samedi 20 janvier 2018

De l'empire Weinstein à la bécosse Salvail

Peter Greenaway. The Baby of Mâcon, 1993.

DE L’EMPIRE WEINSTEIN À LA BÉCOSSE SALVAIL

(Articles paru sur Facebook, le 18 octobre 2017 (152 lectures)

Dans la foulée de l'affaire Weinstein, tout le monde a sa petite histoire d'agression à raconter. Le Téléjournal de fin de soirée de Radio-Canada a même exhumé Nathalie Simard que la présentatrice, Céline Galipeau, célèbre comme une «précurseur» de ces vedettes hollywoodiennes qui, depuis une semaine, dénoncent quotidiennement, à tours de bras, les gestes on ne peut plus odieux du producteur Harvey Weinstein. Il y a à peine une semaine, devant les mêmes caméras du téléjournal, la présidente de l'Union des Artistes, la comédienne Sophie Prégent, à qui l'on demandait si une telle affaire pouvait se produire au Québec, répondait que non. Or, voilà que «La Presse», après une enquête plus ou moins approfondie (tant que les témoins demeurent anonymes et dénoncent nommément un individu, l'enquête garde un parfum douteux), le producteur Éric Salvail subit à son tour les foudre des hypocrites de service. Son «ami» - mais il est ami avec tout le monde – le maire Denis Coderre, se dit «bouleversé» par les révélations; les marchés d'alimentation Métro et la chaîne «familiale» McDonald rompent les contrats qui les liaient à Salvail; au Salon Bleu du Parlement, le chef péquiste Jean-François Lisée, qui n'a rien de mieux à faire que commenter les chiens écrasés, exécute ledit Salvail avant de rappeler qu'il a droit à la présomption d'innocence. Enfin, le principal intéressé, dans un message laconique, se dit «fortement ébranlé» par les propos publiés; reconnaît implicitement sa culpabilité en s'excusant des malaises qu'il aurait pu occasionner ou les préjudices aux victimes, et se félicite du soutien de ses proches, collègues, conjoint. Il «choisi(t) donc de prendre une pause professionnelle de quelques jours. Une pause qui permettra de faire le point sur les événements». Attendez-vous à le voir pleurnicher et applaudir à Tout le monde en parle dimanche prochain. Il n’aura ainsi qu’à suivre la voie déjà toute tracée par Joël Legendre...

Tout ce déballage d'anecdotes sordides appartient à un phénomène récurrent de chasse aux sorcières dont le but n'est pas de purger des milieux de pratiques et de cultures entretenues depuis des générations, mais seulement d'opérer une catharsis sociale qui autorise à penser que les dénonciations assainiront une société où la corruption est le fer de lance d'un capitalisme sauvage et cupide. Les dénonciations de Nathalie Simard contre son gérant Guy Cloutier auraient dû «assainir» le milieu québécois des obscénités qui se déroulaient derrière les décors, mais voilà qu'éclate le scandale Salvail, résultat d’une enquête préparée depuis bien avant l'éclosion de l'affaire Weinstein.

J'entends les féministes radicales dénoncer à nouveau la culture du viol, cette aberration théorique qui fait de l'agression sexuelle un élément propre aux mâles. Ce manque de discernement pour servir une cause présentée de manière démagogique nous empêche de comprendre des mécanismes plus subtils que ceux brandit dans les déclarations devant les micros. Voyons un peu plus en profondeur.

La partie la plus intéressante de l'enquête de «La Presse» est sans doute la chronologie de la carrière de Salvail. Comment un type totalement dénué de talent, ni vrai chroniqueur, ni vrai humoriste, ni vrai comédien, pas même mauvais chanteur comme jadis Michel Girouard, a-t-il pu devenir producteur et partir sa propre boîte de production qui dessert les réseaux de télévision de Radio-Canada et de V? La carrière professionnelle d’Éric Salvail correspond à bien peu de choses. Après tout, il n’a jamais été plus qu'un animateur de foules (1993 à 1997) avant de décrocher ses premières chroniques pour Julie Snyder. Faire-valoir de maman Dion dans ses émissions de cuisine, il devient concepteur d'Occupation double et, à partir de là, on devine que le reste de sa carrière se fera dans la trash TV. Comme tant d'autres, Salvail passe de la radio à la télévision et vice versa quand ce n'est pas en même temps. Bref, Salvail ce n'est pas un produit – il n’a strictement rien de substantiel à présenter -, c'est un nom. En 2013, il a les reins assez solides pour partir sa propre entreprise de production facturant des émissions qui le mettent en vedette comme Les recettes pompettes ou En mode Salvail, où les spectateurs naviguent entre la vulgarité la plus plate et les shows de chaises au service du narcissisme des vedettes et de l'animateur. En regardant cette trajectoire, on comprend tout de suite que l'affaire Salvail n'est pas l'affaire Weinstein.

Et pour cause. Weinstein, c'est un empire. Un empire dans la tradition des Juifs qui créèrent, il y a un siècle, les Five Majors du cinéma hollywoodien. Ces maîtres tout-puissants de l'art cinématographique étaient loin d'être des anges. Même Charlie Chaplin – notre bon Charlot -, co-fondateur et producteur de la United Artist, était connu pour son agressivité sur les plateaux de tournage. Heureusement que Weinstein n'était que producteur, s'il avait été réalisateur, on peut se demander où cela se serait arrêté. Mais Weinstein, n'en déplaise aux bien-pensants, s'est montré un véritable producteur. Co-fondateur avec son frère Bob, de la société de production Miramax, on lui doit, entre autres, des films de Tarentino (Pulp fiction); Scorsese (Gang of New York, Aviator); Peter Jackson (la série du Seigneur des anneaux) et même de Michael Moore (Fahrenheit 9/11)... Pour le reste, il s'agit d'anecdotes scabreuses qui font également partie du monde de la production cinématographique.

Évidemment, dans la rhétorique dénonciatrice revient toujours la condamnation de la toute-puissance des producteurs et des réalisateurs. En effet, lorsqu'on domine un empire cinématographique et télévisuel, on ne peut être autre chose qu'un empereur, et Weinstein se prête bien aux stéréotypes des mégalomanes modernes. Là où Weinstein ressemble le plus à Salvail, c'est dans l'exhibitionnisme de son «engin». Le pénis, effectivement, a toujours été symbole de la puissance qui se transfert sur des objets investis de cette représentation : le sceptre d'Ottokar. Comme nous vivons à une époque où on expédie rapidement les symboles, pourquoi niaiser et ne pas le brandir directement. À suivre la longue liste des actrices, mannequins, chanteuses qui ont dénoncé les agissements de Weinstein, on se sent plongé dans un monde de courtisanerie, car si Weinstein est la figure d'autorité au centre de ce monde hollywoodien, tous ceux qui gravitent autour de lui : co-producteurs, réalisateurs, scénaristes, acteurs-actrices, techniciens... tous lui appartiennent, car tous lui font la cour pour se maintenir le plus haut possible, à la tête de cet empire illimité. Le pénis de Weinstein ne doit pas nous faire oublier que bien des bouches, des vagins et des anus se sont présentés pour l'accouplement. Les courtisans se pressaient à ses portes. Moins que dans un roman de Sade, nous sommes dans les Mémoires de Saint-Simon. Dans la culture de la courtisanerie – qui, elle, est une véritable «culture» -, les offres sont à la mesure des possibilités d'emplois. Certes, toutes ne sont pas coupables, mais toutes sont des victimes. Aussi, trouvons-nous deux catégories de victimes, les consentantes et les abusées, et il est difficile de partager le tout a posteriori.
On peut bien faire le procès de la toute-puissance. Dire que le pouvoir absolu corrompt absolument, mais si tel est le cas, la courtisanerie hollywoodienne n'est pas la seule. Nombreux ce matin sont les avocats, les médecins, les notaires, les fonctionnaires, les employés qui sont épatés par l'ampleur que prend l'affaire Weinstein. Ils féliciteront les actrices qui ont eu le courage de dénoncer le «monstre», mais eux-mêmes sont trop dans la gravitation de leur propre corporation pour ne pas regarder les basses complaisances qu'ils ont dû subir, souvent, pour accéder au poste qu'ils occupent, avec le salaire et la sécurité sociale que cela amène.

Car, entre le jeune premier plus ou moins doué et l'acmé de la gloire et de la reconnaissance, nombreuses sont les étapes à franchir où il doit user de la courtisanerie. Cela commence par la famille qui n'y regarde pas de trop près – comme la famille Simard dans les belles années 70 -, puis il y a les agences qui doivent placer poulains et pouliches dans le but de leur faire décrocher des contrats toujours plus avantageux... pour elles-mêmes. Il faut placer un tel dans une pub, une autre dans une série télé, un troisième dans un film réalisé par un producteur célèbre, etc. etc. Tout ne se fait pas nécessairement avec des gants blancs. Il y a toujours une porte entrouverte donnant sur une chambre à coucher... La chose se fait le plus naturellement possible, car c'est ainsi que cela fonctionne. La courtisanerie conserve en elle-même la prostitution dont elle émane depuis la plus haute Antiquité. N'atteint pas la couche de l'empereur qui veut... Ne devient pas ministre, haut conseiller, chef de la garde prétorienne, sans avoir montré jusqu'où allait sa soumission. Et dans l'empire Weinstein, il y avait des carrières mondiales, des revenus qui se comptaient en millions, des voyages, des propriétés somptueuses, la dolce vitæ sur les amphétamines, la coke, l'héroïne et autres substances fort coûteuses. Comme si le paradis terrestre ne suffisait pas encore et qu'il fallait combler le tout avec les paradis artificiels...

Mais, il n'y a pas d'empire Salvail. Dépouillé de sa pompe aulique, jetée à bas la pourpre impériale, le gros Weinstein se transforme en guignole Salvail. C'est comme la C-Series devant Boeing sans la couverture du nom Airbus. C'est pitoyable. Pathétique. Devant ces interminables soirées de gala dédiées aux vedettes de la chanson (l'Adisq), du cinéma (les ex-Jutra dont on ne retient plus le nom actuel), de la télévision (les Métro-Star – et jusqu'à hier, Métro, c'était Salvail!), la télé (les Gémeaux) et j'en passe sûrement, c'est toujours à la même cérémonie de cour à laquelle nous assistons. Les producteurs raflent la part belle du gâteaux et s'amusent dans les coulisses en disant que la Métro-Star de l'année à un gros clitoris ou que le trou de cul d'un jeune premier est particulièrement étroit. Sous le satin des robes de soirées et les habits Classy loués pour une soirée, il y a la vulgarité, le mépris, l'hommerie dirait l'humaniste. Ce monde, cette auge qui fait rêver, pourtant c'est elle qui confine aux grandes œuvres théâtrales ou cinématographiques : comme si les perles naissaient de la fange. Mais de V et de la bécosse de Salvail, qu'est-il donc sortie qui puisse nous faire oublier cette disgrâce de l'humain, soi-disant chef-d'œuvre de la création?

Montréal
18 octobre 2017
Commentaires
Frédéric Lapointe
Frédéric Lapointe Non, ne couche pas qui veut avec l'Empereur, mais garde au domestique, il a la clé du garde-robe...

Pierre Dostie
Pierre Dostie Réflexion mordante et on ne peut plus pertinente, Jean-Paul.
Raymonde Rainette Sauvé
Raymonde Rainette Sauvé C'est à se demander si pour en arriver là il a fait ce qu'il demandait aux autres de faire....

Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Pourtant, c'est bien l'essentiel de l'article. Il a demandé aux autres, ce que lui-même a accepté de faire pour en arriver là.
Lisette Tardif
Lisette Tardif Vous n’y allez pas de main morte...je partage.
Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Un autre beau nid de crabes.
Raymonde Rainette Sauvé
Raymonde Rainette Sauvé Dernière heure : c'est maintenant le tour à Rozon https://twitter.com/hashtag/MoiAussiParRozon?src=hash

Jean-Paul Coupal Rozon est un habitué de ce genre de niaiseries.

Jérôme Lefebvre
Jérôme Lefebvre Bravo, encore, pour ce texte Jean-Paul.
La perte de la valeur symbolique ainsi que l’oubli des rouages éternels des sociétés humaines, telle la courtisanerie, contribuent à cette soupe putride des affects, avec son cortège de vierges effarouchées et d’hypocrisies en tout genre.
Merci de remettre les choses en perspective. Sur ce, je vais sortir ma bizoune, qui a bien besoin de prendre l’air ... 😜

Jean Noel Bodo
Jean Noel Bodo Putain tu raisonne et t'écrit bien, bravo! Pendant ce temps à la Maison Blanche... Satan l'habite!
Elizabeth Sirois
Elizabeth Sirois Je pense que ce que tu écris de si belle façon est une triste vérité. Je crois aussi qu'une vérité, elle peut être décortiquée, analysée, autopsiée, retournée dans tous les sens et l'on n'en finira pas d'en découvrir différentes facettes, différents aspects et particularités. Même si cette chasse aux sorcières n'assainie pas complètement ces lieux sombres où réside un certain pouvoir, c'est tout de même un exercice nécessaire afin de purger temporairement ces lieux et soulager ceux qui en sont d'une certaine façon les victimes. Au risque de me faire pitcher des tomates, je dirais qu'une personne peut souvent être victime malheureusement par simple ignorance ou naïveté ce qui en résulte un certain sentiment de culpabilité. Loin de moi l'idée de déresponsabiliser des salauds d'agresseurs mais dans certain cas, ce poids de culpabilité à porter, nécessite ce genre d'accusation de groupe afin que la victime puisse se pardonner à elle-même de s'être retrouvé dans les souliers d'une "victime" en reconnaissant qu'elle n'est pas seule à l'avoir été...


Jean-Paul Coupal
Jean-Paul Coupal Tout à fait d'accord. Il faut dénoncer les auteurs de ces agressions, mais il faut comprendre que la dénonciation place la victime dans une position délicate. On l'a vue avec l'affaire Gomeshi qui a été lavé de l'accusation parce qu'une des victimes était entrée en contact avec l'accusé durant le procès. Dénoncer signifie accuser et la facilité avec laquelle la presse peut accuser des personnalités n'a pas la même portée que celle d'une victime qui doit aller plus loin que le simple déballage publique; elle seule peut porter des accusations criminelles puis civiles et comme l'accusé est plus costaud financièrement, il peut acheter son silence. Rozon, déjà accusé d'agression sexuelle (et non seulement d'exhibition) sur une petite bonne du manoir d'Yvon Deschamps, a été reconnu coupable, mais a obtenu rapidement son absolution afin de conserver son passeport puisque le monsieur faisait des affaires au niveau international. Inutile de dire ici le traitement privilégié que la cour et l'État ont accordé à ce récidiviste. Bref, on ne prend pas ces affaires véritablement au sérieux dans l'espace juridique et politique et la tombée de la vedette, son purgatoire et sa rédemption font également partie de la société du spectacle.
John Gionta
John Gionta "Tout ne se fait pas nécessairement avec des gants blancs. Il y a toujours une porte entrouverte donnant sur une chambre à coucher... La chose se fait le plus naturellement possible, car c'est ainsi que cela fonctionne (...) Mais de V et de la bécosse de Salvail, qu'est-il donc sortie qui puisse nous faire oublier cette disgrâce de l'humain (...)" Bonne question!...Je crois, en effet, qu'il y avait, chez René Lévesque par exemple, beaucoup de choses pour faire oublier - ou du moins alléger - bien des choses...
 

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