vendredi 20 mai 2011

C'est notre fête, aujourd'hui…














Elizabeth II - Dollard des Ormeaux - Le Patriote de 37-38

C’EST NOTR
E FÊTE, AUJOURD’HUI…
Stéphane Venne
Renée Claude


Ma pharmacienne me remet le sac contenant mes médicaments du mois. En souriant, elle me souhaite une bonne fête des Patriotes (elle est pourtant néo-québécoise d’origine africaine. Et on dira après ça que l’intégration ne fonctionne pas!) Ouais, lui répondis-je avec une mine gaillarde, et en plus on a le choix: la Reine, Dollard… Toutes les employées se sont mises à rire avec complicité, et je suis sorti. Décidément, qui vais-je fêter, lundi?

La Reine

Je pourrais toujours célébrer Sa Majesté, en costume jaune-poussin comme au mariage du prince-héritier, ou avec son ensemble vert pour honorer les Irlandais de sa visite et faire oublier les années d’oppression exercées par l’Angleterre sur la verte Eire. Je dois reconnaître qu’après un demi-siècle de règne, Elizabeth II est toujours égale à elle-même. Il est rare, de nos jours, de trouver quelqu’un qui sait maintenir une telle constance tout au long de sa vie! Son mauvais goût est proverbial. Ses manteaux qu’elle portait il y a quelques années encore, ressemblaient tellement à ceux que portaient ma mère dans les années 1960! D’horribles manteaux, longs, ternes, achetés chez Croteau-guenilles. Pour l’une des femmes, sinon la femme la plus riche du monde, la fantaisie, et encore moins l’extravagance - quoique qu’avec le manteau jaune-poussin, elle a dû s’autoriser une petite folie, sans doute après avoir visionné un vidéo-clip de Lady Gaga -, sont à peu près impensables. Bref, si par esprit d’économie, elle préfère faire ses emplêtes chez People’s (Bless my peeple! disait l’autre Elizabeth, la première), c’est son choix. On ne gâte pas le bon plaisir d’une reine, et tous les goûts sont dans la nature, même les mauvais.

Et pourtant, telle est Elizabeth. Figure impassible, inexpressive. Ses deux amours: les chevaux et faire des puzzles. Il a fallu tout un talent d’actrice à Helen Mirren pour l’interpréter dans le film The Queen; montrer qu’elle pouvait être tourmentée de l’intérieur entre sa rancune contre sa brue et la pression populaire qui lui reprochait son manque d’empathie face à la mort de Lady Die. Elizabeth voudrait montrer une image de sa fonction monarchique empreinte de dignité et de gloire à un pays qui n’est plus un empire. De roi, il est passé au rang de valet, avant de finir deux de pique dans la game que se livrent les puissances internationales. Elle est comme le capitaine du Titanic, à la barre de son bâteau que «Dieu même ne pourrait couler»: inflexible, regardant la mort droit devant, bien en face. Les efforts que Buckingham Palace a déployé pour empêcher la sortie du film The King’s Speech montre encore qu’il y a une gêne à représenter la monarchie anglaise atteinte d’un trouble d’élocution. Si son père, le flegmatique George VI, était atteint de bégaiement, sa fille pourrait, impavide, reprendre le discours célèbre de sir Winston Churchill aux Communes sur «le sang, la sueur et les larmes». C’est dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale qu’elle s’est faite d’elle-même cette image de la royauté, et accédant au pouvoir, elle l’a revêtue dans sa peau jusqu’au sang.

Et voilà pourquoi elle est rendue qu’elle porte un ensemble jaune-poussin.

Biensûr, répliquera-t-on, c’est la fête du couronnement de Victoria qui est célébrée, la reine qui monta sur le trône en 1837, qui régnait au moment où le Canada fut constitué tel qu’il est présentement, et qui choisit Bytown pour devenir la capitale. Elle ignorait sans doute que Bytown était un poste où régnaient les mauvais garçons, les draveurs et les Indiens, plus quelques bonnes sœurs blotties autour de la lourde soutane d’Élisabeth Bruyère, venues là en pays de mission. Pour polir la surface écorchée de l’endroit, on rebaptisa Bytown Ottawa, laissant Victoria aux colons de la Colombie Britannique. Halifax à l’extrémité est du pays; Victoria à l’extrémité ouest: ça voulait tout dire de l’empreinte aristocratique et impérialiste que revêtait le Dominion issu d’une série de négociations commerciales comme jamais aucun pays n’en a été marqué à sa naissance. Le Canada est une entreprise commerciale, spécifiquement coloniale, qui, lui aussi, n’a rien perdu de ses origines. Un homme comme Stephen Harper habille le pays aussi bien que l’habilleuse d’Elizabeth. Un vaste manteau bleu-moisie recouvre le seul pays qui avait réussi à manifester quelques velléités d’avant-gardisme au temps du conservatisme reagannien qui s’est perpétué jusque sous la présidence de George W. Bush.

Devrait-on alors exhumer les vieux bustes de Victoria pour nous faire oublier Elizabeth? C’est négliger le fait que les Felquistes, dans les années soixante, décapitèrent d’un coup de bombe la jolie tête de la reine, encore jeune, de la statue qui domine l’entrée de l’ancien Victoria College qui est devenu, jusqu’à tout récemment, le conservatoire de musique de l’Université McGill. On voit, encore aujourd’hui, la couronne de la cicatrice laissée autour du cou par les maladroits qui ont recollé la malheureuse tête! Oser un tel matricide, en fait trucider l’imago de la mauvaise Mère, Britannia rules de wawes comme il est inscrit sur le monument érigé en mémoire de son fils, Edward VII, face au magasin La Baie, c’était un acte qui n’attendait plus que les mauvais farceurs qui allèrent décapiter de même la tête de la statue de sir John A. Macdonald, près de trente ans plus tard. Décapitations symboliques sur lesquelles Heinz Weinmann rédigea un magnifique livre qui n’a laissé à peu près aucune trace dans l’historiographie québécoise. Nous avons tellement peur d’apprendre. Sommes tellement angoissés de savoir notre roman familial - le familienroman de Freud - que nous ne savons plus quel(s) parent(s) tuer pour atteindre notre majorité et respirer enfin de nous même: la reine d’Angleterre comme mauvaise Mère, mais où est passé la bonne image maternelle? Sir John A. comme mauvais Père, mais qui revêtirait l’imago du bon Père? Sûrement pas le vire-capot à George-Étienne Cartier. Alors? René Lévesque? Un looser, sympathique, mais looser quand même. Qui oserait endosser une telle responsabilité symbolique considérant la hargne et le mépris qui se dégagent du discours de tant de ses héritiers idéologiques?

Alors autant assumer sa bâtardise et dire que nous sommes le résultat d’un croisement «anonyme» d’une culture élitiste européenne et de la sauvagerie de la culture nord-américaine. À ce titre, nous pouvons réclamer le «Sauvage», comme le proposait le bon docteur Ferron. Une fille du Roi comme mère n’est pas piquée des vers non plus. Une orpheline, probablement bâtarde rejetée d’un courtisan de l’entourage de Louis XIV ou d’un grand bourgeois de Paris, confiée à l’esprit de charité d’une quelconque Maintenon me satisferait bien. Ce n’est pas l’héritage que réclame l’Enfant trouvé, mais il satisfait pleinement celui du Bâtard de Marthe Robert. Alors, Victoria? Elizabeth? La Reine? Si on se plaît encore à croire, aujourd’hui, que nous appartenons à un Empire et à un héritage britannique, par nos institutions - que même les «Séparatistes» voudraient conserver -, par nos valeurs libérales, capitalistes, fair play et canadiennes, pourquoi pas? Tous les peuples sont mythomanes lorsqu’il s’agit de leur historicité. Et après tout, nous ne regardons pas de près lorsque nous recevons un billet de vingt dollars, et si l’argent n’a pas d’odeur comme l’enseignait l’empereur Vespasien à son fils Titus, la face sur le billet de banque indique bien sa valeur, qui est ici, paradoxalement, supérieure à celles attribuées à Sir John A et à Sir Wilfrid Laurier, et inférieure à celles des billets ornés des faces de William Lyon MacKenzie King et Robert Laird Borden! Qu’importe! Nous l’enfouissons vite dans notre poche.

Dollard des Ormeaux

Parlant de dollar, il faut bien se souvenir que longtemps les Canadiens Français fêtaient Dollard en lieu et place de la Reine Victoria commémorée par les Canadiens Anglais. Dollard des Ormeaux, le jeune Français qui, n’ayant pas sû viser son baril de poudre sur les méchants Iroquois qui l’attaquaient, le reçut sur la tronche et mourut, «fidèle au poste», avec ses seize compagnons quelque part en mai 1660, non loin d’Ottawa d’ailleurs, sur l’Outaouais à un endroit dit le Long-Sault. Pour Dollard et ses amis, ce fut tout un long saut que de passer de vie à trépas pour assurer l’approvisionnement en fourrures la colonie française du Saint-Laurent. Radisson et Des Groseillers démontrèrent qu'en étant moins jack ass, on pouvait tout aussi bien faire de bonnes affaires avec les marchands anglais qu’avec les marchands français.

Ce personnage plutôt fallot - les documents enregistrés et conservés à la Ville de Montréal parlent d’un Adam Daulac - car on ne sait pratiquement rien de lui, fut pour les Canadiens Français imbus de la mission catholique et française, le modèle de la résistance à la sauvagerie et à la barbarie. De quelques lignes tirées ici et là, dans la correspondance de Mère Marie de l’Incarnation comme dans l’Histoire du Montréal de Dollier de Casson, un sulpicien, l’abbé devenu chanoine Lionel Groulx l’a propulsé figure mythique digne de trôner à côté de celle d’Ossian, au royaume des grands combattants épiques et romantiques. Ce Hector de la Nouvelle-France n’avait pas devant lui un Achille de sa taille, mais des centaines d’Amérindiens qui ne respectaient aucune convention de Genève. Une fois pénétrés dans le fortin éventré, ils massacrèrent sans retenu les survivants, tandis que quelques alliés Hurons s’empressaient de se sauver et d’aller porter la nouvelle à Ville-Marie (Montréal).

Ce Jeanne d’Arc en pantalon a servi de modèle idéal à des générations de jeunes Québécois durant tout le premier XXe siècle. Je me souviens encore de la réplique du buste fait par Alfred Laliberté pour le monument du Parc Lafontaine, qui trônait dans la grande salle de l’École Notre-Dame-Auxiliatrice où j’allais, à Saint-Jean-sur-Richelieu, vers 1968. Imitant les mouvements de jeunesse français ou belges, quelque part entre les scouts et les camelots du roi. Les célébrations de Dollard, au milieu du mois de Marie (mai), servaient à étaler toute la propagande d’un «nationalisme intégral» canadien-français, véhiculé par une «Action nationale» qui résonait «Action Française», s’inventant une société secrète - l’Ordre de Jacques-Cartier - et initiant des édiles de la Province au temps des Taschereau et des Duplessis, nous laissent aujourd’hui perplexe.

En tout cas, le docteur Ferron ne mâchait pas ses mots contre ce mistigoche qu’il voulait voir remplacé par le docteur Chénier, mort à Saint-Eustache en 1837, mais nous y reviendrons. Dollard restait, malgré la démythification de la Nouvelle-France, une figure héliophore, porteuse d’une transcendance solaire qui consacrait la mission divine des Canadiens Français en terre nord-américaine, là où ils n’avaient pas été invités, pas plus que les Espagnols ou les Anglais d’ailleurs. Une fois établie la raison de sa présence au Long-Sault - le commerce des peaux de castor -, c'était loin d'apaiser le sentiment de culpabilité ou suffisant à éponger les sanglots de l’homme blanc québécois du XXe siècle, héritier honteux du port du casque colonial français. Pour peu, nous nous serions accablés également des torts causés par l’ex-métropole aux Algériens et aux Vietnamiens! Être des vaincus ne signifie pas qu’on compatit nécessairement à l’oppression que subissent d’autres peuples. Si nous nous sommes identifiés si facilement aux Boers en 1900, qui livraient en Afrique du Sud une guerre à finir avec les impérialistes britanniques qui convoitaient leurs mines de diamants, c’est qu’au même moment, les Westerners et les Ontariens menaient la vie dure aux minorités francophones hors Québec. Toute l’ambiguïté de notre rapport face à la figure de Dollard dépend donc de notre attitude face aux Amérindiens du Québec aujourd’hui. De cocus contents, ils sont devenus, grâce à nos idéologues dévoués au tiers-monde, des revendicateurs assoiffés de compensations. À Oka, en 1990, Dollard a revêtu un uniforme des policiers de la Sûreté du Québec, ce qui ne l’a pas empêché d’être tué une seconde fois dans la peau du caporal Marcel Lemay, le 11 juillet. Et les idéologues de se scandaliser de ne pouvoir traverser les routes du Québec pour se rendre, en toute sécurité, à leurs chalets des Laurentides ou de la Rive-Sud. Ils auraient alors voulu souffler sur la mèche qu’ils avaient eux-mêmes allumée et ne toléraient pas que les bonnes consciences des autres pays viennent recueillir les doléances autochtones et reprocher aux Québécois leur néo-colonialisme! Mais il est vrai, également, qu'ils n'étaient pas les mieux placés pour venir nous faire la leçon!

Dollard reste malgré tout une figure de la virilité québécoise. C’est un conquérant qui périt en défendant son bout de territoire, un peu comme Lambert Closse six ans plus tard. Il n’est pas une figure de Père mais plutôt une figure de l’Enfant, de chacun d’entre nous, et une figure du bon Enfant - il reçoit la communion avant de partir pour la mort; il obéit aux ordres de son supérieur hiérarchique Maisonneuve, etc. -, il est l’idéal du scout pratiquant l’entraide et la vie communautaire comme il est l’idéal du «nationaliste intégral» dans la mesure où la nation opposait, à l’époque, la race Blanche, supérieure, élue, à la race bâtarde, sauvage et barbare. Le Mal peut bien l’emporter sur le coup, mais la résistance de quelques seize héros oblige, selon l’aveu de Marie de l’Incarnation, les Sauvages à réviser leur plan de s’emparer de Ville-Marie. Grâce à eux, la colonie «était sauvée». Comme le Christ nous a sauvé du péché, Dollard sauve la colonie et lui permet ainsi d’assumer son rôle civilisateur. Voilà pourquoi Groulx voyait en lui la clef du destin canadien-français en terre d’Amérique. Si Jeanne d’Arc a été canonisée et non Dollard, c’était en vue d’un rapprochement diplomatique entre le Vatican et la France républicaine et «athée». Avec le Québec, un tel problème ne se posant pas, Groulx n’y pensa même pas. Sa vision était alors strictement nationaliste beaucoup plus que catholique, et l'idée d'en faire un martyr de la foi ne lui vint même pas à l'esprit. C'est surtout vers la fin de sa vie que toute l'histoire nationale prendra chez Groulx un aspect mystique, influencé de la théologie de l'histoire des dominicains associés à Henri-Irénée Marrou et Jacques Maritain.

Cet Idéal du Moi québécois (ou canadien-français) dura le temps où nous nous crûmes les Enfants trouvés, après avoir été perdus par la France, sur les rives du Saint-Laurent. Du temps de la Nouvelle-France, on oublia très vite le sacrifice de Dollard. Sous le Régime anglais, Garneau, dans son Histoire du Canada, reprit les témoignages d’époque et le jugement de Marie de l’Incarnation. Après la Confédération, avec les confrontations qui se développaient entre les nationalistes de Henri Bourassa et les impérialistes de la majorité anglo-saxonne, libérale comme conservatrice, Dollard devint un symbole actif de résistance nationale. Mais de quelle(s) nation(s)? Car le francophobe Sam Hugues, ministre de la Guerre durant la Première Guerre mondiale, sût brouiller les cartes en s’en servant sur les affiches de recrutement, identifiant Sauvages et Allemands d’un même souffle, et le brave Dollard s’apprêtant à recevoir le coup mortel, ce qui signifiait la double intention inconsciente du poster: les Canadiens Français au combat (en Europe), et qu’il en périsse le plus grand nombre possible afin de les minoriser davantage dans le pays qui, en tout «fait naturel», devrait se faire ango-saxon et protestant. Mais, après tout, peut-être que Sam Hugues était moins inconscient qu’il n’y parait, et comme on ne peut présumer des intentions réelles d’un mort… Le fait demeure que Hugues détestait les Canadiens Français et qu’il le leur montrait bien, ce qui finit par entraîner son limogeage par le Premier ministre Borden (qui vaut $100 sur les billets bruns).

J’ai toujours prétendu que le vrai symbole héliophore aurait dû être d’Iberville plutôt que Dollard. Dollard est un héros, Français, auto-sacrifié, ce qui plaît à ceux qui aiment Wagner et les Niebulengen; mais d’Iberville est un authentique Québécois, il a mené une vie gaillarde, faisant de la piraterie dans la Baie d’Hudson, à Terre-Neuve, dominant les Anglais et rapportant des succès. Ce héros finit gouverneur de la Nouvelle-Orléans et mourut à Cuba. Mais il ne possédait pas la virginité attribuée à Dollard et surtout ne buvait pas l’eau bénite à grosse gorgée, ce qui en faisait quelqu’un à la moralité douteuse. Du moins, pour les critères de l’époque. Et tout ce qu’il avait arraché, lui et ses frères, aux Anglais, Louis XIV le leur restitua aux cours du traité d’Utrecht de 1713. S’il n’y avait pas eu ces désobéissants que furent les Patriotes de 1837-1838, il est probable que d’Iberville aurait tenu l’image de l’Enfant mauvais, agressif plutôt que passif (c’est-à-dire s’abandonnant à la mort, comme le fit Dollard), dépravé et pirate plutôt qu’honnête commerçant (comme les compagnons du Long-Sault), semeur de bâtards avec les Indiennes plutôt que puceau comme le brave Dollard. Le culte de Dollard maintenait l’idéal adolescent, immature et d’une fausseté chevaleresque que revêtait le Moi québécois (ou canadien-français) et qui fut inconsciemment repris par René Lévesque et Jacques Parizeau qui, jamais, ne voulurent se voir associés aux patriotes violents de 1837. Le résultat fut que leurs Long-Saults se déroulèrent en 1980 pour le premier et en 1995 pour le second. Lançant chacun son baril référendaire par-dessus une palissade mal consolidée de la souveraineté, l’association leur renvoyait en pleine tronche l’audace qu’ils n’étaient pas habiletés à assumer jusqu’au bout. C’est dommage, mais c’est comme ça. Que ça se passa. Entre Nono et Nana (Fernandel).

Les Patriotes

Que diable ces Patriotes de 1837-1838 allèrent-ils faire dans cette galère de fête de la mi-mai? Surtout que les principaux combats (Saint-Denis, Saint-Charles, Saint-Eustache, Saint-Benoît, Beauharnois, Lacolle, Odelltown) ont eu lieu en décembre 1837 et novembre 1838… Il faut se le dire, il faut se l’avouer. Le Premier ministre du Québec, le souverainiste Bernard Landry, sous la pression des milieux d’affaires, ne voulut pas donner une fête chômée au mois de décembre, juste avant le congé des fêtes. Le meilleur moyen était de tasser Dollard et d’y faire entrer les Patriotes en grand nombre afin de satisfaire la grogne nationaliste. Il ne fallait surtout pas laisser sous-entendre une quelconque filiation historique entre ces Patriotes, par trop violents, mais dont il se devait de célébrer la mémoire, et les partisans de la souveraineté-association. Il ne fallait donc pas en faire des héros modèles, à la façon de Dollard à l’époque du chanoine Groulx. Une fête des Patriotes avait un parfum trop idéologique pour l’odorat sensible du chef du gouvernement.

Je n’ai jamais aimé Bernard Landry. C’est un type faux d’un couvert à l’autre. Je l’ai vu posé un jour un geste généreux, en donnant quelques cents à un mendiant sur la rue Saint-Denis, mais c’était avant que, devenu ministre des Finances de Lucien Bouchard, il sabre dans les maigres chèques des Assistés Sociaux. Lorsque je l’ai revu, devenu Premier ministre, il était, entouré de deux gardes du corps (des hommes en noirs, attentions E.T.!), sur la rue Mont-Royal, venu inaugurer l’Hypertaverne, un endroit bc-bg à Bobos… Bernard Landry, comme tous néo-libéraux croyant que les capitalistes se sont «civilisés», préfère la charité individuelle à la justice sociale, parce que la justice sociale porte ombrage à la charité individuelle. La philanthropie comme dépanneuse de l’État en crevaison. Le voir se râper les lèvres à force de sucer l’affabilité des dirigeants de la compagnie de camions lourds Kenworth pour sauver quelques centaines d’emplois, c’était tout simplement écœurant. Cette multinationale, dont les bénéfices annuels dépassent le budget de la province, se voyait offrir une subvention du gouvernement afin de maintenir ouverte son usine au Québec. Face à une série de fermetures d’usines et de congédiements massifs de travailleurs, le gouvernement Landry essayait de sauver la face. En offrant à Kenworth une subvention, c’était, indirectement, verser le salaire de quelques trois cents travailleurs par l’entremise de l’aide de l’État au développement industriel, la subvention recouvrant une aide sociale cachée. Ce stratagème de la dissimulation avait très bien fonctionné dans le cadre du budget, faisant passer le déficit annuel directement dans la colonne de la dette afin de maintenir l’obsession de Lucien Bouchard du déficit zéro …à zéro déficit. Le gouvernement Charest devait, par la suite, poursuivre le processus après l’avoir dénoncé. Landry est un petit-bourgeois qui aurait voulu être grand seigneur, semblable à l’image sous laquelle s’affiche Jacques Parizeau, mais l’un a enseigné l’économie à l’UQAM et tenu des chroniques pour les boutiques médiatiques de Péladeau, alors que l’autre à enseigner aux Hautes Études, sur la montagne, et s’est métamorphosé en gentilhomme-vigneron. Bernard Landry, à côté de Jacques Parizeau, c’est du «P’tit Québec» à côté d'un fromage du Brie.

Pourtant, il est plus proche de ces Patriotes de 1837-1838 qu’on serait porté à le juger. Que la Société Saint-Jean-Baptiste l’ait déjà consacré Patriote de l’année est tout à fait dans l’ordre des choses. Ce diplômé en droit de l’Université de Montréal, qui finit prof. à l’UQAM (c’est comme sortir de la Sorbonne pour venir enseigner au CÉGEP du Vieux-Montréal), avait, à l’époque c'est-à-dire en 1969, été engagé par le gouvernement de l'Union nationale, parce qu'ancien leader des étudiants de l'Université de Montréal, afin de négocier la reddition des étudiants de l’École des Beaux-Arts de Montréal qui, en grève, avaient proclamé l’institution occupée «République (indépendante) des Beaux-Arts» (rien de moins!). Bernard Landry - la véritable malédiction de la momie - évoque ces patriotes «mous» dont le poil s’hérissait partout sur le corps lorsqu’ils entendaient Wolfred Nelson lancer à l’Assemblée des Six-Comtés: «Je prétends que le temps est arrivé de fondre nos plats et nos cuillères d'étain pour en faire des balles»! Pour eux aussi, une bonne phrase, lancée en latin, à la tête du gouverneur colonial aurait dû être suffisante pour désarmer l’adversaire. Mais, pour une fois, le temps était aux vents mauvais. Aussi, l’histoire se répétant, Bernard Landry se montrerait plutôt l’héritier des Hippolyte Lafontaine et George-Étienne Cartier que des Nelson et des Chénier.

Un «négociateur» qui amène la reddition d’une petite République de tout-nus ne peut espérer s’en fonder une lui-même. Il est difficile d’être à la fois par-delà bien et mal lorsqu’on n’a pas la fibre nietzschéenne. Vouloir la démocratie et le consensus nationalitaire autour d’un projet référendaire quelconque tient d’un tour de force qu’aucune république moderne n’est parvenue à réaliser. Dans tous les cas, même les plus pacifiques, comme l’Ukraine et sa révolution Orange, il a fallu des jeux de coulisses et des pressions diplomatiques qui détenaient les cartes de la force dans leurs mains. Cela, les patriotes les plus avisés, et qui se montrèrent aussi les plus courageux, le savaient déjà en 1837. Mais leur échec militaire suivi de leur excommunication - qu’il fallut faire lever un siècle et demi plus tard! - les ont campés dans l’imago mauvais de l’Enfant et ils ont subi l’ostracisme des manuels scolaires. Avec la campagne menée par le docteur Ferron au cours des années 1960, le docteur Chénier, le patriote tué à l’église de Saint-Eustache, est devenu figure de théâtre, Les Grands Soleils.

Biensûr, on peut se demander: et ces Canadiens Français qui luttèrent pour le maintien du lien colonial, ne serait-ce qu’à cause des bénéfiques institutions démocratiques apportées par la conquête britannique, ces Chouayens tant méprisés, pourquoi n’auraient-ils pas droit à leur fête, eux aussi? Après tout, ils ont sauvé l'intégrité du Canada de l'époque! Ces bons garçons du temps du revival catholique de Mgr Bourget sont-ils donc devenus l’imago mauvais de l’Enfant québécois, celui qui a voté pour Trudeau en 1968? Celui qui a voté Non, deux fois plutôt qu’une, aux référendums? Celui qui a voté NPD voilà trois semaines à peine? Celui qui n’a pas d’opinion mais seulement des sentiments politiques et qui vire à hue et à dia? Dans l’optique de la grande «réconciliation québécoise» préalable aux «conditions gagnantes» de l'accès à la souveraineté à laquelle se rattache la stratégie du Parti Québécois, pourquoi ne pas concélébrer Chouayens et Patriotes en cette même journée de mai? Après tout, plus on est de fous, plus on rit? Tous ces gens n'appartiennent-ils pas aux mêmes familles? Bernard Landry ne craignait-il pas de maintenir la «maison divisée», pour reprendre l’allégorie d’Abraham Lincoln, en célébrant les uns et en oubliant les autres? Ou alors, ne faudra-t-il pas se résigner à choisir, un jour ou l’autre, entre la démocratie et la souveraineté? Mourrons-nous de trop de démocratie ou vivrons-nous par l'auto-détermination? Et ce jour-là, serons-nous Dollard ou d’Iberville? Toute l’aporie du projet souverainiste-associationniste réside dans ce ou bien… ou bien.

En tout cas, ce n’est pas aujourd’hui que le nœud va se trancher. Alors, va-t-on revêtir un ensemble jaune-poussin avec un chapeau vert de farfadet, un brassard aux trois couleurs du drapeau patriote au bras et une flèche iroquoise comme épingle à chapeau? De fait, il y en a pour tout le monde en ce jour de fête, et il reste l’option de tirer à la courte paille pour savoir qui on va fêter. Ou faire comme beaucoup de Québécois, aller ouvrir le chalet en Montérégie …ne serait-ce que pour en faire sortir l’eau⌛

Montréal
20 mai 2011

N.B. Après tout, il se peut que cette méditation humoristique n’ait plus sa raison d’être, et que je vais enfin cesser de me casser la tête pour des problèmes qui seront tranchés net par le séisme apocalyptique annoncé par le pasteur Harold Camping (1921-2011), qui étudiait jusqu’à ce soir la Bible depuis près de 70 ans, et qui est prévu pour 18 heures, heure locale. Cet ancien ingénieur avait réussi à calculer la date précise de la fin du monde en utilisant un système mathématique capable de décrypter les prophéties cachées dans les Saintes Écritures, ce qui lui a permis de qualifier ceux qui prévoyaient la fin du monde pour décembre 2012 à partir du calendrier maya que c’était là «un conte de fée». Ce prophète, qui est devenu millionnaire en récoltant les derniers fruits de ses disciples, avait fait toutefois une première erreur de calcul, prévoyant la fin du monde pour septembre 1994, ce qui ne s’est visiblement pas réalisée. Donc, à six heures ce soir, ce sera la fin, et nous n’en recevons déjà plus de réactions d’Asie, alors que toute la semaine, la ville de Manille aux Philippines avait vu de nombreux défilés des adhérents de la secte de Camping et même des catholiques joints au groupe, en appeler au repentir. Il y aura bien quelques chanceux qui penseront en être réchappés. Mais ce ne sera que partie remise, car ils seront rattrapés par une seconde fin du monde prévue celle-là pour le 21 octobre prochain. À ce que je comprends, le processus de la fin du monde ressemble drôlement à un processus référendaire québécois… Le premier référendum sera suivi d’un second, etc.

21 mai 2011

(Addenda, 21 mai, 22 h. 28) Flûte! Comme le référendum de 95, on s'est fait voler la fin du monde qu'on nous avait promise pour ce soir… Décidément..!

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