dimanche 5 août 2012

Du carré brun de province



Carré brun : vous me faites tous chier…

DU CARRÉ BRUN DE PROVINCE


Dimanche soir, le 5 août 2012, écoutant les commentaires de ce Cyrano de Bergerac de TVA, Jean Lapierre en tournée aux Îles-de-la-Madeleine, j'écoutais ce que les gens lui avaient dit sur la plage à propos des élections. «Ils sont allergiques à Jean Charest», de dire Lapierre, «mais ils sont aussi allergiques au carré rouge». Devant tant d’allergies, nous devrions, par charité, leur envoyer un container de Coppertone. Ce mépris de l’arrière-pays pour les revendications étudiantes a assez duré. Ces hommes et ces femmes d’un certain âge, colonisés au trognon, passifs devant l’existence, méprisants l’intellectualité par jalousie et par envie, ignorants des forces sociales qui les ont broyés au cours des décennies, qui ont même, parfois sinon souvent, contribué à dilapider des entreprises que des générations d’ancêtres avaient érigé pour bénéficier des gâteries de la société de consommation et qui attendent maintenant de leur progéniture l’assurance de mourir aux Résidences Soleil plutôt qu’Au Jardin des Doyens, n’ont jamais manifesté le tiers de l’effort que font ces manifestants pour essayer d’accéder, même par pur idéalisme, à une société plus juste.

Dans les années 50 et 60, chaque région du Québec avait ses petits entrepreneurs familiaux dans un domaine ou dans un autre, liés étroitement avec le développement économique régional. Certains étaient aussi corrompus sans doute que nos actuels Accurso et autres, mais ces ancêtres réinvestissaient dans leurs entreprises, vivaient, comme disait Max Weber, sur le Beruf, c’est-à-dire sur la valeur du travail accompli. Comme les Rothschild, les Vanderbilt, les Rockefeller, ils étaient partis de rien, ou de bien peu, souvent de leur seul talent (Rockefeller n’était, à l’origine, qu’un petit comptable sans degré universitaire), mais ils avaient le sens de la noblesse dynastique. Ils amassaient des fortunes pour leur enrichissement personnel, certes, satisfaire leurs ambitions et leur soif de pouvoir, mais par paternalisme communautaire pour leurs employés comme pour leurs concitoyens, avec lesquels ils vivaient en symbiose, ils n'hésitaient pas à créer des équipes sportives, à consacrer quelques surplus pour enrichir la communauté d’une bibliothèque ou d’un musée. Bien qu'égoïstes dans leurs motivations, ils savaient conserver le sens de l'héritage patrimonial à transmettre.

Cette génération qui, aujourd'hui, se dit allergique aux carrés rouges, n'a pas fait qu'interrompre la chaîne de la transmission patrimoniale. Ce faisant, elle est bien celle qui a fait avorter la stratégie de développement à long terme des régions. Les entrepreneurs locaux, qui travaillaient aussi dans l'espoir d'édifier des dynasties, étaient propriétaires de manufactures parfois très bien outillées, certaines mêmes allaient au devant de la modernisation. Ils suppléaient auprès des populations locales aux investisseurs étrangers, toujours plus intéressés par la matière première et les bas salaires des travailleurs non syndiqués (comme aujourd’hui en Chine «communiste») dans le but de tenir un faible coût de production et un maximum de profits. Pour ces investisseurs étrangers, il a toujours été plus «libéral» de lever le nez sur leurs ouvriers dont ils considèrent, une fois le salaire payé, que plus aucun lien ne les retient ensemble À l’exemple des dynasties juives et anglo-saxonnes, nos entrepreneurs locaux rêvaient davantage de voir leurs entreprises leur survivre que d’aller se faire griller la couenne sur les plages de Floride l’hiver. Chaque ville de province, chaque région était un «écosystème» humain qui parvenait à se développer sans coûter ni dépendre des gouvernements. Sur leurs épaules reposait le développement du secteur secondaire, indispensable à l'auto-détermination économique d'un pays indépendant. Je me souviens avoir lu comment, à Saint-Jean-sur-Richelieu, lors de la grande grève de la Singer en 1951, alors que les ouvriers avaient épuisé leur fonds de grève, que les marchands locaux faisaient crédits aux grévistes et à leurs familles. Cette solidarité était sans doute nécessaire dans le contexte de cet «écosystème» régional alors qu'aujourd'hui, elle est davantage une aspiration qu'une contrainte.

Or, ce relais a été brisé, précisément par cette génération qui, aujourd'hui, participe de cette mentalité collective de province «d'assistés sociaux», réclamant toujours davantage de l'État tout en condamnant ceux qui commencent à s'éveiller et à s'apercevoir que ce système entretien la pourriture et la corruption sociales. Ayant aujourd'hui 50 ou 60 ans et plus, oubliant qu'eux-mêmes avaient contesté la génération de leurs parents, ces «accumulateurs de fortunes», leur avant-gardisme social s'est transformé en réaction frileuse devant une génération dont ils ne peuvent reconnaître la même légitimité qu'ils s'autorisaient dans leurs contestations des années 60 et 70. Bref, ceux qui ont hérité d'une fortune bourgeoise l'ont dilapidé par ostentation et consumérisme stériles; ceux qui n'avaient rien et qui n'ont hérité que de leurs fonds de pension de salariés, qui apparaissaient si généreux au moment de la signature des conventions collectives après les dures négociations des années 60 et 70, sont obligés de constater, qu'avec l'augmentation du coût de la vie et les vagues d'inflations monétaires successives depuis vingt ans, que ces fonds de pension dis-je, ne leur garantissent plus la sécurité ni le confort espérés. L'angoisse de la chute soudaine dans une pauvreté dont ces gens ne pourraient se remettre, en recommençant un dur labeur de jeunesse alors qu'ils entrevoyaient finir leurs jours en Floride selon la publicité de Liberté 55, suffit à remplir leur sceau de ressentiments qu'ils déversent contre des groupes ou des individus cibles dont ils craignent les effets économiques de l'action politique. S'appuyant sur ces «angoisses intestinales», le Parti Libéral de Jean Charest capitalise, effraye, terrorise.

D’autre part, il est vrai que les élites politiques et cléricales ont encouragé l’exploitation de générations de travailleurs, leur diabolisant les syndicats, les revendications salariales et de conditions de travail, les partis politiques marginaux, la société laïque. Elles s’assuraient que les colons soient bien recolonisés à chaque génération, afin de maintenir intacte l’ordre spirituel et socio-économique. Quand, au retour de la Seconde Guerre mondiale, les fils et les filles de ces dynasties, à l'exemple de Paul Sauvé le vrai père de la Révolution tranquille, ont compris que cet «écosystème» humain ne convenait plus à la réalité, ils se sont mobilisés. Ils ont participé, en région bien avant Montréal souvent, à la syndicalisation, à la laïcisation, à déclencher et entretenir des grèves contre les colonisateurs étrangers. Là aussi se livraient des luttes de «carrés rouges» qu’on accusait bien à tort de communisme, voire même simplement de socialisme, ce qui voulait dire : des sans Dieu. C’était seulement la liberté morale et économique qu’ils cherchaient. La résistance, organisée sous le parapluie de l’Union nationale, a donné un esprit paroissial de rejet, relayé aujourd'hui par les Beach Gray rencontrés par Jean Lapierre. Les soubresauts de l’économie, le fait que les entreprises étrangères ne pouvaient plus imposer les conditions de travail et les bas salaires, ont amorcé le dévidement des régions. Du capitalisme sauvage, le Québec passait à ce que Bernard Landry appelle sottement, un capitalisme humain.

En fait ce fut une débandade de l'esprit de la tradition. La vieille leçon de Jean Rivard personnage d'un roman d’Antoine Gérin-Lajoie (1862-1864) ne portait plus. Devenir rentier était l’aboutissement des rêves de cette nouvelle génération dont les humeurs révolutionnaires s'évaporèrent plus vite que la dernière pof de leur pétard. Selon le rythme de dévidement des régions, les entreprises locales agonisaient parfois dix, vingt ou même trente ans avant de mettre la clé sous la porte. L’automatisation des nouvelles entreprises ou de celles qui survivaient condamnait les anciens travailleurs au chômage. Le mépris anti-capitaliste de ceux qui osaient défier leurs paternels, adeptes de la philosophie de Jean-Rivard, se retourne aujourd'hui contre leur progéniture qui s’affiche carré rouge.  Contre l'austérité paternelle, la gravitas catholique et l'establishment bourgeois cette génération dite anti-capitaliste, sans aucun dessein d'avenir (sinon de velléités indépendantistes ou social-démocrates), se vautra alors dans l'hédonisme. Sa quête des centres d’achat de Plattsburg, ses hivers en Floride, ses dépenses ostentatoires (conforme à la théorie de Veblen), créèrent non seulement l’hémorragie des fortunes acquises au cours des générations de dures labeurs, mais se déplaça vers l’endettement privé. Alors que les clans Desmarais et Péladeau perpétuent le rêve de Jean Rivard tout en ne se privant pas des dépenses ostentatoires, ceux-ci ont réussi quand même divers retournements que les classes bourgeoises en région n’ont pu accomplir. Par le fait même, de riches elles sont passées dépendantes de l’État, assistant, impuissantes, à l’exode des jeunes vers les grandes villes, surtout de Montréal, qui passa de la ville des débauches sexuelles à la ville des corruptions financières, que ces mêmes classes pourtant avaient pratiquées, à une échelle plus réduite sans doute, du temps de leur prospérité.

Si les Québécois ont toujours choisi et veulent le capitalisme encore aujourd’hui, alors il faut qu’ils apprennent à jouer la règle du jeu capitaliste, même lorsque cette règle dit qu’on peut la violer n’importe quand. L'alternative à la «mentalité d'assistés sociaux» des régions, c'est le néo-colonialisme, c'est-à-dire laisser faire les capitalistes étrangers. Et avec Jean Charest nous les rappelons encore à notre secours, à nous coloniser à nouveau sur le modèle du XIXe siècle. Voter Jean Charest, c’est voter pour le retour des investissements américains ou asiatiques comme au XIXe siècle on attendait la Révolution industrielle d'Angleterre. Comme les gouverneurs coloniaux, de Craig et Lord Durham à Sydenham, le premier ministre du Québec est devenu l’agent de l’ordre et de la loi afin de rendre possible cette exploitation néo-coloniale. Voilà pourquoi cette «majorité silencieuse», grevée de brûlements d’estomac contre les jeunes revendicateurs, est anticipée comme une base électorale de trouillards que le Parti Libéral du Québec peut facilement intimider. À ce titre, voilà la stratégie claire de la régression historique made in Quebec. Le trait dominant de cette évolution régressive : la dépendance plutôt que la quête de l'auto-détermination. Dépendance envers les investisseurs étrangers (colonialisme ancien et moderne) et mentalité d'assistés sociaux (la dépendance envers l'État patronneux).

Le défoulement anti-manifestations étudiantes, ce que certains appellent «le carré brun», n’est que le vidangeage de sacs de malices de provincialistes incapables. Si les régions sont aujourd’hui ce qu’elles sont devenues, c’est de leur responsabilité. Alors que cette bourgeoisie locale devenue hédoniste vivait en parasite des industries étrangères établies en leur sein, plutôt que d’apprendre d’elles et pouvoir les relayer à leur départ, elle est restée passive, béni oui oui jusqu’à temps qu’elles ne purent dirent : «désolé… excusez-nous… nous avons échoué… ce n’est pas notr’ faute… etc.». Plutôt que d’encourager l’organisation communautaire, les coopératives comme Tricofil, qui fut une tentative déjà condamnée en partant, bref, un mode de développement alternatif à l'attentisme du capitalisme confortable, elles ont attendu, tantôt de l’État, tantôt des multinationales étrangères, qu’ils viennent les sortir du trou et leur redonner le niveau de vie qui était celui de leur enfance dans les années 50-60. Leurs propres revendications à l’hédonisme des années 60-70 sont désormais oubliées devant celles revendiquées par leurs propres enfants ou petits-enfants, non par sagesse morale, mais pour qu’ils leur servent de bâtons de vieillesse. Aussi, les voit-on pleurnicher leur manque de respect envers eux, les aînés, alors qu’eux-mêmes ont souvent méprisé et eu honte de leurs propres parents. Leur condition actuelle n’est qu’un juste retour des choses pour une génération de cigales sans chorégraphies.

Si nous en sommes réduits à être une province qui s’appauvrit, qui tangue vers le protofascisme des députés-policiers, qui cultive l’anti-intellectualisme au point qu’il faudra bientôt faire comme dans les pays africains et mettre la face des politiciens à côté de leur parti sur les bulletins de vote pour les reconnaître (la boussole électorale de Radio-Canada, c’est déjà le premier pas fait dans cette direction; elle s’adresse visiblement à ceux qui ne savent pas quel parti dit quoi et ce qu’ils pensent relève de quel parti?). Il y aurait beaucoup à dire sur l’anti-intellectualisme des Québécois, surtout de ceux qui ignorent que la civilisation se vit dans les cités et non dans les terroirs qui, d’autre part, peuvent produire de magnifiques cultures. Mais il faut savoir faire des réserves! Ceux qui méprisent aujourd’hui les revendications étudiantes pour leur propre sécurité financière restent des égoïstes dotés d’une mentalité de dépendance psychologique et sociale, ce qu'eux-mêmes baptisaient, en leurs années folles, «une mentalité de colonisés», d’où ces ressentiments inépuisables qu'ils déversent sur tout un chacun. Ayant vécus en jouisseurs, ils meurent en lâches⌛

Montréal
5-7 août 2012

2 commentaires:

  1. Je suis en partie d'accord avec cette article mais quelque point importent on ete oublier.

    1 Les incitations a la violence et le manque de denonciation de certainne association etudiente on gravement entacher leur mouvement.

    2 Le refus de vouloirs payer d'avantage d'impot et taxe et tout a fais justifiable compte tenue de notre taux d'imposition qui est beaucoup trop elever. Sans compter l'effet pervers des impots elever qui stimule la coruption etant alors tres avantageux de blanchir l'argent plutot que de payer honnetement ces impôts

    Sinon interressent.

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    1. Je m'excuse de répondre si tardivement à vos commentaires, mais je n'en ai pris connaissance qu'aujourd'hui. Votre point 1 est juste, mais la violence ne se mesure pas seulement au nombre de vitrines brisées. Au départ, c'est l'État qui a seul le monopole de la violence dans un régime démocratique et parfois, il arrive qu'il suscite des réactions du même ordre. Le jeu de la violence se joue donc à deux et, moralement, rien ne justifie l'État d'employer une violence légale ou morale pas plus que la violence des casseurs n'est justifiable lorsqu'il y a possibilité de négocier.

      Il est vrai, revenant à votre point 2, que les taux d'imposition et de taxation sont exorbitants au Québec, mais ne servent-ils pas à payer les soins de santé, l'instruction publique jusqu'à la fin du collégial, l'entretien des infrastructures (routes, ponts, traversiers, etc.) qui permettent à l'économie de mieux se développer? Au niveau fédéral, il y a les différents équipements militaires qu'il faudrait prendre en compte, l'administration des frontières, les engagements internationaux. Cela aussi est payé avec vos impôts. Mais restons-en aux obligations provinciales. Renvoyer tout cela au privé n'assurerait pas de meilleurs services et coûteraient encore plus cher. Vous seriez obligé de payer en assurances privées de toutes sortes les frais d'hospitalisation, de convalescence et de médicaments qui sont présentement payés par l'État. Pensez, lorsque vient le temps de vous faire rembourser par les assurances que vous avez déjà pour votre domicile ou votre auto, que vous ne vous réjouissez pas toujours des clauses en caractères minuscules qui vous dépossèdent d'une partie de votre remboursement! Enfin, élevés ou bas, ce ne sont pas les impôts ni les taxes qui créent la corruption. Les Américains qui, comparés à nous, paient relativement peu d'impôts, subissent également le joug de la corruption des institutions. C'est donc ailleurs qu'il faut chercher les causes de cette corruption qui existait déjà du temps de Duplessis où l'on payait relativement peu d'impôts au Québec.

      Soyez assuré cependant que j'apprécie hautement vos commentaires. Que nous ne soyons pas d'accord ne réduit en rien le respect que nous pouvons nous porter mutuellement. Merci.

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