Madeleine de Verchères (1678-1747). |
POURQUOI L’“HONNÊTE HOMME” DOIT-IL LUTTER CONTRE LE MULTICULTURALISME?
Dans l'idéal, c'est bien beau de dire que chacun, parce qu'il côtoie des gens de toutes cultures, sera plus tolérant, plus accueillant, plus ouvert, moins renfermé sur lui-même. Je reconnais que c'est une aspiration légitime en soi, tout comme peut l'être le nationalisme québécois ou le fédéralisme canadien. Tous présentent une solution à la question du "vivre-ensemble" qui s'impose à l'heure de la mondialisation et du resserrement des réseaux de communication autour du Village global commandé par l’impérialisme culturel américain. Et la laïcité n'a pas l'ambition de répondre à ce problème complexe qui déborde dans l'ensemble de la société. La laïcité est une praxis idéologique de l'État. Son système est parcellaire, son utopie limitée, mais sa praxis est fondamentale pour la société dans la mesure où elle vise à assurer un ordre qui est celui du sens commun dans la cité et non de la satisfaction des exigences d'un groupe ou d'un autre qui n'a pas la responsabilité de faire en sorte d'établir une règle de conduite universelle.
M. Charles Taylor, le maître à penser du multiculturalisme, plutôt que de s'en tenir à une raison abstraite qui réduit la réalité à des modèles, aurait mieux fait de s'ouvrir à l'historicité des sociétés et en particulier de la société québécoise. Ce lointain descendant de Madeleine de Verchères semble répéter à sa mesure la légende de l'héroïne. Le matin du 22 octobre 1692, alors que ses parents étaient absents du fort, Madeleine travaillait dans les champs quand une troupe d’Iroquois jaillirent des bois et s’emparèrent d’une vingtaine de personnes qu’ils firent prisonniers. Madeleine parvint à leur échapper. Un Iroquois l’ayant saisi par le foulard qu’elle portait autour du cou, elle s’en délesta, laissant l’Indien pantois, le bout de tissu entre les doigts. Elle se glissa rapidement dans le fortin, referma la porte derrière elle et organisa la résistance avec ses frères. Afin de donner l’impression que la troupe était plus nombreuse, elle se coiffa d’un chapeau de soldat et se promena devant les meurtrières, ce qui retint les assaillants d’attaquer. Le siège dura ainsi huit jours jusqu’à ce que des renforts arrivassent de Montréal. L'avantage avec les mythistoires, qu'importe s'ils sont vrais ou non, c'est de cultiver les émois et les sensations; de restaurer la teneur dramatique des situations historiques à partir d'une anecdote que retient la mémoire.
Le philosophe canadien, Charles Taylor. théoricien du multiculturalisme |
Félicité-Robert de Lamennais (1782-1854) |
Sergio Leone. Once upon a time in America, 1982. |
rement réussi, c’est qu’en arrivant à Staten Island, pendant que le service d’hygiène les épouillait, les immigrants apprenaient que l’État était séparé des Églises et que c’était là la règle du vivre-ensemble américain. Et ils ont fait à Rome comme avec les Romains. Ils ont appris l’anglais, appris à vivre dans une société séculière et laïque, appris à coexister avec toutes les différences du monde sans pour autant se dépouiller totalement de leur identité culturelle. Vouloir faire plus serait péché d’orgueil en voulant se faire plus catholique que le pape. Malheureusement, ce qui était clair pour les immigrants new-yorkais ne le fut pas pour les immigrants qui arrivaient au Québec, dans cette contradiction constitutionnelle où ils sont pris entre deux systèmes de codes linguistiques et juridiques incompatibles aux leurs. Plus que les immigrants venant des pays occidentaux ou occidentalisés, les immigrants provenant des contrées asiatiques et particulièrement des sociétés converties à l’islam possèdent des codes culturels réfractaires à l’occidentalisation et à ses valeurs. Disposés à profiter de la magie technicienne occidentale, ils en refusent les codes moraux. Pour eux, l’autorité divine dépasse l’autorité civique. Le résultat est un sociodrame qui, renversant le sens de la déclaration des droits et libertés, vise à présenter la laïcité comme une discrimination à l’égard de leur foi en leur interdisant d’accéder à des postes d’autorité publique. Il est vrai que cette rhétorique appartient davantage à certains opposant libéraux ou de Québec solidaire qui transforment ce sociodrame en psychodrame, poussant les affirmations les plus aberrantes qui enveniment un débat que le gouvernement voulait serein (un maire anglophone allant jusqu’à parler de nettoyage ethnique).
Mais l'évolution de Lamennais ne s'arrêta pas à la dénonciation de l’indifférentisme. Devant l'Église catholique qui se refermait devant la modernité, paradoxalement, il devint libéral en défendant l'idée de la séparation de l'Église et de l'État, tant il considérait le rôle nocif qu'une religion crispée sur ses bases était nuisible au sens de l'unité sur lequel se basait la nation moderne. Il défroqua et se fit élire député à l’Assemblée nationale de la Seconde République française (1848). Dix ans plus tôt, Lamennais avait reçu le député Louis-Joseph Papineau, alors en exil suite à la Rébellion de 1837. (Sur ce point, cf. Ruth L. White. Louis-Joseph Papineau et Lamennais, le chef des Patriotes canadiens à Paris 1839-1845, avec correspondance et documents inédits, HMH). Tous deux échangèrent une correspondance qui sans doute contribua à enraciner Papineau dans son anticléricalisme.
Le pape François rencontre des bonze, voyage au Sri Lanka, janvier 2015. |
tisme. On ne peut être indifférent à ce qui nous authentifie, à ce qui nous particularise du reste de l’humanité. Il apparaît étonnant que la jeunesse québécoise qui, il y a quelques cinq ans à peine, érigeait comme devise “Fuck l’identité!” devienne défenseur des identités partielles tout en ignorant l’identité collective (appelons-là nationale)? En cela, elle est moins cohérente que le vieux Lamennais. Tous nous devons supporter multiples identités. Ce n’est pas une découverte deCharles Taylor, c’est une conscience qui s’est imposée depuis la Seconde Guerre mondiale. Notre être est en effet multiple et, comme au niveau psychique qui émerge des perversions infantiles, se dégage un pôle qui se constitue de ces identités partielles pour permettre d’accéder à un psychisme unitaire complet, mature et, si possible, volontaire. Et ce pôle fait notre identité si nous le formons de nous-mêmes et non si nous laissons les autres le former à notre place. Auquel cas nous serons en droit de se considérer comme aliéné. Il en va ainsi des collectivités comme des individus et là où la psyché structure l’identité individuelle, le socius érige l’individualité collective.
Tu n'invoqueras pas mon nom en vain. Lucas Cranach l’Ancien, 1516. |
Le Tao. Le yin et le yang, plus que la somme de ses parties. |
nable et blasphéma-
toire, trahissant à la fois le respect que l’État doit à toute la population canadienne, toutes identités confondues, et le principe même de la foi monothéiste quiinterdit d’utiliser le nom de Dieu en vain. Pour ces deux raisons, politique et religieuse, la contradiction de la Constitution canadienne et de sa charte des droits et liberté contrevient à la laïcité qui place l’État comme incarnation d’un tout, d’un sens garant de cette unité et du respect de ses parties dont elle est plus que la somme. Aussi donc, le multiculturalisme n'est pas une ouverture à l'autre. C'est une absence de présence dans un monde atomisé où chacun organise sa vie EN DEHORS du monde extérieur. En cultivant l’égoïsme de chacun, parfois sous couvert d’une appartenance partielle, le multiculturalisme creuse la schizophrénie isoliste sadienne des individus. C’est l’idéologie parfaite des réseaux de communication électroniques où chacun s’enferme dans sa bulle de divertissements étrangère à toute connaissance objective. Le multiculturalisme réifie l’individu à ses caprices et à ses automatismes. En définitive, c’est un surplus d’aliénation déplacé du groupe vers l’individu seul et devant lequel il est laissé à lui-même, recourant à des objets transitionnels fournis par le divin marché pour se raccrocher à une bouée extérieure qui donnera sens pour lui au monde. Et pour un ascète de ma qualité, je reconnais que ce serait là la pire chose qui puisse arriver à notre humanité que la diffusion de cette idéologie perverse. Une anesthésie qui, pour éviter la haine, nous emmène également à tuer toute possibilité d'amour⏳
Jean-Paul Coupal
Sherbrooke, 6 avril 2019.
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