle idée phare – sorte de métaphore percutante, pertinente et concordante avec la complexité du passé – pour saisir et représenter l’expérience québécoise en vue de la délivrer de ses oripeaux défraîchis» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-236).
Admettons cette thèse dont on tirera une implication immédiate par l’énoncé d’une proposition conséquente : si les métaphores sont essentielles à la préhension par l’être humain du monde dans lequel il vit, c’est dire que de nouvelles métaphores pourraient faire “revivre” les hommes et leur ouvrir de nouveaux continents de compréhension, y compris à propos d’eux-mêmes. Suivant cette affirmation, produire de nouvelles métaphores serait un moyen d’offrir aux êtres humains et aux sociétés de nouvelles possibilités de compréhension et de retraduction de leur condition historique. De ce raisonnement découle un défi auquel les enseignants, les didacticiens et les historiens paraissent ensemble confrontés : celui de forger une nouvelle idée phare – sorte de métaphore percutante, pertinente et concordante avec la complexité du passé – pour saisir et représenter l’expérience québécoise en vue de la délivrer de ses oripeaux défraîchis» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-236).
Nous ne sortons pas de la problématique
posée par le mythistoire en lui substituant la métaphore! Disons-le. Abolir le
mythistoire de l’identité nationale pour la métaphore d’une société de
contacts; c’est-à-dire une histoire de métissages successifs depuis les
premiers contacts entre colons français et autochtones, puis avec les
Britanniques au moment de la Conquête, et les différents groupes ethniques venus après :
Irlandais, Écossais, Italiens, Haïtiens, Maghrébins,
Vietnamiens, etc., pour faire ici ce qui avait été fait avant ou ailleurs, en Amérique ibérique comme aux
États-Unis, mais de manières différentes. C’est l’histoire du Nous «inclusif»
de Pauline Marois! «Le Québec comme société de contacts – en assumant tout
ce que ces contacts peuvent avoir eu (et ont toujours) d’avantageux et de
fâcheux, de positif et de négatif, de conciliant et d’heurtant, de structurant
et d’affligeant, de libérateur et d’assujettissant -; voilà une idée-force qui
pourrait (peut-être) permettre au Québec de passer à l’avenir [c’était le titre d’un autre livre de
Létourneau] sans nier ce qui l’a fait tout en rehaussant ce qui le fera» (J. Létourneau. Ibid, p. 236). L’enjeu du livre interpelle le
lecteur à choisir entre deux systèmes idéologiques clairement identifiés. Mais
comme l’histoire de l’avenir n’a pas encore été écrite, il est difficile d’en
tirer une alternative pratique.
Dans sa Philosophie de l’Histoire, le jeune Michelet disait de la France qu’elle
était un lieu de contact sur le continent européen où toutes les migrations de
peuples avaient fini par aboutir. Contrairement à ses successeurs réactionnaires,
Michelet voyait justement la France comme une creuset où se formait la nation française, une société de contacts, une situation à laquelle aucun autre pays
européen ne pouvait se comparer. Tout cela n’effaça pas la conscience
historique malheureuse des Français de se retrouver toujours en perpétuelles
guerres civiles.
La conscience malheureuse de l’Histoire n’est pas spécifiquement québécoise et la solution de Létourneau consiste à échanger 4 trente sous pour une piastre! Tous les peuples ont des historiens qui leur rappellent leur mauvaise conscience. Lorsque Howard Zinn publie une Histoire populaire des États-Unis, n’est-ce pas à cette mauvaise conscience fortement refoulée qu’il en appelle? Lorsqu'il passe en revue tous ceux qui ont été les laissés pour compte du rêve américain : Amérindiens, Noirs femmes, immigrants, esclaves, ouvriers, gays… la tonitruante histoire
américaine ne découvre-t-elle pas son lot de culpabilités morales et, inquiétés par le vieux sentiment
judéo-protestant du châtiment, les Américains ne savent-ils plus s’ils doivent regarder comme un
signe d’élection ou de damnation le fait, qu’à leur tour, ils imposent (et à
quels prix!) la pax americana à
l’ensemble du monde? Nos «victoires morales» ne peuvent effacer nos défaites
historiques, et qu’importe l’idée force (mythe identitaire ou métaphore de
contacts), notre conscience part avant tout de ce que von Ranke appelait wie es eigentlich
gewesen, ce qui s’est
réellement passé. Et continue de se passer présentement. L’historiographie moderne est née avec les concepts de
nation, d’État, de cultures et si la mondialisation doit changer tout cela, la société
de contacts ne sera pas
québécoise mais universelle, car ce n’est que là qu’elle peut imposer son
paradigme de mythistoire du futur. En attendant, nous vivons encore dans des
sociétés nationales, dominées par des institutions d’État et dont la culture
est la célébration de son identité collective. Libre à M. Létourneau d’y croire
ou pas⌛
Vietnamiens, etc., pour faire ici ce qui avait été fait avant ou ailleurs, en Amérique ibérique comme aux
États-Unis, mais de manières différentes. C’est l’histoire du Nous «inclusif»
de Pauline Marois! «Le Québec comme société de contacts – en assumant tout
ce que ces contacts peuvent avoir eu (et ont toujours) d’avantageux et de
fâcheux, de positif et de négatif, de conciliant et d’heurtant, de structurant
et d’affligeant, de libérateur et d’assujettissant -; voilà une idée-force qui
pourrait (peut-être) permettre au Québec de passer à l’avenir [c’était le titre d’un autre livre de
Létourneau] sans nier ce qui l’a fait tout en rehaussant ce qui le fera» (J. Létourneau. Ibid, p. 236). L’enjeu du livre interpelle le
lecteur à choisir entre deux systèmes idéologiques clairement identifiés. Mais
comme l’histoire de l’avenir n’a pas encore été écrite, il est difficile d’en
tirer une alternative pratique.
Dans sa Philosophie de l’Histoire, le jeune Michelet disait de la France qu’elle
était un lieu de contact sur le continent européen où toutes les migrations de
peuples avaient fini par aboutir. Contrairement à ses successeurs réactionnaires,
Michelet voyait justement la France comme une creuset où se formait la nation française, une société de contacts, une situation à laquelle aucun autre pays
européen ne pouvait se comparer. Tout cela n’effaça pas la conscience
historique malheureuse des Français de se retrouver toujours en perpétuelles
guerres civiles.La conscience malheureuse de l’Histoire n’est pas spécifiquement québécoise et la solution de Létourneau consiste à échanger 4 trente sous pour une piastre! Tous les peuples ont des historiens qui leur rappellent leur mauvaise conscience. Lorsque Howard Zinn publie une Histoire populaire des États-Unis, n’est-ce pas à cette mauvaise conscience fortement refoulée qu’il en appelle? Lorsqu'il passe en revue tous ceux qui ont été les laissés pour compte du rêve américain : Amérindiens, Noirs femmes, immigrants, esclaves, ouvriers, gays… la tonitruante histoire
américaine ne découvre-t-elle pas son lot de culpabilités morales et, inquiétés par le vieux sentiment
judéo-protestant du châtiment, les Américains ne savent-ils plus s’ils doivent regarder comme un
signe d’élection ou de damnation le fait, qu’à leur tour, ils imposent (et à
quels prix!) la pax americana à
l’ensemble du monde? Nos «victoires morales» ne peuvent effacer nos défaites
historiques, et qu’importe l’idée force (mythe identitaire ou métaphore de
contacts), notre conscience part avant tout de ce que von Ranke appelait wie es eigentlich
gewesen, ce qui s’est
réellement passé. Et continue de se passer présentement. L’historiographie moderne est née avec les concepts de
nation, d’État, de cultures et si la mondialisation doit changer tout cela, la société
de contacts ne sera pas
québécoise mais universelle, car ce n’est que là qu’elle peut imposer son
paradigme de mythistoire du futur. En attendant, nous vivons encore dans des
sociétés nationales, dominées par des institutions d’État et dont la culture
est la célébration de son identité collective. Libre à M. Létourneau d’y croire
ou pas⌛
Montréal
26 février 2014

.jpg)
Moi aussi je préférais l’histoire américaine même si je n’avais pas encore visité ces lieux. Est-ce possible aussi que la variable « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin » ait joué ?
RépondreSupprimerJ’aime beaucoup ton envolée pour la finale, c’est du grand Coupal.
Bien sûr, chère Rainette que l'herbe est toujours plus verte chez le voisin, ce n'est pas à une grenouille que j'apprendrai ça! Il est vrai que pour l'envolée finale, j'étais monté sur un tabouret.
RépondreSupprimer