VINGT ANS
APRÈS
Voilà
plus de vingt-cinq ans que je rédigeais un texte, De la démoralisation tranquille, qui
s'employait à établir le roman familial-national des Québécois en
scrutant le discours historien de trois auteurs-phares de la
Révolution tranquille. Au moment où le mythistoire de la Révolution
tranquille suppose un Québec en effervescence, juvénile, dynamique,
prêt à conquérir le monde, le roman familial-national nous
apprenait autre chose. La persistance, même à travers le roman, le
cinéma, la dramaturgie, d'un Être collectif souffrant, divisé,
marqué par l'ambivalence issue de sa double personnalité canadienne
et française (on dit québécoise depuis pour cacher les traces de la schize). Dans l'ensemble, ce
peuple était avorté dans son développement et encore plus
souffrant dans la conscience malheureuse qu'il avait de lui-même. La
marche à l'indépendance nationale, à la veille du référendum de
1995, pouvait encore être une motivation pour parvenir à ce statut
nationalitaire, identitaire, qu'un véritable État aurait incarné.
Ce dernier refus (maquillé en référendum volé ou
autres formules qui visent à ne pas reconnaître le manque de prises
en considération des stratégies fédéralistes tant les
souverainistes avaient vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué) apparaît comme
fatal, surtout depuis la bifurcation, sous Lucien Bouchard, de l'idée
d'indépendance vers la droite.

À
la place, nous avons retrouvé un sale gouvernement avatar de l'Union
nationale de Duplessis, avec un Lucien Bouchard obsessif-compulsif fixé sur la marotte du déficit zéro pour l'an 2000 opportunément associé aux conditions
gagnantes d'un prochain
référendum. Cet homme,
que l'on a porté aux nues, s'est avéré la
première d'une série de fraudes au Parti Québécois. Le faire
plus avec moins porté par son
ministre de la Santé, Rochon, a été repris, vingt ans plus tard, par son successeur
libéral, Gaétan Barrette et avec les mêmes résultats désolants.
Le «patriote» Landry lui a succédé par défaut, puisque de son
bunker où il se disait angoissé, le Sauveur s'était enfui, comme
Taschereau jadis, devant le gâchis laissé par sa politique.1
Le patriote, donc, fut battu lamentablement à l'élection suivante par l'habileté
machiavélique de son adversaire libéral, Jean Charest. Peu de temps
après, lors d'une confirmation de son leadership à la tête du
parti,
Landry faisait une crise de diva et démissionnait puisqu'il n'avait pas obtenu
le pourcentage favorable qu'avait été celui de son prédécesseur.
Pendant que le gouvernement libéral se moque de la condition
sociale des Québécois, les membres du Parti Québécois ouvraient
des concours de chaises musicales agrémentés de lancés du poignard
dans le dos. Y passa d'abord le gai et jovial André Boisclair, un
technocrate obsédé par le coffre à outils de la souveraineté
québécoise (sa formule personnelle des conditions gagnantes de l'autre).
Ses inepties, ses affaires de cocaïne, sa froideur d'innocent sorti
des limbes, entraînèrent rapidement son éclipse. Lui succéda Pauline Marois, qui avait fait dans les gouvernements Bouchard et Landry le
tour de tous les ministères, y laissant dans chacun des prises de décisions
malheureuses. Sa mauvaise gestion du débat
politique en tant que chef de l'opposition souleva contre elle une
faction qui tenta de lui montrer la sortie. Mais la dame de
béton resta inamovible et le
parti en sorti déchiré. C'est alors, en 2012, que survint l'un des
événements les plus importants de l'histoire du Québec.


Le
gouvernement Charest avait annoncé une hausse des frais de scolarité
devant entrer en vigueur cette année-là. Les étudiants se
mobilisèrent. Dès le mois de février furent organisées de grandes manifestations
populaires pour dénoncer cette augmentation
auxquelles les forces policières répliquèrent de façons excessives
dans plusieurs cas. Pendant ce temps, le maire de Montréal, Gérald
Tremblay, était forcé de démissionner sous des allégations de
corruption et son incapacité à rétablir des mœurs saines au sein
de son administration. Comme plusieurs des contrats attribués par la
ville de Montréal requéraient l'intervention du Ministère des
Travaux Publics, ces scandales contaminèrent le parti au pouvoir.
Devant les hausses de taxes et d'impôts, des prix à la consommation
et des frivolités administratives, la population profita d'un
printemps particulièrement précoce pour rejoindre les étudiants
manifestant dans les rues de la métropole. Harcelé par les partis
d'opposition, le gouvernement Charest ne parvint pas à s'entendre
avec les étudiants, malgré la collusion syndicale – et en
particulier du dirigeant de la F.T.Q., Michel Arsenault, lui-même
impliqué dans des scandales de corruption -, et, sous la pression
populaire, pour la première fois dans l'histoire du Québec, le gouvernement
fut forcé de démissionner. L'élection qui suivit amena au pouvoir Pauline
Marois, qui avait très tôt récupéré le mouvement étudiant en sa
faveur, recrutant deux délégués étudiants qui s'étaient
illustrés sur les tribunes durant le mouvement de grève. Toutefois, le nouveau
gouvernement était minoritaire et le personnel politique n'avait pas
la capacité de gérer à contre-courant l'héritage peu reluisant laissé par le gouvernement
Charest. Ainsi, la Première ministre camoufla l'augmentation prévue des
frais de scolarité en
faisant sauter des déductions
d'impôt liées à la fréquentation des programmes universitaires.
Voulant précipiter les élections pour se donner un gouvernement
majoritaire, Pauline Marois causa sa propre perte et le retour de la
même vieille équipe libérale surannée, avec sa réputation nauséeuse et
encore plus mesquine que jamais. Sa maladresse annulait les résultats du mouvement populaire de 2012. Le nouveau Premier ministre, Philippe Couillard,
imitant le lucide Lucien Bouchard, inaugura une politique d'austérité
payée par la population pour
renflouer les coffres de l'État vidés par les amis du régime
libéral. Entre la filouterie et l'incompétence, la situation du
Québec n'est toutefois pas différente de ce qu'on peut voir
ailleurs dans le monde. Au moment où j'écris, à la veille des
élections américaines, un fait notoire se dégage, là comme ici,
la perte totale de confiance des populations dans les vieux partis et surtout un
doute dangereux envers les vertus de la démocratie.


L'incompétence
des souverainistes, leur manque de discernement et leur empressement
à se doter de leaders
charismatiques mais velléitaires en ce qui
concerne le projet national, se sont illustrés dans sa veine la plus
pathétique lorsque la Première ministre Marois a emmener par la main
l'homme d'affaires, Pierre-Karl Péladeau, candidat du Parti Québécois dans Saint-Jérôme. Un petit discours qui se termina par un poing levé
et un «Je veux un pays!» suscita moins d'enthousiasme que
d'interrogations. Évidemment, on pouvait en droit se demander de
quel pays il voulait parler puisqu'une partie de ses revenus provenait
d'une chaîne de journaux et de télévision canadienne-anglaise :
Sun News, nettement orientée vers la droite conservatrice. Ce patron
arrogant, haï des syndicats, porté à résoudre ses conflits par des lock-out et à congédier sans raison des employés, n'est
guère plus qu'un aventurier sans génie. Pourtant, toujours par
manque de discernement, une grande partie des militants ont cru qu'avec lui, il serait possible d'acheter l'indépendance du Québec
à
défaut de combattre pour l'obtenir. Le patron de Québécor média,
héritier de l'empire de son père, ayant dans sa jeunesse été
débauché par un parti marxiste-léniniste, possède en lui le pire
des deux systèmes économiques : le capitalisme sauvage de nos
nouveaux libertariens et le centralisme démocratique (pratiqué
également dans les partis politiques comme dans les syndicats) où
l'appareil administratif commande ce
que les membres doivent approuver. Dans les faits, le ballon Péladeau
ne leva pas. Le manque de charisme, l'incapacité à enrôler les
hommes d'affaires dans le projet souverainiste, enfin des histoires domestiques
scabreuses finirent par le pousser à la démission.
Présentement, le candidat Cloutier - candidat tranquille -, favori dans la course, ne
représente guère mieux sinon la même velléité d'accéder à
l'indépendance et le goût de gouverner une province qui se voudrait
un pays.


Après
vingt ans, vingt-cinq ans, le goût du pays de
la génération en fleurs des années 60-70 s'est transformé chez
beaucoup en amertume. La jeune génération a vieilli, témoin de ces
rebondissements peu reluisants. Elle voudrait voir rebondir les
questions identitaires sur l'avant-scène politique alors que la jeunesse du IIIe millénaire dénigre toute identité ou s'en fabrique une à la carte, au-delà
même des possibilités du réel. Ce qui n'allait pas dès la fin du
XXe siècle s'est accentué avec l'explosion technologique
et la mondialisation portée
vers l'uniformisation et l'atomisation des individus. Portée
défensivement vers la droite, l'idée d'indépendance se sent
menacée de toute part : par le gouvernement fédéral, surtout
depuis l'arrivée de Justin Trudeau comme Premier ministre libéral
du Canada. Son nom et sa personne rappellent de vieux et de très
mauvais souvenirs. Pratiquant le mimétisme paternel, ne disposant
d'aucune formation en droit ou en sciences politiques (comme son
prédécesseur, Harper), porté par des préoccupations partielles et
insignifiantes (la décriminalisation de la marijuana; l'exotisme des
rites religieux et
autres superstitions), il est de ceux dont on penserait voir
chercher un Pokémon dans les corridors du Parlement pendant que la garde y
pourchasserait des terroristes. Pourtant, avec son cabinet, Trudeau repré-
sente bien le retour du fédéralisme centralisateur. L'ineptie de Philippe Couillard à affirmer les prérogatives constitutionnelles du Québec rappelle ce bon vieux temps où le Parti Libéral du Québec n'était qu'une succursale du Parti Libéral fédéral : Laurier et Parent et Gouin; MacKenzie King et Taschereau... La lassitude générale, à travers tout le Canada, des questions constitutionnelles permet à l'usage de la Constitution de 1982, de faire du Québec une province comme les autres, même si son gouvernement n'a toujours pas officiellement approuvé cette constitution. Dans le droit britannique, la pratique vaut une signature. Donc celle-ci n'est plus requise pour sa validation. Nous restons Canadiens Français plus que Québécois, n'en déplaisent aux souverainistes qui vivent l'indépendance dans leur rêve à défaut d'agir dans le réel.


sente bien le retour du fédéralisme centralisateur. L'ineptie de Philippe Couillard à affirmer les prérogatives constitutionnelles du Québec rappelle ce bon vieux temps où le Parti Libéral du Québec n'était qu'une succursale du Parti Libéral fédéral : Laurier et Parent et Gouin; MacKenzie King et Taschereau... La lassitude générale, à travers tout le Canada, des questions constitutionnelles permet à l'usage de la Constitution de 1982, de faire du Québec une province comme les autres, même si son gouvernement n'a toujours pas officiellement approuvé cette constitution. Dans le droit britannique, la pratique vaut une signature. Donc celle-ci n'est plus requise pour sa validation. Nous restons Canadiens Français plus que Québécois, n'en déplaisent aux souverainistes qui vivent l'indépendance dans leur rêve à défaut d'agir dans le réel.
Mais
l'idée d'indépendance se sent également menacée par l'afflux
d'immigrants étrangers qui non seulement ont peine à s'insérer
dans la société d'accueil, mais refusent carrément les valeurs de
cette société. Par le fait même, une sorte de droit historique –
qui est pourtant à la base de la revendication d'indépendance du
Québec – se manifeste à travers des privilèges octroyés par des
institutions provinciales ou fédérales (ne pensons qu'aux écoles passerelles et à l'enseignement à la maison). Le côté avorton vient
compléter l'impuissance à se faire respecter en tant que groupe
homogène alors que les autres groupes culturels et minoritaires
obtiennent cette reconnaissance comme signe d'accueil et d'ouverture!
Il ne s'agit pas ici d'imiter le modèle français mais bien de
persister dans la dissolution des Québécois dans le grand tout
canadien, et leur gouvernement comme leurs partis politiques
contribuent généreusement à cette dissolution. Toutefois, ni
Justin Trudeau, ni l'immigration massive de Syriens ou autres
musulmans ne sont la cause de ces vingt-cinq années d'arriération.
Les racines de ce mal sont en nous et il a été possible de les identifier, voilà
vingt-cinq ans : la haine de soi et la volonté masochiste de
l'auto-destruction comme identité perverse du Québécois.

ON VEUT RIEN SAVOIR
Dans
une lettre qu'elle adressait au cinéaste Alain Resnais avec lequel
elle avait tourné une adaptation cinématographique de son roman,
Hiroshima
mon amour, Marguerite Duras écrivait cette ligne : «l’intellectuel,
pour moi, c’est celui qui remet en question, et le cultivé c’est
celui qui ne le fait
jamais.2
Au Québec, et surtout dans les partis idéologiques comme le Parti
Québécois et Québec Solidaire, on y retrouve beaucoup de gens cultivés :
des gestionnaires, des techniciens, des syndiqués, des groupes
communautaires, des journalistes de tous poils. En leurs domaines,
ils sont excellents. Mais ce ne sont que des gens cultivés, et
rarement dotés de cette culture qui définissait jadis les honnêtes
hommes, c'est-à-dire
de culture générale. Leur
esprit ressemble à un champ de maïs et non à un jardin maraîcher.
Non seulement, ils ne remettent rien en question, mais ils en sont
totalement incapables. L'incompétence généralisée qui caractérise
notre civilisation repose sur ce choix de mercenaires du cerveau.
L'émigration des cerveaux, ce sont des cinéastes comme Denis
Villeneuve ou Jean-Marc Vallée qui s'embrigadent pour faire des
films américains, avec de l'argent américain, des scénario
américains, des moyens américains, des vedettes américaines et pour le publique des films
américains. Qu'ils soient en médecine, en pharmacologie, en
sciences naturelles, en philosophie ou sciences
molles, c'est la même
chose. Ils font notre fierté, non en s'assimilant au milieu
canadien, mais au milieu américain, avec une possibilité plus
illusoire que réelle, d'être internationalement remarqués en tant que Québécois. On
oublie vite que nous ne sommes plus aux lendemains de la Seconde
Guerre mondiale et que la visibilité internationale est réduite aux
quinze minutes dont parlait Warhol. Mais quand même. Tant mieux
s'ils font ce qu'ils aiment. C'est l'important.

Approfondissant
ce que disait Duras, l'historien de la philosophie médiévale,
Alain de Libera, écrivait dans Penser au
Moyen Âge : «la
fonction de l'intellectuel moderne est critique,
c'est ce qui le distingue de l'universitaire.
L'intellectuel est un acteur du changement social; l'universitaire,
un spectateur
indifférent».3
En tant que spécialiste
ou expert,
l'homme cultivé trouve son habitacle naturel dans l'université. Il
décrit, informe, commente, projette. Il n'ira pas plus loin. Penser
n'est pas son domaine. Du moins, pas plus que ne l'exige son
traitement. Au-delà, cela demeure strictement personnel.
L'intellectuel peut être un universitaire, mais il ne se contentera
pas d'en rester aux expertises de ses compétences. Il est plus qu'un
maître; il est un docte. Il s'élève dans la sphère de la
philosophie et pose un regard critique sur le monde appelé à
commenter. Le Québec produit des centaines d'hommes et de femmes cultivés ou
spécialisés pour un philosophe, un véritable intellectuel, homme ou femme
de synthèse. Pour une population de 8,215,000 habitants, le Québec
subvient à 17 universités! L'île de Montréal, à elle seule,
compte quatre universités : deux anglophones et deux
francophones. Pour une population qui n'a jamais tenu l'intellect en
haute estime, à la manière de tous les Nord-Américains, c'est
surréaliste. Le nombre d'emplois liés aux formations universitaires est de loin incapable de satisfaire
tous les diplômés. Mais cela, le gouvernement du Québec, et les
universités qui deviennent vite des sinécures, n'ont chaut.
L'université, réduite à
l'état d'un Wall-Mart de
diplomations, d'un centre d'achats de
disciplines, est le produit du désenga-
gement du gouverne-
ment du Québec dans son champ de compétence qu'est l'éducation. Jadis, Taschereau et Duplessis laissaient cela entre les mains des diocèses; aujourd'hui, le gouvernement Couillard laisse ça dans les mains de le scholarship entrepreneurial. Naguère on distinguait l'Université de Montréal de l'Université du Québec à Montréal en Université Coca Cola et Université Pepsi en fonction de la franchise qui avait obtenu l'exclusivité des distributrices de boissons gazeuses. Ce n'était qu'un premier pas. En faveur des étudiants revendicateurs de 2012, il faut mettre à leur honneur le fait d'avoir dénoncé cette wallmartisation des universités. Là où les recteurs se sont montrés larbins et vicieux, les étudiants contestataires ont su sauver l'honneur des Québécois.


gement du gouverne-
ment du Québec dans son champ de compétence qu'est l'éducation. Jadis, Taschereau et Duplessis laissaient cela entre les mains des diocèses; aujourd'hui, le gouvernement Couillard laisse ça dans les mains de le scholarship entrepreneurial. Naguère on distinguait l'Université de Montréal de l'Université du Québec à Montréal en Université Coca Cola et Université Pepsi en fonction de la franchise qui avait obtenu l'exclusivité des distributrices de boissons gazeuses. Ce n'était qu'un premier pas. En faveur des étudiants revendicateurs de 2012, il faut mettre à leur honneur le fait d'avoir dénoncé cette wallmartisation des universités. Là où les recteurs se sont montrés larbins et vicieux, les étudiants contestataires ont su sauver l'honneur des Québécois.
Une
partie des propagandistes pour la souveraineté du Québec se
retrouve dans le milieu universitaire,
s'appropriant l'exclusivité
du discours de l'indépen-
dance. Parmi ces hommes et femmes cultivés et experts de la chose québécoise, l'un d'eux fait réagir : Mathieu Bock-Côté. Né en 1980 en région (Lorraine), cet universitaire se gratifie d'un doctorat en sociologie. Cet homme a surtout monté sur les échelons de l'appareil intellocratique, pour employer le terme de Hervé Hamon et Patrick Rotman tiré de leur célèbre livre, Les Intellocrates (Ramzay, 1981). C'est un publiciste qu'on lit dans Le Journal de Montréal, une succursale Québécor de Péladeau, dans Le Figaro à l'occasion lorsqu'il s'agit débattre de la question du multiculturalisme, qui a publié ici et là des ouvrages très conservateurs et passéistes sur l'idée d'indépendance
du Québec, et que l'on entend à la radio (sa
logorrhée intempestive fait le bonheur du caricaturiste Chapleau) et
l'on voit à la télévision commenter de son avis d'expert telle ou
telle anecdote d'actualité. S'il a ses adeptes inconditionnels,
pêchés dans les eaux du souverainisme arthritique, il a de
virulents ennemis qui ne lui pardonnent pas son orientation de
droite réactionnaire. Le fait de limiter l'importance des
manifestations étudiantes de 2012 à la frustration des chauffeurs
automobiles pris sur le pont Jacques-Cartier à l'heure de pointe montre son incapacité à
reconnaître les événements historiques lorsqu'ils se présentent
devant lui. En ce sens, son manque de discernement est conforme aux
idéologues du parti. On mentionnera également l'historien Éric
Bédard qui, lui, du moins, a démontré ses compétences en son
domaine.

dance. Parmi ces hommes et femmes cultivés et experts de la chose québécoise, l'un d'eux fait réagir : Mathieu Bock-Côté. Né en 1980 en région (Lorraine), cet universitaire se gratifie d'un doctorat en sociologie. Cet homme a surtout monté sur les échelons de l'appareil intellocratique, pour employer le terme de Hervé Hamon et Patrick Rotman tiré de leur célèbre livre, Les Intellocrates (Ramzay, 1981). C'est un publiciste qu'on lit dans Le Journal de Montréal, une succursale Québécor de Péladeau, dans Le Figaro à l'occasion lorsqu'il s'agit débattre de la question du multiculturalisme, qui a publié ici et là des ouvrages très conservateurs et passéistes sur l'idée d'indépendance

Universitaire, intellocrate, apparatchik de la cause

![]() |
Sondage de 2012 publié dans le quotidien Le Devoir. |
Or, le savoir est ce qui est banni. Comme l'Église catholique de jadis, l'interdit, l'index, l'Inquisition même sont agités devant ceux qui ne partagent pas la doxa nationaliste péquiste. Comme une sorte de Torquemada sorti de la légende noire protestante de l'Espagne catholique, Mathieu Bock-Côté enfile le froc rugueux des dominicains et brandit les oripeaux du Québec indépendant envers et contre tous les Satan du fédéralisme. Il apparaît comme le dernier espoir d'éveiller une nouvelle conscience nationale parmi la jeune génération chez les vieillards qui n'en finissent plus d'agoniser sur leurs échecs.
Dans
un long article (pour une rare fois), Bock-Côté entend exposer une synthèse de ses idées sur son blogue du Journal de Montréal4. Le titre de l'article est Brèves
réflexions sur notre passé pour ceux qui
m'imaginent en nostalgique
du duplessisme. Côté qualités : Bock-Côté ne craint pas d'argumenter. Il sait que ses
adversaires ne sont pas moins idéologiques que lui. Le débat n'en
sera donc pas un de savoirs, mais d'idées, souvent péremptoires et
de sentiments mal contenus. Contrairement à ses adversaires qui le
méprisent ouvertement, il les ignore avec la superbe qu'on lui
connaît. Il ne nomme personne et pour qui – comme les lecteurs
week-end du Journal de Montréal – ne suivent pas les débats
d'idées sur l'ontologie québécoise, on ne sait trop juste à qui il s'adresse. L'affaire finit par donner l'impression
qu'il s'agit d'une guerre contre les mouches. Cela aussi fait parti du
sentiment tragique de la condition québécoise qui tourmente
Bock-Côté. Jadis, on pouvait haïr la Némésis de
l'Indépendance
du Québec à travers des figures comme celles de Trudeau, Bourassa, Ryan,
Charest... Aujourd'hui, plus personne ne trouve de fédéralistes à
haïr. Justin Trudeau est un amuseur publique... pour le moment.
C'est le selfieman.
En
ce qui concerne Philippe Couillard, on hait plus en lui un soi-disant
agent de l'Arabie Saoudite qu'un émissaire d'Ottawa. Une telle
situation était aussi inimaginable avant qu'après 1970. Il fut un
temps où l'on se gaussait de Céline Hervieux-Payette, ministre sous
Trudeau père, qui dénonçait le futur député libéral, alors chef
de la Centrale de l'Enseignement du Québec, Yvon Charbonneau, comme
relevant de la filière
libyenne, aujourd'hui,
la chose serait prise très au sérieux.
Passons au mauvais. Bock-Côté veut se défendre d'être un nostalgique de l'ère duplessiste. À l'entendre, il
voudrait seulement dédiaboliser
le mythe de la Grande Noirceur. Pourtant, nostalgiques, libertariens pour la plupart, ces néo-duplessistes
existent bien. Ils sortent directement de la cuisse de l'éditeur Laprès qui les recrutent en vue de vilipender la Révolution tranquille. Édités chez
Accent Grave, comme le livre préfacé par Conrad Black de Vincent
Geloso, Du Grand rattrapage au Déclin tranquille, l'ère
de Duplessis y est décrite favorablement. C'était le temps où
l'État n'intervenait pas dans les affaires privées, celui d'un
capitalisme sans frein. Bock-Côté ne va pas jusque là. Du moins
pas encore. Il affirme que cette
période ne serait rien de plus qu'un passé pré-révolutionnaire
tranquille, une sorte de plate-forme de lancement
de la Révolution tranquille. Envers elle,
il garde une certaine attitude condescendante d'un Québécois du
XXIe siècle sur ses prédécesseurs du XXe :


Passons au mauvais. Bock-Côté veut se défendre d'être un nostalgique de l'ère duplessiste. À l'entendre, il

«parce que j'y vois un peuple résister, chercher à conserver sa
culture même si les formes officielles de celle-ci étaient
manifestement désuètes. J’y vois aussi un peuple, avec les moyens
du bord, chercher à préserver son autonomie politique à un moment
où plusieurs voulaient la vider de toute substance. C’était un
peuple colonisé (et cette colonisation a laissé des stigmates
psychologiques encore visibles aujourd’hui, comme on le voit quand
certains présentent la culture québécoise comme un fardeau dont on
devrait s’émanciper pour embrasser le monde), un peuple à bien
des égards résigné à son mauvais sort, du moins, dans ses mauvais
jours, mais qui pourtant, continuait de se battre de mille manières
pour ne pas être effacé de l’histoire, en gardant plus ou moins
secrètement l’espoir de jours meilleurs, comme en témoigne la
renaissance, à chaque génération, de l’idée d’indépendance,
comme si ceux qui gardaient la flamme et se transmettaient cet idéal
savaient que notre peuple pourrait un jour se relever et se délivrer
de ses maîtres.»
Il s'agit ici d'une suite de clichés
mélodramatiques. Pourrions-nous, avec la meilleure foi du monde,
parler d'une résistance, même «passive» dans l'attitude stagnante
des Québécois depuis le milieu du XIXe siècle?
Quelle culture ce peuple pourrait-il
bien chercher à conserver, lui,
dont les élites avaient fabriqué, de
toutes
pièces, une culture française d'Ancien Régime à travers
des confrontations politiques et idéologiques?
Une religiosité improvisée, toujours à
partir de 1840 et suite aux sermons-spectacles de
l'évêque de Nancy, Mgr de Forbin-Janson, prédicateur redoutable,
et dont le but était de nier ce Québec qui bougeait
du tournant du XIXe siècle? Une sorte de Querelle des Anciens et des
Modernes incarnée d'une part par l'évêque
Bourget et de l'autre par l'Institut
canadien de Montréal? Ou
cette historiographie pontifiante qui relevait de l'histoire
sainte plus que de l'histoire profane? Des arts, une littérature,
voire une musique qui répétaient en modèles réduits les grandes
œuvres européennes? Un rejet de l'américanité géographique
pour une francité intemporelle qui
n'existait plus en France et contre laquelle nos élites mêmes se
rebiffaient sauvagement? Une
culture de demi-civilisés comme l'appellera Jean-Charles Harvey?
La culture de cette époque était déjà une culture rapetissée à
des caricatures de cultures étrangères. La résistance était moins
populaire qu'élitiste, et d'une certaine élite porteuse
des valeurs ultramontaines. L'apitoiement de
Bock-Côté est d'abord un apitoiement sur ses prédécesseurs et le
courant qui continue toujours à couler de l'amont vers l'aval.

Il en va encore de même
pour la préservation politique. Les outils de cette préservation,
initiée par la politique d'instruction publique de Marchand puis par
les programmes de nationalisation de l'Action Libérale
Nationale en
1936, ont toutes été sabotées par l'unique tradition tantôt
libérale, tantôt unioniste, de la soumission coloniale à Ottawa,
telle que nous la revivons actuellement avec le gouvernement
Couillard. Le peu de résistance collective
ouverte, ne serait-ce que devant les mesures de conscription de
1917 et de 1942, nous font paraître insignifiants
devant la révolte irlandaise de Pâques 1916. De plus, l'idée
d'Indépendance, dont Maurice Séguin a tracé l'historique, ne s'est
pas maintenue de génération en génération. C'est un mythe. Ni
Mercier, ni Marchand, ni Duplessis n'ont milité pour l'indépendance
du Québec. Et leurs adversaires non plus d'ailleurs. Les manifestes
ultramontains ne parlent pas d'indépendance, ils parlent soumission
selon les principes du Omni postestas eo deo, donc au
gouvernement
légitime de Londres par Ottawa. La fameuse motion Francœur n'avait
pas pour but de promouvoir l'indépendance, mais de prendre à revers
la critique anglo-canadienne en disant que si le ROC ne voulait plus
du Québec, il n'avait qu'à le laisser s'en aller. La motion
Francœur est une toquade, sans plus. La Déclaration d'Indépendance
du Bas-Canada de 1837-1838, lue deux fois entre deux fuites par
Robert Nelson, est une indépendance de l'État colonial qui sera mise
en branle, progressivement, par l'Acte de 1867. La République du
Bas-Canada est une république bilingue et multiculturelle dirions-nous si nous ne voulions commettre d'anachronisme :
souvenons-nous en. Comme les péquistes de
la Charte de Drainville, Bock-Côté nous parle de l'identité
québécoise, de culture québécoise, de caractères spécifiques du
Québec, mais toujours comme des nominalismes, des ensembles
dont il est difficile de préciser les contours, au point que lorsque
nous nous efforçons de les identifier, de les
rendre réels, nous découvrons que
la culture québécoise n'est rien de plus que la civilisation
occidentale... Que ce soit l'égalité homme-femme, le droit des
individus devant la loi, la langue nationale (ici le français,
mais...), l'État laïque... Bock-Côté ne va pas plus loin que les
mots; les choses restant insaisissables.


Bock-Côté nous dit ne pas
vouloir cultiver un contre-mythe d'un duplessisme heureux
contre le mythe de la Grande Noirceur. Pourtant, il conserve une
vision heureuse de la Révolution tranquille. Or, la Grande
Noirceur
est un produit de la Révolution tranquille. Les deux mythes ne peuvent exister l'un sans l'autre. On ne peut encenser l'un sans
déprécier l'autre. Bock-Côté lui-même, tout en essayant de
réhabiliter la période dite
pré-révolutionnaire tranquille, est coincé et doit se défendre
qu'il n'est pas un nostalgique du duplessisme. Par contre, lorsqu'il
écrit : «Je crois... qu'on peut y retrouver quelques leçons
oubliées sur notre condition collective : par exemple, que le peuple
québécois est un peuple fragile et qu'il doit, à la manière de
toutes les petites nations qui veulent survivre, prendre conscience
de sa précarité», on se demande si les Suisses ou les Danois
se sentent aussi fragiles que nous d'être des
petites nations au cœur de l'Europe? Cette hyper-conscience
de la fragilité est une constante depuis les répressions de
1838-1839 et n'a jamais été évincée de l'esprit des Québécois.
Elle est une constituante de l'identité québécoise. Elle a retenue
Papineau dans l'engagement violent comme plus tard René Lévesque,
traumatisé par ce qu'il avait vu des guerres civiles en Europe; elle
fut le leitmotive du clergé ultramontain, de Bourget à Laflèche;
de Tardivel à Rumilly. Sur elle s'est appuyé Duplessis qui y
établit sa corruption politique, à la différence des Libéraux de
Taschereau qui la faisait reposer sur les grands capitalistes de la
rue Saint-Jacques. Pour un instant, avec la Révolution tranquille,
on a voulu oublier cette fragilité. C'est ainsi que l'Équipe du
Tonnerre créa l'État
moderne malgré les frilosités unionistes
autonomistes nationales. Que le docteur Laurin proclama le français
langue officielle des Québécois dans la plus grande hésitation de son gouvernement. Cela se consuma en 20 ans, le flot
d'énergie venant se briser sur la falaise
aux Foulons de mai 1980. Contre Duplessis, Bock-Côté porte aux nues
René Lévesque, ce qu'il y a de plus
démagogique parmi ces souverainistes qui
refusent d'accepter le fait qu'il a été le principal fossoyeur de
leur propre rêve national. Lévesque voulait la souveraineté –
l'indépendance n'était pas son
vocabulaire – aux conditions de la démocratie, et cette stratégie idéaliste et angélique; cette impossible
stratégie est toujours au cœur du Parti Québécois, de gauche
devenu parti de droite.


L'impossible analyse critique de Bock-Côté se
poursuit lorsqu'il parle de l'héritage catholique des Québécois.
Comme pour le duplessisme, il y a du bon et il y a du mauvais.
Bouvard et Pécuchet n'auraient pas dit mieux : «[Le
catholicisme a] contribué, à sa manière, à notre survivance, à
la fois en structurant la nation quand elle n’avait aucune
structure et en nous connectant au patrimoine philosophique,
historique et esthétique de la civilisation occidentale – en
d’autres mots, le catholicisme, paradoxalement, nous a ouvert au
monde à un moment où notre peuple risquait l’engloutissement
historique dans la médiocrité écœurante de la vie provinciale.»
Or, histo-
riquement, c'est tout à fait le contraire qui s'est passé. Oui, le catholicisme a contribué à notre survivance, mais sa manière était délétère, archaïque, nécrophile. Du patrimoine philosophique, il s'en tenait à Platon, le Platon des collèges classiques relus par les Pères de l'Église; l'aristotélisme, lui, est arrivé tardivement, au début du XXe siècle avec le néo-thomisme de Léon XIII et des Maritain et Gilson. De Descartes, on conservait le Discours de la Méthode, prolongement du syllogisme thomiste. Pascal pour sa gravité, mais avec des pincettes. Des philosophes du XVIIIe et du XIXe siècles, que du menu fretin. Au niveau historiographique, la censure de Garneau a été le premier impact de l'action des clercs sur le discours historien. Puis sont venues les vieilles barbes conservatrices de différentes cuvées :
Chapais, Groulx, Roy et leurs disciples. Au niveau
esthétique, le piétisme saint-sulpicien a dominé envers et contre
tous les Refus Global de notre histoire. De sorte qu'en près de 120
ans de domination cléricale et catholique du Québec, malgré tous
ces jeunes prêtres et religieuses, sauf quelques mystiques
déséquilibrés, il n'est sorti aucun théologien, aucun philosophe,
aucun historien, aucun écrivain qui ne s'est imposé à l'ensemble
de la civilisation occidentale. Cette tabula rasa est celle sur
laquelle chaque génération depuis recommence la fondation du
Québec, et dont l'apport risque le plus souvent de s'éteindre avec
elle. L'incapacité de la
transmission transgénérationnelle
de la culture québécoise est une autre tare qui épuise et qui
dépasse la simple «fatigue culturelle» dont parlait Aquin. Voilà
le déni inconscient de la schizophrénie canadienne des Québécois,
y compris chez un indépendantiste comme Bock-Côté... Ce déni est
du pathologique. Mais nous reviendrons sur le
discours de la survivance, il est la poutre de l'œil
des experts québécois.
Voilà pourquoi, dès le paragraphe suivant, il tombe dans la nostalgie du rêve tranquille d'une révolution jamais éprouvante :

riquement, c'est tout à fait le contraire qui s'est passé. Oui, le catholicisme a contribué à notre survivance, mais sa manière était délétère, archaïque, nécrophile. Du patrimoine philosophique, il s'en tenait à Platon, le Platon des collèges classiques relus par les Pères de l'Église; l'aristotélisme, lui, est arrivé tardivement, au début du XXe siècle avec le néo-thomisme de Léon XIII et des Maritain et Gilson. De Descartes, on conservait le Discours de la Méthode, prolongement du syllogisme thomiste. Pascal pour sa gravité, mais avec des pincettes. Des philosophes du XVIIIe et du XIXe siècles, que du menu fretin. Au niveau historiographique, la censure de Garneau a été le premier impact de l'action des clercs sur le discours historien. Puis sont venues les vieilles barbes conservatrices de différentes cuvées :

Voilà pourquoi, dès le paragraphe suivant, il tombe dans la nostalgie du rêve tranquille d'une révolution jamais éprouvante :
«Et naturellement, j’embrasse le mythe de la Révolution
tranquille – certainement la plus belle période de notre histoire,
même si elle se termine sur un effrayant échec politique, avec
l’avortement de l’indépendance et la dislocation actuelle de la
question nationale. La Révolution tranquille nous a laissé un idéal
magnifique : maîtres chez nous. Il devrait encore animer notre
vie politique, surtout à un moment où nous régressons
collectivement comme jamais sans vouloir nous l’avouer, comme si
nous nous accrochons au fantasme que nous serions enfin une société
normale. La Révolution tranquille nous a donné comme peuple le
désir de la puissance collective, du pouvoir québécois, et il est
malheureux qu’on ne veuille en retenir aujourd’hui que la
célébration immodérée d’un individualisme radical, comme si le
corps politique ne compte plus pour rien, comme si nous étions des
individus flottants sans ancrage dans une réalité collective. Les
deux mesures exemplaires de la Révolution tranquille que sont la
nationalisation de l’hydro-électricité et la Charte de la langue
française ne seraient plus imaginables aujourd’hui : elles
témoignaient pourtant d’un désir de reprise en main qui mérite
encore aujourd’hui notre vive admiration.»

Ce qui prend ici les allures d'un
lamento nous suggère presque l'espérance qu'il va enfin dénoncer nos fantasmes
puériles au moment où la régression civilisationnelle s'apprête à
dissoudre le tout. Mais en vain... Il est symptomatique
que pour Bock-Côté, les deux éléments essentiels de la Révolution
tranquille soient
l'hydro-électricité (Hydro Québec, produit de
l'Action Libérale Nationale et créée par Duplessis en 1936-1940)
et la Charte de la langue française. Pourtant, la nationalisa-
tion de l'électricité fut obtenue à l'arrachée tandis que la Charte a été depuis mutilée par la Cour Suprême. Par contre, d'autres institutions issues de la même mouvance mériteraient autant notre admiration : l'éducation gratuite jusqu'à l'université comprise; un système médical accessible à tous grâce à une assurance gouvernementale; une modernisation des infrastructures nécessaires au développement économique, sont passés sous silence. Il est vrai que tous les partis politiques ont contribué – et contribuent encore – à détruire tout ça pour des motifs idéologiques et/ou personnels. Le désir de puissance a vite été rattrapé par le désir masochiste de soumission, le
clientélisme de l'État
québécois par exemple, qui justifie ses
revendications à la péréquation fédérale plutôt que de
mobiliser ses citoyens pour que tout cet impôt revienne dans les
coffres du Québec sans passer par les mains d'Ottawa. Il a suffit de l'arrogance
de Trudeau, de la lâcheté de Bourassa, de l'ignominie de Ryan et
des inlassables hésitations de Lévesque
pour que la collectivité québécoise retourne paisiblement dans sa niche. Quand
on a accepté si volontairement la colonisation, il est difficile
après de s'imaginer pouvoir vivre sans; peu importe qui est le dominant. Ce désir
contribue également aux
caractères spécifiques
de l'Être québécois qui ne dit pas son nom.
Une fois atteint ce cul-de-sac, Bock-Côté ne peut aller plus loin. Il ne peut que répéter. Il pose pourtant la question importante : «Que faire de notre passé? Que faire des composantes dissociées de notre mémoire nationale?» Mais si l'identité d'un peuple se dévoile dans son histoire selon la manière dont il se la raconte, alors l'identité cesse d'être une pour devenir une identité liée aux conjonctures historiques : tantôt française, tantôt catholique, tantôt bilingue, tantôt laïque, tantôt libérale, tantôt protectionniste, etc. C'est la philosophie de l'histoire à la Croce et à la Becker. Ce n'est plus qu'une identité relativiste, une schizophrénie qui se fractionne constamment sur elle-même; le sens de l'unité, le Grand Tout, se dissous. Être québécois, c'est être collectivement Sibyle. Comment penser connecter un présent à
cette «identité»
multiforme? Il est facile d'en appeler après à l'appauvrissement de
cette identité. Le passé est mort parce qu'il n'existe pas. C'est
un roman dont vous êtes le héros. Vous lui donnez l'intrigue que
vous voulez. Fédéraliste ou indépendantiste, misérable ou
grandiose, traîtres ou sauveurs. Marc Lépine ou Aurore
l'enfant-martyre. Notre imaginaire collectif vit de mythistoires et
même les gens cultivés (et Bock-Côté en est un exemple parfait)
ne sont pas encore parvenus à la conscience d'une
histoire démythifiée. Autrement, elle n'est qu'un prétexte à
té-thèse étatique avec graphiques et statistiques. Côté
historique, notre imaginaire collectif en est encore aux Pays
d'en-haut et la continuité entre l'avant et l'après est impossible
puisque chaque moment s'épuise en lui-même et ne se trouve lié à
aucun antérieur ni aucun ultérieur. Nous sommes d'éternels instantanéités. Ô temps, suspend ton vol!
chantait le poète du Lac. Et nous gigotons, accrochés entre ses serres, nous balançant au-dessus du Néant. Toutes les autres alternatives qu'offre Bock-Côté deviennent alors
irrelevant.
Oui, renouer avec notre longue durée. L'aventure française en Amérique du Nord. C'est dire aussi qu'on en est encore à l'épopée linguistique, qui succède à l'épopée mystique de Groulx et consorts. Bref, Bock-Côté est toujours dans la théologie de l'Histoire de
l'Incarnation, de la Passion et de la Résurrection.
Il ne le dit pas, mais il aimerait que le programme du Parti
Québécois soit l'Évangile-Histoire en
action. Nous devons survivre – encore le discours de la
survivance – car nous avons été incarnés par la
volonté du Souverain de France et
oint de la
bénédiction du sol par Jacques Cartier. Nous devons nous émanciper,
ce qui est notre Passion, une lutte
quotidienne remplie de combats épuisants et mortifères contre les
agents de l'assimilation et de la fédération. Mais
qu'importe! Au final, nous
atteindrons l'émancipation par un acte référendaire quelconque, un
jour dans un avenir rapproché, comme dans un conte de fées. Il y a
de l'eschatologie dans cette vision de Bock-Côté. Comme nous
refusons de voir les tares du
prince et de la princesse en cause,
nous disons qu'ils ont «une
identité riche et profonde». Évidemment, il faut trouver une
nouvelle synthèse qui absorbera les apports de la modernité :
la technologie anglophone essentielle-
ment; les immigrants déracinés et qui refusent la transplantation québécoise; les nouveaux modèles sociaux et psychologiques de la famille, du couple, de l'éducation, etc. Bref, «il faut avoir une définition de nous-mêmes qui s’alimente des différentes facettes de notre personnalité collective telle qu’elle s’est formée dans notre histoire. Au-delà des agitations du présent, quelles sont les lignes de fond de notre histoire? Nous pouvons et devons les retrouver, surtout pour traverser un présent difficile où nos élites se laissent tenter par la démission collective. Une certitude ne devrait pas abandonner notre esprit : nous sommes un peuple de langue française, avec sa culture propre, ancrée dans la civilisation occidentale, et qui cherche à vivre à sa propre manière la modernité, avec ses grandeurs et ses misères. C’est en retrouvant cette certitude existentielle que nous pourrons peut-être retrouver aussi le désir de la pleine existence politique». Cette formule convenue, à peu près vide de toute substance mais vertueuse, ne manque pas d'affirmations souvent discutables (sommes-nous véritablement ce que nous appelons «un peuple»? La question, je pense, mérite d'être posée, dès le départ). Cette question, nous nous la répétons, inlassablement, depuis les résultats de la soirée du 20 mai 1980.

tion de l'électricité fut obtenue à l'arrachée tandis que la Charte a été depuis mutilée par la Cour Suprême. Par contre, d'autres institutions issues de la même mouvance mériteraient autant notre admiration : l'éducation gratuite jusqu'à l'université comprise; un système médical accessible à tous grâce à une assurance gouvernementale; une modernisation des infrastructures nécessaires au développement économique, sont passés sous silence. Il est vrai que tous les partis politiques ont contribué – et contribuent encore – à détruire tout ça pour des motifs idéologiques et/ou personnels. Le désir de puissance a vite été rattrapé par le désir masochiste de soumission, le

Une fois atteint ce cul-de-sac, Bock-Côté ne peut aller plus loin. Il ne peut que répéter. Il pose pourtant la question importante : «Que faire de notre passé? Que faire des composantes dissociées de notre mémoire nationale?» Mais si l'identité d'un peuple se dévoile dans son histoire selon la manière dont il se la raconte, alors l'identité cesse d'être une pour devenir une identité liée aux conjonctures historiques : tantôt française, tantôt catholique, tantôt bilingue, tantôt laïque, tantôt libérale, tantôt protectionniste, etc. C'est la philosophie de l'histoire à la Croce et à la Becker. Ce n'est plus qu'une identité relativiste, une schizophrénie qui se fractionne constamment sur elle-même; le sens de l'unité, le Grand Tout, se dissous. Être québécois, c'est être collectivement Sibyle. Comment penser connecter un présent à

Oui, renouer avec notre longue durée. L'aventure française en Amérique du Nord. C'est dire aussi qu'on en est encore à l'épopée linguistique, qui succède à l'épopée mystique de Groulx et consorts. Bref, Bock-Côté est toujours dans la théologie de l'Histoire de


ment; les immigrants déracinés et qui refusent la transplantation québécoise; les nouveaux modèles sociaux et psychologiques de la famille, du couple, de l'éducation, etc. Bref, «il faut avoir une définition de nous-mêmes qui s’alimente des différentes facettes de notre personnalité collective telle qu’elle s’est formée dans notre histoire. Au-delà des agitations du présent, quelles sont les lignes de fond de notre histoire? Nous pouvons et devons les retrouver, surtout pour traverser un présent difficile où nos élites se laissent tenter par la démission collective. Une certitude ne devrait pas abandonner notre esprit : nous sommes un peuple de langue française, avec sa culture propre, ancrée dans la civilisation occidentale, et qui cherche à vivre à sa propre manière la modernité, avec ses grandeurs et ses misères. C’est en retrouvant cette certitude existentielle que nous pourrons peut-être retrouver aussi le désir de la pleine existence politique». Cette formule convenue, à peu près vide de toute substance mais vertueuse, ne manque pas d'affirmations souvent discutables (sommes-nous véritablement ce que nous appelons «un peuple»? La question, je pense, mérite d'être posée, dès le départ). Cette question, nous nous la répétons, inlassablement, depuis les résultats de la soirée du 20 mai 1980.
Je
ne reproche pas à Bock-Côté de ne pas avoir de solutions
à la question du Québec, comme l'appelait Marcel Rioux, je
lui reproche seulement d'être Pharisien. De demander aux autres une
claire conscience collective alors que lui-même n'y a pas encore
accédé et vit dans un mythe romanesque de l'histoire québécoise.
Son familienroman
national
est celui de l'Enfant trouvé et non du Bâtard, pour reprendre la classification de Marthe Robert et que j'utilisais dans De
la démoralisation tranquille. C'est
le Petit Prince devenu gros producteur de textes, d'entrevues, de
livres, de déclarations militantes. Une culture
historique superficielle n'est pas meilleure qu'une ignorance
profonde puisqu'elle ne sait pas faire la différence
entre apprécier
un mythistoire pour sa fonction symbolique et pratiquer une histoire
critique pour sa fonction sociale. La synthèse
déraille, ouvre sur une conscience malheureuse qui pense que la critique historique est là pour confirmer le
mythistoire, ce qui vient à nous dire que nous sommes merveilleux car
nés d'une figure maternelle généreuse puis ravis par une marâtre cruelle, exploiteuse et immorale, bref le succès populaire du drame de La petite Aurore, l'enfant martyre. Un tel drame va à l'encontre de la morale naturelle. Par quel crime odieux, indicible, un enfant pourrait-il se voir privé de sa mère originelle pour tomber, en toute légitimité et en toute légalité, entre les mains d'une marâtre jouissant de le torturer? Quel autre crime sinon que de naître peut justifier une haine de soi qui lui interdit et la propriété de son sol et l'édit de sa Loi? La synthèse, qui dépasse toutes les
compromissions relativistes, c'est ce qu'on appelle l'Imaginaire
historien, ou l'historicité. Et malgré son Histoire, il n'y a pas
de peuple québécois s'il n'y a pas une historicité une qui
le structure et ce, malgré ses contradictions multiples. Le familienroman national (le mythistoire) établit l'économie des affects de la collectivité alors que la critique historique situe bien un «peuple» québécois entre la nécessaire coopération canadienne et l'impossible assimilation québécoise. Mais voilà qu'avec le XXIe siècle, l'aube du possible se lève...

LA
PROVIDENCE, PROTECTRICE DES ANIMAUX

- Il y a beaucoup de choses à apprendre en regardant les animaux et les plantes.
- Oui, tout ce que le bon Dieu a fait est admirable. Ce qui est merveilleux aussi, c'est de voir comment il veille sur ses créatures, quels moyens efficaces il leur a donnés pour se défendre, vivre et se reproduire. S'il veille ainsi sur l'herbe des champs et sur toutes bêtes, nous pouvons croire qu'il pensera davantage à nous. Pourquoi?
- Parce que nous valons plus que tous les êtres de la création, explique Raymond.
- Comment cela?
- Nous avons une âme immortelle créée à l'image et à la ressemblance de Dieu.
- Bien répondu, Raymond. Il faut songer souvent à cette grande vérité, remercier Dieu de nous avoir donné cette supériorité sur tous les autres êtres, et honorer notre divin Maître par une conduite toujours digne de lui.5Il ne faudrait surtout pas rire de ce petit échange, répété tant de fois d'un fascicule l'autre, dans les grands

N'insistons
pas sur la main de Dieu et le doigt de Claude Ryan, mais gardons ça en mémoire.
L'usage du mot Providence, inséré dans le titre plutôt que celui de
Dieu, à qui la naturaliste fait quand même allusion, est un choix tout ce qu'il y a de plus éloquent. Le mot vient du latin providentia :
«prévoyance» (néologisme créé par Cicéron, de
pro-
«en avant» et videre
«voir»), et
signifie, dans la pensée chrétienne, l'action
par laquelle Dieu conduit les
événements et les créatures vers la fin qu'Il leurs assignent. Utilisé avec un P majuscule, comme dans le titre du Connaissance usuelle, il désigne bien Dieu en tant qu'ordonnateur de toutes choses. Mais il signifie également une intervention à travers une personne ou un événement qui arrive à point nommé pour sauver une situation ou qui constitue une chance, un secours exceptionnels. Le recours à l'idée de providence vise donc à combattre l'idée de hasard gratuit en permettant au libre-arbitre de prévoir et se manifester en tant qu'auxiliaire du divin. Véhiculé à travers la mystique néo-platonicienne, le mot providence est revenu surtout au XVIIIe siècle comme un mieux-aller devant le dogme du Dieu chrétien en guerre contre le concept moderne de liberté. Par rapport à la divinité, il est l'une de ces inventions nouvelles à placer dans le contexte du théisme, entre le déisme voltairien et la main invisible du marché d'Adam Smith.

événements et les créatures vers la fin qu'Il leurs assignent. Utilisé avec un P majuscule, comme dans le titre du Connaissance usuelle, il désigne bien Dieu en tant qu'ordonnateur de toutes choses. Mais il signifie également une intervention à travers une personne ou un événement qui arrive à point nommé pour sauver une situation ou qui constitue une chance, un secours exceptionnels. Le recours à l'idée de providence vise donc à combattre l'idée de hasard gratuit en permettant au libre-arbitre de prévoir et se manifester en tant qu'auxiliaire du divin. Véhiculé à travers la mystique néo-platonicienne, le mot providence est revenu surtout au XVIIIe siècle comme un mieux-aller devant le dogme du Dieu chrétien en guerre contre le concept moderne de liberté. Par rapport à la divinité, il est l'une de ces inventions nouvelles à placer dans le contexte du théisme, entre le déisme voltairien et la main invisible du marché d'Adam Smith.
Dans
l'échange entre la monitrice et Raymond, ce dernier, parfaite
illustration de l'Enfant trouvé, constate l'immensité des choses à
connaître du monde naturel, ce que confirme la monitrice en en
référant à la diversité de la Création. Il n'y a pas de rupture,
comme dans le monde moderne, entre le Créateur et les créatures. Le
premier conserve toujours son pouvoir paternel et s'en sert avec
prévoyance pour
garder
l'équilibre entre les végétaux et les animaux. À
chaque espèce, à chaque individu, il a donné des moyens
particuliers pour assurer sa survie et sa reproduction. La loi
naturelle confirme son origine divine, plus d'un siècle après que
Laplace ait refusé de retenir l'hypothèse divine pour son Système
du monde.
La prévoyance devient ainsi une qualité commune à Dieu et à
l'homme, ce qui lui donne une valeur supérieure à tous les êtres
de la création. Le jeune Raymond répond là où le discours de sa
monitrice voulait le mener. Il constate, en conclusion : «Nous
avons une âme immortelle créée à l'image et à la ressemblance de
Dieu».
Cette ressemblance n'est pas un doublet de l'image : c'est la vertu même de prévoir et d'aménager en conséquences que partagent l'homme et le Créateur. Cette «supériorité sur tous
les autres êtres»,
confirme la monitrice. C'est dans cette relation providentielle que
les Canadiens Français ont été éduqués pendant des générations.
La certitude qu'une protection supérieure, faite pour eux, bonté
d'un amour divin infini, suffit pour assurer la permanence temporelle
de «leur race». En attendant le moment prévu mais non encore
prévisible de leur accomplissement, la seule tâche de ceux-ci est de survivre.

Survivre est la fierté des Québécois. Ils seraient sans doute étonnés de savoir que le livre de Margaret Atwood traduit sous le titre Essais sur la littérature canadienne (1987) s'intitulait, dans la langue original


Dans
une entrevue accordée à L'Actualité,
en
août 2016 – en même temps que Bock-Côté -, le porte-parole de
la grève étudiante de 2012, lui aussi devenu chroniqueur sur les
ondes de Radio-Canada, Gabriel Nadeau-Dubois, dressait ainsi le
portrait de l'état de la question nationale :
«Dans
le camp des souverainistes, les difficultés électorales des
dernières années ont suscité un climat de panique, en particulier
au sein de la génération qui a fondé le Parti québécois et qui
craint aujourd’hui de ne pas voir l’indépendance se réaliser de
son vivant. Ce souverainisme soupirant ou «tragique» génère
globalement deux types de stratégies. Les plus pessimistes prêchent
un retour au nationalisme conservateur, axé sur la défense de
l’identité canadienne-française, quitte à abandonner
provisoirement (ou non?) la question de l’indépendance. D’autres
versent plutôt dans le volontarisme, arguant qu’il suffirait de
«mieux définir» le projet ou d’en faire une promotion
incessante, sur toutes les tribunes, pour que les Québécois y
reprennent goût. La plus récente course à la direction du PQ, dont
le
résultat n’est pas connu au moment d’écrire ces lignes,
illustre bien la désorientation politique de ce parti. Pendant que
les militants des différents camps s’affrontent au sujet de la
stratégie référendaire, une majorité de Québécois, à commencer
par les jeunes, se désintéressent du projet d’indépendance. Cela
s’explique peut-être par le fait que, au-delà de ces différences
stratégiques, le projet de pays a, au fil des années, été vidé
de sa portée révolutionnaire, de son caractère transformateur pour
la société, pour être relégué à un simple changement d’ordre
constitutionnel. En vertu d’un phénomène semblable à celui qui
affecte la gauche, il semblerait qu’à force de répondre aux
campagnes de peur du camp fédéraliste, à trop vouloir rassurer
leurs concitoyens, les indépendantistes ont dédramatisé le
processus d’accession à la souveraineté au point d’en faire un
projet inoffensif, sans substance, sans passion. À cet égard,
l’expérience du référendum de 1995 est porteuse d’enseignements
: comme l’a montré une étude des sociologues Gilles Gagné et
Simon Langlois, le noyau dur des partisans du Oui était bel et bien
d’origine francophone, mais ceux-ci ont majoritairement appuyé
l’option indépendantiste parce qu’elle «était aussi un projet
de transformation de la société». Il y a là une leçon à
retenir : on ne suscitera aucun enthousiasme, on ne provoquera aucun
élan populaire en promettant un changement de drapeau et un siège à
l’ONU. Si elle n’est pas synonyme de changements sociaux réels
et concrets, je ne vois pas comment l’indépendance peut redevenir
un projet mobilisateur, notamment pour les jeunes. Or, comme Jacques
Parizeau l’avait bien compris, on ne fait pas un pays contre sa
jeunesse, et celle que j’ai appris à connaître en 2012 ne se
reconnaît ni dans le «nous» frileux des conservateurs ni dans
l’économisme étroit des gestionnaires. Il y a là une leçon à
méditer, qui est peut-être la condition du renouvellement du
mouvement indépendantiste québécois, auquel j’appartiens.»

Dédiaboliser avec Bock-Côté; dédramatiser avec Nadeau-Dubois, la position défensive des partisans de l'Indépendance du Québec apparaît anachronique. Lévesque, Parizeau, Charron, Laurin s'échinaient à dédiaboliser et à dédramatiser l'angoisse semée par les terroristes du séparatisme fédéraux. Ces exercices coûtèrent beaucoup de temps et d'argent à la stratégie. Or, on est en droit de se demander qui, aujourd'hui, a encore peur de l'Indépendance? Quoi qu'il en soit, ces efforts toujours à recommencer de persuasion ont fini par coûter l'utopie sociale du projet indépendantiste. Seuls les plus endoctrinés de la
cause nationale se refuseront à voir qu'en perdant son utopie
sociale, le projet indépendantiste a perdu sa raison d'être. S'il
n'y a pas cette volonté de retourner aux sources sociales de
l'Indépendance, sa vocation est sans objet. L'État pour l'État est un
jeu lugubre et Dali nous a montré comment finissait, dans le fond des culottes, les jeux
lugubres.
L'indépendance a été perdue de vue très tôt.
Avant même le premier référendum qui n'était qu'une stratégie
ambiguë visant à prendre le Canada en otage en lui imposant une
association s'il nous libérait du statut de 1867.
1995 a renouvelé ce non-sens stratégique avec la
souveraineté-partenariat de Lucien Bouchard.
L'affirmation indépendantiste au détriment de la
séparation du Canada en deux
zones
distinctes, à l'image
du Pakistan, est l'interdit qui appelle la transgression
québécoise. Accepter ce bris d'un sens de l'unité qui fut quand
même nôtre durant 300 ans sème une peur religieuse tragique.
L'inquiétante étrangeté de la chose mine
le sentiment de fond des indépendantistes. Ils ne veulent pas
assumer la responsabilité qu'un
État-nation naît généralement d'un Empire
déchiré. La plupart des nations modernes,
depuis les États-Unis, sont nées ainsi. Si, pratiquement, en 1995, les souverainistes se garantissaient à ne pas s'embêter avec des
affaires comme la monnaie, les passeports, les douanes, l'armée, la
diplomatie des ambassades, etc., moralement, le
déchirement du tégument canadien demeurait cette profanation qui
bloque toute initiative définitive. L'attitude de réserve renforce l'inhibition de l'action politique. La souveraineté substitut,
qu'elle soit association ou partenariat, se discrédite en elle-même
tant le lendemain d'une telle souveraineté ressemblerait
à la veille, la souveraineté ne garantissant nullement la fin des débats constitutionnels.
C'est par l'inhibition de l'action suite à l'impossible
transgression que le Parti Québécois
a fait perdre le goût de l'Indépendance..

Afin de dévier la transgression collective, la société québécoise s'est rabattue sur une politique de

ment immature, à l'image de celui de Justin Trudeau. Jusqu'à quel point pouvons-nous défier le réel, la nature, l'être que nous formons sans tomber dans le pur fantasme, la mort, la dissolution dans un trop-de-schizophrénie? Lorsque les questions transgenres deviennent les problématiques dominantes d'une société, cette société a de sérieux problèmes. Apprendre à s'accepter en tant qu'individu est un prérequis pour s'accepter en tant que collectivité, et s'accepter en tant que collectivité rend plus facile pour les individus de s'accepter. Cet exercice de maturité permet ensuite de nous éveiller aux véritables problèmes de la société et de l'État et de les résoudre entre la nécessité historique et les conjonctures relatives.
Personne ne pense qu'en étant soumis à l'État canadien, c'est une population exogène à la nôtre qui décide et dicte quoi faire de nous, individus et collectivité? Que notre sacro-sainte liberté individuelle ne tient pas à une constitution, mais à la raison d'État qui la domine. Les consultations électorales ou référendaires sont des pertes de temps que l'urgence de l'action politique brise en mille miettes. Doit-on rappeler la crise de l'affaire Riel? Les deux crises de la conscription? La loi des mesures de guerre de 1970 (L'État d'urgence, comme on l'appelle en France, présentement)? Bien sûr que non, car chaque fois nous serions ramenés devant la nécessaire transgression. C'est lointains épisodes, pour la majorité des jeunes Québécois, ils ne connaissent pas. Ça n'évoque rien à des élèves privés d'histoire. Même le rappel de 2012 semble être la seule référence historique qui vient à l'esprit de M. Nadeau-Dubois. Il ne faudrait surtout pas se poser à l'esprit que si Hitler avait été Canadien Anglais, ce n'est peut-être pas six millions de Juifs qui auraient péri dans les camps d'extermination. Mais, il ne l'a pas été, donc la question n'a pas lieu d'être posée.
Sommes-nous un peuple? Première question. Sommes-nous un peuple doté, non pas de spécificités quelconques, mais bien un peuple doté d'une identité qui le fait s'assimiler à aucun autre, ni même au peuple

Enfin, comme la conclusion rassemble l'essentiel de son article, M. Nadeau-Dubois écrit :
«Nous sommes un peuple fier, qui a déjà vu grand. Nous sommes
un peuple fort. Or, depuis quelques années, nous semblons l’avoir
oublié. Comme si nous nous étions arrêtés en chemin, par
lassitude peut-être, ou alors parce qu’on nous a répété qu’il
était impensable d’aller plus loin. Pour ma part, je sens que nous
avons la possibilité et surtout le devoir de nous remettre en
marche. Nous sommes un peuple de défricheurs, capable d’ouvrir de
nouveaux sentiers. Comme beaucoup de mes concitoyens, j’ai envie de
contribuer à cet effort. Mais je sais que pour accomplir ce que nous
n’avons jamais accompli, il nous faudra faire ce que nous n’avons
jamais fait. Nous avons une tâche énorme devant nous. Il est temps
de nous mettre au travail.»
Il
y a quelque chose des relents des Pays d'en-haut dans cette
conclusion. Non, nous ne sommes pas un peuple fier. Mais orgueilleux,
si. Et avoir des visions mégalomanes comme les clercs catholiques,
les Jean Drapeau ou autres maires délirants du Québec, ce n'est pas
voir grand. Ce sont des attitudes de colonisés que nous demeurons
qui s'expriment par des politiciens de petites politiques aux
goûts démesurément baroques... ou kitsch, au choix. Je ne vois pas comment nous serions à la fois un peuple fort (Nadeau-
Dubois) et fragile (Bock-Côté), autrement qu'en revenant à la maxime de saint Augustin propre au masochisme chrétien : c'est quand je suis le plus faible que je suis le plus fort? La réalité est plus triviale. Nous sommes seulement un peuple d'une «flexibilité» inouïe. Rangeons
dans le placard des images, LG 2 et autres patentes à gosses dont on
se targue de fierté au Téléjournal de 18 heures. Vaincus en
1837-1838, nous avons plié en 1840 avec le généreux concours du
clergé canadien-français. Nous avons plié en 1867 lorsque Cartier refusa
de soumettre le projet constitutionnel à la consultation populaire
et que nous nous sommes inclinés parce qu'il était un des nôtres
et qu'on pouvait lui faire confiance. Nous avons participé à la
chasse contre Riel et n'avons pris sa défense que lorsque les
Orangistes exigèrent sa tête sur le billot en 1885. Nous avons plié
en 1917 comme plus tard en 1942. Nous avons plié lorsque le Canada
et l'Angleterre décidèrent du tracé des frontières du Labrador, etc. etc.
Pour un peuple fier, ça fait pas mal de plis à repasser, non? Nous avons arrêté de vivre, oui, mais en 1838. On a donné des signes de
vie en 1960 et en 1976, mais en 1980, le
corps s'est refroidi à
nouveau. Voilà pourquoi il ne reste, dans les souvenirs de M.
Nadeau-Dubois, que le rappel des défricheurs, colons de la
Nouvelle-France, qui, en effet, pouvaient défier le clergé et
désobéir aux gouverneurs, faire la guerre à la manière indienne
et préférer l'argent issu des fourrures à défricher un sol ingrat. Mais il n'est pas sûr que ce soit là le sens qui est venu à l'esprit de Nadeau-Dubois en rappelant les défricheurs... Lui aussi s'est laissé rattraper par le mythistoire. La débrouillardise des Canadiens, même
encore à la veille de la Conquête, est étonnante. Les Canadiens
Français de la Nouvelle-France étaient des transgresseurs-nés. Et
que dire du premier demi-siècle de la domination anglaise? De 1760 à
1837, les querelles incessantes contre la Clique du Château qui
sabotait l'Assemblée législative; l'opposition virulente entre les
commissions scolaires de Syndics et les commissions scolaires de
Fabriques; la dénonciation des privilèges seigneuriaux et le rejet
du gouvernement colonial qui dominait la politique. Alors, le côté
défricheur, laissons ça à Séraphin et aux Pays d'en-haut, qui
célèbrent le temps où les Canadiens Français étaient colonisés
jusqu'au fond du fin fond du trou... Nous n'avons pas besoin de
jeunes défricheurs, nous avons besoins de jeunes soldats pour accomplir la transgression indispensable à l'accouchement d'un peuple maintenu
dans son état d'avorton.


Dans le familienroman national qui est le nôtre, il est possible de dire qu'une grande majorité de Québécois sont fiers de leur collectivité. En autant qu'on limite cette fierté à l'affirmation de la survivance. Mais même une grande majorité ne fait pas un tout. Et sûrement pas un peuple. Les Québécois vivent de plus en plus en tant qu'individus atomisés, isolés comme le veut le multiculturalisme libéral qui se confond avec l'historicité canadienne-anglaise, plutôt qu'en peuple organique, dont l'homogénéité l'emporterait sur l'hétérogénéité? On avance l'argument de la fierté d'avoir conservé la langue française perdue dans un immense bassin anglo-

Reconnaissons
que nous devons à l'entêtement du petit
peuple à ne pas vouloir parler anglais que
la survivance
s'est accomplie. La bourgeoisie francophone, au contraire, se
targuait de parler anglais. Des
marchands dans des villages
strictement habités de francophones se plaisaient à poser des
enseignes unilingues anglaises, par
vantardise. Pour eux, la fierté était un mélange
d'orgueil et d'impudence. Pour se dire du côté des
civilisés. Combien de discours politiques et même cléricaux se
forcèrent de convaincre les Canadiens Français
de parler anglais. Même Henri Bourassa, qui avait répondu fièrement
à Mgr Bourne lors d'un jubilé au parc Sohmer que la langue c'était
la religion, s'est ravisé à propos de La Sentinelle, journal
franco-américain qui revendiquait le droit
des francophones à leur langue d'enseignement dans
les villes usinières de la Nouvelle-Angleterre. Le clergé
catholique n'a pas protégé notre langue pour la beauté du
français, il l'a fait pour créer une barrière supplémentaire qui
lui permettait de dominer les fidèles contre la menace protestante.
Si ça se trouve, avec son Index chargé de titres français, il a
plutôt contribué à rapetisser notre langue, comme le démontrait
Victor Lévy Beaulieu. Voilà pourquoi la haute bourgeoisie québécoise,
canadienne-française, envoyait ses enfants étudier en Angleterre ou
aux États-Unis. Comme le disait le Solliciteur
Rivard, il ne fallait pas nous détourner de notre vocation
à l'ignorance.

Il faut être né
dans le petit peuple pour comprendre toute la honte de notre
situation coloniale. Le joual (qui n'est pas un dialecte,
rappelons-le, mais un slang) a servi de clef qui nous a rendu
muet jusque dans les années 60. Et une fois notre
langue libérée, les élites québécoises se sont mises
à plastronner que nous devions apprendre l'anglais à l'égal du
français pour foncer dans les marchés financiers et les jobs
payantes. Jumelée à un impérialisme culturel américain, cette idéologie néo-coloniale réussit
en tous points quand on regarde la facilité d'écrire et de parler
anglais de nos collégiens actuels par
rapport à leur mauvaise maîtrise du français. Je me demande où
s'est perdue cette fierté patrimoniale de survivre à
l'anglais?
Oui, il y a une fierté d'être québécois, mais c'est cette fierté paradoxalement dont Pierre Bourgault, dans ses meilleures années, disait que nous étions tolérants jusqu'à la bêtise. Ce que j'appelais plier, plus haut, c'est là notre fierté, au point que cette flexibilité apparaît comme un des traits identitaires des Québécois. Nous avons supporté des humiliations, des répressions disproportionnées, des abaissements moraux et volontaires, des soumissions et des corruptions comme dans une vulgaire république de bananes et nos

LA
FAILLITE DE LA RÉVOLUTION CULTURELLE QUÉBÉCOISE


nique réside dans cette différence. Les Écossais sont fiers parce qu'ils ont été un pays indépendant et que le roi d'Écosse, Jacques VI, est devenu roi d'Angleterre (Jacques Ier) à la succession de la reine Elizabeth. Lorsque la Révolution anglaise est venue, le dictateur Cromwell a envahi l'Écosse, puis plus tard, ce fut l'unification forcée de 1707. Et face à la perte de leur autodé-
![]() |
La Dorchester, première locomotive canadienne, 1836. |
termination, les Écossais ont répliqué par la plus grande
Révolution culturelle de l'histoire occidentale depuis la
Renaissance italienne. Ayant perdu son
indépendance politique, asservi par les Anglais, le
peuple écossais issu de cette terre ingrate s'est mis à produire des
philosophes de portée internationale (Hume, Mills père et fils,
Ferguson); l'économiste du libéralisme,
Adam Smith; des historiens (Ro
bertson, Watson) plus le créateur du
roman historique, Walter Scott. Plusimportant encore, nous devons
aux inventeurs écossais la Révolution industrielle avec ses
ingénieurs : James Watt (la machine à vapeur), Robert Stevenson (la locomotive à vapeur),
John McAdam (inventeur de l'asphalte pour les routes) et la liste est
loin d'être épuisée. Enfin,
n'oublions pas qu'ils profitèrent de la conquête
du Canada en s'insérant dans la Compagnie du Nord-Ouest afin
d'exploiter l'ouest canadien en concurrence avec la vieille Hudson
Bay Company. Les McGill, McTavish, McBeath, entre autres, ont financé
les entreprises de Mackenzie dans l'Ouest canadien et fait de
Montréal ce que les Français n'avaient pu réussir à faire : un
centre d'activités économiques diversifiées. Dans
l'autre camp, celui de la Hudson Bay, un autre écossais, le
philanthrope Lord Selkirk, alla établir la première colonie de la
Rivière Rouge au Manitoba. Il est étonnant qu'un peuple si
frustre et vivant dans des conditions rustiques aient
répondu par la civilisation à la faillite de leur
auto-détermination politique. La
compensation a apporté ici la fierté.


Car se montrer fier d'avoir survécu ou d'avoir conservé un caractère ou deux typiques d'une nationalité n'est au fond pas plus glorieux qu'il l'est pour n'importe quel individu ou n'importe quelle collectivité. La base de toute enfance n'est-elle pas de survivre aux premiers dangers qui menacent? Se glorifier d'avoir survécu ou d'avoir conservé sa langue n'est pas très méritoire. C'est le lot de tous les peuples depuis leurs origines. Aussi, la question à savoir de quoi les Québécois ont raison d'être fiers, ils




Et René Lévesque dans
tout cela? Ce n'était pas l'homme de la situation. Traumatisé
par la vue des cadavres jonchés dans les camps d'extermination
nazis, il est revenu portant en lui l'angoisse des guerres nationales.
Excellent dans le Parti Libéral avec ses co-équipiers, il a su
moderniser un État que Duplessis avait laissé dépérir. Mais
c'était un État libéral, dont les héritiers furent Bourassa et
Castonguay. L'élection de 1976, qui le porta, lui
et son Parti Québécois à la tête de l'État provincial, a
été le second souffle de la Révolution tranquille, mais un souffle
libéral sous couvert d'un parti indépendantiste. Lorsque s'est posée
la question référendaire, Lévesque a reculé. Pire, il a multiplié
les étapes de 2, voire de 3 référendums pour être certains si...
Il prenait à témoin
que la souveraineté se ferait accompagnée
d'une garantie d'entente économique avec le Canada, comme si le Québec, à lui
tout seul, pouvait dicter le gouverne-
ment canadien? On a jamais vu de pareilles aberrations stratégiques. Le moindre Machiavel de 1er cycle en science po. vous dirait qu'on agit avant de négocier. C'est une erreur impardonnable de croire qu'on puisse négocier en agissant. Surtout lorsque cela concerne la concrétisation d'un peuple et de son identité nationale. La hantise à l'origine de cette aberration? La guerre civile. La peur que les Chouayens, ces partisans pro-coloniaux de 1837-1838, aidés de Trudeau, déclenchent des troubles internes. Poussent au terrorisme, comme en 1970. Si la soirée du 20 mai 1980 a commencé dans la fierté, elle s'est terminée dans la désolation et la tristesse. En 1995, on se fit guère d'illusions, la question étant si diluée qu'on avait peine à savoir ce qu'elle offrait, et la suite a confirmé nos pires appréhensions. Il a suffit d'un petit effort de dernières minutes, en tordant la loi électorale de la province, pour rassembler un love-in de Canadiens venus de partout (aux frais du gouvernement fédéral) bambocher une nuit à Montréal pour que le pourcentage de Non dépasse de peu celui du Oui. Les scrupules ont mis le couvert sur un plat pas assez cuit.
Bien sûr, pour un Lévesque, combien de Camille Laurin, de Jacques Parizeau, de Robert Burns et de Denis Lazure, autant d'authentiques et audacieux indépendantistes qui, le parti consolidé autour de leur
gouverne, aurait pu
accomplir la transgression. C'est Laurin qui, le premier, a
fait du français la langue officielle du Québec et averti les anglophones qu'ils auraient à apprendre à vivre en tant que minorité au Québec; c'est Parizeau qui
a doté les affairistes québécois des
institutions économiques dignes d'un État indépendant dans
le contexte du capitalisme mondial. Malheureusement, les hommes
d'affaires québécois ne croient qu'en la supériorité torontoise
et les seuls businessmen qui sont pour l'indépendance sont des
dogues qui sacrifieraient la population toute entière pour
satisfaire à leurs goûts
despotiques. Ce furent
de remarquables fossoyeurs de l'idée d'indépendance du
Québec, et si l'on répète démagogiquement l'allusion de Parizeau au vote ethnique dans la balance du Non, le soir du 30 octobre 1995, après la défaite, il ne faudrait surtout pas oublié son attaque de l'argent. La petite loterie, c'est surtout la banalité de la petite corruption...


ment canadien? On a jamais vu de pareilles aberrations stratégiques. Le moindre Machiavel de 1er cycle en science po. vous dirait qu'on agit avant de négocier. C'est une erreur impardonnable de croire qu'on puisse négocier en agissant. Surtout lorsque cela concerne la concrétisation d'un peuple et de son identité nationale. La hantise à l'origine de cette aberration? La guerre civile. La peur que les Chouayens, ces partisans pro-coloniaux de 1837-1838, aidés de Trudeau, déclenchent des troubles internes. Poussent au terrorisme, comme en 1970. Si la soirée du 20 mai 1980 a commencé dans la fierté, elle s'est terminée dans la désolation et la tristesse. En 1995, on se fit guère d'illusions, la question étant si diluée qu'on avait peine à savoir ce qu'elle offrait, et la suite a confirmé nos pires appréhensions. Il a suffit d'un petit effort de dernières minutes, en tordant la loi électorale de la province, pour rassembler un love-in de Canadiens venus de partout (aux frais du gouvernement fédéral) bambocher une nuit à Montréal pour que le pourcentage de Non dépasse de peu celui du Oui. Les scrupules ont mis le couvert sur un plat pas assez cuit.
Bien sûr, pour un Lévesque, combien de Camille Laurin, de Jacques Parizeau, de Robert Burns et de Denis Lazure, autant d'authentiques et audacieux indépendantistes qui, le parti consolidé autour de leur

Oui, les années 60-70 furent merveilleuses. La Révolution tranquille avait soulevé un poids de nos épaules. Il était bon d'être

Aujourd'hui, après tant
d'années d'études et d'observations, je remarque que deux indices,
forts à l'époque, pouvaient laisser sous-entendre que la confiance
n'était pas toute là au rendez-vous de 1980.
Dans De
la démoralisation tranquille, j'avais
touché quelques mots de ces indices. D'abord, le
théâtre et le cinéma québécois n'ont
jamais produits autant de films sinistres, négatifs, inquiétants
que durant les décennies 1960-1970. Le théâtre est un genre
littéraire qui apparaît dans certains moments spécifiques de
l'histoire, les moments d'anomie, comme lors de la démocratisation
d'Athènes ou l'âge baroque. Un moment d'anomie sociale veut dire
qu'un ordre du monde change, ordre que nous connaissons bien et qui
s'en va, alors que l'ordre qui s'en vient pour le remplacer nous
échappe encore totalement et peut être causes d'angoisses
collectives. Or, les drames de Dubé, Tremblay, Barbeau et d'autres
aujourd'hui oubliés et qui furent publiés chez Léméac,
s'achevaient avec des conclusions tragiques. Il en allait de même
des films de fiction : les films de Jean-Claude Lord, de Denis Héroux
(sur les
Patriotes de 37-38), certains films de Jean-Pierre Lefebvre,
de Claude Jutra et surtout de Denys Arcand. Il faut voir les films
sombres et pathétiques de Pierre Patry (inspirés des romans de
Claude Jasmin) qui culminent avec Caïn,
le film mettant en vedette Réal Giguère, pour constater jusqu'à
quel point la décennie ne s'exprimait pas seulement avec des fleurs
de lys dessinées sur les joues et des fleurdelysés flottant au vent.
Le second indice se trouve dans la mutation subite de l'historiographie. Une guerre ouverte s'était déclarée contre l'enseignement traditionnel du chanoine Groulx. Jacques Hébert et les colombes d'Ottawa se déchaînaient contre lui. Le Docteur Ferron participa à ce lynchage. Et avec Groulx, c'était tout le Régime français qu'on faisait disparaître pour privilégier la période 1760-1840. Non seulement la recherche se centra-t-elle sur cette période avec Lacoursière et le nouveau département d'histoire de l'UQAM, mais cela déboucha sur une vision que seule la bourgeoisie pouvait faire du Québec un pays. On parlait du Parti Patriote, oui. Mais qui constituait ce parti qui n'en était pas un? Des avocats, des notaires, des médecins, des journalistes, des propriétaires d'entreprises (souvent anglophones), des cultivateurs riches. Papineau, comme Lévesque plus tard, s'est vu dépassé sur sa gauche par des gens
comme le docteur Cyrille Côté ou Amury Girod. Une
fois les assemblées populaires enflammées, plus rien ne pouvait les
arrêter. À Saint-Charles, Thomas Storrow Brown, un journaliste du
Vindicator d'origine américaine, devenu «général» pour
l'occasion, s'empressa de fuir pour franchir les lignes et laisser la
chair à canon se faire mitrailler par l'armée
anglaise. Dans un cab pas très loin, Papineau prenait la même
direction et tout aussi vite. Inconsciemment,
tout cela disait deux choses. D'abord, avec Fernand
Ouellet, que la situation des Québécois après la Conquête n'était
pas si désolante qu'elle exigeait l'indépendance pour s'affirmer;
position toujours défendue par les Sylvain Létourneau de ce monde.
Et que la bourgeoisie n'avait pas les couilles pour faire ce boulot.
Qu'elle n'avait aucun programme, aucune stratégie, aucune utopie
sociale qui dépassait les limites de ses intérêts de classe. En fait, on était loin des idéaux lumineux qui habiteront le Printemps des Peuples de 1848. Aussi, tout
ce qui reste de cette aventure pénible, c'est le Parti Libéral du
Québec.


Le second indice se trouve dans la mutation subite de l'historiographie. Une guerre ouverte s'était déclarée contre l'enseignement traditionnel du chanoine Groulx. Jacques Hébert et les colombes d'Ottawa se déchaînaient contre lui. Le Docteur Ferron participa à ce lynchage. Et avec Groulx, c'était tout le Régime français qu'on faisait disparaître pour privilégier la période 1760-1840. Non seulement la recherche se centra-t-elle sur cette période avec Lacoursière et le nouveau département d'histoire de l'UQAM, mais cela déboucha sur une vision que seule la bourgeoisie pouvait faire du Québec un pays. On parlait du Parti Patriote, oui. Mais qui constituait ce parti qui n'en était pas un? Des avocats, des notaires, des médecins, des journalistes, des propriétaires d'entreprises (souvent anglophones), des cultivateurs riches. Papineau, comme Lévesque plus tard, s'est vu dépassé sur sa gauche par des gens

La fierté n'est
pas un préalable indispensable à un geste historique et l'Indépendance est ce geste
héroïque qui donnerait fierté au Québécois, même à ceux qui la
craindrait le plus. Tant que ce geste n'a pas été posé, nous la
chercherons partout. Groulx avait érigé Dollard des Ormeaux comme
symbole de fierté. Il eut été
difficile pour lui de prendre
Radisson, mercenaire qui se vendait aux plus offrants. Dollard
réactivait le mythe christique de sa théologie de l'histoire du
Canada. Puis, les profession-
nels des années 70 ont préféré les Patriotes, leurs ancêtres de classe, malgré la pitoyable défaite de 1838. La défaite référendaire de 1980 a été le Saint-Eustache de cette génération. Après, on en a trouvé pour tous les groupes ou sous-groupes québécois : Marie Gérin-Lajoie pour les féministes; Madeleine Parent et Michel Chartrand pour les syndiqués; Hans Selye pour les universitaires; Borduas et le Refus Global, pour les artistes; Louis Cyr et Maurice Richard pour les sportifs, et même Marie-Josephe-Angélique, l'esclave noire qui incendia Montréal pour les Afro-québécois... Chacun a ses petites fiertés paroissiales, mais aucun ne polarise le sens de l'unité indispensable à la constitution de toute identité collective.

nels des années 70 ont préféré les Patriotes, leurs ancêtres de classe, malgré la pitoyable défaite de 1838. La défaite référendaire de 1980 a été le Saint-Eustache de cette génération. Après, on en a trouvé pour tous les groupes ou sous-groupes québécois : Marie Gérin-Lajoie pour les féministes; Madeleine Parent et Michel Chartrand pour les syndiqués; Hans Selye pour les universitaires; Borduas et le Refus Global, pour les artistes; Louis Cyr et Maurice Richard pour les sportifs, et même Marie-Josephe-Angélique, l'esclave noire qui incendia Montréal pour les Afro-québécois... Chacun a ses petites fiertés paroissiales, mais aucun ne polarise le sens de l'unité indispensable à la constitution de toute identité collective.
Résumons-nous
pour qu'on en finisse avec ces valeurs québécoises inavouables.
Elles sont surgies, progressivement, tout au long de notre exposé.
Rien ne m'incite à modifier l'essentiel de mon essai d'il y a 20
ans. Le Familienroman
national
québécois se construit toujours autour de la persistance de
l'identité collective québécoise à la figure de l'Enfant trouvé
accompagné du refus instinctif de la figure du Bâtard, qui est
pourtant le propre des sociétés métissées ethniquement et
culturellement; ces sociétés issues des vieilles nations
européennes sur les terres nouvelles d'Amérique, d'Australie et de
Nouvelle-Zélande. Dans ce choix psychologique, ce pari sur la
schizophrénie canadienne, le Canadien Français, le Québécois
s'est engourdi dans la passivité historique, avortant la plénitude même de sa personnalité collective. Le triomphe du
mythistoire sur le regard critique de la pensée historienne, tel
qu'il s'exprime encore chez un Bock-Côté et même chez un Nadeau-Dubois, confirme que plus le
temps de la première prise de conscience de cet avortement
historique, qui a eu lieu dans le courant des années soixante du XXe
siècle, s'éloigne, plus la réalisation d'une conscience historique
affranchie du poids des aliénations externes s'avère difficile à
traduire en actions puis en institutions et en cultures concrètes.
![]() |
Napoléon Bourassa. L'Apothéose de Christophe Colomb, (non finito) 1905-1912. |
Nous
avons relevé d'abord le manque
de résistance collective ouverte,
c'est-à-dire
le peu de mobilisation populaire démocratique en relation avec les
institutions établies. Ce refus de toutes formes de désobéissance
n'annule en rien la valeur des mouvements de résistance passés accomplis
par des groupes toutefois très limités, les Patriotes de 1837-1838 étant le
mouvement le plus vaste et le plus étendu en termes de participants
et de couverture géographique. Mais l'improvisation de ces
rébellions, la précipitation de quelques leaders radicaux peu
vaillants, la collaboration des partisans canadiens du gouvernement à la lutte
contre le mouvement ont contribué à étouffer pour toujours
l'action violente de masse dans l'histoire du Québec. Des émeutes
comme l'affaire Gavazzi ou l'incendie du Parlement à Montréal en
1848 furent le fait de catholiques irlandais et d'orangistes anglais.
Les quatre morts de Québec le lundi de Pâques 1918 furent des
victimes innocentes du tir de l'armée canadienne-anglaise appelée sur les lieux pour réprimer l'émeute. La grève de l'amiante, la grève de Louiseville dans le textile, celle de Radio-Canada ont mobilisé essentiellement les travailleurs concernés et ont été réprimées dans la violence propre à l'ensemble de
l'Amérique du Nord dans les conflits de travail. Les
prises d'otages et la mort du ministre Laporte sont des événements
qui ont dépassé les intentions des principaux acteurs. Ces échauffourées auraient dû ou pu entraîner des
actions plus importantes et plus décisives sur la suite de
l'Histoire du Québec, mais l'inhibition de la violence
s'est transformée en véritable déni de son rôle dans l'Histoire, bloquant toutes formes d'affirmation souveraine des Québécois.
Le second trait identitaire québécois
est l'hyper-conscience de sa fragilité.
Le rapport entre la densité démographique et le vaste étendu du
territoire québécois entraîne une perception distordue du rapport de
force du groupe avec ses capacités organisationnelles. Il est vrai
que la faible population du Québec répartie sur un aussi grand
territoire rend difficile l'organisation d'une action commune de
toutes les régions du Québec afin de faire un mouvement unifié et
solidaire. L'idée que les Québécois se font de leur territoire est
celui qu'on appelait jadis les
frontières naturelles. La
fameuse main ouverte avec le pouce écarté autour du golfe Saint-Laurent saute
automatiquement aux yeux de tous ceux qui rêvent d'un Québec
indépendant. Ce territoire serait tenu pour indivisible, même si une
majorité des populations locales se désolidarisaient du mouvement populaire. Mais la population demeure concentrée dans la
vallée du Saint-Laurent, et plus près de son embouchure que de son
estuaire. Avec la dépopulation des régions et la concentration dans
les centres urbains, les Québécois se retrouvent dans une situation
encore pire qu'en 1837, lorsque les Rébellions se produisirent dans
le Bas-Richelieu, les Basses Laurentides puis dans le comté de
Beauharnois, Montréal étant resté sous la coupe de l'armée
britannique. Les villes étant généralement attachées à la
tranquillité bourgeoise, les manifestations de 2012 ont montré
toutefois que la ville pouvait être un lieu de rassemblements
politiques efficaces. Mais dans ce cas, il faut que le mouvement soit un véritable mouvement de masse, ce qu'il n'a pas été véritablement. L'absence d'un véritable mouvement de masse
dans l'Histoire du Québec rend plus difficile à imaginer reproduire
une action révolutionnaire libératrice. L'hyper-conscience contribue à l'inhibition de
l'action collective.
Le
troisième trait de l'identité québécoise réside dans
l'incapacité de la transmission
transgénérationnelle. Les
ruptures du temps historique entre le passé, le présent et l'avenir
empêchent une véritable transmission de l'héritage patrimonial. Le
saccage des lieux historiques, des sites marqués par des événements
marquants, l'héritage culturel propre au passé québécois, son
mépris même pour des produits d'importation étrangère, appartiennent encore à l'ancienne théologie de l'Histoire du Canada entre l'Incarnation, la
Passion et la Résurrection. La durée est troquée pour
l'instantanéité. Celle-ci est ensuite vendue et achetée comme
symbole de la survivance québécoise. Le refus de savoir préférant la
complaisance dans le mythistoire désarme toutes formes d'action pour
une passivité attentiste selon le principe providentiel : la prévoyance qu'à
une implantation française en Amérique du Nord, par la persistance
des traits ethno-linguistiques québécois, l'Indépendance est sa concrétisation
inévitable. Celle-ci n'est pas le résultat d'une analyse
critique mais bien d'une conception théologique clause. Il
suffit de survivre jusqu'à l'avènement du Pays. En partant, les
nécessités économiques et politiques occupent toute l'activité
des gouvernements y justifiant, à l'occasion, la prédisposition des conditions gagnantes de l'avènement.
On
ne peut passer sous silence la forme la plus perverse de ces traits,
c'est-à-dire le désir masochiste de la
soumission, celle-ci
vue non pas tant comme plaisir de la souffrance, comme à l'époque
où dominait un certain masochisme chrétien, mais un orgueil de
celui qui est convaincu que de sa faiblesse, il puisera sa force
pour, non pas résister mais plutôt survivre, en-dessous ou
au-dessus de ses affaires. Cette perversion est liée à l'image de
l'avorton qui refuse de mûrir (ou ne peut mûrir) et s'accroche à
des institutions sur lesquelles sont projetées des figures
parentales, bonnes ou mauvaises. Ainsi l'État canadien, démonisé
par les indépendantistes; le Parti Libéral, à Ottawa comme à
Québec, font figures de mauvais Père. Seule la terre du Québec est
la nôtre et notre nourricière, tandis que les autres territoires
sont perçus comme des terres négatives (ingrates, pauvres,
polluées, aux climats malsains, etc.). Le désir de
soumission est plus fort que celui d'émancipation, et il se constate
dans la façon dont les partis indépendantistes cultivent des
figures de bon Père à travers des Sauveurs à poigne... Non contre
les ennemis de la «tribu», mais contre le bon «peuple québécois» lui-même :
Duplessis, Lévesque, Parizeau, mais aussi Lucien Bouchard et
Pierre-Karl Péladeau constituent cette lignée de Pères
fouettards transmués en héros de la liberté québécoise. Ce n'est, nous dit le
mythistoire,
que dans la souffrance que le peuple québécois prend conscience de son unité et cette souffrance est
bonne pour affermir son instinct de survie. Né pour un petit pain
est la formule qui exprimait assez bien cette résignation (et non
cette résilience) des Québécois à une conscience malheureuse
jouissive.
Les
vingt dernières années ont vu l'affluence d'identités partielles
et de lobbies paroissiaux revendiquer des exigences indispensables à
leur adaptation sociale. Il n'y a plus d'identité durable, mais des
identités relativistes qui
parcellarisent tout sens de l'unité. Le multiculturalisme canadien, qui
applique la morale sadienne de l'individu atomisé, isolé, avec son
identité culturelle à la carte, rend difficile toute concrétisation d'une population en peuple, l'identité nationale étant
réduite à une dimension paroissiale parmi d'autres. La société de
consommation contribue à cet état psychologique de comportements
grégaires en fonction des désirs de chaque groupe satisfaits par le
marché et non plus par l'État. Sauf que le marché néo-libéral est l'antithèse même de l'État providence.
Arrive
l'impossible transgression qui
veut que l'Indépendance du Québec crée la séparation du Canada en
deux zones divisées territorialement, et donc sa possible
désagrégation sur le vaste territoire nord-américain. Ces meurtres
de la Mère-Terre (canadienne) et du Père-État (fédéral)
trouveraient leur écho dans la guerre civile et le déchirement même
de la population québécoise. Des comtés – d'éventuels duchés
de la Gatineau –
réclameraient leur rattachement au Canada en suivant les mêmes principes que l'accession du Québec à l'indépendance. La partition du
territoire québécois serait l'autre contre-coup de la partition du
territoire canadien. Cette inquiétante étrangeté surgit non de la prévoyance
mais de sourdes angoisses sans fondements. On craint la vengeance du groupe
démographiquement supérieur; de l'intrusion de
puissances étrangères; de complots, de terreurs dont les souvenirs de
l'insurrection d'Octobre 1970 reste le maladroit modèle historique. Là
encore, le refus de l'acte violent porté contre l'autre dévie contre soi-même. La provincialisation du Québec demeure le prix que les
fédéralistes font payer pour conserver une nation canadienne unie, fantaisiste, issue
des partis contractuels de 1867.
Un autre trait qui définit l'identité
québécoise est la flexibilité du
caractère national. Une flexibilité qui, selon le mot de Duplessis,
ressemble assez à la Cour Suprême qu'il comparait à la tour de
Pise qui penche toujours du même bord. Pour éviter violences,
confrontations, transgressions, les élites québécoises, les
classes dominantes conseillent ou imposent à la population
québécoise de plier et d'accepter les injustices et les portions
que lui sert l'unité canadienne. Contre la force de caractère
qu'impose une situation d'affirmation nationale, la flexibilité
devient ici un vice qui n'est pas indépendant du masochisme
collectif.
Enfin,
la fierté se limite à l'état de survivance
comme
s'il s'agissait d'un phénomène
disproportionné dans le cas québécois, digne d'un héroïsme
épique particulier. En quoi les Québécois ont-ils plus à faire pour survivre
que les populations africaines, asiatiques ou sud-américaines? Cette
comparaison – qui n'est pas raison -, ramène toutefois le sens des
réalités que ce combat épique de la survivance dépense toute
l'énergie collective pour produire des œuvres culturelles plutôt
d'usage domestique que de parvenir à contribuer pleinement à la
civilisation. Les quelques œuvres qui parviennent à dépasser les
limites de la frontière québécoise sont encore trop souvent reçues
comme folkloriques ou exotiques à une époque où l'ensemble des
populations cherchent à se divertir à partir d'effets techniques
qui comblent un vide spirituel et moral. Trop occupé à survivre on
en vient à oublier de vivre et ce constat qui était celui de la
jeunesse des années 60 s'est perdu pour un retour à la
productivité, à la compétitivité et à l'appât du gain qui ne
cessent d'appauvrir individus comme société.
Tous
ces éléments qui constituent «les valeurs québécoises» ou du
moins ses valeurs négatives, ont empêché depuis le XIXe siècle la
population d'accoucher d'un peuple québécois; à lui
donner un sens
de l'unité qu'une
révolution culturelle aurait au moins pallié à la difficile
indépendance politique. Plutôt qu'un ressac, comme dans le cas
écossais que nous mentionnions, les Québécois se sont rabattus sur
leur culture qu'ils n'ont pas hésité très souvent à brader, à mutiler, à prostituer pour une poignée de sous noirs ou faire la réputation d'un
arriviste. Plutôt que de grandes inventions, on a bricolé des
patentes à gosses; plutôt qu'écrire un roman authentique on s'est
contenté d'imiter Stephen King; plutôt que d'innover dans
l'architecture, on a construit des édifices de bétons laids dont les
règles de construction n'ont pas toujours été suivies à la
lettre. Le rapetissement culturel conduit directement à
l'incompétence et l'incompétence est le fruit du travail des
avortons⌛
Montréal,
17
août 2016
Notes
1 Le
déficit de l'État québécois fut remboursé par l'ajustement des
ristournes du gouvernement fédéral dirigé alors par Paul Martin.
Dans un cas comme dans l'autre, les deux gouvernements avaient
équilibré leur budget respectif en plongeant allègrement les mains dans les
revenus des moins nantis de la société. De quoi être fier d'être
Canadien et Québécois...
3 A.
de Libera. Penser au Moyen Âge, Paris,
Seuil, Col. Points, # 329, 1991, p. 143.
5 s.a.
La Providence et les animaux, La
Prairie, Procure F.I.C., Col. Connaissances usuelles, #
505, 1956, pp. 30-31.
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