LES NOUVEAUX
JETSON : P.K.P., ROBOTE ET LE PARTI QUÉBÉCOR
Il est possible que dans un demi-siècle,
lorsque
les Québécois se retourneront vers leur
passé,
considéreront que les trente années qui
suivirent
la date du premier référendum furent les
plus tristes,
les plus économiquement pauvres, les plus politique-
ment dégénérées et culturellement les plus
grossières de-
puis le temps de Duplessis, et que l’Indépendance
a tout simplement régénéré le peuple québécois.
Lorsque j’étais enfant, j’achetais à un
dépanneur sur la rue Foch, à Saint-Jean, en face des voies du
Canadien-Pacifique, des comic books publiés en France sous l’acronyme S.A.G.E., des éditions qui
reprenaient les personnages des dessins animés américains. Parmi eux, il y
avait les personnages de Hanna-Barbera, dont les Jetson. C’était les Flinstones
projetés dans le futur. On y retrouvait la bonne de la maison, pastiché sur le
modèle de Hazel (Adèle) en la personne d’un robot femelle. Je
sais que dans le dessin animé traduit en France, on l’appelait Rosie, mais dans
les comic, elle
s’appelait Robote. Dans le premier cadre d’une aventure, Robote recevait un
autre robot femelle qui travaillait comme bonne chez les voisins et qui se
trouvait prise au dépourvu devant une réception qu’elle devait organiser pour
la famille de son patron. Robote lui proposait son aide. Pour la remercier, son
amie lui lançait comme ça : «Robote, tu as un cœur en or»; et Robote de
lui répondre : «Oh non! Il est en acier inoxidable». Je ne sais pourquoi,
mais lorsque je vois Pier-Karl Péladeau s’harnacher au Parti Québécois et
manipuler le gouvernement minoritaire de Pauline Marois, j’ai l’impression de
revenir dans le monde des Jetson.
I. Les deux options qui se sont
présentées aux Québécois pour leur indépendance
Pour comprendre où tout cela peut s’en
aller, je rappellerai certains choix qui se sont présentés au cours du dernier
demi-siècle où on peut dire que le militantisme indépendantiste a vraiment eu
un sens. Entre le R.I.N. qui proposait un choix-choc, une rupture législative
et exécutive avec le Canada et le mouvement
Souveraineté-Association qui prévoyait le maintien de certains liens
«organiques» avec le Canada (souvent on dit «le reste du Canada», ce qui
signifie que ce mouvement n’a jamais songé à une véritable «indépendance»
d’avec le tuteur confédéral), c’était bien deux options entièrement différentes
qui répondaient au manifeste lancé par Daniel Johnson : Égalité ou
Indépendance, en 1965. La
soumission, puis la digestion du R.I.N. par le mouvement
Souveraineté-Association montra assez vite que les deux options ne pouvaient
co-exister dans une même formation et le froid établi entre René Lévesque et
Pierre Bourgault finit par montrer la porte de sortie au second et avec lui les militants radicaux du R.I.N.. Ce premier
schisme devait avoir des effets destructeurs pour l’option indépendantiste.
Une fois exposée l’idée que le Québec
souverain partagerait avec «le reste du Canada» de communes institutions
(l’armée, la monnaie, les passeports, etc.), la stratégie choisie pour faire
avancer le système idéologique fut le scrutin référendaire. Plutôt que
l’Assemblée nationale se proclame unanimement, après une élection, gouvernement
d’un pays souverain répondant au principe du droit à l’auto-détermination tel
qu’exigé par le manifeste de Johnson et reconnu par les nations unies, le gouvernement de ce qui était devenu le
Parti Québécois opta pour une démarche «démocratique», c’est-à-dire la voie référendaire, comme si c’était aux citoyens du Québec que revenaient, naturellement,
le choix de décider de
l’avenir collectif. Personne ne remarqua que c'était mettre la charrue devant les bœufs, sauf peut-être leurs adversaires qui s'en frottèrent les mains. Les
individus n’aiment pas décider pour la collectivité, surtout lorsqu’il s’agit
de s’affranchir d’un état qui se présente, selon la formule célèbre de Leibniz
qui faisait tant rire Voltaire, comme «le meilleur des mondes possibles», au
risque de se retrouver pris dans un monde pire. Non seulement la population
québécoise pensait cela dans sa sagesse populaire – qui n’en est quand même pas
moins frileuse -, mais
la plupart des membres du Parti Québécois «itou», et c’est le fin stratège
Claude Morin qui influa sur la stratégie dite de «l’étapisme», d’une succession
de référendums pour demander, puis pour être bien certains que les Québécois
voulaient ce statut de «pays» autonome. De sorte que lorsque le référendum fut
présenté en 1980, la majorité se porta pour le Non et laissa derrière elle un
parti politique frustré, revanchard et décidé à faire payer à la population ses
propres hésitations, ce qu’il fit peu après.
La stratégie référendaire est une stratégie
maladroite et inadéquate pour un projet indépendantiste. Première chose, le
concept de «souveraineté-association» contient cette insolence qui consiste à
affirmer la souveraineté À CONDITION que le reste du Canada consente à une
forme ou une autre d’association à laquelle il aura droit de participer (c’était
le moindre qu’on pouvait lui offrir!). Évidemment, le chantage affectif
(qui relevait du manifeste de 1965 de Johnson) et la prise en otage du «reste
du Canada» pour se faire reconnaître légitimement souverain sont des
non-sens politiques sans précédent dans l’Histoire. Que les résultats soient
condamnés à l’avortement pour la suite des temps devenait incontestable. Même un référendum
gagnant (à 50+1%) ne garantit pas que quelques années plus tard la même
stratégie serve à ramener le Québec dans le Canada par un référendum
fédéraliste humiliant à 50+1%. On ne «se sépare» pas pour se recoller après. Comme
l’avait dit le chef du Parti Socialiste français, François Mitterand, au
délégué du Québec à Paris, Yves Michaud : on proclame son indépendance
puis on signe des ententes avec les pays qu’on veut par après. C’est la
politique même du «bon sens».
Pourquoi a-t-on écarté tout autre option pour
focaliser le processus de souveraineté à la seule stratégie référendaire? Parce
que l’option indépendantiste restait fort minoritaire dans l’ensemble des
sondages. On voulait un processus «démocratique» qui viserait à ne bousculer
personne au sein de la grande «famille» québécoise. C’était se condamner à
une stratégie angélique, mais en politique l’angélisme n’a pas sa place. Il
fallait choisir entre une action fondatrice porteuse de mythèmes ou un long
processus stérile et plutôt infamant par les résultats qu’il obtiendrait. C’est
ce dernier choix qui l’emporta. Obtenir par un référendum la souveraineté, les
mains propres.
Il est impossible de passer sous silence le
fait que la montée du néo-nationalisme québécois des années 1960 n’était
séparée que de vingt ans du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale qui
avait été engagée au nom du nationalisme, de l’ethnocentrisme racial et du
droit historique. Aussi, les philosophies qui avaient donné naissance aux
mouvements fascistes et nazis étaient-elles tenues responsables des produits
dégénérés qu’elles avaient engendrés. Le jeune journaliste René Lévesque, qui avait été parmi les
premiers occidentaux à pénétrer à l’intérieur des camps de la mort en 1945,
était revenu avec une hantise des conséquences terribles qu’un chauvinisme
ethnique pouvait engendrer. En ce sens, il partageait la crainte des libéraux
de l’époque (les Jacques Hébert, Jean Marchand, Pierre Elliott Trudeau) des
effets sociaux d’un nationalisme réactionnaire. Tout le radicalisme que représentait le
F.L.Q. et son aile politique, le R.I.N., lui apparaissait dangereux et il ne
pouvait qu’œuvrer à l’intérieur d’un parti qui aurait assaini ses rangs de tout
aile extrémiste. Là où l’audace était exigée, la hantise panique d’un dérapage
vers l’extrémisme versait un venin neutralisant qui explique, non pas à lui seul
certes, l’impossibilité de donner un dynamisme social au projet souverainiste. La
fixation du système idéologique péquiste sur la nécessaire association avec un
Canada dont on ne peut ni ne veut faire le deuil provient également de ce
fantôme, non encore refroidi dans la conscience des Québécois, d’un Canada qui n’est plus celui
dont on parlait à la petite école. L’incapacité de préciser un contenu, une
utopie, à ce projet souverainiste au-delà des réajustements institutionnels,
neutralise toutes communications affectives afin que les Québécois votent au
référendum d’une manière avant tout rationnelle et froide. Cette hantise
panique de voir les affects prendre le dessus sur la stratégie référendaire et
conduire à d’autres moyens pour accéder à la souveraineté a été encore plus
importante dans l’auto-neutralisation du militantisme québécois pour
l’indépendance. Si on considère que René Lévesque trouvait le nom de «Parti
Québécois» trop audacieux, on mesure déjà toute la gêne qui allait
entraver les deux campagnes référendaires de 1980 et 1995. Parce que les
troupes fédéralistes vendaient l’attachement au Canada assorti de la peur de
perdre des avantages individuels (pensions de vieillesse comme allocations
familiales) et de la crise économique qui devait (supposément) nécessairement
s’ensuivre, la force se rangeait du côté des fédéralistes. Contre les affects mutilés, la raison a finalement eut gain de cause et la raison était du côté du Non.
II. Des formes d’accessibilité à
l’indépendance nationale
On le sait, par le passé, aucun peuple n’a
procédé de cette façon pour accéder à la souveraineté. Les Américains n’ont pas
voulu la guerre d’Indépendance, il a fallu une minorité créatrice prise en étau entre la fidélité à la
métropole britannique et l’incurie du Parlement anglais à lui donner
satisfaction pour voir la population américaine, blessée dans son économie et
son orgueil, prendre les armes et s’obliger à la démarche indépen-dantiste.
Une fois l’indépendance accomplie, on tenta une première forme de gouvernement
confédéral, décentralisée certes mais où les États refusaient les responsabilités qui
leur incombaient. Aussi organisa-t-on en 1787 une convention à Philadelphie qui
accoucha d’un statut fédéral qui entra en vigueur en 1789. La nouvelle
Constitution américaine (We the people) est à la fois la plus vieille constitution moderne et,
malgré le Bill of Rights ajouté
par Jefferson – les amendements -, est restée celle qui est toujours en vigueur.
Le mouvement des nationalités en Europe, en
1848, entraîna une flambée de révoltes inspirées des révolutions françaises : à
Vienne, à Budapest, en Pologne, en Allemagne morcelée et dans l'Italie des duchés. L’Allemagne
et l’Italie n’étaient pas encore des «nations» dotées d’un État central. Ce
«printemps des peuples» conduisit à un échec généralisé à partir duquel les systèmes
fédératifs vécurent leur été de la Saint-Martin à travers des constructions
bizarres comme l’Empire austro-hongrois ou des ligues comme celle de la
Confédération du Rhin. Toutes ces cités-états ou ces principautés gravitaient
autour de grandes capitales : Rome, Vienne, Berlin. En Italie, c’était le
royaume de Savoie, situé à la frontière de la péninsule et de l’hexagone
français, qui décida de tenir tête à la fois à l’empereur d’Autriche et au pape
pour former un État italien autonome. On ne demanda pas aux Italiens ce qu’ils
en pensaient. On s’appuya sur des groupes libéraux qui, dans les différentes
cités de Milan, de Venise, de Naples et de Rome, nourrissaient des mouvements
de militance nationale pour mener à bien la réalisation du projet. Un premier
essai militaire par le roi Victor-Emmanuel II conduisit à un échec. C’est alors
que son ministre, Cavour, décida, à l’exemple d’Archimède, de saisir l’Italie par
l’extérieur. À Plombières, Cavour rencontra l’empereur des Français, Napoléon III,
et conclut une entente contre l’Autriche. Lorsque la Savoie se confronta à
nouveau militairement avec l’Autriche, le jeu diplomatique appuya les forces
armées menées par Garibaldi. De là naquit le royaume d’Italie qui, au cours des
années suivantes, s’imposa
auprès de la population réticente. Comme devait dire si justement un homme d'État, Massimo d' Azeglio : «l'Italie est faite, il reste maintenant à faire les Italiens».
En Allemagne, le processus fut différent.
Ici, c’est par une union économique, le Zollverein, que les différentes principautés et villes
libres de la zone rhénane s’associèrent au royaume de Prusse. Le roi Guillaume
Ier choisit Bismarck comme chancelier. Bismarck, appartenant à la vieille caste
des junkers, était loin
d’être un romantique bercé par les aspirations nationalistes. Comme Cavour,
c’était un homme d’État pragmatique, pratiquant la realpolitik de la Raison d’État à la Richelieu qui fait
fi de toutes les aspirations ou les scrupules stratégiques pour parvenir au
maximum de puissance de l’État. Une fois le Zollverein implanté, Bismarck fit jouer le rôle
naturel de la Prusse qui était celui de l’attraction de l’État le plus fort.
Toutes les petites principautés et villes franches furent associées étroitement
à l’armée prussienne pour défaire ses ennemis successifs afin de ramener les
États de l’Allemagne du Nord dans le giron de la Prusse. Tour à tour, le
Danemark, l’Autriche puis la France furent vaincus et mis au pas par la
puissance «démoniaque» du chancelier qui offrit le IIe Reich au roi en Prusse
sur un plateau d’argent dans la galerie des Glaces de Versailles. L’Allemagne
commença sa carrière moderne par un gouvernement ultra conservateur mais qui,
inspiré par le socialisme de Lassalle, castra les mouvements socialistes en
concédant aux Allemands des politiques sociales qui ne pouvaient que rallier
les Allemands suspicieux à l’idée de la nouvelle nation qui venait de leur être
offerte par un lion audacieux doublé d’un fin renard.
Dans le cadre de l’empire autrichien, c’est
la Hongrie qui, en 1848, fit le plus trembler le gouvernement de Vienne. La
campagne de propagande de Louis Kossuth pour l’émancipation des Hongrois, menée
à travers le monde, eut pu réussir si les Hongrois n’avaient pas, saisis entre
les puissances slaves et les puissances germaniques, reculés au dernier pas
pour préférer se réconcilier avec l’empereur. Pendant près de vingt ans, Vienne
et Budapest vécurent en se regardant comme chiens de faïence jusqu’à ce
qu’on convienne de donner à la Hongrie un statut royal semi-autonome. Il y
avait un parlement hongrois, indépendant de celui de Vienne, mais l’empereur
d’Autriche devenait roi de Hongrie. C’était la réalisation de ce vaste empire
du Danube, regroupant des minorités nationales de toutes ethnies, de la Bohême
à la Vénétie, des frontières de la Suisse à celles de la Russie. L’empire
d’Autriche-Hongrie était formé …en 1867.
Si j’ai tenu à rappeler ces différents
processus d’accès à la souveraineté politique de nations européennes au XIXe
siècle, c’est pour que l’on saisisse mieux les différentes approches qui se présentent à
nous si les Québécois tiennent sincèrement à accéder à un État de fait d’une
population qui a la pleine auto-détermination de son destin. Cesser que les
mots restes des formules pour devenir des réalités historiques tangibles.
III. Des dangers d’user la démocratie
dans un processus nationalitaire
Dans aucun cas que nous venons de citer la
démocratie a joué un rôle quelconque. Bien au contraire, c’est la
proclamation des États souverains qui a entraîné le développement de la
démocratie. La France
avait vu sa démocratie renversée par le coup d’État du 2 décembre 1851 par le
prince-président élu Louis-Napoléon Bonaparte qui, en vue de restaurer
l’Empire, fit arrêter une partie importante de la députation, entérinant le
tout par un plébiscite (truqué) qui lui donna une majorité écrasante. En
Angleterre, la démocratie restait censitaire. Il fallait un montant de revenu
fixé par le Parlement pour accéder au droit de vote. À l’exemple de la «mère
des Parlements», le Canada n’a jamais officialisé le principe de la démocratie
au suffrage universel. Ce n’est que par la diminution progressive du taux du
cens - jusqu’à ce qu’il ne représente plus rien qu’un montant symbolique -, que
le suffrage universel s’est imposé comme mode de gouvernement. Bismarck
s’inspira du conservateur Disraeli pour organiser le système démocratique
allemand afin d’utiliser l’esprit conservateur du peuple pour asseoir la
puissance de la monarchie prussienne sur l’Allemagne.
Or, au Québec, ce n’est pas l’État québécois qui a créé la démocratie, mais la démocratie qui l’a précédé. Les Pères de la Confédération, se constituant en légitimité suite au scrutin du Canada-Uni, pouvaient, sans perdre leur légitimité, proclamer la Confédération unilatéralement, sans passer par une consultation populaire. Ils n’avaient qu’à finaliser l’accord avec Londres, la métropole de l’Empire. Ce qui se fit sans véritable problème. Dans la situation où le Parti Québécois s’est toujours senti placé, le respect de la légitimité démocratique a empêché, invalidé, écarté le principe du «coup d’État» qui était la troisième option stratégique de l’accession à l’indépendance. Le venin, qui neutralise l’action décisionnelle de ce parti lorsqu’il s’agit d’accomplir ce pour quoi il a été fondé, le rend inopérant sur le plan historique. Face à lui, le Parti Libéral n’est qu’un parti qui sélectionne les opportunités pour ses commettants. C’est ainsi que la proclamation d’indépendance unilatérale par le gouvernement Québécois qui s’est offerte à la suite de l’échec des ententes du lac Meech en juin 1990, eut été l’occasion pour le Premier ministre du temps, le libéral Robert Bourassa, de réaliser un coup de force, ce «coup d’État», devant l’affront canadien. Mais son manque de courage et les intérêts financiers qui le manipulaient l’empêchèrent de franchir le Rubicon, éteignant le tout par une oraison rhétorique fort goûtée, mais qui se révélait une abdication complète devant l’impasse constitutionnelle : la signature par le Québec de la Constitution rénovée de 1982. Cela dit, il n’est pas évident que si le Premier ministre de l’époque eût été péquiste qu’il aurait agi autrement. Un Jacques Parizeau sans doute, mais sûrement pas un Bernard Landry. Un Lucien Bouchard? Peut-être, mais il se serait sans doute ravisé assez vite, considérant que la colère est une bien mauvaise conseillère en matière politique.
À cela, ni la déprime post-référendaire de
1995, ni les gouvernements successifs des deux partis durant près de 20 ans ont
changé quoi que ce soit. Les dissensions au sein du Parti Québécois ont plutôt
révélé la fragilité du leadership une fois les ténor des années 70 disparus de
la scène. La seconde génération de péquistes, celles d’administrateurs et d’hommes
d’affaires au teint blafard à barnicles et à barbichettes, n’avait rien du charisme des premiers
leaders du parti. La troisième génération a amené des faiseurs comme André Boisclair, des délirants comme Bernard Landry et la «comtesse» Pauline Marois
qui ont donné à ce parti une allure de Grand Guignol. Dans cette longue
chronique interminable d’une mort annoncée, les événements ont joué pour donner
un souffle ultime à ce parti qui n’est plus aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il
a été dans ses meilleures années 1974-1980.
C’est donc dire que la démocratie a
toujours joué contre l’affirmation de la souveraineté québécoise. D’abord en ne
se manifestant pas lors de la proclamation unilatérale du Canada. Ensuite en se
refusant à franchir le Rubicon du Coup d’État parlementaire (et non militaire) qui était offert sur un plateau d’argent
par la faillite du long processus d’ententes négociées entre le gouvernement du
Canada et le gouvernement du Québec. En s’en remettant toujours à la
démocratie, l’impasse constitutionnelle est demeurée au point que c’est par la
voie britannique de la tradition
plutôt que par la signature de l’acte constitutionnel que l’inclusion du Québec
s’inscrit dans la Constitution canadienne alors que cette mesure de laisser
aller est pleinement un refus démocratique de la part de la population. La paralysie de la vie nationale et démocratique du Québec,
la stagnation des institutions qui tendent à se corrompre et à perdre leur
vitalité, l’émigration des «cerveaux» remplacés par une immigration manuelle et
résistante à l’intégration, ajoutent aux problèmes essentiels. Plutôt que
travailler à promouvoir et à meubler l’idée d’indépendance du Québec, le
gouvernement du Parti Québécois se perd dans des valses hésitations sur une
charte qui se limite à un seul élément – l’égalité homme/femme – qui la fait apparaître
comme une offensive contre les musulmanes du Québec. On ne peut patronner une
entreprise aussi importante d’une façon aussi maladroite et suicidaire. Il faut
croire que la servitude sied bien aux Québécois et qu’ils s’en contentent
aisément.
IV. Les nouveaux Jetson
On ne peut donc obtenir simultanément le beurre et
l’argent du beurre. Ou plus précisément, on ne peut obtenir l’indépendance
qu’en plaçant, pour un temps, la démocratie entre parenthèses. Pour sortir de
l’impasse calcifiée depuis l’aspiration angélique de la
souveraineté-association aux conditions rassemblées pour un référendum gagnant
et autres stratégies débiles, il n’y a pas d’autres moyens que de corser le
mouvement historique au moment où toutes les conditions semblent les plus
favorables, au mieux, s'activer pour organiser leur rencontre.
Présentement, le gouvernement minoritaire du Parti Québécois a trouvé un souteneur en la personne du tycoon millionnaire Pier-Karl Péladeau (né en 1961). Son père, Pierre Péladeau, a monté sa fortune dans le monde des média. Québécor et ses entreprises affiliées concentrent un grand nombre d’entreprises médiatiques : Journaux populistes (Journal de Montréal, Journal de Québec) ou de vedettes; bailleur de fonds du prestigieux journal Le Devoir; propriétaire du réseau TVA érigé sur les fondements de Télé-Métropole, une télévision à grand publique. Enfin, le réseau de cablo-distribution Vidéotron où l’on retrouve la chaîne Illico et d’autres postes, le tout lui rapportant une fortune qui était évaluée, en 2010, à $670 millions. Avec une telle fortune et positionnés dans le quatrième pouvoir, Érik et Pier-Karl Péladeau sont en mesure d’influencer fortement l’avenir du Québec.
Jusqu’où vont les ambitions politiques de
Pier-Karl Péladeau? Choisira-t-il, comme les Desmarais qui tirent les ficelles
de la politique des Partis Libéraux (aussi bien fédéral que provincial), de
rester discret et effacé? Ou bien s’engagera-t-il directement dans la politique
active. Son père avait été l’un des seuls hommes d’affaires du Québec à
soutenir le référendum en 1980 dans le camp du Oui. En mars 2013, Pier-Karl s’est
départi de ses postes de direction des entreprises Québécor pour «offrir ses
services» à la Première ministre Pauline Marois. Elle lui a confié la
présidence de l’administration du joyau de l’énergie québécoise :
Hydro-Québec. Homme d’influence ou femme sous influence?
Pour comprendre un peu mieux le caractère
politique de Pier-Karl Péladeau, il vaut de mentionner que l’intérêt pour la
chose politique remonte à ses années universitaires. Diplômé en philosophie de
l’Université du Québec à Montréal, puis en Droit à l’Université de Montréal, le
jeune Pier-Karl, à ses vingt ans, se promenait dans le quartier latin avec sa
casquette lénine et s’affichait pour l’un des Partis communistes les plus
étroits d’esprit et des plus violents. Du marxisme-léninisme de sa jeunesse,
il ne peut ne pas avoir appris le sacro-saint principe du centralisme démocratique, cette forme vicieuse qui consiste à légitimer la parole et les
décisions des dirigeants du parti au fait qu’ils représenteraient légalement
l’ensemble des membres. Une fois au pouvoir, comme en Russie ou en Chine, le
gouvernement étend le centralisme démocratique jusqu’à identifier le citoyen
avec le militant du parti, d’où l’aspect totalitaire des régimes communistes
qui fait fi des volontés individuelles. Cet esprit centralisateur des anciens
cocos qui anime Péladeau se retrouve également chez un autre leader politique
néo-nationaliste passé par les partis communistes des années 70, Gilles Duceppe, ex-chef du Bloc Québécois à Ottawa.
Paradoxalement, l’Occident a conservé et jumelé le
pire du capitalisme sauvage et du communisme soviétique; c’est-à-dire
l’économie néo-libérale et la politique du centralisme démocratique. On les
retrouve aussi bien dans les partis politiques que dans les syndicats. La
direction décide avant de consulter ses membres et lorsque vient le temps de
les consulter, ceux-ci doivent accepter, sans trop les critiquer, les décisions
de la direction. La ligne de parti, que ce soit chez les Libéraux, les
Conservateurs, le Parti Québécois, Québec Solidaire ou la C.A.Q., repose sur ce
même principe. La dissidence des députés ou des membres n’est autorisée
parcimonieusement que sur des enjeux sans importance. La plupart du temps, la
machine partisane s'accroche après l'engin. Les centrales syndicales
fonctionnent de même. La direction syndicale décide et les travailleurs
acquiescent. Toute résistance est vaine. Les oppositions, critiques, et
reproches, sont difficilement supportés. La direction «démocratique» circule
donc dans un sens : du haut vers le bas, comme une nouvelle féodalité
post-moderne où la bureaucratie aurait pris la place de la vassalité. Avec le
temps, la direction s’érige au-dessus des «masses» qu’elle en vient,
naturellement, à mépriser.
Pier-Karl Péladeau dirige Québécor selon ce
même principe. L’ancien paternalisme exercé par son père a cédé la place à une
direction bornée et méprisante des employés de ses entreprises. Le long conflit
inauguré par un lock-out
au Journal de Montréal
(2010-2011) a montré le style de gestion qui est celui des Péladeau. Répondant
aux défis lancés par les nouvelles technologies de l’information,
l’informatique et les appareils numériques, la rationalisation des entreprises
Péladeau exigeait des coupes sombres dans le personnel et les dépenses. Sa réaction,
en apparence, était conforme au coup que Power Corp. assénait au même moment à La
Presse. La pensée
économique de Pier-Karl Péladeau est aussi entièrement néo-libérale que celle
qui fait rouler l’économie de marché en Amérique du Nord. Comme les Bouchard,
Landry, Legault, Marois et autres, s’il s’engage directement ou obliquement dans
la voie indépendantiste de l’État québécois, ce ne sera pas par amour des
Québécois qu’il s’y engagera, mais pour l’amour de l’État du Québec, ce qui
n’est pas du tout la même chose.
Car Pier-Karl Péladeau est un homme
intelligent, ambitieux, qui aime exercer sa poigne. Il a combattu sur le
terrain financier des entreprises comme Bell ou Radio-Canada pour obtenir la place qu’il
voulait dans le marché des télécommunications. Du Télé-Métropole montréalais à
TVA qui déborde les frontières du Québec, il tient sa place parmi les
câblo-distributeurs avec sa chaîne en diffusion continue, LCN, sur l’ensemble
du Canada. C’est ainsi qu’il affronte la chaîne concurrente de RDI. La langue
ne pose pas de barrière dans les affaires de Péladeau. En 2007, il se porte
acquéreur du groupe Osprey Media, l’un des plus importants éditeurs de la
presse anglophone, ce qui fait de lui le plus grand éditeur de journaux au
Canada. Il établit parallèlement un LCN anglophone, Sun TV News. Tous ces réseaux font la propagande de l'idéologie
libérale néo-conservatrice.
Le néo-conservatisme est donc accepté par
Pauline Marois comme étant, mieux qu’une prétention humoristique à une
social-démocratie qui ne veut plus rien dire, la doctrine économique du Parti
Québécois. La question qui se pose maintenant est la suivante. Jusqu’où les
ambitions politiques mèneront Pier-Karl Péladeau aux commandes du Parti
Québécois, qui semblerait de plus en plus s’appeler, dans l’esprit des
cyniques, le Parti Québécor? Nos nouveaux Jetson, Pier-Karl et sa lumineuse
épouse, July Snyder, qui partage également des ambitions populistes en ayant
mis sur pied le mouvement des Janettes en vue de se porter à la défense de la
Charte des valeurs québécoises proposée par le Parti Québécois, réduiront-ils
le pouvoir exécutif du gouvernement en simple robot d’une démarche qui irait
vers un accomplissement du programme du Parti Québécois qui est l’Indépendance?
À ce titre, nos Jetson seraient à même, une fois parvenus au pouvoir, d’oser
faire ce devant quoi Robert Bourassa a reculé d’effroi en 1991 : le coup
d’État.
V. Technique du Coup d’État
La chose n’a jamais paru aussi probable que
depuis ce temps. L’étiolement de la solution référendaire et l’attente
messianique des conditions gagnantes ne font plus rêver personne. Péladeau est
un homme qui rassure les milieux d’affaires tout en étant porté à la fois par
une ambition de pouvoir, de contrôle, de décision, et l’aspiration qui animait
son père, l’indépendance du Québec. Son centralisme démocratique lui permet de
briser les reins à toutes ces dissensions qui ne cessent de surgir au sein du
Parti Québécois. Assujettir les militants à son aspiration politique et à sa
gestion comme il a assujetti les employés du Journal de Montréal en les forçant par la loi là où les
négociations de bonne foi ne parvenaient pas à obtenir les résultats voulus,
tel serait sans doute le mode de gestion non seulement du Parti mais d’un
gouvernement du Parti Québécois décidé pour de bon à faire l’Indépendance.
Les motivations, si ambitieuses
soient-elles, ne suffisent toutefois pas à un tycoon pour prendre le pouvoir et surtout s’y
maintenir. Outre le fait qu’il est rare que des hommes d’affaires se mettent à
l’avant-plan dans les gouvernements, encore faut-il qu’ils se dotent d’une
stratégie purement politique. La génération de politiciens qui accompagna
Robert Bourassa lors de son retour au pouvoir dans les années 1980, des
libéraux influencés par le thatcherisme, voulurent gérer l’État québécois comme
un immense Provigo. Leur échec a été aussi cuisant qu’il fut rapide. S’il est
possible de réduire le Parti Québécois en Parti Québécor, ce sera une autre
affaire avec l’État du Québec. Les États sécrètent généralement une fierté
parmi ceux qui l’incarnent qui dépasse et se différencie à la fois de ce qu’une
entreprise d’affaires, si grande soit-elle, peut générer chez ses dirigeants
exécutifs. Voilà pourquoi, le narcissisme des Péladeau et Snyder les engage
volontiers à se mêler d’affaires politiques. La couleur des partis vient en
second plan, mais l’aspiration politique elle-même dépasse la partisanerie. Pier-Karl Péladeau ne fera pas de politique autrement que pour décider,
ouvertement ou secrètement, des décisions qui marqueront définitivement l’histoire
du Québec. C'est en ce sens que s'opérera le renversement de Pauline Marois, qui pour rester chef du parti et accomplir ses ambitions personnelles, devra se livrer à sa propre «robotisation».
Il ne suffit pas de prendre le pouvoir à la
suite d’une élection démocratique pour prononcer automatiquement l’accession à
l’indépendance. S’il est bon, dans un premier temps, d’écarter l’idée
d’élections-référendaires, il faut, dans un deuxième temps, saisir toutes les
dispositions du pouvoir qui autorisent l'ouverture à toutes les stratégies disponibles pour
accéder au but. Il serait mieux de commencer par disposer nos pions à
l’étranger. Non pas en en appelant à des souvenirs lointains en France ou à la
quête de la liberté des Pères Fondateurs américains. Ces naïvetés sont d’une
autre époque. Il faut entendre question d’argent pour tisser des liens avec des
États afin d’obtenir, sinon leur intervention favorable dans la balance internationale,
du moins qu’ils n’entravent pas l’affirmation du Québec. En ce sens où, comme
en 1837, les États-Unis n’ont pas intérêt à se mêler des questions intérieures
du Canada, les liens de confiance qui unissent la clientèle du Nord-Est des États-Unis avec le Québec producteur de matières premières et de ressources
naturelles joueront beaucoup plus que les paranoïas qui portent, de toute
façon, le gouvernement américain à surveiller ce qui se passe dans la cour des
gouvernements étrangers, même alliés. Il faut isoler l’État canadien de tout
support étranger dans ses tentatives de subversion du processus
indépendantiste. La multiplication des relations commerciales, sous le chapeau
même du libre-échange Canada-Europe ou des ententes commerciales Canada-Chine,
doit servir à accentuer les échanges plus particuliers entre le Québec et les
entreprises européennes ou chinoises. Nous devons leur apprendre que le
libre-échange avec le Québec est une chose différente du libre-échange avec le
Canada. Et, pour ce faire, il faut un nouveau dynamisme des entreprises
québécoises dans différents secteurs de la production agricole et industrielle,
quitte à se marginaliser des ententes signées entre Ottawa et Washington ou
Bruxelles. Faire comme les Américains : protectionnistes à l'intérieur, libre-échangistes vers l'extérieur. Ce que les ententes canadiennes nous empêchent de réaliser présentement.
L’offensive ou la résistance militaire
n’est plus au XXIe siècle ce qu’elle était au XIXe. Si l’armée canadienne a été
appelée à résoudre des conflits intérieurs au Québec, que ce soit durant les
crises de la conscription, en octobre 1970 ou lors de la crise d’Oka en 1990,
il est difficile de confronter de front une armée nationale comme celle du
Canada devant un peuple désarmé, surtout un peuple occidental. Le discrédit du
Canada serait rapidement suivi d’une condamnation dans le reste du monde.
Vient alors la bonne vieille subversion interlope, la levée de groupes terroristes
financés et armés par Ottawa (ou même avec la complicité de Washington).
L’exaspération de fédéralistes fanatiques, des actions commises par des
factions turbulentes clandestines contre les symboles ou les édifices
gouvernementaux, ayant recours peut-être même à des attentats de masses pourraient intimider aussi bien
qu’outrager la population québécoise, reprenant la guerre civile contre les
terroristes eux-mêmes. Mais, on le sait depuis le coup de la Brink’s, c’est par
rapport à l’économie québécoise que se jouerait une guerre entre le Canada et
le Québec indépendant. C’est donc sur les marchés internationaux que se
livrera la guerre d’Indépendance du Québec. Je pense qu’un homme d’affaires
de la trempe de Péladeau peut très bien le concevoir.
Il faut donc consolider les milieux
d’affaires québécois, miser davantage sur une complémentarité des entrepreneurs
moyens et petits, en région comme dans les grands centres urbains, afin de reconstruire une force économique contre les puissances financières qui resteraient inféodées
aux intérêts fédéralistes. C’est par la variété d’une bonne harmonisation mieux
qu’une concentration de quelques ténors des holdings multinationaux qu’une
véritable puissance économique se définit. La richesse commence par la
production et non la spéculation. Ce que nous avons à échanger vaut mieux que
le fricotage des capitaux en intérêts magiques. L’indépendance du Québec doit
se penser, comme au XIXe siècle, comme la création d’un marché québécois
intérieur. Le marché québécois de jadis s’est dissous à la fin du XXe siècle. Le
Québec est devenu une banlieue de plus en plus pauvre de Toronto et de New York.
Il faut donc «repenser le Québec» comme un ensemble de régions à la fois
productrices et transformatrices, avec travailleurs ou par automation, capables d'assurer un rendement vers la plus grande auto-suffisance possible, police d'assurance contre les mauvais coups qui
lui seraient portés sur les marchés mondiaux par des entraves canadiennes. Les
autres pays respecteront le Québec dans la mesure où il peut se montrer un
partenaire ou un adversaire sérieux sur le plan mondial de l’économie. Pour le
moment, c’est ce qu’il faut reconstruire et sans quoi, toute stratégie d'indépendance est vouée
à l’échec.
La politique du centralisme démocratique
apparaît, malheureusement, indispensable pour négocier la sécession et imposer
le respect de l’autorité québécoise sur la scène internationale. La diplomatie
doit se montrer créatrice, rusée parfois, mais toujours déterminée et intraitable. Le
gouvernement ne peut en appeler à des consultations populaires sur tout et sur
rien comme le fait présentement la veulerie péquiste. En retour, il faut éviter
la mauvaise tentation de recourir au terrorisme. Les indépen-dances qui se
construisent dans le sang ou la terreur véhiculent longtemps des souvenirs
revanchards et des instabilités inutiles sinon nuisibles. Le cas français est
bien connu, et je ne parlerai pas de la Russie ni de la Chine. La liberté de
penser, la liberté de conscience, la liberté d’expression sont des seuils qui
ne doivent pas être franchis et le danger de la presse Québécor à user de
démagogie populaire pour défendre le néo-conservatisme est débilitant; c’est le culte de la
barbarie. Or, la barbarie n’est pas nécessaire pour fonder un État québécois
mature et dont la culture doit s’élever au-dessus des folklores pervertis en
«culture populaire». Si l’indépendance doit user d’une certaine démagogie pour
se faire accepter, elle ne doit pas pousser cette démagogie jusqu’à créer ce
que les États italiens et allemands ont utilisé pour parfaire leur
unification : le fascisme.
La question est essentielle dans le cadre
d’une démocratie que l’on met entre parenthèses le temps de proclamer
l’indépendance et de l’asseoir sur des bases solides. Si un Pier-Karl Péladeau
traite la population québécoise comme il traite ses employés, c’est un bien
mauvais départ. C’est une maladie congénitale du Parti Québécois de mieux aimer
l’État du Québec que les Québécois, peuple déjà dévoré depuis leur
expérience coloniale par une haine de soi pathologique. Autant dire qu’un
«dictateur» qui érigerait son État sur cette haine de soi aurait bien de la
difficulté à parvenir à ses fins. Le narcissisme positif et sadique d’un
individu, si fort soit-il, si riche soit l’individu, ne suffirait pas à vaincre
le narcissisme négatif d’un peuple dont le comportement a toujours été motivé par
des réactions masochistes.
Les résultats culturels des entreprises
Québécor sont plutôt lamentables : des émissions télévisées démagogiques,
centrées sur l’appât du gain dans des contextes de vulgaires niaiseries; des télé-réalités de plus en plus trash; des
journaux où scribouillent des journalistes barbares, méprisants,
réactionnaires, vulgaires mêmes; des journaux à potins qui étalent la pure
imbécillité de vedettes trop souvent médiocres, Ce sont les pires côtés de la
nature humaine que les produits Québécor exploitent culturellement (Occupation
Double, le Banquier, Star Académie) et si l’Indépendance devrait arriver par un
quelconque Parti Québécor, elle y arriverait sans noblesse ni dignité. Mais ce
ne sont pas là des règles éthiques relevant du politique.
Bref, la substitution de la démocratie par
la démagogie est un processus avancé au Québec, il encourage aussi bien la
réaction nationaliste que fédéraliste. Le jugement critique ayant foutu le
camp, plus rien ne s’oppose, de l’intérieur, à un mouvement d’opinion solide
contre une action unilatérale d’un coup d’État. Il suffirait de le vouloir pour le réussir.
En ce sens, la suspension de la démocratie serait plus facilement acceptée des
masses que la mince frange qui se scandaliserait du coup de force serait
condamnée avant même de s’exprimer. Si les clercs restés fidèles à l’éthique
d’un Julien Benda oseraient manifester leurs voix, celles-ci se perdraient vite
dans le désert de conscience qu’est le Québec. Pour les manifestants de rue,
une bonne police exercée sous la gouvernance des Libéraux est toute prête à les
masser dans les paniers à salade.
Le Québec, monarchie constitutionnelle ou
république? La crise actuelle qui confond laïcité avec valeur québécoise
affirme déjà le choix républicain. Dieu ne fait pas partie de la Constitution
américaine, ni de la Constitution française. La division de l’Église et de
l’État est chose acceptée. Le Québec n’a pas besoin de Sénat, puisqu’il vit
depuis un demi-siècle avec une seule Chambre. Le centralisme démocratique d’un
Péladeau exigerait un statut présidentiel équivalent à celui de la présidence
américaine. Si Sénat il devait y avoir, comme l’avait anticipé le gouvernement
de Jacques Parizeau en 1994, avec des députés-représentants des différentes
régions, ce serait un Sénat à l’américaine, en vue de compenser les déficits
démographiques des régions. En tant que gouvernement néo-conservateur, rien ne
changerait dans les dispositions du code civil ni du code criminel anglais.
Bref, l’indépendance du Québec accomplie par le Parti Québécor serait un pays
néo-libéral, républicain, conservateur. Il est indéniable qu’à l’exemple des
nationalités européennes, le coût de sa naissance serait entièrement assumé par
ses citoyens. Et ceux qui en tireraient les avantages appartiendraient à une
élite en quête de décolonisation, à l’image de leur chef spirituel et militant.
Conclusion
Doit-on espérer en ce coup d’État? Oui. Doit-on le laisser accomplir par un Pier-Karl Péladeau? Si ce n’est pas possible de faire autrement : et dans les conditions actuelles du Québec, il semblerait que ce ne soit pas possible, alors le choix n'en sera que plus déchirant. On ne peut certes attendre cette action d'un parti comme Québec-Solidaire avec son oxymoron de «L'indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l'indépendance», ce qui témoigne d'une autre veulerie de la gauche québécoise. Pier-Karl et Julie, les Jetson, ont leur Robote en Pauline Marois, ambitieuse mais sans habiletés politiques qui en ferait une véritable chef d'État. Elle ne possède pas le sens de l’État, seulement ses apparences de «bon gestionnaire» et ses goûts précieux. Elle ne sait pas quelle politique économique choisir. Avance et recule comme une automobiliste qui ne sait pas où elle s’en va. Ses idées sont obscurément claires. Ses actes politiques d’une vision aveugle. Pour le moment, derrière une petite femme se cache un grand homme, un grand homme qui me déplaît souverainement. Qui porte en lui tout ce que je hais le plus au monde. Mais c’est lui que Robote risque de servir par ses valses hésitations politiques. Décidément, comme aurait dit – mais qu’elle n’a pas dit – la Vierge de Fatima : «Pôôôvre Québec!»⌛
Montréal
27 octobre 2013
Intéressant essai de politique fiction. Il est vrai que la chefferie du PQ sera à saisir après le départ de Pauline Marois.
RépondreSupprimerPour le reste, je suis médusé à bien des égards par votre texte.
Il est tout de suite, bien des choses que les dirigeants de l'État québécois peuvent faire, même dans le cadre fédéral actuel pour marcher vers la souveraineté politique. Nous sommes effectivement à l'ère du fédéralisme, un fédéralisme qui peut prendre plusieurs formes et qui ressemble bien peu au fédéralisme canadian actuel.
Daniel
J'ai lu ton texte avec grand intérêt mon petit professer préféré.
RépondreSupprimerJe comprends bien le lien avec les Jetson's. En avril dernier on apprenait que Pauline Marois avait choisi Pierre Karl Péladeau pour présider le conseil d'administration d'Hydro-Québec. Force est de constater que c'est avant tout mossieur Péladeau qui a choisi ce poste.
De plus, le Devoir indiquait en octobre dernier que Pier-Karl avait eu un accès probablement privilégié à un conseil restreint des ministres. Quand ce dernier s'invite quelque part, a-t-on le choix de lui refuser l'admission ?
Par contre, si c'est par lui que l'Indépendance pourrait passer, qu'on le laisse continuer à mettre ses pions.
Je suis d'accord qu'on ne peut plus faire l'indépendance du Québec démocratiquement, Bourassa s'étant écrasé lors de la seule opportunité qui a été offerte au Québec de marcher vers son indépendance (on se souviendra de l'affaire Tremblay et Wilhemly). Un coup d'état oui, en espérant que le sang ne coulera pas. Par contre comme tu écris, le fédéral serait bien mal vu internationalement d'envoyer ses troupes de petits hommes verts (militaires).
Il est vrai à mon sens que c'est économiquement que ça pourrait se faire uniquement, en allant chercher des pays en ce sens pour appuyer la Souveraineté du Québec. La France de toute façon n'est plus intéressée, il est loin le temps du fameux "Québec libre" de De Gaule, et en plus on ne sait pas s'il était sérieux (je parle pour moi du moins). Un fait cocasse est que lorsqu'il s'est adressé à la nation sur le balcon de l'Hotel de Ville, on avait caché tous les micros mais ce dernier avait demandé qu'on lui amène des micros, ce qui fut fait.
Depuis, Sarko et Hollande sans montrer leur désaccord n'ont pas trop démontré de chaleur face au projet souverainiste du Québec. Harpeur est leur ami.
Comment ne pas être d'accord avec ma lectrice préférée...
SupprimerEn effet, la souveraineté en faveur des élites nationales domine toujours la place publique (voir Parti Québécor sur Facebook). C'est le piège dans lequel les partis indépendantistes (y compris QS) tombent volontairement et par complaisance. Ils ne veulent pas regarder l'histoire moderne qui dessine un fédéralisme de plus en plus souple et qui (malgré deux référendums) a accordé plus d'autonomie au Québec "par la porte arrière" que celle dont les premiers souverainistes n'auraient jamais osé rêver!
RépondreSupprimerDe plus, la Déclaration de Sherbrooke (NPD) ouvre la porte à une prolongation et une systématisation de de cette même souplesse pour l'avenir et pour une démocratie plus forte.
Ne nous livrons pas encore une fois entre les mains des élites nationales.