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Sir James Henry Craig (1748-1811) |
LA LOI SCÉLÉRATE 78 ET LE «RÈGNE DE LA TERREUR»
Lorsqu’à l’âge de onze ans, je reçus le livre de Farley-Lamarche, Histoire du Canada, des Clercs de Saint-Viateur, il y avait un chapitre, le 27e, intitulé «Le “Règne de la Terreur” - Craig (1807-1811)». Ce n’était certes par la Terreur de la Révolution française, mais, avant la gouvernance de Colborne à la suite de la répression des Troubles de 37-38, le gouvernement de Sir James Craig (1748-1812) fut vécu par les Canadiens-Français comme un véritable «règne de la Terreur». Qu’est-ce qui faisait de Craig un gouverneur «terroriste» alors que la population canadienne demeurait exceptionnellement passive devant les tourments révolutionnaires qui se déroulaient alors en France.
Le premier trait de ce terrorisme était la volonté d’assujettir la Chambre d’Assemblée (l’Assemblée nationale) et l’Église, les deux puissances canadiennes-françaises de l'époque.
Le second trait était l'opposition entre l’entourage financier du gouverneur et l’adversité de la résistance des députés canadiens-français : d’une part la Clique du Château, de l’autre le Parti des Canadiens-Français (futur Parti Patriote).
Les juges nommés par le gouverneur et non éligible par la Chambre.
Craig intimida les Canadiens-Français en faisant saisir le journal Le Canadien et arrêter des députés opposants.
Craig et ses conseillers protestants anglophones travaillèrent à un projet d’union des Canadas et à l’abolition de la Constitution de 1791 (donc de l’existence de la Chambre d’Assemblée), dans le but d’angliciser le plus rapidement possible la population d'origine francophone.

À la fin de son mandat, Craig, sentant venir sa mort, tenta bien de se montrer moins brutal, mais le fait est que lorsqu’il demanda son rappel et repartit en Angleterre, la population, en général, poussa un soupire de satisfaction. Le nouveau gouverneur, Sir George Prevost joua le rôle du bon cop après que Craig eut joué celui du bad cop et réussit à entraîner la résistance canadienne-française contre l’invasion de 1812 par les troupes américaines.
Craig n’eut pas besoin de recourir à une loi scélérate, comme l’actuel gouvernement Charest avec sa loi 78. Pour cause. En tant que gouverneur colonial, il relevait de la loi britannique et son mandat le plaçait bien au-dessus de la Chambre d’Assemblée. Contrairement au roi d’Angleterre, dont on dit qu’il règne mais ne gouverne pas, Craig, lui, régnait et gouvernait, de sorte qu’aucun Britannique de l’époque ne l’aurait toléré à Londres à la tête de l'exécutif. Ce qu’apporta le gouvernement Craig à l’héritage québécois? D’abord, un mode d’intimidation de la population jugée racialement inférieure à la population française d'Europe. Contrairement aux Britanniques, aux Français et aux Américains, la docilité canadienne-française, depuis l'âge de la Nouvelle-France, pliait facilement sous la corruption et le pouvoir arbitraire. L’Église, qui devait quand même souffrir des rebuffades sous le «règne de la terreur», enseignait le Omni potestas eo Deo avec une insistance, elle-même terrorisée, de se voir réduire à l’oppression dont souffrait alors l’Église catholique en Angleterre même. Contrairement à la Clique du Château, formée de marchands richissimes de fourrures et de bois, véritables lèches-bottes du gouverneur, l’Église n’entrait pas dans la complicité coloniale, comme elle allait le faire après 1837-1838. Elle se savait elle-même sous l’épée de Damoclès et par le fait même, ourdissait une résistance passive.
Pourtant, dire que toute la collectivité canadienne-française se soumettait passivement à Craig serait une erreur. Des députés libéraux - Papineau, Bédard, Blanchet - tenaient un discours qui dénonçait de manière assez franche la politique de Craig et de son entourage. L’éditeur du journal Le Canadien, Lefrançois, fut mis aux arrêts par ordre du gouverneur et son imprimerie saisie. Ce geste d’intimidation avait pour but de faire cesser la circulation des idées et, dans le contexte des guerres napoléoniennes, l’Angleterre avait sévi avec la même sévérité envers la presse jacobine anglaise. Mais le journal publié par Lefrançois n’avait rien d’un journal jacobin français!
La leçon n’avait pas été suffisamment comprise et après les Rébellions, le gouverneur intérimaire Colborne promena la torche dans les plaines de la Montérégie, incendiant les fermes et jetant sous des températures de -10, -20º les familles canadiennes qu’on soupçonnait

L’intimidation parvint à étouffer les groupes terroristes et permettre à un parti politique de reprendre l’idée d’Indépendance du Québec, associée à une politique de socialisme démocratique. Mais, sur le coup, la terreur avait suffisamment marqué pour entraîner la réélection de Robert Bourassa à une forte majorité deux ans plus tard. Ce n’est qu’une fois les esprits ressaisis, en 1976, que le vote se débarrassa de cette lavette avec laquelle tout le monde s’essuyait… Lors du référendum de 1980, le gouvernement fédéral usa d’une intimidation discrète. On envoya des avertissements avec les chèques de pensions de la sécurité de la vieillesse dans lesquels on rappelait à qui les personnes âgées devaient leur sécurité! Une campagne (fédérale) contre l’alcool au volant s’étalait avec un grand «Non, ça se prend bien»… En 1995, l’évolution étant ce qu’elle est, on usa moins d’intimidation que de chantage affectif avec ce «love-in» des Canadiens venus de tout partout du pays au centre-ville de Montréal. Désormais, la leçon enseignée par Craig se résumait en «si tu ne peux séduire, intimide».
C’est précisément ce à quoi nous avons assisté lors des «négociations» entre les représentants étudiants et le gouvernement Charest. D’un côté, la terreur d’État, l’intimidation. «C’est 75% d’augmentation sur trois ans, un point c’est tout». Devant la résistance, de moins en moins passive des étudiants, on assista à deux tentatives de séduction avec de fausses négociations. On proposa des aménagements qui ne touchaient en rien la revendication principale; le gouvernement, en plus, clama à qui voulait l'entendre, que les gagnants de sa réforme du financement des universités seraient les familles pauvres et celles de la «classe moyenne», alors que l’action étudiante visait à faire gagner les enfants des familles riches. On atteignait au comble de la démagogie libérale où Charest apparaissait comme un Robin des Bois des étudiants qui voulaient étudier contre les méchants shérifs des associations

Une dernière ronde de négociations s’acheva dans la rupture des pourparlers. Le Premier Ministre Craig décida de diviser le mouvement étudiant en isolant la CLASSÉ et son porte-parole, Gabriel

Puis, le 6 juin 2012, des lettres furent envoyées dans différents bureaux de comtés de députés et ministres libéraux ainsi qu’à des animateurs

Le climat de terreur engendre la terreur. La grossièreté du gouverneur Craig pouvait s’appuyer sur un pouvoir arbitraire, celui de la conquête militaire, et de la légitimité de la Couronne et du Parlement

Le gouvernement Charest ne vit aucune angoisse semblable à celle endurée par Craig, mais il sent son pouvoir menacé au moment où il s’engage dans une entreprise de conquête économique du Nord québécois, aussi, toutes les mesures dressées contre son gouvernement sont-elles perçues comme des menaces à la poursuite de son projet ambitieux de

Le gouvernement Charest, comme le gouverneur Craig, a sa propre Clique du Château, non plus château Saint-Louis, mais le château Desmarais, à la Malbaie, Sagard. Les hommes d’affaires, toutes tendances politiques confondues, s’y retrouvent. Ce pôle baroque d’ornementations anachroniques et de classicisme kitsch donne un relui à une minorité dominante qui vit en partie des entreprises

Cet esprit de «clique», autant que de classe, imbu le gouvernement libéral de lui-même. Il en tire plus de vanité et de légitimité que du processus électoral. C’est une ploutocratie plus qu’un parti dirigeant un gouvernement pour le bien de la collectivité.

Il est indéniable que la tendance à plier sous l’intimidation n’est plus acceptable pour la population québécoise. Le recours à une loi spéciale, une loi scélérate comme on en faisait en France à la fin du XIXe siècle pour museler les syndicats et les actions anarchistes, la loi 78, dont nous avons analysé ailleurs le contenu et les intentions, a transformé une confrontation à un affrontement potentiellement porteur de violence de part et d’autres. Cette loi, contestée par les mouvements étudiants et syndicaux, plait particulièrement aux Québécois mus essentiellement par des ressentiments inhibés et que des bavards grossiers et insolents de la radio et de la télévision poubelles entretiennent à travers leurs discours démagogiques. De Montréal à Québec, du Lac Saint-Jean à l’Abitibi, ils expriment avec vigueur un esprit de

À l’opposé, on retrouve une minorité bruyante qui refuse d’inhiber sa colère pour la traduire en ressentiments refoulés. Ici, l’exhibition peut aller des attroupements silencieux aux concerts de casseroles et aux manufestations. Les jeunes femmes s’y prêtent avec autant, sinon beaucoup plus d’ardeur, que les jeunes hommes. Comme en 1968, en Europe et aux États-Unis, les manifestations étudiantes ont débouchées sous toutes sortes de formes d’exhibitions, généralement festives, mais débordant parfois dans des confrontations violentes avec la police, celle-ci jouant souvent le rôle d’agents provocateurs pour obtenir sa part de contraventions exigée par un gouvernement qui veut se servir de ces manifestations pour terroriser l’ensemble de la population et détourner le vote des «pleins de ressentiments» vers le parti Libéral plutôt que la C(r)AQ, le parti qui mobilise leurs intérêts. La colère exprimée est essentiellement urbaine, et se fait entendre encore plus fort dans les grands centres métropolitains. Face aux Dutil et Courchesne, les manifestants présentent l'ours panda anarchiste et la banane. Sous Charest, c’est à Montréal, mais sous Craig c’était à Québec, là où le journal Le

Le député de gauche, Amir Khadir, du comté qui fut celui de Gérald Godin et qui couvre une bonne partie du Plateau Mont-Royal, à Montréal, a été arrêté au cours d’une manifestation déclarée illégale. Sa fille était arrêtée le lendemain à la résidence de ses parents pour avoir participé à actes condamnés en vertu du code criminel de la ville de Montréal. Khadir, seul député de son parti Québec Solidaire à l’Assemblée nationale, avait annoncé qu’il n’appuierait pas la désobéissance civile, mais qu’il ne s’y opposerait pas. Pour y avoir participé, il est devenu la cible des policiers qui l’ont embarqué dans le panier à salade. Cette situation n'est pas honteuse en soi, comme le plastronnent les députés, tous partis confondus, puisque les députés Bédard, Blanchet et Taschereau ont été également emprisonnés par l'arbitrarité du gouverneur Craig. Déclenchant des élections, les trois députés prisonniers furent réélus dans leurs circonscriptions respectives. C'était déjà là de la désobéissance civile populaire! Cette situation a montré la lâcheté et le grotesque du Parti Québécois qui affichait le carré rouge en plein Parlement afin de défier le Parti Libéral au pouvoir. Combien de fois ai-je dénoncé la complicité tacite de l’opposition à la loi spéciale 78. Le Parti Québécois a une longue tradition de lois spéciales tout aussi scélérates que celle du gouvernement libéral, en commençant par les décrets votés en rafales à la veille de la clôture de l’Assemblée, à la Noël 1980, lorsqu’il était au pouvoir, réglant unilatéralement les conventions collectives avec les employés des différents secteurs publics, là où il

L’éligibilité des juges est un problème qui n’a pas été résolu depuis le temps de Craig, alors qu’aux États-Unis, depuis longtemps, les juges sont élus par la population. Ici, les juges sont nommés par les différents partis qui accèdent au pouvoir. Là encore, l’indépendance des pouvoirs est bafouée: parlement, gouvernement et justice mangent dans la même auge que remplissent les maquereaux de la Clique du Château.
La résistance populaire à la loi scélérate, à la limite d’embrayer le terrorisme et la répression policière, conduit, en cette fin de printemps, le Québec sur le seuil d’événements qui, à l’exemple de 1970, ont dégénéré vers une crise sociale violente. La propagande ministérielle, s’appuie aussi bien

Montréal
7 juin 2012
7 juin 2012
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