samedi 20 janvier 2018

L'arnaque des pensionnats autochtones

Des autochtones de la réserve de Mashteuiatsh

L’ARNAQUE DES PENSIONNATS AUTOCHTONES

(Article paru sur Facebook le 9 octobre 2017, 9 lectures) 

Une fois de plus, intimidée par l'Assemblée des Premières nations, voilà que la Cour Suprême autorise la destruction des témoignages des victimes des différents abus commis dans les pensionnats du Canada. Une fois de plus, la Cour Suprême a erré dans sa faculté de juger et a réduit une affaire nationale en une affaire de groupes d'intérêts. Rappelons les faits. Suite à des recours collectifs devant les tribunaux poursuivant le gouvernement canadien pour sa mauvaise gestion des pensionnats autochtones, les plaideurs et le gouvernement en sont venus à une Convention de règlement relative (2006), le plus important règlement de recours collectif dans l'histoire canadienne. Cette convention prévoyait : «un versement à tous les anciens élèves qui avaient vécu dans des pensionnats autochtones financés par le gouvernement fédéral, une indemnité supplémentaire à ceux qui ont subi des préjudices graves, une contribution à la Fondation de la guérison des Autochtones, un appui aux projets de commémoration, la création de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et la prestation de mesures de soutien relatif à la santé mentale à tous les participants aux initiatives découlant de la Convention de règlement». (Les survivants s’expriment, 3e tome du Rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, p. xi). La Commission, parcourant un itinéraire dans tous les territoires du Canada, offrait ainsi aux “survivants” la capacité de venir témoigner.

Or, ces témoignages ne sont pas inédits. Dans sa présentation, la Commission reconnaît qu'«Avant que les survivants n’intentent la poursuite qui a mené à la création de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, l’histoire des pensionnats canadiens avait déjà été racontée en grande partie, puisque les documents et rapports rédigés par les personnes qui avaient créé ce système et en avaient assuré l’exploitation semblaient avoir déjà tout dit à ce sujet. Ils décrivaient notamment les objectifs des pensionnats, établis et financés par le gouvernement et gérés par les organismes religieux, ainsi que les méthodes employées pour atteindre les objectifs. 

Les documents écrits présentaient les motifs en faveur de l’exploitation continue de ces pensionnats, ainsi que quelques critiques internes, parfois diffusées publiquement, à leur égard. Ils se sont révélés être une importante source d’information pour les précieuses histoires racontées dans le présent document.

Au cours des trente dernières années, un nombre croissant d’anciens élèves ont publié leurs mémoires. Des organisations autochtones et des universitaires ont également effectué des recherches et, dans certains cas, compilé et publié les transcriptions des entrevues, ainsi que des textes rédigés par d’anciens élèves portant généralement sur un pensionnat en particulier.

La Commission de vérité et réconciliation du Canada avait pour mandat de “recueillir les déclarations et les documents des anciens élèves, de leurs familles, de la communauté et de tous les autres participants intéressés” et de reconnaître les “expériences uniques” de l’ensemble des anciens élèves.
Elle a ainsi enregistré plus de 6 750 déclarations à cet égard. La majorité d’entre elles ont été données dans un cadre privé. D’autres ont cependant été obtenues lors d’événements tenus au niveau national, régional et communautaire, ainsi que lors des cercles de partage et des audiences organisées par la Commission. Ces déclarations publiques et privées constituent des éléments clés de l’héritage que laissera la Commission.

La Commission reconnaît que les commentaires des anciens élèves sont essentiels et doivent être au cœur de tout document visant à raconter l’histoire des écoles et des pensionnats. Puisque la collecte des déclarations s’est poursuivie pendant tout le mandat de la Commission, il n’a pas été possible d’effectuer une analyse et une évaluation complètes de l’ensemble de ces déclarations. Ce volume présente donc un échantillon des déclarations obtenues d’un bout à l’autre du pays, entre 2009 et 2014. Presque toutes les déclarations proviennent de personnes qui ont étudié dans les écoles et pensionnats après 1940. Le volume commence par une présentation de la vie des élèves avant qu’ils n’entrent au pensionnat, puis aborde leur entrée à l’école et les expériences qu’ils ont vécues lorsqu’ils étudiaient, travaillaient et vivaient à l’école. Les commentaires, comme les interprétations, ont été réduits au minimum a fin de laisser les élèves s’exprimer librement» (ibid. pp. 1-2).

Or, ce sont précisément «Ces déclarations publiques et privées constitu[a]nt des éléments clés de l’héritage que laissera la Commission» auxquelles la Cour Suprême vient de permettre la destruction pour 2019, laissant le choix à ceux qui veulent que leurs témoignages soient conservés d'en faire la demande.

Les gouvernements détruisent beaucoup de documents d'archives. On s'en aperçoit lors d’un changement de partis, lorsque les machines à déchiqueteuses et les cheminées d'où s'échappent d’épaisses fumées noires se laissent aller. Ce que le jugement de la Cour Suprême dit : c'est que déchiqueteuses et cheminées pourront s’en donner à cœur joie pour les témoignages autochtones.
Pourquoi ces témoignages devraient-ils être pris sans regards critiques comme nous le faisons pour n'importe quel autre témoignage? Non pas que les témoins ont menti, mais ce qu'ils ont dit ne se limite pas à ce que les intérêts politiques et juridiques des deux partis ont bien voulu nous faire entendre. J'en prends comme «témoins» l'organisation même de la publication des témoignages.

Voici comment se présente le tome trois de la Commission chargée de rassembler les témoignages. Un coup d'œil rapide permet d'en voir la structure imaginaire implicite : 1. La vie avant les pensionnats /2. Le départ forcé /3. Un refuge /4. Le voyage /5. L’arrivée /6. La langue et la culture /7. L’incontinence nocturne /8. La vie quotidienne /9. De la nourriture étrange /10. Les repas à l’école /11. Les tâches ménagères /12. L’enseignement religieux /13. La séparation des frères et sœurs /14. Les relations entre garçons et filles /15. Le contact avec les parents /16. La peur, la solitude et la négligence affective /17. Le désespoir /18. La dissimulation de la vérité /19. L’expérience vécue en classe /20. L’embrigadement /21. L’intégration dans les écoles publiques et privées /22. Les fugues /23. Les mesures disciplinaires /24. Les abus /25. La victimisation des élèves par les élèves /26. Les soins médicaux /27. Les handicaps /28. Les bons souvenirs /29. Le sport et les loisirs /30. Les cadets /31. Les améliorations /32. La fin.

Malgré la longue liste des thématiques, notons que la plupart des contenus ne tiennent qu'entre 5 et 10 pages. Nous supposons donc l'aspect répétitif des témoignages. Par contre, pour en revenir à la structure même de la représentation, celle-ci suit un modèle de mélodrame dickensien : Le monde heureux de l'enfance (1); le drame (2 à 5); l'acculturation (6 à 10); les épreuves (11 à 17); la méchanceté des autorités (18); assimilation et résistances (19 à 25); les grandes négligences (26 et 27); «tout n'a quand même pas été toujours négatif» (28 à 31), la fin de l'odieux système (32). Or ce modèle a été élaboré à propos des Workhouses, ces endroits où hommes, femmes et enfants étaient séparés dans d'immenses blockhouse et soumis à un travail quasi esclavagiste pour recevoir de la nourriture insuffisante et être négligés à tous les points de vue (santé, affects, privautés).

Ce système des pensionnats ne s'appliquait pas uniquement aux autochtones. Les accusations portées par «les orphelins de Duplessis», dont la Commission n'est qu'une adaptation un peu plus élaborée, suivaient un même parcours. Les gouvernements et les communautés religieuses mettaient peu d'argent dans leurs institutions scolaires, préférant garder l'essentiel du budget aux cérémonies baroques des dignitaires politiques ou épiscopaliens. La misère était aussi présente dans les pensionnats communs. Les abus sexuels, le travail obligatoire, le manque d'affection et de soins n'étaient pas absents des pensionnats canadiens – toutefois, s'il arrivait qu'un élève meurt au pensionnat, les parents en étaient vite informés -, aussi la spécificité autochtone réside-t-elle dans le sous-développement même de ces institutions. Si zéro était la barre des pensionnats les plus mal entretenus pour les Canadiens, les pensionnats autochtones étaient loin en dessous.

Le nœud du crime demeure la volonté d'éteindre les cultures autochtones pour y substituer les cultures anglo-protestantes ou franco-catholiques. Évidemment, l'organisation de ces pensionnats, dont le but avoué par les gouvernements était l'assimilation des autochtones, laissaient à désirer. C'était une pensée commune de l'époque que les cultures amérindiennes étaient condamnées à disparaître. Que, démographiquement, elles ne formeraient jamais un bassin de populations suffisamment grand pour leur permettre de vivre en autarcie avec ses langues et ses références culturelles. Comme il ne s'agissait pas de les exterminer manu militari, on reprenait le projet jésuite du XVIIe siècle en procédant à l'éducation des enfants. Après deux ou trois générations, il était censé ne plus rien subsister des origines ancestrales et, dans l'idéal, les autochtones seraient des citoyens canadiens au même rang que tous les autres, protestants ou catholiques, anglophones ou francophones. Si on excepte les communautés inuites, longtemps maintenues à l'écart de la pénétration des Occidentaux, c'est bien ce qui s'est passé. Sioux, Iroquois, Hurons, Cree, Montagnais, Algonkins, se sont assimilés au mode de vie occidental et ont réduit à un aspect folklorique ce qu’est censé être l'héritage de leur vie ancestrale.

En ce sens, la «vérité» concerne moins l'«authenticité» de ces témoignages, jamais soumis à une lecture critique, que le besoin de justifier cette longue suite de commémorations sous le tipis à se ressasser avec des émotions coincées au fond de la gorge et des torrents de larmes, les injustices du passé. Car, au fond, la Commission n’aura vraiment servi qu’à cela et la destruction même des témoignages montre le peu d’impact qu’ils auront dans la conduite future des affaires autochtones au Canada. En négligeant la définition même de toute éducation qui entraîne toujours un effet de déculturation, cet exercice nous aveugle sciemment. On oublie volontairement comment l’école affecte les élèves d’origine modeste qui ont suivi les cours de nos écoles modernes dans leurs relations avec leurs parents qui, souvent, n'avaient pas dépassé le stade de l'école de rang ou avaient été prématurément sortis du réseau scolaire pour travailler à la ferme ou dans les usines afin de rapporter un surplus économique à leur famille. Faire le procès des pensionnats autochtones sans tenir compte de la déculturation propre à tout régime d'enseignement est par la fait même malhonnête. C’est racialiser au-delà de tout bon sens le problème. Le fait de s'en tenir uniquement aux témoignages subjectifs sans apposer des comparaisons et insérer l'ensemble dans le Zeitgeist d'une époque dont les valeurs étaient aux antipodes des nôtres, est un manquement d’intelligibilité qui laisse supposer que notre monde est le plus juste, le meilleur et est fait pour durer l’éternité. Ce qui est une absurdité.

Surtout, n’oublions pas que désormais l’enseignement de l’histoire canadienne, québécoise, doit réserver une place de choix pour ce masochisme pervers qui consiste à hisser et généraliser les horreurs sensationnalistes commises dans les pensionnats autochtones au rang de culpabilité raciale collective. Or, la destruction de ces témoignages concrétise leur inaccessibilité à la méthode critique. En détruisant les témoignages archivés pour les historiens à venir, ce n'est pas ancrer ces témoignages dans le véridique, mais faire peser sur eux une hypothèque douteuse dont ils ne se relèveront pas, car l'exercice n'est pas d'affirmer «la» vérité, mais partager une émotion subjective devant un contexte objectif devenu opaque à la plupart d'entre nous.

Pour le moment, les gouvernements fédéral et provinciaux imposent non une vérité, mais une interprétation biaisée en prônant l'acculturation des autochtones dans des pensionnats gothiques plutôt qu'une volonté sincère d'assurer le passage d'un monde obsolète à un monde qui allait structurer l'avenir de ces individus, quitte à les retirer, sur plusieurs générations, de ce qu'était un traditionalisme sans échos. Le résultat de programmes inachevés, mal gérés, obtus des autorités religieuses et gouvernementales a donné ce misérabilisme actuel des populations autochtones du Canada, pétrifiées entre l'incapacité de conserver authentique un mode de vie et l'inadaptation à une modernité atrophiée à la possession d'objets symboliques de la civilisation occidentale. Colonisés écrasés, avec ou sans réconciliation, le renversement de l'Histoire est un pari déjà perdu qu'entretiennent davantage à leurs satisfactions morales les gouvernements actuels et dont profite depuis longtemps une mafia amérindienne, laissant en toutes connivences le reste des populations croupir dans des réserves qui n'ont hérité qu'en partage le désespoir des anciens pensionnats

Montréal,
9 octobre 2017

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