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Clocher de la Cathédrale Saint-Jacques, Université du Québec à Montréal |
TITTYTAINMENT AU BORDEL MÉTAPHYSIQUE
What’s up doc? demandait régulièrement Bugs

L’annonce et la préparation de ce sommet ont déclenché une véritable guerre civile à l’intérieur même des universités. Le gel des frais de scolarité comme la diminution des subventions annoncée par le gouvernement Marois ont dressé les rapaces les uns contre les autres. Les recteurs d’un côté suivis de leur cortège d’administrateurs douteux; les enseignants et les chercheurs de l’autre qui, au nom de l’indispensable apport de la science à la société et aux entreprises, réclament toujours des salaires capables de compétitionner avec ceux (déjà exorbitants) des médecins spécialistes. Tous ces gens se présentent - ont-ils lu Saint-Simon, pas le mémorialiste mais le philosophe libéral-socialiste? - comme étant les soutiens de la société (Ibsen). S’il n’y avait pas les grosses sommes d’argent et les privilèges sociaux qui accompagnent ces réclamations, la lutte paraîtrait futile.
Je dois à mon ami, Bruno Lalonde, d’avoir exhumé de l’oubli ce thème du tittytainment lancé par l’ancien conseiller du Président Carter, Zbigniew Brzezinski, membre de la Trilatérale et autres

Cette prémonition était avant tout une aspiration et un

Hans-Peter Martin et Harald Schumann, dans leur livre Le piège de la mondialisation (Solin Actes Sud, page 12) exposent ainsi la projection futurisante des néo-libéraux rassemblés au sommet Gorbatchev:
«L’avenir, les pragmatiques du Fairmont le résument en une fraction et un concept : «Deux dixièmes» et «tittytainment».
Dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale. “On n’aura pas besoin de plus de main d’œuvre”, estime le magnat Washington Sycip. Un cinquième des demandeurs d’emploi suffira à produire toutes les marchandises et à fournir les prestations de services de haute valeur que peut s’offrir la société mondiale. Ces deux dixièmes de la population participeront ainsi activement à la vie, aux revenus et à la consommation – dans quelque pays que ce soit. Il est possible que ce chiffre s’élève encore d’un ou deux pour cent, admettent les débatteurs, par exemple en y ajoutant les héritiers fortunés.
Mais pour le reste? Peut-on envisager que 80% des personnes souhaitant travailler se retrouvent sans emploi? “Il est sûr, dit l’auteur américain Jeremy Rifkin, qui a écrit le livre La Fin du travail, que les 80% restants vont avoir des problèmes considérables”. Le manager de Sun, John Gage, reprend la parole et cite le directeur de son entreprise, Scott McNealy : à l’avenir, dit-il, la question sera “to have lunch or be lunch” : avoir à manger ou être dévoré.
Cet aréopage de haut niveau qui était censé travailler sur «l’avenir du travail» se consacre ensuite exclusivement à ceux qui n’en auront plus. Les participants en sont convaincus : parmi ces innombrables nouveaux chômeurs répartis dans le monde entier, on trouvera des dizaines demillions de personnes qui, jusqu’ici, avaient plus d’accoin-tances avec la vie quotidienne confortable des environs de la baie de San Francisco qu’avec la lutte quotidienne pour le survie à laquelle doivent se livrer les titulaires d’emplois précaires. C’est un nouvel ordre social que l’on dessine au Fairmont, un univers de pays riches sans classe moyenne digne de ce nom – et personne n’y apporte de démenti.
L’expression “tittytainment”, proposée par Zbigniew Brzezinski, fait en revanche carrière. Tittytainment, selon Brzezinski, est une combinaison des mots entertainment et tits, le terme d’argot américain pour désigner les seins. Brzezinski pense moins au sexe, en l’occurrence, qu’au lait qui coule de la poitrine d’une mère qui allaite. Un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète».
Moins qu’un programme machiavélique, la réflexion de Brzezinski renvoie à une observation qui confirme ma thèse de la régression sadique-orale de la civilisation occidentale depuis l’implantation de la société de consommation d’après-guerre. Le lait et les joujoux, les bergers et
les spectacles, le pain et le cirque version occidentale. Avec des
moyens inimaginables pour les empereurs romains mais qu’ils
n’auraient sûrement pas écartés s’ils les avaient connus, la rétroprojection
de la décadence romaine est visualisée devant nous. Il faut se dire
alors que le sommet de l’Éducation supérieure va se tenir sur fond de
sommet Gorbatchev, car les spécialistes de la «gérance» de l’État,
qu’ils soient libéraux ou péquistes, changent peu la donne, acceptent -
et ils sont forcés de le faire - cette inévitable issue du XXIe siècle.
Comment, alors, faire accepter aux étudiants
et à la jeunesse en générale, que seulement 20% d’entre eux gagneront
suffisamment leur vie pour rembourser leurs frais de scolarité et que
les 80% autres devront trimer dans une
compétition
effarante pour gagner leur vie ou s’écrouler dans une assistance
sociale avilissante? À la lumière de tout ceci, nous comprenons mieux la
lutte féroce qui s’est déclenchée dans le monde universitaire, au-delà
des revendications étudiantes. Entre la technocratie administrative et
la technocratie chercheuse/enseignante, une lutte se livre pour ramasser
les miettes que l’État va injecter dans la broyeuse universitaire. De
cette lutte, les objectifs kantiens de l’éducation pour tous (et je ne
parle pas de l’éducation «gratuite» pour tous), la haute valeur de la
culture et de la civilisation, la beauté du savoir et le progrès
technique ne sont que des leurres que l’on fait miroiter aux imbéciles.
Les 20% sont déjà bien identifiés par les résultats des revenus annuels
publiés par Statistiques Canada. Les 80% de la population qui
reste vacille entre les classes moyennes (petites bourgeoisies rentières
ou besogneuses) et une immense masse de sans emplois - assistés
sociaux, chômeurs, travailleurs itinérants ou contractuels - qui sera
formée par ces futurs diplômés universitaires.
Nous comprenons mieux - ce qu’un Léo Bureau-Blouin par exemple ne peut comprendre -, que les
positions du ministre Pierre Duchesne, nolens volens,
s’inscrivent dans cette projection. D’où son refus d’envisager
l’éducation supérieure gratuite ni le gel permanent des frais de
scolarité, réclamés respectivement par l’ASSE et la FEUQ. Plus réaliste
parce que sans doute mieux informée de la stratégie à long terme du
néo-libéralisme, la rectrice sortante de l’Université McGill, Heather
Munroe-Blum, a qualifié le sommet de «farce» aux débats «chorégraphiés à
la minute près». Certes, ce n’est pas le respect de la condition des
étudiants qui caractérise le mieux Mme Munroe-Blum, mais bien son
ralliement à un développement économique du 20:80. Voilà pourquoi le
ministre Duchesne a laissé tomber platement : «J’espère que la farce est
drôle». En fait, il semble que lui et son parti ne l’ait pas comprise
du tout.
Entre les leaders du sommet Gorbatchev et ceux de l’Éducation supérieure du Québec, il y a un gouffre qui sépare d’un côté, «savoir ce que l’on veut», et de l’autre «ne pas savoir ce qui nous attend». Le premier était décidément un choix de civilisation, celui jadis pris par l’Empire romain, le Tittytainment indispensable à maintenir la base d’ordre dans la société des 20:80. Le second ne sait pas encore ce qu’il va faire des 80% aux statuts
précaires, aussi préfère-t-il ne pas y penser. Encore une fois, les Québécois vont se laisser dicter
leur «choix» - même si les esprits chagrins s’empresseront vite de
rétorquer que ce choix n’existe véritablement pas - par les dirigeants
mondiaux. Ces Québécois! Non seulement n’ont-ils pas été foutus de faire
leur propre révolution française, libérale et démocratique; non
seulement ils n’ont pas été assez brillants pour s’approprier la
révolution industrielle capitaliste que les Anglais faisaient porter sur
leur dos; non seulement ont-ils opté pour un socialisme capitaliste ou
un capitalisme à visage humain comme le lançait, ingénument,
Bernard Landry, mais ils vont se laisser dicter leur attitude à tenir
dans l’agonie de notre civilisation. Tittytainment, le lait Natrel et
les shows de télé-réalité avec des idiotes aux gros seins. Déjà les
Paul Desmarais, les Pier-Karl Péladeau, les Guy Laliberté et les René
Angelil de ce monde sont suffisamment riches pour abreuver le 80%
restant de sottises encore pendant un bon quart de siècle. Le temps que
la réalité du 20:80 s’installe définitivement comme tissu social.
Ce monde de 20:80 est évidemment le monde de la technè, celui du développement technique comme
réalisation
magique de la religion théorique et scientifique. Ce monde, comme le
passé hellénique le démontre amplement, annonce une fragilisation
constante des qualités et des capacités humaines au détriment de
l’automatisme d’instruments non-organiques, les «robots».
Un Shakespeare de 2050, joué par une série de robots aux mouvements
quasi-humains, reprenant les fameuses répliques du dramaturge - le
fameux «être ou ne pas être» de Hamlet, dit par des robots, ce
n'est quand même pas rien -, attirera beaucoup plus de spectateurs
faciles à épater que la même représentation exécutée par les artistes,
survivants du 80% rendus inutiles par les acteurs dramatiques robotisés.
Nous filmons déjà Versailles à travers un écran vert, alors? Alors,
nous ne pouvons que nous émerveiller des possibilités contenues dans la
promesse des leaders mondiaux réunis à l’hôtel Fairmont.
À la technè resterait à opposer la classique vision de la païdeia, peu en valeur dans le cours du
marché
des idées actuel. Pourtant, lorsque Socrate et Platon l’ont exprimée,
la Grèce sortait, elle aussi, d’une violente guerre civile où Athènes
avait été vaincue par son adversaire, Sparte. C’est dès le début de
l’effondrement de la civilisation hellénique - qui sera relayée par la
dictature romaine -, que le choix s’est offert aux Grecs entre la technè et la païdeia. La défaite d'Athènes signifia aussi la défaite de la technè. Avec
les guerres constantes, c’est le marché des esclaves qui alors
réduisait l’activité des Grecs et des Romains aux 20:80. De plus, malgré
les allures démocratiques que se donnait l’oligarchie athénienne, c’est
dans le 20% que s’est fait le choix de civilisation pour la technè
et non dans le 80%, trop préoccupés par ses petites affaires et ses
divertissements honteux : les comédies d’Aristophane ou les vulgarités
de Plaute. Les combats de gladiateurs ou les attraits touristiques des Hyakinthos
où de jeunes adolescents spartiates donnaient des spectacles
d’endurance physique sous les coups de fouets donnés par des aînés,
alors qu’on imagine assez nos touristes romains, glace à la main,
s’exclamer des ooh! et des aah! à chaque lacération de la
peau sous le coup du fouet de leur «télé-réalité» morbide. C’est dans
cet esprit «décadent» que s'oppose Socrate aux sophistes, les rhéteurs,
les partisans de la technè de l’époque. Qui étaient-ils?
Au-delà des spécificités civilisationnelles et du cours du temps, un lien tissé serre les sophistes et l’argent. Jacqueline de Romilly souligne combien l’enseignement de la technè des sophistes, déjà, visait l’immédiateté et l’efficacité. Considérant la rhétorique comme l’art de convaincre en démocratie basé sur des «effets sémiologiques», les sophistes ne se donnaient pas pour but d’approfondir les sujets de débats mais d'ornementer seulement les formes. La profondeur d’une pensée est inaccessible au commun des mortels, aussi l’apparence fait tout aussi bien l’affaire. Le tout
consistant à faire payer la maîtrise de cet art de convaincre : «Les sophistes, écrit Jacqueline de Romilly, détenteurs d’une technè
immédiatement efficace et transmissible, marquaient par le fait même de
demander de l’argent, cette efficacité et cette valeur pratique de
leurs leçons. Le succès qu’ils promettaient pouvait normalement appeler
une rétribution, alors que la recherche de la vérité ne le pouvait pas»
(J. de Romilly. Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès,
Paris, Éd. du Fallois, rééd. Livre de poche, col. Biblio-essais, # 4109,
1988, p. 55). Les enseignants de l’université actuelle s'inscrivent
naturellement dans la lignée des sophistes, même s’ils s’en défendent
par tous les «arguments à effets» possibles, cumulant les références à
Heidegger, à Gadamer, à Marx ou à Wittgenstein. Ce sont des techniciens
de la langue, de l’interprétation, de la société et des mathématiques.
Et en tant que techniciens, en système capitaliste, ils ne peuvent être
que des péripatéticiens du savoir, logés dans un «bordel métaphysique»
où il faut payer pour entrer, payer pour s’asseoir dans une classe,
payer pour voir le streap-tease intellectuel du maître, payer pour faire des travaux pro forma, enfin payer pour le diplôme. L’Université comme bordel métaphysique est une institution apparentée au tittytainment, sans doute moins violent que les Hyakinthos de jadis, mais où la valeur de la marchandise dépasse celle du client.
Dans le contexte de la guerre civile que représente la guerre du Péloponnèse (431 - 404 av. J.-C.) - la guerre de Trente Ans des Grecs -, le fait qu’un brillant élève de la vedette de la sophistique, Protagoras, ait décidé de rompre ce lien entre l’argent
et la formation citoyenne, est une révolution en soi. Antonio Tovar distingue les trois traits typiques qui oppose la païedia socratique
à celle des sophistes. «En premier lieu, les sophistes étaient avides
d’argent et se faisaient payer leurs leçons. Leur art consistait à
réaliser des profits en vendant des discours sur la vertu. Dans les
milieux de l’éristique, c’était précisément le gain qui différenciait la
sophistique : elle en était la branche utilitaire. La sophistique était
une discussion et une dispute, une lutte et un combat menés avec une
idée de lucre. Socrate savait que le sophiste ne manquerait pas de
donner son enseignement si on lui offrait de l’argent; autrement il
garderait sa science pour lui seul. […] Et pas mal d’argent, puisque
Socrate trouvait les sophistes bien trop chers» (A. Tovar. Socrate Sa vie et son temps,
Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1954, pp. 240-241).
L’éristique, c’est l’art de la querelle. Les sophistes formaient des querelleurs,
ce qui décrit assez bien ce que sont nos parlementaires modernes. Avant
nos faiseurs d’images, la sophistique consistait à exposer les modèles
les plus beaux, les langages les plus séduisants et les arguments les
plus démagogiques afin d'obtenir le ralliement du plus grand
nombre. Les universitaires d’aujourd’hui, avec leur surcharge de néologismes techniques, inventent des novlangues
propres à leur monde totalement psychotique et paranoïaque, vivant à
l'ère de l’espionnage intellectuel ou industriel qui rend assez vite la
vie du chercheur ou de l’acteur social insupportable, tant il doit
surveiller son langage, ses relations, ses déclarations, ses documents
écrits, son portable… Le montant versé par l’étudiant à l’université
l’investit comme marchandise symbolique propre à opérer moins sur le
réel qu’à participer à cette «sphère» paranoïde de manière d'être
aliénante, appelé à s’intoxiquer de tittytainment, qu'il soit dans le 20 ou le 80% de la masse.
«Une deuxième différence, poursuit Tovar, résidait dans la passion toute professionnelle avec laquelle les sophistes tâchaient d’influencer les autres. Sûrs
d’eux-mêmes, ils s’appliquaient à chercher des jeunes gens dont ils pouvaient modeler l’âme. D’après Platon, Socrate
ressentait une horreur profonde devant cette chasse aux âmes : “l’âme,
ce qu’on ne confie ni à son propre père, ni à son frère, ni à aucun de
ses amis”, c’est ce qu’on livrait au sophiste. Mais le sophiste
n’attendait pas qu’on vint le chercher; il traquait, comme “un chasseur
salarié, des jeunes et des riches”. Socrate le voyait chassant dans des
prairies où abondaient la richesse et la vertu car, pour les
socratiques, sophiste était synonyme de maître d’éducation et de vertu»
(A. Tovar. ibid. p. 241). Le Bordel métaphysique universitaire
a aussi ses campagnes de publicité, il racole dans les cégeps, les
instituts privés, les entreprises. Il s’agit de façonner à son image la nécessaire «vertu» des postulants;
une image qu’il n’apprécie pas nécessairement, préférant généralement
l’image de l’autre (de l'américaine, de l'européenne, de l'orientale) à la sienne, dans la plus pure tradition des
colonisés. Non
seulement, comme le démon de l’Évangile, il se veut le diffuseur des
meilleurs tours de force, mais il n’hésitera pas à étouffer
l’âme, la «vertu» de celui qui chercherait à critiquer ou remettre en
question la portée de sa démarche.
«En troisième lieu, conclut Tovar, la différence entre Socrate et les sophistes était dans l’ambition d’atteindre à la vérité. Les socratiques ont souvent insisté sur la frivolité des sophistes dans l’accomplissement de cette tâche. Manque de rigueur, emploi de la magie et de la prestidigitation dans les objections et les discussions, jonglerie avec des connaissances qui
aboutissent
à ne rien savoir des choses : voilà tous leurs défauts. Le sophiste
cultive l’art des apparences, il forge des images, il est “athlète dans
les joutes de paroles”, il est doté d’une science discutable et non
vraie, d’une science qui ne découvre rien. Son art est un art de
trompeur, contraire, en termes techniques, aux choses qui sont. Son
attention n’est pas attirée par les choses connues, mais par celles
factices et, sur celles-ci, il croit savoir ce qui n’est en réalité qu’une opinion» (A. Tovar. ibid.
pp. 241-242). C’est tout le malaise de l’université moderne que nous
retrouvons ici décrit. La frivolité l’emporte sur l’aspect sérieux de la
tâche. «L’École nationale de l’humour» n’est plus parodie, c’est un
édifice du complexe uqamien de Montréal! Bernard Landry a transformé la
formation du Cirque du Soleil - qui n'est au fond qu'une compagnie aux
intérêts privés - en diplôme collégial. Autrement dit, c’est le manque
de rigueur dans la pensée qui mine les sciences sociales et humaines;
l’emploi de formules abscons et creuses, comme une formule magique, qui
ouvre sur une technique opératoire; jonglerie, également, avec les
concepts qui s’accumulent en tas pour dépasser en hauteur la tour de
Babel. Enfin, indispensable au tittytainment, il faut pratiquer l’art de l’illusion, la magie où la parole trompe les yeux, les effets pris pour la nature du phénomène. Le savoir du nouveau Bordel métaphysique est bien un savoir factice
qui creuse le vide de l’âme et de l’esprit. Et c’est pour cela que les
étudiants paient! Et c’est cela que le gouvernement et les entreprises
veulent nous faire acheter!!
On l’a vu, le ministre Duchesne a mis dehors du sommet de février Socrate et ses disciples. Du moins, il a dit qu’il était prêt à les entendre mais non à les écouter. Cet ancien déblatérateur de l’information à Radio-Canada et inlassable biographe de
Jacques
Parizeau choisit la voie mensongère des 20% contre l’impasse qui attend
les 80% d'autres. Parce que le gouvernement péquiste a refusé la tenue
de véritables États-Généraux sur l’Éducation pour s’en sauver, à rabais,
avec un sommet mamelonesque,
l’inutilité du savoir réel est une fois de plus confirmée. «Socrate
sait profondément récuser la sophistique parce qu’il en vit intimement
les limites et la frivolité, et croit bon d’en convertir les vertus à
une plus haute vertu. Si Platon a fait porter tous ses efforts pour
discréditer impitoyablement la sophistique, ce n’est pas seulement à
cause du verbalisme de celle-ci, de son relativisme et de son amoralisme
fonciers. C’est peut-être aussi parce qu’il doit trancher les
innombrables liens qui unissaient Socrate à la sophistique de son temps
jusqu’au jour où une crise intérieure… va rompre les ponts avec ces
sophistes, dont il ne garde les tendances dialectiques que pour en faire
son outil propre» (J. Mazel. Socrate, Paris, Fayard, 1987, p.
152). Visiblement, cette rupture n’a jamais eu lieu entre les ténors
politiques et pédagogiques québécois et la sophistique universitaire, et les étudiants sont entraînés, tantôt putes, tantôt clients, au Bordel métaphysique universitaire.
Jacques Mazel, que nous venons de citer, offre un rappel savoureux de cet affrontement entre les sophistes et Socrate : «Au quotidien, l’incompatibilité apparaît fortement tranchée dans le dialogue de
Xénophon
où Antiphon le sophiste s’étonne de la vie de Socrate : “Je croyais que
la philosophie rendait heureux; mais ce que tu pratiques me semble le
contraire. Tu manges et tu bois mal et tu n’as qu’un misérable manteau
pour l’été et pour l’hiver. Tu ne vis ni élégamment ni librement, et ce
que je crois est que tu es le maître de la malchance”. Socrate répond :
“Tu crois que je vis mal, mais fais bien attention : comme je ne touche
pas d’argent, je fais ce qui me plaît, sans que personne ne puisse rien
exiger de moi ni m’obliger à quoi que ce soit et, comme je me contente
de peu, je n’ai pas besoin de plus. Mon condiment est la faim; ce qui
donne la saveur à l’eau que je bois est ma soif. Tu crois ingénument que
le bonheur est dans ce qui est délicieux et cher; moi, en revanche, je
sais qu’il est divin de n’avoir besoin de rien. Je ne veux avoir besoin
de rien. J’admets que tu sois juste mais non que tu sois un sage. Tu
fais cadeau de ton enseignement et tu ne l’apprécies pas à sa valeur;
or, comme tu évalues à rien ce qui
pourrait te rapporter de l’argent, tu n’es donc pas
un sage. - Je crois que la science et la fleur de la jeunesse
appartiennent au même genre. Si nous appelons prostitué
celui qui vend la fleur de sa jeunesse, il faudra appeler du même nom
celui qui vend sa science. En fait, les gens appellent ceux qui agissent
ainsi d’un nom similaire, du nom de sophiste. Je ne veux pas d’argent,
mais des amis; en donnant ma science, je gagne des amis, et ainsi je ne
perds rien”. Pour sauver la mémoire de leur maître, les disciples
useront souvent de cet argument opposant l’avidité des sophistes au
désintéressement de Socrate» (J. Mazel. ibid. pp. 153-154). Bien
entendu, ce texte de Xénophon est tardif et a valeur davantage de fable
que de documentation. Socrate ne vivait pas si pauvrement et l'avidité
des sophistes pas toujours aussi ignominieuse.
Nous vivons dans la société marchande capitaliste où l’industrialisation a réduit la société à un immense marché de cash & carry. Lorsque le nombre des producteurs et celui des consommateurs
s’équivalaient, et que l’un était
l’autre, la civilisation pouvait se payer des techniciens pour
entretenir la circulation des marchandises. Maintenant, tout en
poursuivant dans l'ordre moral de cette époque, les capitalistes
néo-libéraux s’entendent pour ne rien changer à cette structure qui les
dépasse pourtant, et dans la mesure même où les leaders de
l'hôtel Fairmont de San Francisco l'avaient «planifié». La conquête des
marchés par les grandes puissances, développées ou émergentes, finira un
jour par atteindre son point d’équilibre qu’elle ne pourra plus rompre
sous peine de destruction planétaire. Cet équilibre nécessaire aura pour
prix la pétrification de la stagnation économique et la régression
mentale toujours plus débile. Le 20:80, c’est la stagnation; le Tittytainment la régression sadique-orale. L’alma mater n’est plus que cette Prostituée (aux gros tétons) suggérée par l’Apocalypse. Le Bordel métaphysique, la Babylone, la Rome, le Montréal de notre eschatologie⌛


Nous comprenons mieux - ce qu’un Léo Bureau-Blouin par exemple ne peut comprendre -, que les

Entre les leaders du sommet Gorbatchev et ceux de l’Éducation supérieure du Québec, il y a un gouffre qui sépare d’un côté, «savoir ce que l’on veut», et de l’autre «ne pas savoir ce qui nous attend». Le premier était décidément un choix de civilisation, celui jadis pris par l’Empire romain, le Tittytainment indispensable à maintenir la base d’ordre dans la société des 20:80. Le second ne sait pas encore ce qu’il va faire des 80% aux statuts

Ce monde de 20:80 est évidemment le monde de la technè, celui du développement technique comme

À la technè resterait à opposer la classique vision de la païdeia, peu en valeur dans le cours du

Au-delà des spécificités civilisationnelles et du cours du temps, un lien tissé serre les sophistes et l’argent. Jacqueline de Romilly souligne combien l’enseignement de la technè des sophistes, déjà, visait l’immédiateté et l’efficacité. Considérant la rhétorique comme l’art de convaincre en démocratie basé sur des «effets sémiologiques», les sophistes ne se donnaient pas pour but d’approfondir les sujets de débats mais d'ornementer seulement les formes. La profondeur d’une pensée est inaccessible au commun des mortels, aussi l’apparence fait tout aussi bien l’affaire. Le tout

Dans le contexte de la guerre civile que représente la guerre du Péloponnèse (431 - 404 av. J.-C.) - la guerre de Trente Ans des Grecs -, le fait qu’un brillant élève de la vedette de la sophistique, Protagoras, ait décidé de rompre ce lien entre l’argent


«Une deuxième différence, poursuit Tovar, résidait dans la passion toute professionnelle avec laquelle les sophistes tâchaient d’influencer les autres. Sûrs

«En troisième lieu, conclut Tovar, la différence entre Socrate et les sophistes était dans l’ambition d’atteindre à la vérité. Les socratiques ont souvent insisté sur la frivolité des sophistes dans l’accomplissement de cette tâche. Manque de rigueur, emploi de la magie et de la prestidigitation dans les objections et les discussions, jonglerie avec des connaissances qui

On l’a vu, le ministre Duchesne a mis dehors du sommet de février Socrate et ses disciples. Du moins, il a dit qu’il était prêt à les entendre mais non à les écouter. Cet ancien déblatérateur de l’information à Radio-Canada et inlassable biographe de

Jacques Mazel, que nous venons de citer, offre un rappel savoureux de cet affrontement entre les sophistes et Socrate : «Au quotidien, l’incompatibilité apparaît fortement tranchée dans le dialogue de

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Robert van Ackeren. La femme flambée, 1983 |
Nous vivons dans la société marchande capitaliste où l’industrialisation a réduit la société à un immense marché de cash & carry. Lorsque le nombre des producteurs et celui des consommateurs

Montréal
9 février 2013
9 février 2013
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