vendredi 19 octobre 2012

Totem est à vous

TOTEM EST À VOUS 

GRANDE VENTE DE TOTEMS À OTTAWA - PRESSEZ-VOUS, LES QUANTITÉS SONT LIMITÉES…

On a vite crié à la propagande! Faut-il croire que nous devenons de moins en moins susceptibles d’être pris pour des valises? Évidemment, «Qui change de nom, change de renom» : comme pour un navire qui a subit une sérieuse avarie. Voici donc que les mariniers conservateurs, qui ont de la difficulté à épeler le mot ci-vi-li-za-tion, changent le nom du «Musée canadien des civilisations», situé à Gatineau (Hull) en face d’Ottawa, en territoire québécois, pour un «Musée canadien de l’Histoire», sous entendu «du Canada». Pour ce faire, il faut au moins deux choses : des modifications à apporter à la Loi sur les musées, ce qu’a annoncé le joyeux ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, James Moore (ne pas confondre avec Roger) et $25 millions de dollars tirés de la poche des contribuables canadiens.

Mais seriez-vous encore assez naïf pour vous exclamer : «c’est quand même moins pires que les $25 milliards de dollars des F-35 du gouvernement Harper!». Mais ce 25 millions n’est que le croupion du 25 milliards! Le ministre Moore, qui sert de sucre pour nous faire avaler les amers décisions du gouvernement Harper a déclaré qu’il s’agissait «d'une occasion unique de célébrer notre histoire et les grandes réalisations qui ont permis de nous définir en tant que Canadiens. Les Canadiens méritent d'avoir un musée national de l'histoire qui relate notre passé et présente les trésors de notre pays au monde entier». - On verra plus loin de quels trésors il s'agit. Ça, c’est le sucre. La pilule amère cachée derrière cette annonce, ce sont les coupures de $200 millions de dollars (6.1%) du financement du Ministère du Patrimoine et des Langues officielles (selon la Conférence canadienne des arts (CCA)), ce qui s’ajoute aux $177 millions amputés à la Culture par le gouvernement conservateur, calculés en 2011. La diminution drastique de la qualité des services en français dans les organismes fédéraux, partout dans un Canada qui se vante d’être un modèle de bilinguisme et de biculturalisme, est l’ironie du discours culturel conservateur et de son respect du sens de l’unité de l’histoire  nationale.

Passchendaele. Avant Après.
Le prétexte? Célébrer le 150e anniversaire de la Confédération canadienne en 2017. En fait, célébrer le 150e anniversaire de la Confédération, c’est aussi fêter un centenaire peu reluisant. D’abord, le centenaire de la guerre européenne où, après la victoire d’avril 1917 à la bataille de Vimy, la meurtrière bataille d’Ypres 3, Passchendaele, quelques kilomètres de terres belges perdues et regagnées par les troupes des deux belligérants, entraînèrent des pertes (morts, blessés et disparus) insensées s'élevant à quelques 8 500 Français, 4 000 Canadiens, 250 000 Britanniques, dont au moins 40 000 disparus, le plus souvent noyés dans la boue, enfin, de l’autre côté, de 260 000 Allemands. «Une boucherie presque inutile, à l'image de la plupart des grandes offensives du front Ouest de la Première Guerre mondiale». Comme les troupes canadiennes étaient sous commandement britannique, la critique du gouvernement canadien fut cinglante. En visite à Londres, le Premier ministre conservateur Robert Laird Borden (monsieur $100) prit le premier ministre anglais Lloyd George au collet et, s’étouffant de colère, bredouilla : «Plus jamais ça!». Sans doute qu’avec Stephen comme Premier ministre dans une même situation, il aurait donné une grande claque dans le dos en lui disant : «Bon travail, mon ami, continuez!» Mai fi d’uchronie et souhaitons seulement que la salle qui exposera les bibelots de 1917 sera agrémentée de la composition du groupe de heavy metal Iron Maiden dont une chanson traite de cette bataille sur leur album Dance of Death : Paschendale. On peut difficilement traduire musicalement une telle boucherie autrement que par du heavy metal.

Passchendaele est de novembre 1917, quelques semaines plus tard, le 7 décembre, non ce n’était pas Pearl Harbour mais Halifax où mouillait un navire français, le Mont-Blanc, bourré d’explosifs qui explosa à proximité du port de la capitale de la Nouvelle-Écosse. La pire déflagration avant Hiroshima! Une grande partie de la ville fut soufflée par l’explosion qui fut suivie d’une onde de choc et d’un tsunami qui firent ensemble 2 000 morts. Il serait évidemment indécent de la part du gouvernement canadien de «célébrer» 1917 comme une année de grandes victoires après ces hécatombes.

Enfin, 1917 célèbre aussi l’incendie du premier édifice du Parlement canadien (et de l’original du célèbre tableau des Pères de la Confédération tant reproduit). Il est vrai que l’incendie avait eu lieu le 3 février 1906. Cinq personnes avaient trouvé la mort, dont un député (perte assez facilement remplaçable). C’est donc dire que s’il y avait une Chambre des Communes en 1917 qui siégera au musée Victoria jusqu'à la fin de la guerre, il n’y avait pas de Parlement, car l’édifice central avait été complètement rasé, ne laissant d’intact que la bibliothèque dont l’architecture originale contraste avec la nouvelle tour de l’Horloge. En pleine paranoïa de guerre, des rumeurs circulant bon train, affirmaient qu’une main criminelle, possiblement allemande ou autrichienne, était responsable du désastre. Plus tard, lors de l’effondrement du pont de Trois-Rivières, Maurice Duplessis accusera nommément Staline et les communistes d’être à l’origine de la catastrophe. Nous savons bien aujourd’hui que les causes québécoises qui font que des ponts ou des viaducs s’effondrent ont des origines moins lointaines! Le nouvel édifice du Parlement sera officiellement inauguré le 26 février 1920.

Enfin, soulignons la crise de la conscription au Québec. Suivant les pressions des gouvernements alliés et des red necks de l’Ontario et de l’Ouest canadien, afin d’envoyer plus de détachements francophones suppléer au 22e Régiment, le gouvernement Borden fait voter la Loi du service militaire le 24 juillet. Deux semaines plus tard, le 9 août, la maison du magnat de la presse Hugh Graham dit Lord Atholstan, propriétaire du Montreal Star proconscriptionniste, est dynamitée à Cartierville. Après une chasse «aux terroristes», dont un se suicida, on finira par s’apercevoir que c’était un coup monté par des agents provocateurs de la police fédérale. Mais ce n'était encore rien devant l’émeute sanglante du lundi de Pâques 1918, dans le Vieux-Québec.

Tout commença le Jeudi Saint lorsqu’un jeune citoyen de 23 ans est arrêté par trois policiers fédéraux chargés de recruter des «conscrits». Joseph Mercier déclare qu’il possède des papiers d’exemption mais ne les a pas sur lui. Son père sera forcé de venir les porter au poste de police et de libérer Mercier. La nouvelle de l’intimidation policière entraîne une manifestation de 2 000 personnes lançant des projectiles sur le bâtiment où est détenu Mercier. Le maire tente de calmer la foule. Les spotters qui ont arrêté Mercier fuient par une porte arrière, deux d’entre eux se réfugiant dans l’établissement des Frères des Écoles chrétiennes du quartier Saint-Roch. Le troisième est saisi par la foule qui lui fait un mauvais parti avant de prendre définitivement la fuite. Les autres policiers s’enfuient comme des Keystone Cops, c’est-à-dire dans la débandade! Le lendemain soir, 3 000 personnes parcourent le Vieux Québec en chantant le Ô Canada et La Marseillaise. Des bâtiments de journaux conscriptionnistes sont mitraillés d’objets. L’Auditorium (l’actuel Capitole de Québec), est vandalisé, incendié et les manifestants empêchent les pompiers d'éteindre l'incendie. Un détachement militaire est appelé en renfort mené par le général Landry. Le 30 mars, samedi saint, Borden fait venir d’Ontario et de Nouvelle-Écosse des renforts à Québec. Ce sont des unilingues anglais dont le mépris pour la population locale est déjà manifeste, bien qu’ils soient commandés par le major général François-Louis Lessard, connu pour sa brutalité dans la répression d’une grève ouvrière en 1878 et avoir commandé un détachement de l’armée dans l’Ouest lors de la rébellion finale de Louis Riel, en 1885. Le soir même, la cavalerie charge la foule d’émeutiers jusqu’à la rue Saint-Jean, blessant plusieurs quidams, ces derniers répliquant en lançant des projectiles contre les cavaliers. Le jour de Pâques, 31 mars, c’est au tour du cardinal Bégin de rédiger une lettre pastorale demandant aux manifestants de rester calme. Les 2 000 soldats de Lessard arrivent le même jour. Le lendemain, lundi de Pâques, 1er avril 1918, en soirée, un nouveau mouvement populaire est refoulé place Jacques-Cartier. Le scénario des derniers jours recommence. Lessard fait donner de la cavalerie, les citoyens répliquent avec des bouteilles et autres objets. Le major Mitchell fait alors installer une mitrailleuse au coin des rues Saint-Vallier, Saint-Joseph et Bagot où la foule a finalement abouti. Il crie en anglais aux gens de se disperser, mais, comme ils n'obtempèrent pas, il fait tirer. Les manifestants se dispersent en hurlant, laissant quatre morts et plusieurs blessés sur le terrain. Les quatre victimes sont Honoré Bergeron (49 ans), Alexandre Bussières (25 ans), Édouard Tremblay (23 ans) et Georges Demeule (15 ans). Quant aux blessés, il y en aurait eu au moins 70. Chez les soldats, on en compte que cinq, qui ont reçu différents projectiles. 62 personnes sont arrêtées au cours de la nuit. 58 d'entre elles seront relâchées au cours des jours suivants. Le lendemain, 2 avril, les soldats patrouillent dans toute la ville et des ordres sévères («Shoot to kill!») sont donnés. Deux cents autres personnes seront arrêtées pendant le mois d'avril. L’enquête révéla que les victimes n’avaient pas pris part à la manifestation, mais les soldats sont disculpés. Les spotters sont bien tenus responsables, mais les familles des victimes, malgré une demande, ne seront jamais indemnisées. Je doute que ces événements ne seront jamais au cœur du «Musée canadien de l’histoire», dont le but est de mettre en valeur les réalisations nationales!

On épatera donc la galerie avec des niaiseries comme le dernier crampon de la construction du chemin de fer Canadien Pacifique (dans l'Ouest), le chandail de hockey de Maurice Richard et des cossins provenant du Marathon de l’espoir de Terry Fox! Voilà ces «trésors» auxquels fait référence le ministre Moore! «Les Canadiens ont créé une société unique au monde; un pays économiquement viable, qui s'appuie sur des valeurs d'équité et de justice et qui encourage la participation de tous ses citoyens. Voilà la grande histoire du Canada. Au Musée canadien de l'histoire, notre vision consiste à présenter les pierres de touche - ces expériences formatrices, ces personnalités et ces objets - qui nous ont conduits jusqu'ici». Quel pays, quelle nation ne revendiquerait une unicité identique? Il faut insister. Contrairement au Musée canadien de la civilisation, il ne s’agira pas d’une histoire «populaire» du Canada, mais d’une histoire politique agrémentée d’objets symboliques dont les valeurs sont ambiguës, sinon discutables. (Que vaut le chandail de Maurice Richard sans le rappel des sources linguistiques de l'émeute du forum en 1955?) Une sorte de réplique au Musée de Jean Chrétien à Shawinigan!

En enlevant le terme «civilisation», qui provenait de l’ère Trudeau, le gouvernement Harper fait sienne l’interprétation nationaliste et conservatrice de J. L. Granatstein, auteur d’une étude pamphlétaire Who Killed Canadian History? dans les années 1990. Il avait accusé, sans crainte du ridicule, le Parti Québécois et le mouvement souverainiste d'être des «nazis». On exhume quelquefois ce Don Cherry du politique de son université, surtout quand la C.B.C. fait des commémorations militaires. Sa conception de l’histoire, bien traditionaliste, célébrant les hauts faits politiques et militaires, s'oppose au concept de civilisation, qui présente l’aventure humaine selon ses multiples facettes culturelles spécifiques et authentiques.  Elle ramène la vieille définition d'«histoire-bataille», ce que l’organisation poétique même du Musée illustre :

    * La salle du Canada, la salle des personnalités canadiennes et le Musée canadien de la poste seront transformés en exposition permanente sur l'histoire canadienne. De nombreux artefacts et des récits actuellement présentés dans la salle du Canada, le Musée de la poste et la salle des personnalités seront intégrés à la nouvelle salle. (C’est là, sans aucun doute, qu’on retrouvera les caleçons à grandes manches de John A. MacDonald, le chandail du Rocket, les chiens momifiés de McKenzie King et les col de chemises teintés de rouge à lèvres de Pierre Elliot Trudeau).

    * Cette nouvelle exposition comprendra une aire consacrée à des expositions provenant d'autres musées canadiens qui viendront compléter le récit national. Cela se fera grâce à la création d'un réseau de musées à travers le pays. (Le musée de la pêche des Maritimes, de la chasse du Québec, des immigrants d’Ontario, des bouses de Buffaloes des Prairies, et celles des riches retraités ontariens de Victoria).

    * La salle des Premiers Peuples et la salle du Canada continueront à raconter la remarquable histoire des Premiers Peuples du Canada et à souligner la richesse de leurs contributions au monde d'aujourd'hui. Les récits des Premiers Peuples seront intégrés à la nouvelle salle puisqu'ils constituent un élément important de notre histoire et de notre identité nationale. (Pourquoi jeter les vieux totems qui ont fait le succès du Musée canadien des Civilisations?)

    * Le Musée continuera à présenter des expositions internationales sur l'histoire et les cultures du monde provenant de musées étrangers. (Probablement d’Angleterre, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et des Bahamas!)

    * Le Musée canadien des enfants ne sera pas touché par ce changement. (Afin, sans doute, de conserver des collections de crèches en papier pour les fanatiques créationnistes de My Canada!)

    * Le Musée lancera aussi une importante initiative de collecte de fonds pour compléter la contribution unique de 25 millions de dollars accordée par le gouvernement.
(Votre histoire mérite bien quelques donations, pourvues qu'elles ne se perdent pas en enseignement critique et en recherches!)

Tutt Tutt! le gouvernement conservateur se soucie de ce que pensent les Canadiens de leur histoire palpitante! Ainsi, voyons-nous :

    * Une volonté de recueillir les commentaires des Canadiens de partout au Canada sur les principaux thèmes, événements et réalisations qui ont contribué à faire de notre pays ce qu’il est devenu. (Essayez d’être plus subtile que René Homier-Roy et de ne pas vous contenter d’un «I Jimmy Wolfe» ou «L’ostie de Trudeau, y nous a faite assez chier!». Faites un commentaire pertinent sur le coude à coude des soldats canadiens anglophones et francophones lors des batailles des deux guerres mondiales ou encore, combien le Québec était aussi anti-socialiste que l’Alberta… Vous recevrez des passes gratuites pour vous et vos enfants.

    * Une nouvelle démarche reliant le réseau canadien des musées au Musée canadien de l’histoire. Ainsi, les Canadiens de toutes les régions du pays auront un meilleur accès à notre histoire commune. (Va-t-on organiser des pèlerinages muséaux au Canada?)

    * Des activités de financement afin de solliciter l’appui du secteur privé qui s’ajoutera à l’investissement non renouvelable du gouvernement. (Pensez à des soupers soupe aux pois, fèves aux lards et tarte aux pommes. Faites des tombolas avec des kiosques où, au stand de tir, on ajuste des effigies de Patriotes de 37-38; achetez des poupées Emily Murphy qui déblatèrent un discours interminable (en anglais) de suffragettes des années 1920 lorsqu’on lui tire le cordon dans le dos; donnez un coup de masse sur l’orteil de Sir John A Macdonald jusqu’à ce que la boule lui frappe le bandy nose; achetez le poster Stephen Harper le montrant en train de se gaver d'un beigne  Tim Horton's sur l'air de piano Imagine de John Lennon… Percevez, mais percevez toujours pour soulager le gouvernement canadien d'avoir à entretenir les musées d’histoire canadienne.

    * Un forum en ligne, www.civilisations.ca/monmuseedhistoire, qui permettra aux Canadiens de s’exprimer au sujet des chapitres marquants de l’histoire de notre pays. (Cela ne doit pas servir à faire converger des livreurs de pizza à la même heure au bureau de M. Moore, mais plutôt pour apprendre à jouer avec les pitons de votre cell : If you want the english version, press 1; the french version, press 2; the spanish version, press 3; the italian version, press 4… the pokomoko version, press 310, the mook-a-mook islanders version, press 311…)

Voilà comment l’une des plus belles et des plus importantes connaissances, capables de nourrir notre conscience, se trouve infantilisée par des décisions politiques, idéologiques, propagandistes et tendancieuses. Ce qui réunirait les Canadiens, si la chose était possible, serait une dynamique autre que de se balader dans des musées comme des esseulés devant les vitrines de prostituées d’Amsterdam. Il faudrait affronter les incontournables divergences et être capables de trouver une dynamique centripète qui ne repose ni dans les libertés (octroyées suite à des rébellions et des guerres entre Autochtones et conquérants), ni dans la démocratie (sans cesse profanée par les successifs gouvernements canadiens et provinciaux), encore moins un «mutuel respect» (entre des rivaux financiers et politiques), enfin une culture difficilement commune à moins de prendre des traductions pour une expression authentique. L’impossible Canada tient par une addition de cossins niaiseux et c’est là la vérité nationale du Canada. Le Musée canadien de l'Histoire, c'est le retour à Clio fille publique.⌛
Montréal
19 octobre 2012

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