dimanche 8 décembre 2013

La Porte Sainte de Notre-Dame-de-Québec : mieux que le pont d'Avignon?

Le cercle indique l'endroit du mur de la basilique-cathédrale où sera percée la Porte Sainte.
LA PORTE SAINTE DE NOTRE-DAME-DE-QUÉBEC : 
MIEUX QUE LE PONT D'AVIGNON?

Cet après-midi, 8 décembre 2013, les gens de la ville de Québec – qui ne portent plus de nom collectif depuis que le terme de «Québécois» a pris une extension nationale -, vont célébrer l’inauguration de la Porte Sainte dans la Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec. Inscrite dans la commémoration du 350e anniversaire de fondation de la première paroisse catholique de l’Amérique du Nord, cette Porte Sainte est la septième au monde et la première en dehors de l’Europe. Mgr Gérald Cyprien Lacroix, archevêque métropolitain de Québec et primat du Canada sera présent ainsi qu’un émissaire du pape François qui en a fait mention, ce matin, dans son homélie de la fête de l’Immaculée Conception. Un grand nombre de membres des autorités civiles et religieuses assisteront à ce raout d’honneur clérical. Moins d’une semaine après les ignobles célébrations en l’honneur de Paul Desmarais à la Basilique Notre-Dame de Montréal, c’est au tour de Québec a faire la fête avec les riches et les politiciens. L’année jubilaire se terminera en décembre 2014 par la fermeture de la Porte Sainte, scellée jusqu’à la prochaine cérémonie de circonstance. 

Après l’Italie, après la France, après l’Espagne, les puissances européennes les plus catholiques, c’est au Québec que la Porte Sainte – constituée de deux panneaux de bronze sculptés représentant le Christ et la Vierge Marie – va permettre aux pèlerins de passer entre les deux panneaux pour méditer sur le chemin de la vie chrétienne. Devant cet exercice de haute spiritualité mondaine, il est certain que bien des gens qui en étaient venus à douter de leur foi, se ressourceront, prêts à affronter les nouveaux Infidèles qui se manifestent à Montréal. Verrons-nous, comme lors de la quatrième croisade, les Croisés de Québec partir chasser l’Infidèle des Lieux-Saints, passer par Montréal pour brigander les reliques afin de retirer qui, une rotule du Frère André ou qui, une molaire de Sainte Marguerite Bourgeoys des reliquaires (souvent en or ou incrustés de bijoux), de tous ces nouveaux saints dont nous ont gratifiés les Jean-Paul II et Benoît XVI de ce monde? Mais non, ne vous effrayez pas. Si les gens de Québec devaient venir profaner les autels de Montréal, ces partisans mordus de l’équipe fantôme des Nordiques se précipiteraient par la porte vitrée du Centre Bell pour taillader la Sainte-Flanelle et souiller la patinoire de l’équipe de hockey du Canadien. La foi a changé de vecteurs depuis la jeunesse du cardinal Ouellet, probablement deus ex-machina de cette fanfaronnade.

Les Romains ont toujours été des experts en portes. Déjà, du temps de la République, les portes du temple de Janus étaient fermées en temps de paix et ouvertes en temps de guerre. Elles le furent d'ailleurs presque toujours tant Rome passait d'une guerre à l'autre, de sa conquête de l'Italie à celle de l'Europe, puis du monde connu. La religion romaine était surtout constituée de superstitions domestiques qui se retrouvèrent, quasi inchangées, projetées au niveau de l'État. Comme État successeur, l'Église chrétienne en hérita de plusieurs qui resurgirent tout au long de son histoire. Ainsi, ce serait le pape Martin V qui, le premier en 1423, ayant mis fin cette année-là au Grand Schisme (une guerre entre papes et antipapes) en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains au concile de Pavie-Sienne, aurait ouvert la Porte Sainte de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. C'est à la Noël 1499 que le pape Alexandre VI Borgia ouvrit la première Porta santa, au Vatican. Depuis, jusqu'à l'ouverture de la Porte Sainte de Québec, seulement 7 portes ont eu ce privilège, la plupart étant situées à Rome même, d'où cet aspect particulièrement «romain» lié à ce rite. Car, en effet, où sont passés ces temps critiques où saint Augustin, à qui on ne peut pas reprocher de ne pas avoir été un chrétien (catholique) des plus orthodoxes, pour se moquer de l’esprit superstitieux des Romains, écrivait dans sa Cité de Dieu ( Livre IV, § 8) : «On ne place qu’un portier à sa maison; ce portier suffit, c’est un homme.  Pour le même office, il ne faut pas moins de trois dieux; Forculus à la porte, Cardea aux gonds, Limentinus au seuil. Forculus serait-il capable de garder tout ensemble la porte, le seuil et les gonds?» (Saint Augustin. La Cité de Dieu, t.1, Paris, Seuil, Col. Points-Sagesses # Sa75, 1994, p. 172). Aujourd’hui, à l’ère de la Raison et de l’efficacité technique, l’Église chrétienne prend sa revanche en consacrant une porte. Ce n’est pas Forculus qui lui donne son investiture transcendantale, mais le pape François. Le jour de la fête de l’Immaculée Conception n’est pas non plus un hasard, pas plus que le 350e anniversaire de la fondation de la paroisse. Cette fête, qu’on observait pieusement jadis mais qui ne comptait pas parmi les fêtes chômées, a toujours été associée à la volonté de reprise en main de l’Église romaine de ses pouvoirs perdus. Née avec la Réforme catholique du XVIIe siècle, elle s’est vue instituée par Pie IX au moment où son pouvoir temporel vacillait et qu’il reprenait sa vengeance puérile avec le dogme de l’infaillibilité pontificale au concile de Vatican I. Prochainement canonisé entre Jean XXIII et Jean-Paul II, ce même Pie IX était la principale source d'inspiration de Mgr Bourget de Montréal, le père de l’anti-modernisme au Québec. Si saint Augustin voulait purger l’Église des rites superstitieux romains, après vingt siècle, on doit admettre que son combat a été vain et que c’est Rome qui, encore aujourd’hui, bénit les Forculus catholiques aux portes des églises.

Cette démonstration de restauration catholique arrive en plein dans le contexte de la question épineuse de la Charte de la laïcité québécoise. Ne disons pas, je le répète, la charte des valeurs puisque les valeurs québécoises ne sont rien de plus que l’ensemble des valeurs occidentales. Cette Charte ne peut donc ne pas reconnaitre la liberté de la religion et de sa pratique. Ce qu’elle ne veut pas, c’est le port ostentatoire de signes religieux dans l’exercice des fonctions publiques. Rien pour fouetter un chat. Très vite, le projet a été récupéré par l’idéologie féministe qui cible les pratiques vestimentaires musulmanes qui rappellent constamment la soumission de la femme à l’homme (père, frère, mari) et par le fait même font ressurgir les traditions qui ne passent plus dans les mœurs québécoises. De l’Islam, à moins de s’y être intéressé particulièrement, avouons que nous connaissons peu de choses. Nous connaissons plutôt l’islamisme en tant qu’idéologie haineuse qui s’est développée alternativement à la fois contre le nationalisme des pays arabes ou des plateaux asiatiques, et du socialisme qui jouissait d’une grande influence morale et politique lors des luttes pour la décolonisation. Après avoir supporté les groupes religieux parce qu’ils reconnaissaient l’essence de la propriété contre tous les intellectuels qui seraient tentés par l’aventure communiste, les puissances occidentales, à commencer par les États-Unis, en armant les fanatiques musulmans contre l'influence soviétique en Afghanistan ou en Égypte, ont appris à leurs dépens que les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis. Et l’islamophobie a vite pris la place de la paranoïa communiste. Les spectaculaires attentats du 11 septembre 2001 ont cimenté la crainte, et par le fait même, la haine de l’Islam dans un Occident traumatisé, comme sévissait jadis la haine du communisme marxiste. Surtout que, contrairement au communisme, l’islamisme recourait volontiers aux attentats terroristes et meurtriers pour parvenir à ses fins.

Beaucoup de ces islamistes détiennent le pouvoir des communications par des postes de radio et de télévision. Comme nos poubellistes, on peut les entendre dans les pays musulmans, gueuler leur haine de l’Occident, le Grand Satan. Pour ceux, qui vivent dans les années 1300 selon le calendrier de l'Hégire, ils réagissent exactement comme nous, Occidentaux, le faisions lors des dernières croisades, puis plus tard durant la chasse aux sorcières (aujourd’hui, pour eux, les musulmanes qui veulent se décoiffer, envoyer leur burka aux oubliettes, se maquiller et se coiffer pour mettre en valeur les attributs que la nature leurs a donnés, enfin et surtout, qui entendent s'instruire, aller à l’école et considérer le monde autrement que de l’humiliation quotidienne de la soumission), la même gynophobie les rattrape. Comme nous encore dans les années 1300, les différentes tribus des différents pays musulmans se livrent actuellement à des querelles dynastiques afin de savoir qui sera «élu» démocratiquement «au suffrage universel», président de la République ou Premier ministre de la monarchie, ce que nous prenons, naïvement, pour des mouvements révolutionnaires. Pour ce faire, la légitimité ne réside pas dans le droit, ni même dans le processus électoral qui trompe-l’œil des gauchistes, mais dans la force des armées et des pouvoirs policiers. Comme nous également, au XIIIe siècle, leur Islam chéri, indéfectible, divin, est déchiré par des guerres religieuses, guerres civiles, où shiites et sunnites s’entretuent de gaieté de cœur pour savoir lequel des deux Islams a raison sur l’autre. Et dans tout cela, des réseaux d’intégristes qui ne connaissent de l’Islam que les appareils de répression, voire d’extermination, se disent, eux seuls, les porteurs du véritable Islam. 

Tous ces délires sanglants se déroulent loin de notre Porte Sainte. Pourtant, dans 300 ans d’ici, ce qui restera de l’Islam, probablement, entendra se ressourcer avec des portes et des fenêtres patios qu’un imam consacrera comme protégées par leur Forculus. Que dire d’une religion lorsqu’il ne reste plus grand chose de la connaissance de ses dogmes théologiques et que les mœurs sont définitivement passées sous la coupe des lois civiles, donc laïques? Il ne reste plus que ses superstitions. Ce qui faisait bidonner saint Augustin des pratiques superstitieuses romaines de son temps, nous fait bidonner, pour les mêmes raisons, des Portes Saintes bénies par François Ier de Rome. On n’y croit plus que comme on craint les chats noirs ou de passer sous les échelles. Cette pauvreté de la foi montre que la dynamique, les motivations du sentiment religieux divergent profondément des courants traditionnels. Nous nous apercevons que les institutions religieuses sont déboutées, se cherchent, c’est-à-dire cherchent à retrouver leurs anciens pouvoirs sur les consciences et les comportements. Comme l’avait montré le père Chenu dans sa critique de la doctrine sociale de Léon XIII et de l’idéologie catholique, ce rapetissement idéologique coïncide avec une exhibition ostentatoire de la pratique de la foi. Dans son essence, force est de constater que le catholicisme n’a rien appris de ses défaites historiques. Nous voyons l’archevêque de Montréal, Mgr Lépine, ex-militaire, sulpicien, magicien qui rêve de transformer les gays en hétéros par un discours moralisateur et gnian-gnian, célébrer en grandes pompes un in memoriam au millionnaire Paul Desmarais. L’image des riches et des puissants sous la soutane de l’évêque est la même que celle des panneaux peints à la fin du Moyen Âge présentant la Vierge rassemblant le monde sous son manteau. Le fantasme impérial des princes de l’Église dénonce par le fait même la soi-disant réconciliation de la liberté de conscience et de la foi, qui sont incompatibles par définition et par visée dogmatique. Bref, la religion opium du peuple est toujours aussi valable aujourd’hui qu’hier. Mais, comme l’Occident est passé de l’opium au pot, puis à l’héroïne, la cocaïne et la morphine, nous en sommes aujourd’hui aux jeux vidéo, aux parties de hockey visionnées à La Cage aux Sports devant une assiette d’ailes de poulets en guise d’hosties, et le combat de bien et du mal transposé dans des luttes de partisans (hockey ou politique, la distinction compte peu). Cette réalité, malgré le succès de la consécration d’une porte de bronze, ne fait que rendre encore plus pathétiques ceux qui pensent qu’en franchissant le seuil, Limentinus va bénir le fidèle en lui faisant gagner la 649, ou qu’en baisant les gonds de la porte, Cardea va donner des jumeaux à un couple stérile et qu’en définitive, Forculus va sécuriser un logement mieux qu’un avertisseur automatique. Si les divinités et les patentes-à-gosses consacrées ont changé, la médiocrité morale de ceux qui s’abaissent à ces rites superstitieux demeure telle qu’au temps des Romains.

Tout cela sent le parfum d’une agonie pathétique. La science et la technique ont repris pour elles le sentiment religieux, dans ce qu’il a de meilleur mais surtout dans ce qu’il a de pire. On n’a pas besoin de remonter jusqu’à l’usage ambigu du nucléaire entre le traitement des cancers et la bombe atomique. Nous sommes rendus plus loin que ça. La science offre des savoirs tangibles sur le monde alors que le dogme nous livre des savoirs sur un monde d’ailleurs, inconnaissable, insaisissable par les moyens de la pensée et des sens et qui exigerait toute notre attention parce qu'il relèverait du surnaturel divin! La technique, par ses réussites, ne fait que présenter la prière et les miracles comme des effets placebo. Bien sûr, les partisans du pari de Pascal entendront bénéficier à la fois de la science et de la foi aveugle; de la technique et des bénédictions thaumaturgiques. Ils trouveront parfois une synthèse, pour ne pas dire un syncrétisme, dans les psychothérapies ou autres formes de charlatanismes au prix fort. L’obole, ici comme ailleurs, s’est transformée en valeur d’échange, et cela bien avant la modernisation du sentiment religieux.


La Vierge lisant son bâtonnet de test de grossesses
Voilà pourquoi il faut une bonne dose d’humour pour prendre tout ça au sérieux! Le fait de surenchérir sur des musulmans, en minorité parmi les Québécois, en montrant que nous pouvons être aussi sots qu’eux n'est pas pour hausser l'estime de soi. Après tout, diront-ils, faire des simagrées en passant et repassant sous une Porte Sainte vaut bien défiler pendant des heures autour d’une roche à La Mecque. À chacun ses pèlerinages mais les attentes bassement matérialistes, sécuritaires ou sexuelles qui garantissent les intérêts sont assez semblables d'une foi à l'autre. Ce type de superstitions appartient-il à une tradition québécoise? Sans doute, mais une tradition totalement inactuelle et qui ne peut penser pénétrer dans le folklore autrement que comme une manifestation kitsch propre à toutes décadences de civilisation. La seule différence? Il n’y a pas de saint Augustin catholique, ou même chrétien, pour ridiculiser de telles singeries prises au sérieux par tous les média. Singeries parce qu’elles ne font honneur à l’intelligence ni à la grandeur de l’homme et ne sont sûrement pas non plus à l’honneur d’une divinité qui a souffert sang et eau pour libérer l’homme du péché et qui se voit célébré aujourd’hui, par une porte qui n’ouvre sur rien, sinon que le vide, le néant le plus dérisoire⌛


Montréal

8 décembre 2013.

2 commentaires:

  1. Les hommes religieux comme les politiciens vivent dans une réalité complètement décalée par rapport aux gens qui les entourent. C'est pour ça que les hommes de l'Église et les puissants s'entendent si bien. Ils vivent dans le même monde parallèle. Le dialogue avec eux est impossible. Ce ne sont pas des gens d'ouverture. On se butera toujours avec eux devant une porte close. Ça les représente bien.

    RépondreSupprimer