dimanche 7 avril 2013

Sur la tête d'Anarchopanda

D'après Lucas Cranach. Salomé et la tête de Jean-Baptiste

SUR LA TÊTE D’ANARCHOPANDA

Nous avons du mal à ne pas considérer les événements de ces dernières semaines autrement que comme un accroissement de violence discrétionnaire autorisée à ses policiers par le maire de Montréal et probablement entériné par le gouvernement péquiste à Québec. Les hommes d’affaires se sont concertés et, avant que ne débute la saison touristique et ses nombreux festivals qui s’achèveront dans le vomi de hot-dogs à la salmonellose et de bière en fût des festiveaux, les policiers ont reçu l’ordre d’éradiquer une fois pour toutes les manifestations gênantes, même si celles-ci ont perdu une partie de leur justification idéologique liée à l’augmentation des frais de scolarité universitaires.

Usant de violence gratuite, par manque d’intelligence des coordinateurs des services policiers qui croient que l’intimidation suffit à abolir une meute, les policiers ne cessent de cultiver des sentiments haineux à leur endroit. Dans le courant de la semaine, un graffiti sur un mur extérieur d’un commerce du quartier Hochelaga-Maisonneuve reproduisant la figure du porte-parole du service de police de la ville de Montréal, Ian Lafrenière percée d’une balle dans le front,  entraîna une réaction virulente de la part du service de police. À défaut de saisir le malicieux graffitiste, les policiers se rendirent à Rosemont, chez la militante Jennifer Pawluck, qui avait photographié la figure et mise en partage sur les réseaux sociaux, avec quelques commentaires sans doutes peu avenants. Elle se retrouve maintenant avec une accusation d’avoir : «agi à l’égard de Ian Lafrenière dans l’intention de le harceler ou sans se soucier qu’il se sente harcelé [...] ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité [...]». Une autre manifestation, comme il y en a à peu près à toutes les semaines, s’est tenue à la célèbre place Émilie-Gamelin, centre de ralliement de presque toutes les manifestations depuis l’année dernière. Bientôt encerclés par les forces policières, les manifestants se sont vus pris dans une souricière, impuissants à s’échapper des agents casqués. Des autobus sont arrivés servant de bureaux d’enregistrement des manifestants prisonniers du cul-de-sac où la police les avait ceinturés. Parmi eux, la mascotte, Anarchopanda, qui fut de toutes les manifestations étudiantes de 2012. Symbole à la fois de la philosophie anarchiste et de la non-violence des participants, le professeur de philosophie du cégep Maisonneuve qui revêt son costume a reçu cette fois-ci un «ticket» pour avoir manifesté «masqué». Le règlement P6, contre lequel la manifestation était organisée, vise à interdire le port de masques pendant une manifestation. Écœuré sans doute de voir cette figure grimaçante de Guy Fawkes sur toutes les faces des Black Bloks, le maire Applebaum entend maintenir ce règlement contesté devant les tribunaux.

Il est facile d’élaborer sur la sottise policière tant celle-ci est évidente. On peut souligner sa méchanceté puérile telle que démontrée dans l'affaire 728, sa mauvaise foi, sa violence gratuite, sa corruption politique, son mercenariat, protégée à la fois par un service qui la transforme à son gré en «police politique» et par un syndicat suffisamment puissant pour éponger toutes les conséquences criminelles des bavures qui ont conduit tant de malheureux innocents à une mort violente prématurée. Son inimputabilité la déres-ponsabilise «naturel-lement» des consé-quences de ses actes. La police de Montréal n’est pas une fierté. Certes, comparée à la police d’autres municipalités, elle nous apparaît bien penaude. Elle évite les bains de sang qu’on retrouve ailleurs aux États-Unis ou en Amérique du Sud. Elle a pris un temps énorme à trouver des stratégies efficaces pour dissoudre, pour faire avorter les manifestations populaires. Elle a été saisie de court par les événements importants du Printemps 2012. Maintenant, elle dépasse les organisations contestataires qui ne renouvellent plus leur stratégie et gaspillent inutilement l’énergie qu’elles pourraient investir ailleurs, dans d’autres tactiques, car dans la lutte insurrectionnelle, il faut toujours être un pas en avant des forces répressives, ce que les «sages» qui conseillent les organisateurs de manifs semblent ne pas avoir très bien compris. Ce gaspillage des forces énergiques des manifestants lié à la reprise de l’initiative stratégique par les forces policières achèvent, à la satisfaction des fournisseurs de paradis fiscaux - qui sont les mêmes qui imposent et surtaxent les classes moyennes et les plus pauvres de la société - de «pacifier» la métropole du Québec. En soi, de l’antagonisme des parties, nous confinons ici à la complicité tacite.

Le fait d’avoir «décapité» l’Anarchopanda avait sans doute une portée symbolique précise pour la police - venger le trou de balle dans le front du portrait d’Ian Lafrenière -, il avait aussi une charge symbolique encore plus profonde : décapiter À MORT le mouvement contestataire, c’est-à-dire la jeunesse québécoise qui refuse le confort et l’indifférence de la minorité dominante qui s’impose partout, dans un consensus qui cultive l’ignorance et la bêtise financière. Certes, comme toujours, cette jeunesse militante n’est pas la majorité de la jeunesse québécoise et beaucoup de Québécois d’âges différents partagent cette «insurrection» assez passive malgré tout. Nous ne pouvons pas prendre la violence banale dont a fait preuve le spvm depuis un an en le mesurant à l’extrême violence des corps de polices étrangers dans leurs milieux. Nous ne pouvons que la confronter à la violence exposée par les manifestants qui se présentaient devant eux, et force est de reconnaître que la violence policière n’a jamais cessé de déborder progressivement les limites défensives du convenable pour devenir foncièrement provocatrice et de plus en plus excessive. Devant des manifestants inquiets et stupéfaits devant cette furioso policière, nous devons nous avouer que nous sommes en présence de policiers peureux devant la rage manifestée par certains manifestants. Bref, tout le monde sue la peur dans cette confrontation. Ce qui veut dire, dans les faits, que personne n’est sûr de lui-même. Voilà pourquoi les coordi-nateurs pensent moins pour agir plus vite, mais sans mesurer les conséquences de cultiver un terrorisme latent qui ne fera qu’entraîner toujours plus de terrorisme patent lorsqu’il se réfugiera dans le maquis, les sociétés secrètes, les actions gratuites, car c’est vers cette issue incontournable que la stratégie imbécile de la police de Montréal nous conduit : une décennie de terrorisme à l’image de celle des années 60, avec bombes dans les boîtes aux lettres, enlèvements de personnalités politiques, voire assassinats des deux côtés. Car, nous le savons d’expérience, les agents infiltrateurs poursuivent la stratégie du terrorisme d’État lorsqu’ils parviennent à noyauter des cellules d’esprits surexcités, pas plus intelligents que le commun des coordinateurs de la police. C’est par son action inconsidérée que la police conduit présentement Montréal et le Québec vers une résurgence d’un terrorisme intérieur, favorable à l’instauration d’un climat dictatorial, à la suspension de l’Habeas Corpus - déjà pas toujours respecté d’ailleurs -, à des arrestations et des détentions arbitraires, enfin à des violences physiques et psychologiques insondables. Actions massives opérées par des policiers qui échappent à l'imputabilité et à l'impunité tacite, nous sommes assurés que nous n'aurons plus besoin de l'armée canadienne cette fois-ci, car nos bons policiers sont déjà tout suréquipé, légalement et illégalement, pour accomplir tout ce qui leur passera par la tête.

Tous les éléments sont présentement rassemblés pour que le chemin pris par les forces policières conduisent à ce beau résultat. Il favoriserait le fédéralisme dans une rencontre Harper ou Trudeau/Couillard pour précipiter l’adhésion du Québec à la Confédération, sans passer par le référendum tant il n’est pas prescrit par le processus démocratique même, puisque la Confédération elle-même ne s’est jamais soumise, entre 1864 et 1867, à un quelconque processus référendaire sur la question. Et l'exemple de Terre-Neuve montre qu'on peut faire autant de référendums qu'il est permis pour obtenir ce que l'on veut. La Constitution de 1982 n'en a pas appelé davantage au processus référendaire non plus.


Même chose face à la crise sociale qui suit la perte de contrôle de l’économie de marché par les organismes issus de Bretton Woods. Ni la Banque mondiale, ni le Fonds monétaire international n’ont de solutions à proposer à la crise engendrée par le capitalisme lui-même, par son manque de discipline dans sa voracité et la retenue de l’avidité de ses promoteurs. Les mouvements populaires ne peuvent venir à bout de ce Protée historique, et seules les générations de capitalistes parviennent à se succéder en se liquidant elles-mêmes les unes les autres. Les révélations concernant les paradis fiscaux où s’accumuleraient des sommes inimaginables détournées dans la plupart des États du monde au moment où la monnaie virtuelle exige son équivalence en monnaie sonnante et trébuchante, va obliger les gouvernements à agir pour sauver le capitalisme contre lui-même. Comme une espèce organique, le capitalisme vit des capitalistes comme il a vécu des travailleurs et vit aujourd’hui des consommateurs. Et dans la nature, les espèces détruisent parfois certaines de leurs branches afin de permettre à d’autres de survivre et de se développer. C’est à une liquidation de ce genre à laquelle nous assistons présentement. La forte croissance des économies émergentes oblige les économies pantouflardes, peinardes, à liquider leurs vieux dinosaures, quitte à leur tordre le cou et à obliger l’argent détourné à revenir dans le coffre des États fraudés afin de conserver l’avantage du capitalisme occidental devant l’agressivité de ces puissantes économies émergentes. Puissantes pour plusieurs raisons : la vitalité démographique contre la baisse des naissances en Occident; les capacités de production aux plus bas coûts en se servant d’une main-d’œuvre servile jumelée à une haute technologie en développement; la surproduction envisageable comme stratégie de «dumping» dans les pays occidentaux de manière à étouffer leurs secteurs industriels nationaux et renverser l’impérialisme de manière à transformer les anciennes métropoles en colonies de ces nouvelles puissances. Le secteur énergétique est sans contredit le pivot de renversement qui permettra ainsi le retour du balancier historique. D'où la position «privilégiée» du Canada dans cette guerre civile entre capitalistes. Autant les prochaines décennies nous apparaissent inquiétantes pour l’avenir de l’économie capitaliste occidentale, autant elles apparaissent pleines de promesses pour des civilisations étrangères et peu amènes à l’égard des anciennes métropoles occidentales.

Tout cela précipite les pays occidentaux dans la déprime, le cynisme et la violence. Le goût du fascisme revient sur les lèvres et plutôt que de laisser les mouvements anarchiques de droite ou de gauche faire le travail, les États suivent le conseil de Danton et espèrent résoudre le problème par l’ordre policier et les tribunaux. De plus, multiplier les infractions est une façon de renflouer les coffres municipaux vidés par les détrousseurs, les corrompus et les anges des paradis fiscaux dont la plupart ont d’étroites relations avec les hommes politiques de tous partis confondus, comme le montre les malheurs qui s’abattent sur le nouveau Président de la République française, François Hollande. Imaginez si D.S.K., s’étant tenu la graine dans ses culottes à New York, était devenu l’actuel Président!

Cette structure économique de l’économie de marché en voie de basculer de la géographie atlantique à la géographie pacifique jumelée à cette conjoncture des crises politiques et sociales, à une époque où les idéologies sont vidées de toutes substances et où le nihilisme tient la place du vide intellectuel, l’état du monde n'est rien de moins que certains. Chacun exprime donc ses angoisses - et parfois ses peurs réelles - devant les menaces potentielles de l’avenir. Voilà ce qui motive les actes de violence de la police puisque c’est elle qui sert de garde-fous aux minorités dominantes qui leur transmettent leurs paniques intérieures. La violence effrontée, partagée unanimement par les Libéraux, des personnages aussi pitoyables qu’un Jean Charest, un Jean-Marc Fournier, un Raymond Bachand et maintenant le doucereux Philippe Couillard; des équipes aussi pathétiques que celle du Parti Québécois de Pauline Marois, la désolation que sont François Legault et ses caquistes, enfin la pauvreté stratégique et tactique de Québec Solidaire, avouent l’impuissance totale et incontestable du personnel et des partis politiques québécois à bien naviguer dans la tempête. À Ottawa, l’élection de Justin Trudeau à la tête du Parti Libéral confirmerait Stephen Harper dans sa mainmise sur le Canada. Agissant déjà comme un gouvernement fasciste, c’est-à-dire qu’il fait ce qu’il avait promis de faire sans dévier de sa ligne - même si elle est tordue -, il est le seul à pouvoir venir à bout de la mafia des fournisseurs de paradis fiscaux, comme Mussolini jadis en Italie, en exerçant une pression judiciaire et politique sur les capitalistes canadiens qui ont abusé des lois de l’État. À ce seul compte, il peut parvenir à sauver le capitalisme des capitalistes.

Mais l’encolure policière de Harper s’applique aussi bien à la population qu’aux provinces et aux capitalistes fraudeurs. La loi sur l’Assurance-chômage en est un exemple. L’écho recueilli par la politique Maltais contre les Assistés sociaux en est une preuve indiscutable. C’est par la violence des crises que le capitalisme peut passer d’une figure de Protée à une autre, c’est donc en recourant à la violence, encore une fois, qu’il va procéder pour éliminer cette couche de capitalistes devenus dangereux pour son avenir. La question maintenant consiste à se demander quelle frange du capitalisme va sortir gagnante de cet affrontement. Le trou de balle dans le front de Ian Lafrenière ou la tête de l’Anarchopanda?

L’historien québécois d’origine germanique, Heinz Weinmann avait écrit un livre fascinant Du Canada au Québec Généalogie d'une histoire, que les historiens québécois ont boudé, comme ils boudent toujours ce qui dépasse la limite étroite de leurs petites compétences, dont la thèse était centrée autour du fantasme de la décapitation. Imbu des thèses de Jung et de Girard, Weinmann analysait l’archétype de la décapitation comme un effet de l’identification inconsciente des Québécois. Le culte voué à Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, célébrerait aussi bien la pendaison des Patriotes de 37 et de Riel que la décapitation de McLean, un espion américain sous le régime du Harper de l’époque, le gouverneur Craig, enfin du roi Louis XVI, en tant que figure paternelle. La question ne serait plus alors faut-il ou non décapiter, mais qui faut-il décapiter? La Figure de l'Enfant (McLean, les Patriotes, Riel?) ou la Figure du Père (Louis XVI, John A. Macdonald)?

Car en 1992, pour célébrer le jour de la pendaison de Riel, des plaisantins ont décapité la statue de John A. Macdonald, père de la Confédération et du Canada. Ce geste, qui avait alors amusé le Premier ministre du Québec, l’indépendantiste Jacques Parizeau, avait, bien entendu, traumatisé les partisans du Canada, surtout les anglophones, considérant que la statue est au Parc Dorchester, à côté de la cathédrale de Montréal. Comme la tête ne fut pas retrouvée, il fallut en sculpter une autre et la mettre sur les épaules du malheureux. Cette décapitation symbolique venait trente ans après que l’explosion d’une bombe ait fait sauter la tête de la jeune reine Victoria au Victoria Hall de l’Université McGill, sur la rue Sherbrooke. Entre les deux attentats symboliques, le meurtre de Pierre Laporte, en octobre 1970, a opéré le passage du symbolique à l’historique. Le Québec contemporain n’hésiterait désormais plus à décapiter ses figures de Père. L’État n’a plus la signification absolue qu’il avait depuis le Régime français et sous la colonisation britannique. C’est ce que rappelle le trou de balle dans le front de Ian Lafrenière. Ni les premiers ministres, ni les hommes politiques, ni les policiers à plus fortes raisons, ne sont immunisés contre l’abus de la violence haineuse et meurtrière à leur égard. Aussi, en redoublant de violence, au lieu de l’apaiser, les coordinateurs jouent le rôle tragique des Capulets et des Montaigüs dans le Roméo et Juliette de Shakespeare, d’accroître la vendetta entre les partis. La violence utilisée par le spvm serait justifiable si les manifestants étaient de véritables vandales mus par la violence et la haine destructrice. Tel n’est pas le cas. Aussi, le fait d’utiliser le terrorisme d’État peut finir par se retourner contre eux, et ni le chef Parent, ni le chef de la Fraternité, Yves Francœur, ne pourraient sauver la tête du policier qui, détachée, roulerait dans le fossé avec son casque et sa visière.

D’où l’importance de surenchérir sur le fantasme de la décapitation en prenant la tête de la mascotte des insurgés. Dans ce vieux scénario, qui répète toujours le Totem et tabou de Freud, afin d'éviter la castration de la Figure du Père à laquelle s’identifie la minorité dominante, s’impose alors le besoin de décapiter la Figure de l’Enfant. L'angoisse de la castration sociale conduit à la pédophtorie d'État, cet avortement post-partum dont parlait le polémologue Gaston Bouthoul, par des guerres, par des massacres intérieurs, par des conditions de détentions homicides. La Rébellion de 1837 avait entraîné bien des morts, mais celle de George Weir, un officier britannique déguisé en civil, infiltré parmi les Patriotes lors de la bataille de Saint-Denis qui, capturé, est tué en tentant de s’évader, prit une dimension symbolique qui fit que le Remember Weir! fut lancé par les soldats anglais survoltés lors de la bataille de Saint-Charles. À la rébellion, réprimée dans le sang par Colborne, la mansuétude de Durham consista à expédier les prisonniers de 1837 aux Bermudes. Après la Rébellion de 1838, Colborne fera giguer les siens au bout d’une corde. Parce que Riel, s’étant enfui aux États-Unis après la première Rébellion des Métis en 1870, celle qui avait coûté la vie à l’orangiste fanatique Thomas Scott, son sort fut rapidement scellé en 1885, après la seconde Rébellion où avait dû intervenir l’armée britannique de l'incapable Middleton. Selon ce pattern simpliste qui voudrait qu'user de modération dans la répression invite au déclenchement d’une seconde manifestation plus violente, plus dangereuse, laisse supposer qu'il vaut mieux exciser le mal le plus rapidement possible. C'est en cela que l'action policière est proprement imbécile. Symboliquement, le successeur actuel de George Weir et de Thomas Scott, c’est Ian Lafrenière, tout le monde l’aura compris.

S’emparer de la tête d’Anarchopanda, c’est la vengeance tribale implicite. Le totem policier a été visé au front. Le crime doit être puni, judiciairement et symboliquement. Le soir de la manifestation du 5 avril 2013 a été l’occasion pour les forces du Père de régler ses comptes personnels. Bring me the head of Anarchopanda. Si les résultats des élections du mois de septembre 2012 ont fait rouler la tête de Charest (symboliquement), la corruption à l’Hôtel de Ville de Montréal celle du maire Tremblay, les porteurs de la Figure du Père ont de quoi se sentir inquiétés. La tête du chef de police, Marc Parent, a été à un doigt elle aussi de tomber. Dans la guerre civile que se livrent les capitalistes, l’intervention des manifestants n’est utile que s’ils revendiquent des objectifs précis. Ce qui a été le cas durant la première phase du mouvement étudiant du printemps 2012. La chose se serait réglée facilement si le représentant de la faction établie du capitalisme, corrompu par le pouvoir et les détournements frauduleux, ne s’était obstiné. L’ampleur de la manifestation a entraîné le débordement des revendications en même temps qu’il a fait s’évanouir la plupart des revendications réformistes. Perdant des objectifs précis pour se revêtir d’objectifs imprécis et vaguement utopistes, l'opposition à la brutalité policière est devenue le dénominateur commun des manifestants alors que le mouvement s’essouffle progressivement. Confondue avec le droit à la liberté d'expression, l'opposition à la brutalité policière est un enjeu ambiguë puisqu'on n'accepte pas l'existence de la police sans lui accorder l'usage d'une certaine force. Personne ne demande l'abolition du service de police, mais seulement que celui-ci ne serve pas, ne se prête pas, à la censure sociale.

Manifester contre la police est le dernier souffle d’un mouvement social revendicateur. La guerre d’opérations est devenue une guerre de tranchées. C’est cela qu’on appelle la souricière. Portant en triomphe la tête d’Anarchopanda comme les joueurs du Canadien, l’équipe de hockey de Montréal, porteraient la coupe Stanley, c’est le plaisir honteux des policiers qui n’ont plus à combattre pour vaincre. En retour, les raisons qui ont conduit à ces manifestations de l’été 2012 et qui s’étiolent en langueur, demeurent. La guerre civile à l’intérieur du capitalisme entre deux générations, deux modes conceptuels du développement économique, l’un, néo-libéral, qui est déjà usé et rendu menaçant pour la stabilité économique, incapable de redresser ses propres vices, l’autre, qui n’a pas encore reçu de nom, mais dont la présence se fait sentir dans les nouveaux secteurs de pointe et qui tisse déjà des liens étroits avec les économies émergentes afin d’avoir sa grosse part du gâteau. Cette nouvelle frange de l'économie capitaliste a besoin présentement de capitaux pour faire affaires avec des économies nationales vigoureuses qui ne peuvent manipuler l’économie virtuelle avec la même aisance et demandent, pour leurs transactions, de la monnaie sonnante et trébuchante afin de renflouer les coffres de leurs banques. Cet argent dort dans les casiers des «paradis» qui se sont placés en dehors de la justice internationale, précisément parce que ces pays n'ont aucune infrastructure économique solvable. Les capitalistes de la génération du baby boom, du néo-libéralisme, laissent dormir cet argent pour toutes sortes de raisons, plus irrationnelles qu'illogiques, tandis que cet argent serait nécessaire à juguler la crise des marchés financiers. C'est ici que cette nouvelle frange économique peut, en réclamant des réformes sociales, rendre possible l’établissement de leur nouvelle hégémonie. C'est ce rendez-vous que les deux parties derrière la crise étudiante de 2012 demandaient.

Il est pénible, encore une fois, de voir à quel point le discours économique des journalistes et des économistes universitaires est si arriéré, si aveugle aux fortes pressions qui déchirent les capitalistes entre eux. Les explications d’un Alain Dubuc ou d’un Pierre Fortin - un soi-disant «lucide» - et les bouffonneries didactiques du prof. Lauzon, nous ramènent aux principes dépassés du XVIIIe siècle. Ce retard, encore une fois, va nous coûter très cher. Stephen Harper, lui, accueille les pandas chinois avec une promesse de s’en prendre aux évasions fiscales tout en pratiquant des ponctions inhumaines de taxes, d'impôts et de coupures de services à sa population. Car ne nous y trompons pas, Harper s’est réfugié auprès de ses gentils pandas chinois pour mieux fuir ces manifestants autochtones qui arrivaient d’une marche de milliers de kilomètres, en plein hiver, pour venir de la Baie d’Hudson à Ottawa, réclamer le respect des droits ancestraux et plaider contre l’épouvantable misère qui afflige leurs peuples. Harper comprend mieux que n’importe quel vieux capitaliste néo-libéral issu de l’ère Reagan ce qu’il faut comme administration pour assurer le renversement de l’équilibre capitaliste. Voilà pourquoi il pratique une politique économique adaptée à cette classe montante de nouveaux capitalistes, en symbiose avec les économies émergentes.

Aussi, préfère-t-il l’État canadien aux peuples canadiens. C’est le cas de tous les dirigeants mégalomanes : si sa politique réussit, c’est parce que c’est sa politique et qu’il peut mettre l’archaïsme au service du futurisme. Il désole son propre territoire, ponctionnant les matières premières et les richesses pour les mettre dans le jeu des échanges mondiaux, à la manière du colonialisme du XIXe siècle. Si sa politique venait à échouer, la faute en retomberait sur le dos du peuple «sur lequel il s’est appuyé», qui n’était pas le bon matériau pour opérer la transition. C’est ce que Mussolini et Hitler convenaient, chacun séparément, des conséquences funestes de leurs politiques, à quelques heures de leur mort tragique. C’était les Italiens et les Allemands qui n’étaient plus dignes d’eux à l’issu de leur parcours. Voilà pourquoi la dictature conservatrice canadienne a été mise en place, non sans efforts, au cours de la décennie précédente. L’économie canadienne y gagnera-t-elle au change? C’est ce que souhaite Stephen Harper, mais l’économie canadienne ne sont pas les Canadiens. La France, l’Angleterre, les États-Unis peuvent bien être des pays riches mais ils possèdent chacun un quart-monde dont la situation objective est tout à fait comparable à celle des populations des régions les plus défavorisées de la terre. Au Canada, ce contraste peut très vite se manifester dans le temps. Pour Protée qu'elle soit, l'économie capitaliste, néo-libérale ou autre, reste toujours un mode d'exploitation où aux contraintes économiques s'ajoutent les contraintes extra-économiques, c'est-à-dire la violence des maîtres du jeu.

Cette guerre civile entre milieux d’affaires capitalistes, comme toujours par le passé, se joue, se livre sur le dos des peuples, trop divisés idéologiquement pour se concerter et éviter de se laisser entraîner comme «chair à canons» des impérialismes. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui que par le passé. Chacun livre le combat pour soi, n’ayant aucun véritable projet de société cohérent sinon que d’en profiter au maximum. C’est là l’immaturité du mouvement populaire de 2012. On abat pas un vieux système économique seulement en marchant dans les rues ou en cassant quelques vitrines. Il faut élaborer un programme idéologique qui ne peut reposer sur le nihilisme ni sur le cynisme; il faut une praxis cohérente et efficace, des stratégies, des tactiques de combat s’il n’est pas possible d’user autrement avec des forces déclinantes et prises de panique devant leur mort lente mais inéluctable, enfin il faut une projection utopique qui sert d’alternative et qui appelle à la vitalité et la reconstruction des dommages subis par cette agonie inouïe. Visiblement, tout cela ne résidait pas dans la tête vide de la mascotte, et l’Anarchopanda apparaît comme le symbole de ce manque. Quand les philosophes se mettent à jouer à la mascotte, il y a de fortes chances pour que le devenir de la communauté ne soit plus rien d'autre qu'une apparence gonflée d'air⌛


Montréal
7 avril 2013

4 commentaires:

  1. Encore une fois: très fort ce texte.
    J'ai l'impression que le SPVM a court-circuité l'institution politique municipale duquel il relève en principe. De plus, il semble que le judiciaire soit devenu un autre bras de la police.
    Un phantasme récurrent chez moi des temps-ci: que les dirigeants de la Ville de Montréal charcutent à la tronçonneuse le fond de pension surréaliste des policiers du SPVM.
    Daniel

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  2. Assure-toi que si les dirigeants de la Ville de Montréal se mettaient dans la tête de «charcuter», à la Magnotta, le fonds de pension de ses policiers, ils ne pourraient mettre le nez dehors sans recevoir des tickets pour toutes sortes de sottises, comme ils le font déjà pour les citoyens. Applebaum verrait une immense croix de feu en flammes devant sa maison du «ghetto» de Côte-des-Neiges, et une encyclopédie complète de toutes les magouilles où a trempé Focillo depuis l'époque de Drapeau serait publiée sur papier, sur tablette électronique et en braille. Ce qui fait dire que les fantasmes ne sont pas faits pour être réalisés.

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  3. Je me doute bien que ce phantasme ne sera jamais réalité. Tout de même: les montants que la Ville de Montréal a injecté pour renflouer le fond de pension de ces gens au cours des dernières années est hallucinant. Curieusement la conduite des policiers du SPVM n'est même pas sujet de débats au conseil de Ville de Montréal. Projet Montréal, dont ça devrait être le rôle par exemple, ne fait rien en ce sens. C'est comme une sorte d'abandon politique. Les dirigeants du syndicat des policiers en sont rendu à essayer de faire chanter les politiciens municipaux s'ils n'acceptent pas leurs demandes.
    Les direction du SPVM n'a aucun scrupule à encrasser le système judiciaire avec des poursuites et des accusations baillons. Je le sais notamment pour avoir été l'objet d'une poursuite odieuse au criminel d'une poursuite odieuse de la part du policier qui m'avait agressé. Dans ces cas, il semble que les procureurs jouent le jeu. Le système de justice devient sa propre fin. Elle est vouée à faire tout ce qu'elle peut pour se nourrir.
    Daniel

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  4. C'est cela l'absence d'imputabilité et l'impunité. La police n'est que le «bras séculier» de la justice. Si la justice est elle-même corrompue, puisque les juges sont des nominations politiques, le mercenariat part du haut vers le bas. Voilà pourquoi beaucoup remettent en question le mode de sélection des juges. C'est le pendant étatique de la mafia, les uns se mettent de l'argent dans leurs poches familiales, les autres dans les goussets de l'État. Après Loto-Québec, l'Hydro-Québec, la S.A.Q., il y a la S.Q., le S.P.V.M. et autres lotos judiciaires (catch me if you can?). Comme l'Église a prostitué la religion, le système de justice prostitue la justice. S'en sort qui paie. Et la police sert d'excellent agent de recouvrement.

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