LE TEMPS DANS L’ŒUVRE
DE FRÉDÉRIC BACK – UN APERÇU
Frédéric Back est mort la veille de Noël
2013. Il ne pouvait sans doute imaginer meilleure journée pour nous quitter.
À la veille du jour même où la lumière du soleil reprend sur la nuit
obscure, annonçant l’espérance d’un monde nouveau qui culminera au printemps, espérance
trompeuse sans doute, espérance sotte dirons certains, mais espérance tout de
même, son destin rejoint l’œuvre du grand artiste. Noël, c’est le cri évangélique qui
annonce la naissance d’un sauveur. Noël, c’était aussi le cri de victoire que
les Orléanais lançaient à Jeanne, la bonne Lorraine, lorsqu’elle entra avec les
troupes du Dauphin pour libérer la ville de la domination anglo-bourguignonne.
Promesse et victoire, deux attitudes motrices de l’œuvre de Back.
En visionnant les deux films
d’animation oscarisés de Frédéric Back (1924-2013) Crac! (1981) et L’homme qui plantait des arbres (1987), j’ai
surtout été frappé par l’importance que la dimension du temps prenait dans son œuvre. Certes
la cinématique du dessin animé est un discours temporel en soi. En ce sens la forme repose tout autant dans la
succession des images que dans l’œuvre graphique elle-même. Là où la magie de
Back fonctionne, c’est dans la façon où la dynamique filmique donne à l’art
plastique sa forme définitive, que le dessin à lui seul ne suffit pas à rendre.
Ainsi, la narration se trouve-t-elle complémentaire aux dessins :
narration musicale dans Crac!, narration
par Philippe Noiret de la nouvelle de Giono dans L’homme qui plantait des
arbres. À la rigueur, les
deux films seraient muets qu’ils ne perdraient rien de leur pouvoir de
communiquer le message qu’ils ont à livrer. Dans «Magtogoek» Le fleuve aux grandes eaux, le texte deviendra même pesant à porter.
Né à Sarrebuck en Allemagne, jeune blond
typiquement aryen comme Adolf Hitler les rêvaient pour sa Hitlerjungend, Back est passé par la France avant de
trouver épouse au Québec. C’est un enfant du cinéma muet. Il a vécu son
adolescence avec le cinéma parlant. C’est dire que c’est l’histoire même du
cinéma qui rythme la vie de Back, n’oubliant pas l’importance du dessin
d’animation du temps où le muet dominait encore dans les salles de cinéma
européennes. J’ai entendu répéter l’ineptie qui place Back tout à côté de Walt
Disney. Ce sont-là deux mondes totalement différents. Back aimait les enfants,
Disney les exploitait.
Établi à Montréal après la Seconde Guerre mondiale (1948), il devient le successeur de Borduas à l’École des beaux-arts de Montréal où il se fait ami avec Pellan. Quelques années plus tard, en 1952, on le retrouve à la Société Radio-Canada où il travaille comme illustrateur, créateur d’effets visuels, de décors, de maquettes pour de nombreuses émissions d’ordre culturel, éducatif et scientifique. Reconnu par l’establishment montréalais, il réalisera plusieurs verrières d’églises et de lieux publics telle la fameuse verrière du métro de la Place des Arts, avec René Derouin. C’est en 1968 qu’il rejoint l’équipe de studio d’animation de Radio-Canada, créé par son ami et collègue Hubert Tison. Jusqu’en 1993, il réalisera 10 courts-métrages ainsi que diverses présentations spéciales de Radio-Canada. C’est à lui qu’on doit les maquettes qui servirent à la série d’Iberville. Lorsqu’on regarde aujourd’hui les épisodes passablement vieillis de cette série, son ton racinien-toupin, les effets semblent appartenir au même ordre que ceux des Thunderbirds (Sentinelles de l’air), les comédiens tenant la place des marionnettes pendues au bout des fils.
Son œuvre télévisuelle est immense. À
l’époque où Radio-Canada avait sa propre équipe de décorateurs, Back s’est
ingénié à mettre en pratique son art du dessin, de la création et de
l’onirisme. Des émissions jeunesse, de Pépinot et Capucine à la Boîte à surprises, l’ont déjà initié à la magie des
métamorphoses par la surimpression des images télévisuelles. Avec Back, la
télévision se faisait réellement magie. De sorte qu’avec l’apparition de la
couleur, il était fin prêt à livrer ses compositions originales. En 1970, c’est
Abracadabra, un an plus
tard, Inon ou la conquête du feu,
en 1973, La Création des oiseaux, en
1974, Illusion, en
1977, Taratata la parade, en
1979 il participe à la création de L’oiseau de feu de Stravinski. Puis, c’est Crac! Première œuvre de longue haleine et, six
ans plus tard, L’homme qui plantait des arbres. Enfin, en 1993, sa dernière œuvre majeure, «Magtogoek» Le
Fleuve aux grandes eaux, hommage
à la beauté marine et à la vie qui s’éteint dans le fleuve Saint-Laurent. Les
préoccupations écologiques marquent les deux derniers courts-métrages
d’animation de Frédéric Back. Militant qui n’hésitait pas à paraître sur les
scènes de grandes manifestations, son œuvre est inséparable de ses repères
sociaux et politiques.
L’œuvre graphique et le militantisme de
Frédéric Back sont les points qui surgissent dès que l’on entend le panégyrique
de l’artiste. Mais, comme je l’ai dit, ce qui m’intéresse c’est comment cet
artiste, ce poète, a usé du temps pour transmettre la vie à ses créatures. La
chaise berçante de Crac! comme
la forêt de L’homme qui plantait des arbres ou le fleuve sont les «étants» (les choses) qui
supportent l’ensemble du film. Ils se métamorphosent, se combinent sous nos
yeux, se transforment, s’étoffent et font avancer la progression de la
narration. Jamais discours idéologique n’aura été porté par la
suggestion temporelle comme dans les films de Back. Pas besoin d’insister. Pas
besoin d’expliquer la leçon. Le temps s’expose à nu. La succession des dessins
dépouille l’interprétation de son discours. La netteté, la précision de la
langue allemande semble se transposer dans la manière d’opérer la filmographie
de Back. Rien de la longue discursivité cartésienne : comprenez-vous que
c’est en plantant des arbres que le processus écologique redonne vigueur à une
terre déserte mais en attente de… Mêmes les esprits les moins formés à la philosophie
auront compris le message. En ce sens, Back est un magicien du langage, un
magicien du langage cinématographique d’animation.
On présente Crac! comme une synthèse de l’histoire du Québec.
Ce n’est pas vrai. Crac!, ce
n’est rien de plus que l’histoire d’une berçante – on pourrait dire une
berceuse – où se retrouvent les métamorphoses réciproques du dessin animé et de
l’histoire de l’art du Québec. Les airs folkloriques chantés par le groupe Le
rêve du Diable illustrent
le tempo des origines de la chaise berçante, déjà contenue dans l’arbre qu’on
abat, puis son traitement à la scierie, les planches dont use
l’habitant pour l'ébénisterie de la chaise, son ornementation, avec
un dossier qui évoque un visage tantôt gai, tantôt triste selon les étapes de
son existence. En toute fin, elle se retrouvera dans un musée, environnée
d’œuvres abstraites contemporaines qui continueront de giguer et danser sur les
rythmes du folklore traditionnel. Ce qui peut être considéré comme «historique»,
c’est l’évolution parallèle entre les états de la chaise et le développement du Québec.
La chaise n’est pas qu’utile. Elle est
joyeuse, pleine d’entrain, magique. Back rend hommage à la richesse de
l’imaginaire québécois en passant des mythes à la réalité de l’habitant.
L’épouse est-elle sur le point de donner naissance à un enfant? Aussitôt nous voyons arriver un
«sauvage» apportant un bébé dans ses langes et le remettre au père. Bien sûr,
derrière cette expression passée dans le folklore québécois, Back nous parle de la
revanche des berceaux (du ber dans ce cas-ci). Les grossesses se multiplient et
les enfants s’accumulent. Tous se bercent dans la chaise enchantée. Elle
sortirait pour peu tout droit de La boîte à surprises. Qu’un enfant brise la bascule. Il n’y aura
là rien de grave. Tout est réparable en ce monde pour peu qu’on a déjà inventé
le meuble. Ainsi, la chasse-galerie passe-t-elle au-dessus du village au moment
où les gens quittent la veillée. L’intime harmonie entre la légende et la vie
est ainsi restaurée et non plus divisée entre le monde littéraire et celui de
l’anthropologie. La convergence de la nature et de la surnature est indénouable
dans l’œuvre de Back. Le texte de Giono est là pour le rappeler dans L’homme
qui plantait des arbres.
La métamorphose n’opère pas seulement sur
le mode de l’inversion de la légende en histoire ou de l’histoire en légende.
Elle opère également dans le sens de l’idée de progrès qui est sévèrement
critiquée par le destin de la berçante. Tant qu’il y a l’art, le travail
honnête, la famille, les enfants, le rapport avec la nature, la fête, le chant,
la danse (métaphore du rite sexuel), la communauté, la chaise enregistre les battements du cœur. Lorsque
tout cela se métamorphose dans un monde nouveau, technologique, la chaise
change d’humeur. Son sourire est remplacé par la tristesse. Comme dans le vieux
roman de Gérin-Lajoie, Jean Rivard, l’habitant devenu rentier perd sa raison de vivre, se retrouve
seul dans sa maison qu’il met en vente et qui se dégrade au gré des saisons. Un
panneau, bilingue, annonce la vente de la terre délabrée. Le vieil homme ne
répare plus la bascule brisée et lance la chaise comme un objet sans valeur aux
détritus. On voit littéralement pousser des maisons du sol, puis se surajouter des immeubles
appartements. Il n’y a plus d’art dans les constructions standardisées, plus de
travail honnête, plus de famille, d’enfants. Le rapport avec la nature est
brisé par l’imposante technologie que représente la centrale nucléaire
d’Hydro-Québec. La fête, le chant, la danse sont remplacés par le téléviseur où
chaque couple, dans son appartement moderne, suit Les Belles Histoires des
Pays d’En-haut évoquées
par l’ouverture célèbre sur un thème de Glazounov, L’automne. Le passé vécu est devenu passé-spectacle.
La communauté s’est faite société. Finalement, la maison de l’habitant est
arrachée du sol par les mâchoires d’une grue comme une main enlèverait une
fleur de son terreau. La mort semble condamner le monde ancien.
La morale de cette histoire est donnée à
partir du moment où suite à des coulées de matière radio-active, des
manifestants emportent la centrale qui est transformée en musée d’art
contemporain. Cette métamorphose est un retour à l’origine, à l’essentiel. Un
gardien de musée sauve la chaise de son issu fatal, la repeint, lui redonne son
sourire et s’en sert pour qu’elle berce les enfants des visiteurs au musée. Les
musiques folkloriques s’éveillent du passé où on les avait enfouies dans
l’oubli et lorsque les lumières s’éteignent après la fermeture des portes, le
fantôme du passé revient hanter les lieux, entraînant les tableaux abstraits
dans la farandole. Pour Back, il est clair que l’activité politique est
essentielle. Elle relaie la tradition dans la mesure où elle ramène la vie dans
le monde, dans le peuple qui refuse de mourir comme la déchéance de la chaise
le laissait supposer.
Mais la métamorphose du temps apparaît à un
troisième niveau qui concerne plus spécifiquement l’évocation de l’histoire de
l’art. Personne ne manquera l’allusion à Cornélius Krieghoff ni à ses scènes de
l’hiver en campagne peintes au milieu du XIXe siècle. Ce n’est pas là le plus
intéressant. Bien sûr, on peut citer à loisir la touche impressionniste des
dessins de Back. On la retrouvera encore plus «authentique» dans L’homme qui
plantait des arbres. On
peut en référer à Marc Chagall, avec ses joueurs de violons qui semblent
propulsés sur les toits, emportés par les tourbillons de neige ou de vents
d’automne. On peut penser également à Sempé. Tout ça est vrai. Mais ce n’est
pas voir toutes les allusions, tous les hommages que Back rend aux créateurs du
XIXe siècle.
Comme dans la métamorphose de la légende en
histoire, on voit les scènes de la vie rurale crayonnées par Back se
métamorphoser en tableaux célèbres. La sortie de l’auberge de Krieghoff (Merrymaking), bien entendu. Mais aussi les Bœufs à l’abreuvoir d’Horatio
Walker ou le fameux tableau Lever de soleil sur le Saguenay, de Lucius O’Brien. Le croquis
impressionniste de Back s’immobilise pour que l’on puisse bien reconnaître
l’œuvre vers laquelle il pointe du doigt. Ces références à l’histoire de l’art
annonce ce que sera le post-modernisme en art canadien selon Mark A. Cheetham.
Autant qu’à l’énergie et à l’inventivité du peuple québécois, Back rend hommage
à ses artistes peintres dont il se veut l’héritier, lui, l’enfant aux cheveux
blonds et aux yeux bleus venu de la lointaine Allemagne.
Le temps se manifeste autant par la durée que par les métamorphoses. La rupture qui conduit au renversement des
valeurs est une rupture temporaire, non définitive. Tant que les racines, la
mémoire, le sentiment d’appartenance et un certain sens de l’unité demeurent, rien de ce qui peut se produire
n’entraînera une irréversible disparition. Back ne plaide pas la survivance comme l’ancien discours littéraire ou
artistique nationaliste, mais la persistance. Tant que nous persistons dans notre
durée, quels que soient les transformations et leurs effets, sains ou
délétères, il est toujours possible de se rattacher au déjà-fait, de le
redresser, de le restaurer, de le réhabiliter. Crac!, c’est la persistance d’une tradition saine
post-référendaire. La défaite du référendum de 1980 pour l’émancipation
collective ne marque pas la fin de l’histoire du Québec. Nous retrouvons ici le
porteur d’espérance que nous parlions plus haut. De sa position nationale à sa
position écologiste, Back est le plaideur de la détermination, de la
contestation et de l’affirmation de la volonté collective sur les intérêts
particuliers qui profitent seuls des transformations techniques, trop souvent
au mépris de la collectivité elle-même.
Ce message d’espoir porte encore plus loin
dans L’homme qui plantait des arbres. Ce court-métrage en dessin animé prit six ans pour se faire.
Il y a le texte de Giono bien sûr. Mais les préoccupations de Back témoignent
d’une inquiétude différente. Les incidents nucléaires de Three Mile Island
(1979) et de Tchernobyl (1986), ce dernier à la veille de la dernière touche du
film, nous ont fait prendre conscience, avant que ne se révèle la confirmation
du réchauffement climatique, que la terre pourrait bien devenir un désert si
l’homme continuait sa folle exploitation des ressources énergétiques dont il ne
maîtrise pas entièrement la production ni le contrôle des effets secondaires.
C’est donc sur une terre déserte que le narrateur arrive …en 1913. Ce narrateur
tien la place de la chaise dans Crac! C’est par ses regards, ses réflexions, ses commentaires que nous
verrons confirmer ce que nos yeux voient. Malgré le ton apaisant donné par la
voix doucereuse de Philippe Noiret, le décor et les événements de L’homme
qui plantait des arbres sont
terribles, sinon terrifiants. Écrit en 1953, Giono raconte, rêverie d’un
promeneur solitaire comme il y en a tant dans la littérature française, la
rencontre d’un jeune homme avec un berger d’une cinquantaine d’année, Elzéar Bouffier. Homme silencieux, méticuleux de son troupeau, accompagné d’un chien
qui est sa seule compagnie, Bouffier offre gîte et refuge au promeneur. Ce
jeune homme, qui fume déjà la pipe et se prend sans doute pour un adulte
raisonnable, observe cet homme qui tire un petit sac d’où il sélectionne
soigneusement des glands de chênes. Le suivant de loin, le lendemain, il
s’aperçoit que l’homme, munit de sa seule tringle de fer, creuse un trou et y
sème un gland. Bouffier lui avoue qu’il envisage planter des milliers d’arbres
sur toute cette terre déserte où jadis les Gallo-Romains vivaient de bois,
de ses jardins, de ses eaux de sources qui depuis, se sont vues fauchés,
ensablés et taries. À la place survivent des villages où les villageois
hargneux et haineux s’entre-déchirent en vivant de l’exploitation du charbon de
bois. Producteurs d’énergie polluante, les survivants ressemblent à leur source
d’énergie : sales, rebutants, barbares. Pour Back, la civilisation ne
repose pas nécessairement, et encore moins totalement, sur le progrès
technique.
Ce n’est pas pour rien que Giono, et Back
après lui, situent la fiction dans un espace situé entre les Alpes et la
Provence «délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance…; au
nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu’à Die; à
l’ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du
Mont-Ventoux». Le mont Ventoux, c’est le mont où Pétrarque, l’humaniste, le
poète, le troubadour de Laure de Sade, tout en inventant l’alpinisme, renoue
avec l’esprit de l’homme antique. C’est ce qui va arriver au narrateur qui met
ses pas dans ceux de Pétrarque. Bouffier sera son idéal de l’homme antique. Il
porte en lui la Renaissance de cet espace désertifié avec le temps. Le monde
industriel qui s’est érigé sur les fossiles de la forêt disparue apparaît ainsi
comme un «Moyen Âge» sombre et fanatique. C’est du moins ainsi que Giono décrit
la sombre barbarie issue du commerce et de l’industrie du charbon de
bois :
«…je connaissais parfaitement le caractère des rares villages de cette région. Il y en a quatre ou cinq dispersés loin les uns des autres sur les flancs de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits où l’on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d’une rudesse excessive, aussi bien l’été que l’hiver, exaspèrent leur égoïsme en vase clos. L’ambition irraisonnée s’y démesure, dans le désir continu de s’échapper de cet endroit.
Les hommes vont porter leur charbon à la ville avec leurs camions, puis retournent. Les plus solides qualités craquent sous cette perpétuelle douche écossaise. Les femmes mijotent des rancœurs.
Il y a concurrence sur tout, aussi bien pour la vente du charbon que pour le banc à l’église, pour les vertus qui se combattent entre elles, pour les vices qui se combattent entre eux et pour la mêlée générale des vices et des vertus, sans repos. Par là-dessus, le vent également sans repos irrite les nerfs. Il y a des épidémies de suicides et de nombreux cas de folies, presque toujours meurtrières.»
On ne saurait mieux décrire la barbarie actuelle qui
dévore la civilisation occidentale depuis au moins trois siècles.
Du haut de sa retraite, Bouffier observe
tout ça, et plutôt que manifester avec des organisations jugées par Giono
plutôt stériles, il manifeste lui-même, silencieusement, en triant et en
choisissant les glands qu’il ira ensemencer. L’acte de Bouffier est
authentiquement révolutionnaire dans l’esprit de Back. Il réconcilie là où
l’homme s’est séparé du temps, là où il a rompu avec la tradition, le passé,
l’histoire pour se lancer dans une rupture qui, elle aussi, ne sera que
temporaire. Le déjà-fait n’attend
plus qu’à être refait, et c’est la tâche révolutionnaire que s’est donnée
Bouffier et que le narrateur finira par reprendre à son compte.
Le temps s’inscrit dans la chair de Bouffier. Il a perdu sa femme et son enfant; il n’a plus que son vieux chien de berger et son troupeau de moutons. Pourtant, il est la persistance même. Le narrateur apprend qu’Elzéard plante depuis trois ans des arbres : «Il en avait planté cent mille. Sur les cent mille, vingt mille était sortis. Sur ces vingt mille, il pensait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n’y avait rien auparavant». Qu’est-ce à dire? Si on considère qu’une forêt met trente années à s’enraciner et à se développer, Elzéard Bouffier projette l’avenir devant lui. Qu’importe le tort qui a été fait par le passé, la terre sera toujours là, et ses capacités de jadis ne sont qu’en sommeil. Que l’homme s’arme de patience, se donne le temps et le monde se reconstruira. L’humaniste pétrarquien triomphera de l’ingénieur technicien.
Le temps s’inscrit dans la chair de Bouffier. Il a perdu sa femme et son enfant; il n’a plus que son vieux chien de berger et son troupeau de moutons. Pourtant, il est la persistance même. Le narrateur apprend qu’Elzéard plante depuis trois ans des arbres : «Il en avait planté cent mille. Sur les cent mille, vingt mille était sortis. Sur ces vingt mille, il pensait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n’y avait rien auparavant». Qu’est-ce à dire? Si on considère qu’une forêt met trente années à s’enraciner et à se développer, Elzéard Bouffier projette l’avenir devant lui. Qu’importe le tort qui a été fait par le passé, la terre sera toujours là, et ses capacités de jadis ne sont qu’en sommeil. Que l’homme s’arme de patience, se donne le temps et le monde se reconstruira. L’humaniste pétrarquien triomphera de l’ingénieur technicien.
Pourtant, malgré cette déchéance dont les deux guerres
mondiales apparaissent comme l’amplification au niveau civilisationnel de
l’esprit de concurrence des petits villages où vivent les familles tassées les
unes sur les autres – à la différence des familles québécoises de Crac!
-, le narrateur, après l’expérience de l’infanterie et des tranchées,
revient sur les lieux, constate qu’après dix ans, la forêt prend vie. Le sol se
transforme, la métamorphose opère. Les feuilles apparaissent aux branches des
jeunes pousses et déjà les chênes ont de la vigueur, l’eau s’est remise à
couler dans le lit des anciennes rivières asséchées, la vie reprend le dessus
sur le désert. Les abeilles, qui ont remplacé les moutons d’Elzéar Bouffier,
contribuent à la pollinisation. Comme on le voit, cet homme est un véritable
stratège. Il s’est donné le temps et le temps va lui donner raison.
Bien sûr, Back, à la suite de Giono, ne peut dissimuler
le ridicule des institutions devant le «miracle» de la forêt dont on attribue
la cause à Dieu ou à la spontanéité capricieuse de la nature. Personne ne connaît Bouffier et
ne serait prêt à lui reconnaître le moindre mérite. Contrairement aux
humanistes pétrarquisants, Bouffier est un solitaire et un homme dont
l’humilité est ce qui saute aux yeux du narrateur dès leur première rencontre.
En 1933, un garde-forestier sermonne Bouffier de ne pas faire de feu afin de ne
pas «mettre en danger la croissance de cette forêt naturelle. C’était la
première fois, lui dit cet homme naïf, qu’on voyait une forêt pousser toute
seule». En 1935, c’est au tour d’une délégation administrative à venir examiner
la forêt : un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des
techniciens. On prononce des discours - «beaucoup de paroles inutiles»; on
décide «de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule
chose utile : mettre la forêt sous la sauvegarde de l’État et interdire
qu’on vienne y charbonner». C’est bien que l’État s’occupe de la nature, à
condition de ne pas trop insister dans ses interventions. Enfin, un ami du
narrateur, capitaine forestier, l’accompagne auprès du vieillard, cet «athlète
de Dieu», qu’est maintenant Elzéard Bouffier.
«Avant de partir, mon ami fit simplement une brève suggestion à propos de certaines essences auxquelles le terrain d’ici paraissait devoir convenir. Il n’insista pas. « Pour la bonne raison, me dit-il après, que ce bonhomme en sait plus que moi. » Au bout d’une heure de marche - l’idée ayant fait son chemin en lui - il ajouta : « Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux
C’est grâce à ce capitaine que, non seulement la forêt, mais le bonheur de cet homme furent protégés. Il fit nommer trois gardes-forestiers pour cette protection et il les terrorisa de telle façon qu’ils restèrent insensibles à tous les pots-de-vin que les bûcherons pouvaient proposer.»
Bien sûr, comme le rappelle le narrateur, la persistance
d’Elzéar n’était pas que le produit de sa patience. La richesse humaine de
Bouffier réside dans sa capacité de mesurer le temps. Il ne voit pas les choses
selon l’œil des entrepreneurs qui mettent sur le compte des passifs les
imprévus du marché. Comme il n’y a pas de polices d’assurance possibles, il
faut donc investir dans le capital moral. Comme le souligne le
narrateur : «Je ne l’ai jamais vu fléchir ni douter. Et pourtant, Dieu
sait si Dieu même y pousse! Je n’ai pas fait le compte de ses déboires. On
imagine bien cependant que, pour une réussite semblable, il a fallu vaincre
l’adversité; que, pour assurer la victoire d’une telle passion, il a fallu
lutter avec le désespoir. Il avait, pendant un an, planté plus de dix mille
érables. Ils moururent tous. L’an d’après, il abandonna les érables pour
reprendre les hêtres qui réussirent encore mieux que les chênes». À peine émergée
de terre, la forêt est la proie des hommes. Les trois gardes-forestiers seront
là pour diminuer plutôt que pour empêcher la destruction massive. La coupe à
blanc n’est pas recevable.
Et la métamorphose – le miracle – s’accomplit sur la
nature humaine même. Après la guerre, le narrateur revient. C’est un homme mûr
maintenant. De l’autocar, il ne reconnaît plus l’endroit de ses promenades
solitaires. Il découvre ce qui semble être de nouveaux endroits, dont un
village, Vergons.
«En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège : à peu près dans l’état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d’eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s’agissait pour eux que d’attendre la mort : situation qui ne prédispose guère aux vertus.
Tout était changé. L’air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m’accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d’odeurs. Un bruit semblable à celui de l’eau venait des hauteurs : c’était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j’entendis le vrai bruit de l’eau coulant dans un bassin. Je vis qu’on avait fait une fontaine, qu’elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d’elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d’une résurrection.
Par ailleurs, Vergons portait les traces d’un travail pour l’entreprise duquel l’espoir était nécessaire. L’espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C’était désormais un endroit où l’on avait envie d’habiter.
A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n’avait pas permis l’épanouis-sement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flancs abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d’orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient.
Il n’a fallu que les huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays resplendisse de santé et d’aisance. Sur l’empla-cement des ruines que j’avais vues en 1913, s’élèvent maintenant des fermes propres, bien crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. On en a canalisé les eaux. A côté de chaque ferme, dans des bosquets d’érables, les bassins des fontaines débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont reconstruits peu à peu. Une population venue des plaines où la terre se vend cher s’est fixée dans le pays, y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l’esprit d’aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l’ancienne population, méconnaissable depuis qu’elle vit avec douceur et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier.»
Voilà, non seulement la résurrection de hameaux
abandonnés, pollués et divisés; non seulement le triomphe de l’esprit humaniste
sur la bureaucratie technologique, mais la métamorphose même de l’homme. Les
hommes, pour Back, sont sculptés par la nature dans laquelle ils vivent. Si l’homme laisse l'environnement
se dégrader, il perdra sa dignité et les valeurs qui sont le propre même de
l’humanité. Sa décadence, sa déchéance tient à ce qu’il a laissé son environnement
se dégrader pour des intérêts particuliers, corporatistes ou capitalistes. Le
redressement psychologique et moral passe par la restauration de l’environnement.
Comme la violence n’est pas l’instrument de Back, il faut alors passer par l’engagement
individuel qui ramène le combat de David contre Goliath. Au temps du nihilisme
et du cynisme hargneux, c’est là un défi digne de Bouffier.
Back poussera donc la morale de Giono à son extrême limite :
«Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable.
Mais, quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu.
Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l’hospice de Banon.»
Ce qui dépasse l’entendement, c’est comment une nouvelle,
rédigée parce que commandée à Giono par la revue américaine Reader’s Digest,
soit devenue l’un des chefs-d’œuvre du cinéma d’animation.
Le dernier court-métrage en dessin animé de Back, «Magtogoek»
le fleuve aux grandes eaux (1993) possède les mêmes mérites que les deux précédents.
Le fleuve Saint-Laurent – Magtogoek comme l’appelait les Autochtones du temps
des premiers explorateurs français – reprend ici la magie et la course du temps
que l’on trouvait portées par la berçante dans Crac! et Elzéar
Bouffier dans L’homme qui plantait des arbres. Mais ici le militance
idéologique affecte le film. Le texte possède des défauts qui vient gâcher ce
que le dessin, à lui seul, suffisait à faire comprendre. Là où le texte de Giono
accompagnait et complétait le court métrage d’animation, ici le texte le
redouble, l’écrase de ses informations scolaires. La poésie, qui fait apparaître
des visages et des mains dans les eaux jaillissantes du fleuve dans l’étape de
sa genèse, est écrasée par la somme d’informations qui se déversent sur le
spectateur. Des associations – on parle «d’amour» pour y désigner deux baleines
en voie d’accouplement - résonnent comme des anthropomorphismes disneyiens. Vue
en silence, sans cette narrativité discursive, la magie du mouvement opère
toujours. Nous n’avons pas besoin d’entendre. Voir nous suffit.
Mais ce qui était évoquée avec terreurs et menaces dans
les films précédents apparaît ici sur un mode manichéen que l’on retrouve dans
les plus mauvaises rhétoriques écologistes. À l’harmonie entre Magtogoek et les
Amérindiens dont ils sont représentés comme le fruit, à l’égal de la flore et
de la faune des rives du fleuve, les explorateurs français menés par Cartier, «hantés
par l’esprit de richesses et de conquêtes» apparaissent ici
comme jadis chez Ferron (Historiettes), comme l’intrusion
du Mal dans le jardin de Magtogoek. Là où la faible démographie autochtone
permettait l’accroissement spectaculaire de la faune maritime et des forêts sur
de grands espaces, la cupidité et la rapacité font leur entrée. Un véritable
massacre à faire frémir Brigitte Bardot se déroule sur les côtes du
Saint-Laurent. Le manichéisme impose ici un double tempo. Ceux qui s’apprivoisent
au fleuve et ceux qui veulent domestiquer, dominer le fleuve. On retrouve chez
Back la philosophie de l’histoire de la contre-culture québécoise des années
1970. D’abord les impérialistes français vont laisser un peuple québécois
métissé de la culture amérindienne et ainsi valider leur passeport
nord-américain, ensuite les impérialistes anglais viennent ajouter une couche
de domination à ce qui existait déjà. Organisant entreprises commerciales et
industrielles gigantesques, la prédation est la seule dimension qui jaillit de leurs entreprises,
mettant les ressources du fleuve en péril. Cette seconde colonisation laisse
toutefois des villes peuplées de bourgeois de belles familles, des femmes et des enfants
identiques à ceux que nous présentait Crac!, mais une troisième vague,
encore plus brutale et plus barbare, entraîne la naissance de «mégalopoles» qui, en vidant
le fleuve, ajoutent les décharges de matières polluantes, des déchets qui assassinent
la vie purement et simplement, sans raison ni nécessité. Voilà toute la leçon
de «Magtogoek» Le fleuve aux grandes eaux.
Comme dans L’homme qui plantait des arbres, la nature
civilise et l’humanité barbarise. Du côté du fleuve : les autochtones, les
habitants, les familles qui séjournent dans les stations balnéaires; de l’autre,
les envahisseurs européens, les entrepreneurs affairistes, les pollueurs sans
scrupules. Bien sûr, le film s’achève également sur un appel à l’espoir, mais
on ne retrouve pas ici la révolte des manifestants de Crac!, ni la
résistance opiniâtre d’Elzéar Bouffier. C’est
le film lui-même qui revêt cette mission de faire prendre conscience que le
pire est en train de se produire et qu’il faudra y mettre un terme, tout autant de la survie de l’espèce que par respect à la grandeur majestueuse du
fleuve aux grandes eaux.
Film poétique. Film didactique. Film idéologique aussi.
Oserai-je dire trop idéologique. Comme si Back aurait soudainement douté de sa
capacité d’évocation à travers ses dessins aux effets impressionnistes
incomparables. Comme si la métamorphose ne suffisait plus pour rappeler que
toutes ruptures ne sont que temporaires alors que la mégalopole par sa
mégalomanie qui appuie la folie sur la mégapole (Toronto, Montréal) pouvait parvenir à abolir l’œuvre même de Dieu. De ce
Dieu dont la face fuyante et les mains créatrices illustrent la genèse du
fleuve. Comme si le processus de métamorphose lui-même n’était plus qu'entraîner dans
le sens de la profanation et de la barbarie, sans possibilité de reprendre, de
réparer le déjà-fait. La finale reste dubitative malgré la foi humaniste de
renaissance de Frédéric Back :
«Contaminé, asservi. le courant millénaire a-t-il perdu sa force vivifiante?
L’énergie secrète des eaux proclame sa volonté de renaissance et convie les hommes à célébrer un nouveau printemps, une alliance originelle avec Magtogoek, le fleuve aux grandes eaux».
Comme la terre stérile de la Provence de la nouvelle de Giono,
le fleuve n’attend que la volonté humaine pour renaître de sa cloaque.
Restera-t-il sans réponse?
Lorsque nous regardons le méticuleux travail de Frédéric Back, nous aussi nous réfléchissons à ce qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir de ses dessins animés de tels chefs-d’œuvre. Frédéric Back appartient à cette condition humaine la plus admirable. Et quand il faut faire le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ces résultats, nous ne pouvons qu’être pris d’un immense respect pour ce jeune passionné de cinéma venu d’une culture lointaine et fort décriée en ce milieu de XXe siècle mais qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu et des Québécois.
Lorsque nous regardons le méticuleux travail de Frédéric Back, nous aussi nous réfléchissons à ce qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir de ses dessins animés de tels chefs-d’œuvre. Frédéric Back appartient à cette condition humaine la plus admirable. Et quand il faut faire le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ces résultats, nous ne pouvons qu’être pris d’un immense respect pour ce jeune passionné de cinéma venu d’une culture lointaine et fort décriée en ce milieu de XXe siècle mais qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu et des Québécois.
Frédéric Back est mort paisiblement en 2013 entouré de tous les siens⌛
Montréal
25 décembre 2013
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