jeudi 23 juin 2011

Les Géants de la Saint-Jean

LES GÉANTS DE LA SAINT-JEAN

Je revenais du marché, descendant la rue Fullum, lorsque j’approchai sous la pluie le parc Baldwin. Je sentais une atmosphère de fête patriotique émaner des bosquets mouillés, lorsque je m’aperçus que les «Géants» n’étaient pas au rendez-vous, sous leur capote de plastique. Je me suis dit qu’il s’agissait peut-être de la fête du Canada, auquel cas… Non, en voyant les «jigs» dans le parc, un peu plus loin, j’ai compris qu’il s’agissait bien de la fête des Québécois, la Saint-Jean-Baptiste.

La météo prévoit un vendredi pluvieux. Je me demande quel air auront les Géants lorsqu’ils arriveront au bout de leur trajet. Quelle tristesse! De  toute façon, ça fait vingt ans que je demeure sur la rue Sherbrooke et la parade de la Saint-Jean passe devant ma porte et je ne sors pas la voir. Je pense que je l’ai regardée deux fois, pas plus. Il faut dire que la première année, 1990, c’était après l’échec des accords du lac Meech, là c’était une véritable fête nationale. Une manifestation d’affirmation et d’indépendance face aux autres provinces canadiennes qui voulaient monnayer financièrement avec Ottawa leur accord. Le grand mouton fait de broches jouait son véritable rôle de divinité païenne propre au nationalisme. Le tempérament québécois était palpable comme rarement, sauf en période référendaire. Un peuple se manifestait dans ce qu’il avait de meilleur.

Puis, d’année en année, ce tempérament se mit à ramollir. La lâcheté de Robert Bourassa à saisir le «moment historique», lui qui ne cessait d’en appeler à l’Histoire à chaque fois qu’il faisait une déclaration insipide, laissant s’échapper une occasion où les choses auraient pu se faire d’une manière unanime, sans contrainte ni violence, montrait, une fois de plus, notre incapacité à saisir le train de l’Histoire. Cinq années plus tard, c’était la défaite référendaire, la seconde en quinze ans. Les propagandistes du Parti Québécois ont crié à tue-tête qu’on s’était «fait voler» le référendum. Je me demande combien ils ont été payés ceux qui ont voté Non? Et pour le love-in financé par les commandites libérales fédérales, il ne faut pas trop lui prêter d’importance historique. Chaque Québécois, dans l’isoloir, était libre de voter pour ou contre la souveraineté sans se sentir coupable pour qui que ce soit. Il a voté majoritairement Non parce que, et c’est la logique de la démocratie, le camp du Oui n’avait pas réussi à consolider ses adhérents.

Quoi qu’il en soit, depuis 5 ans, chaque Saint-Jean-Baptiste voit promener, entre les fanfares et les démonstrations de tout et de rien, des catins géantes représentant des symboles «grandioses» de l’histoire du Québec ou des personnages allégoriques. Chaque année voit s’ajouter ou s’enlever un ou deux Géants. Par le passé, on a eu droit au Géant Samuel de Champlain (fondateur de Québec), le Géant René Lévesque (qui était plutôt bas sur patte), le Géant Ludger Duvernay (comme on dit à la Société Saint-Jean-Baptiste, «on n’est jamais mieux servi que par soi-même»), le Géant Félix Leclerc (toujours le plus applaudit, même par Clothaire Rapaille), la Géante Jeanne-Mance, (une des favorites du maire Tremblay, il rêve de lui ressembler), le Géant Ti-Jean Rigodon (pour fêter la zizique traditionnelle), le Géant Chomedy de Maisonneuve (un «mistigoche»), le Géant Louis-Joseph Papineau (qu’on a préféré à Chevalier de Lorimier, trop violent). On a eu, également, la Géante Marie Moisson (pour concélébrer l’UPA), le Géant saint Patrice (pour flatter les Irlandais), le Géant Maurice Richard (le hockeyeur, pour flatter la plèbe), la Géante Fanfreluche (personnage de la télé pour enfants du temps de La Boîte à Surprises), le Géant Charles LeMoyne (fondateur de Longueuil). Cette année, 2011, on a rajouté, semble-t-il, le Géant Jacques Cartier (le découvreur pas le pont), deux participants au Second Conflit mondial, les Géants Charles Forbes et Gilles Lamontagne, le Géant Capitaine Vaillant (et pourquoi pas Capitaine Bonhomme?), enfin la Géante Marie-Neige pour célébrer l’hiver en été. Nous sommes loin des vieux chars allégoriques où l’on nous présentait un tableau vivant d’histoire ou de travail saisonnier.

Tout ça fait un peu kitsch, ou, pour parler québécois, pas mal kétaine. Lorsqu’un peuple ne parvient plus à se considérer comme historiquement grand qu’à travers des allégories d’individus plastifiés, c’est qu’il s’est depuis longtemps perdu de vue. Il honore des individus qu’il ne sait plus distinguer de la légende et se donne le mérite collectif qu’il n’a pas à travers celui de quelques personnalités mythifiées. Plutôt que d’apprendre l’histoire, on préfère la célébrer pour mieux l’ignorer sous un tas d’abstractions qui nous permettent de ne pas considérer ce qui n’a pas été fait pour que ce peuple puisse se célébrer à travers son histoire.

Il est vrai que le nationalisme est au plus bas. Que la nationalité soit un concept qui tend à s’effacer devant le cosmopolitisme, qu’il s’appelle multiculturalisme ou métissage ethnique et culturel, c’est un fait assez évident. Gilles Duceppe, le Montcalm de l’élection fédéral du 2 mai dernier, prophétisait l’assimilation des Québécois à plus ou moins court terme, nous comparant à ces francophones hors-Québec dont le français est déjà assez dilué par l’esprit anglais. Son alarmisme n’est pas si exagéré lorsqu’on regarde l’anglicisation accélérée que la métropole québécoise, Montréal, est en train de subir, tandis que l’arrière-pays provincial s’englue dans un folklorisme entre le ressentiment et les divertissements palliatifs (comme on parle de soins palliatifs). Même les Français viennent apprendre l’anglais au Québec! Leur espoir et leur attente de pénétrer le marché du travail américain en fait des «morts en vacance» stationnés dans notre ville. Si nous avons toujours souhaité un regain de l’immigration francophone au Québec, c’était sûrement pas pour qu’ils contribuent à notre anglicisation! Il est lassant de voir porter, toujours à côté, tous les efforts que nous nous efforçons de faire pour éviter l’issu inexorable de notre aliénation collective.

L’assimilation lente, mais progressive, fait du Québec une province qui se pétrifie dans un nowhere. Son destin ne s’inscrit pas dans le siècle, mais dans le nowhen. La vallée du Saint-Laurent n’est plus qu’une zone régionale parmi d’autres où l’on se permet de forer des puits de gaz de schiste au cœur de ce que fut, depuis toujours, ce jardin maraîcher qui faisait la fierté de ses Habitants. Cette plaine, dis-je, n’est plus qu’une vaste cour à banlieues pour les travailleurs de la grande région de Montréal, avec des pelouses hantées par des nègres de jardin. Ses voies d’accès, ponts comme autoroutes, auront survécu moins longtemps que les vieilles routes romaines en Italie. L’amplification (festival mondial de la crevette, festival international de châteaux de sables du parc Lafontaine, concours universel du mangeur de hot-dogs ou lauréat intergalactique du saut dans la poche de patate) dissimule mal un complexe d’infériorité dont on avait voulu se dégager au cours des années soixante-dix du siècle dernier. L’état déplorable de la condition historique du Québec actuel est l’échec de la génération des baby-boomers qui voulaient l’affirmation, l’émancipation et la reconnaissance internationale. Bref, l’échec à réaliser l’indépendance du Québec est l’échec non seulement d’une aspiration idéologique légitime, mais la démonstration de notre incompétence collective à s’affirmer dans l’Histoire universelle comme une variété de l’expérience occidentale. D’où ce besoin d’amplifier la dimension de certaines activités folkloriques ou encore de considérer de plates imitations «à l’américaine» (Celine, le Cirque du Soleil, etc.) comme s’il s’agissait de la démonstration d’un «savoir-faire» typiquement québécois. Même les trois frères Lemaire de la papeterie Cascades, jadis vus comme des pionniers de l'entrepreneurship, nous apparaissent guère mieux que des Lavigueur qui auraient réussis avec leurs millions.

Les Lavigueur, pour le moment, c’est le Parti Québécois. En tant qu’institution et support de l’aspiration souverainiste, son éclatement, ou plutôt son érosion progressive, nous le montre divisé entre ses résignés qui suivront M. Charette vers la clique Legault-Sirois (les Brault & Martineau du renouveau politique) qui attendent que Deltell détale de l’A.D.Q. pour y voler son nid de coucou, ou les Baudouin-Curzi-Lapointe qui voudraient un parti indépendantiste pur et dur. Entre les deux extrêmes, les girovagues qui ne savent plus vers qui vendre leur allégeance. Cette débandade est certainement liée à l’affaiblissement de l’idée nationale au Québec, mais elle est surtout le résultat de stratégies malhabiles et anhistoriques qui furent toujours celles du Parti Québecois depuis sa fondation qui, entre l’indépendance et la démocratie, a cru réaliser l’une par l’autre.

Cessons tout d’abord de penser que l’indépendance du Québec s’obtiendra par un vote majoritaire de ses citoyens. Une telle démarche est puisée dans les contes pour enfants, non dans les livres d’histoire et les observations politiques pour adultes avertis. Aucun pays n’a pu parvenir à l’indépendance sans deux maux aujourd’hui impensables: la guerre civile et les coalitions étrangères. Les Anglais, qui avaient par leur insularité l’indépendance, ont fait deux révolutions pour obtenir le contrôle de leur destin. Le règne de Charles Ier s’est terminé par la tête du roi roulant sur l’échafaud, l’Interrègne avec Cromwell a vu le Long Parlement finir en Rump Parlement. Enfin, la Restauration des Stuart s’est achevée dans la seconde révolution, plus «tranquille», dite Glorious Revolution en 1689. Au niveau des idées politiques, les Anglais étaient passés de Hobbes et de son fatalisme de l’homo homini lupus aux deux Traîtés du Gouvernement civil de John Locke qui finissait par conclure que lorsque quelqu’un veut exercer un pouvoir pour lequel il n’a pas la reconnaissance acquise par la population, alors la désobéissance est légitime. C’est le cas du Québec qui, sous différents gouvernements provincial de différentes tendances, s’est toujours refusé à signer la constitution canadienne de 1982. Tant que les Québécois n’auront pas signé, par la voie de leur gouvernement, la Constitution de 1982, selon le point de vue du gouvernement national (reconnu par le Premier ministre conservateur Harper), il sera toujours en droit d’affirmer unilatéralement son indépendance, y compris contre le gouvernement canadien. Cela est parfaitement libéral, cela est totalement légitime.

Les Français, qui ont connu un siècle de révolutions suivies de restaurations, savent que la légitimité du pouvoir réside non seulement dans les citoyens actifs, les propriétaires bourgeois, mais aussi parmi les citoyens passifs, les non-propriétaires qui, par leur travail et leur contribution à la vie sociale de la communauté, sont tout aussi reconnus et responsables du destin politique de la nation. Contre l’arbitraire d’un pouvoir jugé despotique et étranger (l’aristocratie française était assimilée aux Germains auxquels appartenaient les Francs qui avaient conquis la France sur les Gallo-Romains avec Clovis), l’assemblée du Tiers-État s’était auto-proclamée Assemblée Nationale constituante en vue de rédiger une constitution nationale provoquant un véritable coup d’État contre l’autorité exécutive du roi. Cette constituante ne concernait pas seulement les questions linguistiques (comme les inutiles travaux de M. Turp sur la constitution protectrice de la langue), mais les questions qui relèvent à la fois du code civil et du code criminel. Si l’argent n’a pas d’odeur, comme l’enseignait Vespasien à son fils Titus, M. Turp et les branleux du P.Q. devraient finalement réaliser que la propriété n’a pas de langue. Les échecs qui ont suivi les premiers résultats encourageants de la loi 101 qui reconnaissait la langue française comme langue d’affichage et langue de travail, montrent qu’aucune loi n’est définitive, c’est-à-dire qu’aucune constitution régissant les rapports linguistiques ne pourra s’exercer sur les relations sociales, si le droit de propriété des entrepreneurs et des capitalistes n’a pas la tête prise dans un licou économique. Le droit collectif, afin de ne pas sombrer dans la tyrannie, exige un protectionnisme serré (la lettre) et souple (par l’esprit) à la fois. Enfin, le gouvernement du Québec, qui a toujours reconnu qu’il ne pouvait dépenser du budget national plus que 1% pour la culture est un gouvernement irresponsable en matière de questions nationalitaires. Non qu’il relève de l’État de financer la culture, mais dans une communauté démographique fragile et limitée, il se doit de lui donner le maximum d’expansion en genres et en quantité, parmi les siens surtout, et dans le reste du monde ensuite. L’enseignement du français, avec ses inutiles réformes de la langue, de la grammaire et de la composition aussi bien parlée qu’écrite, est un symptôme de l’incertitude même de la possession de notre langue.

Le second fétiche qu’il faut brûler pour parvenir à l’indépendance, c’est l’association. Elle est stratégiquement le boulet qui empêche toute idée nationalitaire de progresser. On ne somme pas une nation étrangère de s’associer avec soi comme condition préalable à son accession à l’indépendance. C’est tout simplement un non-sens! Comme l’avait dit François Mitterand à Yves Michaud, on fait l’indépendance d’abord, puis on passe les traités avec qui on veut après. La souveraineté-association, ce ne sont que les débats fédéral-provincial transportés sur la scène internationale. Prendre la population canadienne en otage pour se donner le courage de conserver, à la fois, le beurre et le prix du beurre est une forme d’égoïsme immature qui montre que les Québécois ne sont pas prêts, avec une telle exigence, à accéder à la souveraineté ou qu’ils en ont tout simplement peur. Ce n’est pas très «Big», très «Géant».

Ensuite, on ne vend pas l’indépendance avec des garanties «positives» de bénéfices. C’est par l’enthousiasme, l’investissement affectif (mais non fanatique), c’est par la survalorisation du peuple sur ses institutions (l’État), qu’on y parvient. Ce à quoi, même un Jacques Parizeau s'est montré incapable - il n'y a que Gérald Godin à avoir atteint ce stade me semble-t-il -, où il faut se confronter au dilemme de saint Augustin: est-ce que j'aime le peuple au détriment de l'État ou l'État au détriment du peuple. Aimer l'État du Québec n'est pas synonyme d'aimer le peuple québécois, et nous avons vu, après chaque référendum perdu, le gouvernement du Parti Québécois le faire payer très cher à la population québécoise par des mesures économiques odieuses, dont ledit Parizeau s'est lui-même excuser …à la veille du second référendum. C’est la confiance en lui-même que le peuple cherche et doit développer pour s’affirmer comme pouvant exister sans l’intermédiaire d’une autre collectivité. C’est ce que nous appelions, il y a un demi-siècle, la décolonisation. L’incapacité de mener la décolonisation jusqu’au bout par les différents gouvernements québécois qui se sont succédés au cours des années depuis 1960 montre que ce nerf dentaire tient plus solidement qu’il n’y paraît. Si on ne le coupe pas avec un ciseau, il va continuer à inutilement faire mal. L’historien Marc Ferro disait dans son cours qu’on n’accède pas à l’indépendance sans une bonne dose d’investissement affectif. On ne décide pas d’avoir un enfant pour le plaisir d’établir des tables arithmétiques sur les coûts et les bénéfices qu’il va nous entraîner. Or, les leaders souverainistes des trente dernières années se sont toujours sentis le besoin de chiffrer les pertes et les gains de l’aventure indépendantiste, opération futile à laquelle jamais le gouvernement fédéral ne s’est livré pour justifier la nécessité du Québec de demeurer au sein du Canada! Il est vrai que celui-ci n’a jamais comptabilisé non plus les pertes ou les bénéfices de le conserver à l’intérieur de la confédération! Non pas par love-in, mais par paresse et par la logique de tout État d’être centripète.

Revenir à l’indépendance pure et dure, c’est accepter qu’une minorité fasse la Révolution, c’est-à-dire prenne la décision du coup d’État qui renvoie les partis anémiés du gouvernement provincial vers leurs CHSLD et s’installe à la barre d’un gouvernement transitoire. Cette minorité créatrice doit mener à la fois la rédaction d'une constitution démocratique à venir tout en parant aux dissensions intérieures et
Jean Renoir. La Marseillaise
aux agressions étrangères. Elle doit parer aux dissensions intérieures en se montrant souple mais ferme sur les points essentiels concernant la chose publique avec les différents partis. Face aux agressions extérieures, elle doit se montrer impitoyable. C’est à ce moment que l’investissement affectif s’avèrera le plus nécessaire. Comme les Volontaires de l’an II ou la Garde Rouge en 1918, il faudra que des malhabiles apprennent à manier les instruments de défense et protègent, souvent contre leurs proches, l’intégrité de la frontière nationale. L’infériorité des révolutionnaires est toujours manifeste, d’où la dose solide de courage et de détermination que ça leur prend. C’est ainsi que l’indépendance nationale se gagne. C’est ainsi, aussi, que la liberté se mérite. Elle fait des larves des hommes matures. Les guerres civiles sont éprouvantes, d’autant plus qu’on se demande si le sacrifice en vaut la peine considérant les résultats antérieurs dans l’histoire: les Américains ont dépossédés puis expulsés les Loyalistes que les Anglais accueillirent sans enthousiasmes. Les Volontaires de l’An II ont fini par suivre un aventurier qui leur faisait miroiter un empire personnel. Les Gardes Rouges qui affrontèrent les Russes blancs réactionnaires ont souffert mille martyres pour voir le totalitarisme de despotes s’en prendre à leur famille et à eux-mêmes au retour du front. Tout cela a profondément écœuré le goût pour la révolution. Les révolutionnaires semblent toujours condamnés à discréditer leur propre révolution.

Les crises qui ont suivi la décolonisation en Afrique et en Asie ont également confirmé combien les espérances se transformaient vite en regrets. L’indépendance des États sudistes a conduit à une guerre civile sanglante et douloureuse qui fut cependant un accouchement de la nationalité américaine. Si cette unité avait pu se réaliser sans cette souffrance, combien il eut été alors plus agréable de passer à travers les obstacles en trouvant des modus vivendi. Il est dommage que ni l’association ni le processus référendaire puissent conduire à l’indépendance. Seule une minorité créatrice qui a le sens, le courage et la folie de tout risquer dans l’exercice d’un Comité de Salut public pourrait parvenir à l’accomplissement de ce destin. Et comme le grand Comité de l’An II, il devrait purger à la fois, la droite, toujours prête à fixer le prix de la trahison et de la compromission (Legault/Danton), et la gauche, toujours entraînée dans de vagues chimères communistes après un siècle de tueries sans se rendre compte que le communisme n’était qu’une variété, peut-être la plus vicieuse, de capitalisme (Khadir/Hébert). Ni adéquiste, ni Québec solidaire. L’impossible alternative entre le gouvernement de construction nationale et la démocratie parlementaire où les débats contribuent à amenuiser les capacités exécutives reste la tragédie d’un Québec en attente de son indépendance nationale. En révolution, l’exécutif est le seul législatif reconnu, tant du moins que «la patrie est en danger». Lorsque celle-ci parvient à garantir l’étanchéité de ses frontières nationales et que le processus de pacification intérieure résorbe les rivalités haineuses de la guerre civile, alors il est possible de revenir à une démocratie consensuelle.


Tout cela est de la politique-fiction, sans doute, mais aussi de la Realpolitik à laquelle les groupes indépendantistes se sont toujours soustraits pour avoir à éviter des affrontements violents, non par goût de la légalité, mais par défaillance démographique. Une guerre civile, parmi une petite population, met sa propre existence en danger. Les cas de l’Irlande du Nord et des pays d’Amérique centrale en sont de vibrants exemples. René Lévesque, qui avait été le
Chute du mur de Berlin
témoin des excès du nationalisme allemand sous Hitler, anticipait une telle apocalypse survenant l’action terroriste révolutionnaire. Je me souviens l’avoir entendu, à Saint-Jean (à l’école Beaulieu je crois) vers 1973, évoquant les événements de la crise d’Octobre. L’action révolutionnaire, pour lui, et il avait raison, entraîne la radicalisation de la répression et des lois réactionnaires et policières. Ce sont là des observations empiristes qu’on pourrait qualifier de loi de la répétition historique. Les pays qui accèdent «pacifiquement» à l’indépendance (on pense à la Georgie, à l’Ukraine) n’y sont parvenus non par volonté révolutionnaire, mais parce que le tyran s’était effondré sous lui-même, et qu’ils n’avaient plus qu’à cueillir leur souveraineté comme un fruit mûr qui tombe de la branche. Un tel destin arrivant au Canada, les souverainistes, dans un ou deux siècles, pourront dire: enfin l’indépendance, mais ils le diront sans doute en anglais!

Nous voici donc coincé entre ce diktat de realpolitik et la niaiserie d’une fête nationale qui se célèbre comme une procession programmée à chaque année, un rite folklorique qui étale davantage notre impuissance que notre volonté collective (à l’opposé des grandes célébrations «pompiéristes» du 4 juillet aux États-Unis, du 14 juillet à Paris et même du 1er juillet à Ottawa). Nos catins tiennent lieu des pénis de Bacchanales grecques et de Lupercales romaines. Ce ne sont pas des faunes, mais des figurants d’un mauvais spectacle qui finiront immanquablement au Parc Maisonneuve, avec un Guy A. Lepage, entouré de ses 'tits n’amis, qui sait depuis longtemps comment on se fête soi-même en faisant marcher les figurants jusqu’à son party privé⌛

Montréal
24 juin 2011

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