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Le pensionnat autochtone de Kamloops
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KAMLOOPS,
OU LA NAISSANCE D'UN MYTHISTOIRE CANADIEN
Pour Jean-Pierre Pelletier
L'historien
québécois Jacques Rouillard a publié dans la revue «L'Action
nationale» (n° de février 2022) un texte très critique
à l'égard des événements consécutifs à la découverte de ce qui
serait une fosse commune contenant les dépouilles de jeunes
pensionnaires autochtones à l'ancien pensionnat de Kamloops en Colombie Britannique : Où
sont les restes des enfants inhumés au pensionnat autochtone de
Kamloops? Dans cet article, Rouillard dresse une critique
historique des événements qui sont à l'origine de toute une
campagne, aussi bien auprès des autochtones que de la population canadienne en
général et qui a débordé dans les média de la planète entière.
Kamloops.
À chacun sa doctrine de la «découverte»
Jacques Rouillard,
qui demeure l'un des pionniers de l'histoire ouvrière au Québec,
avait fait paraître cette critique dans une première version
anglaise In
Kamloops, Not One Body Has Been Found,
paru en ligne dans «Dorchester
Review» le 11 janvier
2022. Le texte de Rouillard est d'abord une réaction à un battage
médiatique né de la «découverte» de «restes d'enfants» près
du pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique;
pensionnat en activité de 1890 à 1978. En effet, le 27 mai 2021, un
simple communiqué annonçait que la jeune anthropologue Sarah Beaulieu, de l'université de Fraser Valley, avait trouvé un
cimetière d'enfants qui ne portait aucune indication sur les
cadavres ensevelis. Beaulieu aurait utilisé un géoradar à la
surface du sol avec lequel elle aurait trouvé des dépressions et
des anomalies dans le sol qui laisserait croire que des corps
d'enfants y seraient enterrés. Cette «découverte» confirmerait la
tradition locale (autochtone) que «la présence de ces dépouilles
est "un savoir" dans la communauté depuis longtemps» et
qu'on ignorerait le nom de ces enfants et la cause de leur mort. Une
seconde recherche, rendue publique en juillet 2021, estimait à 200
tombes anonymes, toujours détectées au géoradar. «Ces
perturbations dans le sol telles que des racines d'arbres, du métal
et des pierres» seraient
«des signatures
multiples qui en font un lieu d'enterrement probable»,
ce qu'elle ne peut confirmer sans que soit effectuée une excavation.
Jusqu'à présent, aucune excavation n'aurait été accomplie.
De
cette ébauche de «découverte», les média ont semé une véritable
«commotion». D'autres nations autochtones se sont mises à faire référence à
d'autres tombes anonymes et, avant même de connaître le rapport des
fouilles de Kamloops, le Premier ministre Justin Trudeau a endossé l'hypothèse
d'une fosse commune et évoque aussitôt «un
chapitre sombre et honteux»
de l'histoire du Canada. Dès le 30 mai, les drapeaux sont mis en
berne signifiant «la
grande repentance et la dépendance du gouvernement canadien dans ses
négociations avec les Autochtones».
Moins d'un mois plus tard, il instituait une journée fériée pour
rendre hommage aux enfants «disparus» ainsi qu'aux «survivants»
des pensionnats, de même qu'il déplorait l'Église catholique de ne
pas reconnaître leur «responsabilité» et leur «part de
culpabilité dans la question des pensionnats autochtones au Canada».
En fait, Justin Trudeau venait tout simplement d'accréditer la
naissance d'un mythistoire.
Rouillard
poursuit en rappelant que 68
églises catholiques de l'Ouest canadien auraient subi du vandalisme, certaines ayant carrément été incendiées à la suite de l'annonce de la «découverte» de Kamloops. Des statues barbouillées de sang (de peinture rouge) jusqu'à la décollation de celle de John A. Macdonald à Montréal et la décision du gou-vernement fédéral de débaptiser l'édifice Langevin - Hector Langevin est considéré comme le responsable de la politique d'internement des pensionnats autochtones - ont témoigné de l'ampleur de la colère populaire (et non seulement de celle des Premières Nations). De fait, la machine à rumeurs ne cessait de s'emballer. Bientôt, on allèguerait avoir réellement trouvé les corps de 215 enfants à Kamloops; que des milliers d'autres étaient portés disparus dans les pensionnats sans que leurs parents en furent informés. On mentionnait des fosses
communes qui se changèrent bien vite en charniers laissant supposer que les corps y avaient été enterrés
pêle-mêle, sans sépulture. La presse mondiale fut aussitôt contaminée. Ces rumeurs hystériques furent partagées par
des journaux aussi sérieux que le «New
York Times» et «Le
Monde». Comment auraient-ils pu avoir en tête autre chose que les fameux charniers trouvés à Auschwitz et
autres camps d'extermination nazis? Sous cette pression médiatique,
le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme se mit à
la recherche de violations des droits de la personne «commises
à grande échelle» et
trouva «in-concevable que
le Canada et le Saint-Siège laissent des crimes aussi odieux sans
réponse et sans réparation».
Amnistie internationale de son côté exigea de traduire en justice
les responsables de ces établissements et parla des «ossements»
des 215 enfants trouvés à Kamloops, «encore
une fois sans qu'aucun corps n'ait été»
exhumé! Tous ces organismes animés des meilleurs intentions du monde tombèrent dans l'attrape-nigaud et se discréditèrent une fois de plus.
Les
présumés auteurs de ce «crime»
- les gouvernements, les communautés religieuses, la Conférence des
évêques catholiques et même le pape - se confondirent en excuses
alors que les chefs des Premières Nations exigeaient des excuses
officielles et demandaient des compensations aux
«survivants» des pensionnats. Ottawa accepta de verser jusqu'à 27
millions $ pour identifier et délimiter par géoradar les sites
d'enterrement et s'engagea à «retourner
les restes humains à leurs familles si elles le désirent».
Le communiqué qui annonçait cette décision ne parle pourtant pas
d'organiser des fouilles et des excavations qui seraient le bienvenue
afin de confirmer la «découverte» de Mme
Beaulieu.
D'autres fonds seraient versés par la suite pour entreprendre ces
fouilles. Avant même la découverte réelle - l'exhumation des corps -,
le «charnier» était confirmé dans les esprits généralement peu soucieux de discernement et de nuances. On a condamné pour fraudes pour moins que cela.
C'est
ici que Rouillard y va d'un premier commentaire de son cru :
«En
ne mettant jamais en évidence qu’on en est encore au stade des
hypothèses et qu’aucune dépouille n’a encore été trouvée, le
gouverne-ment et les médias laissent s’accréditer une thèse, soit
celle de la disparition de milliers d’enfants dans les pensionnats.
D’une allégation de «génocide culturel» avalisée
par la Commission de vérité et réconciliation (CVR), on est passé
à un «génocide physique», une conclusion que la
Commission rejette explicitement dans son rapport. Tout n’est basé
que sur la simple découverte d’anomalies dans le sol, des
perturbations qui peuvent avoir été causées par des mouvements de
racines, comme l’anthropologue l’a mentionné lors de la
conférence de presse du 15 juillet»..
Nous ne sommes plus ici dans le terrain de l'historiographie mais
bien dans celui de la mythologie. Il s'agit de confirmer l'allégation
de génocide
culturel (et
bientôt physique) avalisée par une commission gouvernementale qui
a préparé le terrain dans les mentalités pour y accueillir la «découverte» de Kamloops. Bref, l'allégation confirmait Kamloops et non l'exhumation des corps qui ne viendrait que par après. On voit que l'imagerie, ici, précède la
réalité.
On retrouverait une analogie avec la manière dont jadis Lionel Groulx, racontait en détail
les événements du Long-Sault alors que les archives ne disposaient
que d'un document portant de nombreuses erreurs d'identification et
avare de détails. L'auteur rapporte à ce titre
la réserve de l'anthro-pologue Scott Hamilton, «qui
a examiné la question des cimetières pour le compte de la CVR
[Commission
Vérité et Réconciliation]», et pour qui «il
faut être prudent dans l'usage du géoradar, car le sol peut avoir
subi des perturbations au cours des années, notamment par de la
sédimentation, des obstructions et des cavités».
Ainsi l'usage du géoradar dans le projet d'analyse du sol au
pensionnat de Brandon, au Manitoba, amorcé depuis 2012 et relancé
en 2019 n'a pas donné de résultat probant. Il valait mieux recourir
aux bonnes vieilles usages des archives pour reconnaître les 104
tombes potentielles du cimetière. Alors que les historiens et les
archéologues avançaient avec des pas prudents, les média et le
gouvernement s'emballaient et déliraient.
Dans
la suite de l'article, Rouillard rappelle les difficultés qu'ont eu
les commissaires de Vérité et Réconciliation à obtenir des
informations concrètes, informations souvent incomplètes au niveau du matériel archivistique. Les données, d'ailleurs, avaient souvent
été trafiquées dans le but d'obtenir du financement du
gouvernement ou subis un décalage dans le temps pour les élèves décédés.
Le nombre de ceux-ci est fourni mais pas toujours sans les
identifier. Des informations de noms, d'années ou de causes de décès
manquent. Ouvrir les archives, c'est faisable, mais leur traitement
est loin d'être évident. Ainsi, il y a des redites qui gonflent les
chiffres réels. Ces lacunes méthodologiques concernent surtout les années
antérieures à 1950 : «le
taux de mortalité enregistré par la Commission dans les pensionnats
de 1921 à 1950 (décès avec les noms et sans les noms) est deux
fois plus élevé que celui des jeunes Canadiens âgés de 5 à
14 ans pour les mêmes années. Le taux de mortalité était en
moyenne d’environ 4 décès par an pour 1000 jeunes
fréquentant les pensionnats. Leurs décès étaient principalement
dus à la tuberculose et à la grippe lorsque la Commission pouvait
les identifier. D’autre part, le taux de mortalité dans les
pensionnats est comparable à la moyenne canadienne de 1950 à 1965,
pour les jeunes de 5 à 14 ans. Cette baisse est très
probablement le résultat de l’inoculation de vaccins qui a eu lieu
dans les pensionnats comme dans les autres écoles canadiennes».
Quoi qu'il en soit, ces chiffres démentent les accusations d'intentions de génocide physique portées
contre l'action de l'Église à travers les pensionnats.
De ces
sources de renseignements partielles, la Commission s'est permise des
déductions «surprenantes». En tout cas, des déductions rapides.
Rouillard énumère les faiblesses des conclusions de la Commission,
par exemple que ce n’était pas «pratique
courante pendant la plus grande partie de l’histoire des
pensionnats de remettre la dépouille aux commu-nautés d’origine»
et que «personne
n’aurait pris la peine de compter le nombre de morts ou de
consigner leur lieu de sépulture»,
ce qui serait quand même étonnant de la part d'une Église qui
tenait au salut chrétien des enfants et qui commandait une sévère
pratique des sacrements et de l'enregistrement de ceux-ci dans les
minutes des institutions. De même, la Commission affirme que «de
nombreux élèves qui ont fréquenté le pensionnat n’en sont
jamais revenus», perdus
à jamais pour leur famille; «leurs
parents n’étaient souvent pas mis au courant qu’ils étaient
malades ou décédés».
«Ces affirmations à
partir de dossiers dits «lacunaires» sont graves, surtout si elles
viennent d’une commission royale d’enquête. On comprend qu’elle
plaide pour la nécessité de compléments d’enquête». En tout cas, nombre de ces affirmations relèvent de généralisations plus que de statistiques.
Rouillard
résume ensuite l'histoire du pensionnat de Kamloops, fondé en 1890, dirigé
et animé par deux communautés catholiques, les Oblats de
Marie-Immaculée et les Sœurs de Sainte-Anne, venus du Québec. Dans
les années 1950, il aurait compté jusqu'à 500 enfants, logés dans
le plus important pensionnat au Canada dirigé alors par quatre
Oblats de langue anglaise et 11 religieuses de Sainte-Anne. Les
Oblats, comme les Jésuites jadis, avaient le souci d'apprendre les
langues autochtones, ce que confirme l'historien Henri Goulet. De
nombreuses publications en langues autochtones «attestent
de leur volonté de maintenir les langues maternelles»,
ce qui infirme assez gravement les accusations de génocide
culturel. Ce
que cherchaient ces religieux serait une transition harmonieuse vers
la société moderne. Ce qui les distinguait du
gouvernement fédéral et des églises anglo-protestantes dont le but
était une assimilation rapide.
«C’est
certainement le cas en Colombie-Britannique où le père
Jean-Marie Raphaël Le Jeune arrivé de France est affecté à
Kamloops en 1882. Il y est très actif jusqu’à sa mort en 1929. De
ses confrères oblats, il a appris le jargon chinook, mélange de
chinook, de nootka, de français et d’anglais dont les oblats se
servaient pour communiquer avec les Amérindiens. La maîtrise de
cette langue leur apparaissait essentielle pour gagner leur estime et
effectuer leur conversion au catholicisme. En utilisant une méthode
sténographique inventée en France, le père Le Jeune adapte la
prononciation des mots du jargon chinook pour la transposer à
l’écrit le plus fidèlement possible. Il l’enseigne à d’autres
oblats et au chef Louis Clexlixqen. En 1891, il publie même un
périodique illustré portant le nom de Kamloops Wawa (Les
Échos de Kamloops)
écrit en jargon chinook et en anglais, paru régulièrement jusqu’en
1904, et par intermittence jusqu’en 1917. Il est l’auteur
également de plusieurs opuscules et ouvrages éducatifs en anglais
pour comprendre le Chinook. En compagnie du Chef Clexlixqen et d’un
autre chef, ils se rendent en Europe pour démontrer leur
savoir-faire et remportent des prix. Ils sont même reçus par le
pape Pie X et le roi Édouard VII au palais de Buckingham».
Nous
sommes ici dans la tradition du missionnariat catholique
depuis le XVIIe
siècle et non dans une totale entreprise de génocide culturel républicain du XIXe. Cela
allait dans la voie du métissage qui était pratiquée par les
colons français et écossais dans l'Ouest canadien. Tout cela s'inscrit dans une
continuité culturelle qui suit la logique de l'histoire,
ce qui infirme toute volonté
génocidaire, extermi-natrice de ces institutions dont le but était
l'éducation et la conversion des autochtones à la foi catholique.
L'Église a toujours préféré convertir les païens plutôt que de
les exterminer. N'était-ce pas sa mission apostolique déléguée par le Christ lui-même et confirmée par les Pères de l'Église, Augustin en tête? Rouillard déplore que le rapport de la C.V.R. ne
reconnaisse pas ces efforts d'atténuer le choc culturel chez les autochtones. Les
missionnaires n'étaient pas totalement indifférents aux
traumatismes subis par ces enfants extirpés de leur famille.
Plutôt
que de consulter les archives de la communauté des Oblats, les
commissaires s'en sont tenus aux intentions gouvernementales. Il est
assez ironique de voir demander au pape l'ouverture des archives
quand on a pas pris la peine d'aller consulter celles qui sont disponibles! L'historien en conclut que plutôt que de
vouloir la vérité, la Commission cherchait à confirmer les torts
individuels et collectifs subis par les peuples autochtones du
Canada. Autant dire que la Réconciliation nécessitait la mutilation
de la Vérité : «Pour
avoir consulté les chroniques de huit pensionnats albertains
conservés aux archives de la province, nous y avons trouvé une mine
de renseignements rédigés en français ou en anglais dont les décès
d’élèves avec leur nom. Pas de cachettes».
«La CNVR a repéré
officiellement les noms de 51 enfants morts au pensionnat de
Kamloops de 1915 à 1964. Nous avons été en mesure de trouver des
informations sur ces enfants à partir des dossiers de Bibliothèque
et Archives Canada et des certificats de décès conservés aux
registres d’état civil des Archives de la Colombie-Britannique.
C’est une source disponible en ligne qui ne semble pas avoir été
consultée par les chercheurs du CNVR».
Tout cela mine la crédibilité de la sincérité de la
Commission Vérité et Réconciliation dans son objectif de faire la lumière aux bénéfices de tous les Canadiens.
Les
différentes recherches entreprises par les historiens suffiraient,
selon Rouillard, à temporiser «des
affirmations non vérifiées voulant que les autorités n’aient pas
enregistré les décès, que les parents n’aient pas été informés
ou que les dépouilles ne soient jamais revenues dans leur famille.
Quand les informations sont disponibles, on apprend que les parents
ont été informés et que les enfants sont inhumés au cimetière de
leur réserve».
Que ces choses aient pu se produire dans certaines communautés,
c'est fort possible, mais de là à en faire une règle de conduite générale,
c'est définitivement faux; surtout qu'«à
partir de 1935, le ministère des Affaires indiennes impose une
procédure précise lors du décès d’un élève. Le
directeur du pensionnat doit informer l’agent du ministère, qui
forme un comité d’enquête composé de lui-même, du directeur et
du médecin qui a diagnostiqué le décès. Les parents doivent être
avisés de l’enquête et sont autorisés à y assister et à faire
une déclaration».
Il est significatif, à travers tout ce battage publicitaire, qu'on ne mentionne jamais que Kamloops
n'est pas situé à l'extérieur de la réserve mais se trouve en son cœur
même, «ce qui
n'est jamais rapporté par les leaders autochtones ou les médias».
Comme pour tous les pensionnats, les obsèques chrétiennes y sont la
norme et le cimetière proche de l'église attenante sert de lieu
d'inhumation depuis des générations. Ainsi quatre élèves sont-ils inhumés dans le
cimetière derrière l'église Saint-Joseph, non loin du pensionnat.
Et Rouillard de demander :
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En caméo, Louis Clexlixqen, grand chef de Kamloops 1852-1915 |
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«Avec
le cimetière si proche, est-il vraiment crédible que 200 enfants
soient enterrés clandes-tinement dans une fosse commune, sur la
réserve elle-même, sans aucune réaction du conseil de bande?
Ou encore que les conseils de bande d’autres réserves qui envoient
leurs enfants au pensionnat de Kamloops n’aient pas protesté ?
La cheffe Casimir affirme que la présence de restes d’enfants
était «connue» de la communauté depuis longtemps. Les
familles autochtones sont certainement aussi préoccupées du sort de
leurs enfants que toute autre communauté. Pourquoi n’ont-elles pas
réagi ? Ce n’est pas aux enfants à contacter la police».
Le fait d'avoir ménagé les auteurs de sévices corporels ou sexuels
de même que l'indifférence des tribunaux à l'égard des plaintes pour
«mauvais traitements physiques»
sont suffisants en soi pour discréditer l'œuvre missionnaire de l'Église et judiciaire des tribunaux canadiens, en quoi nécessitait-il d'amplifier la charge accusatrice? 200 enfants jetés en secret dans une fosse commune, ça ne passe pas inaperçu et c'est autre chose plus grave. Il semble que les agents du
ministère des Affaires indiennes auraient sûrement réagi
rapidement à la nouvelle d'une disparition aussi nombreuse d'enfants
indiens. À moins de supposer un énorme complot racial (et raciste) de la même parentée que les génocides nazis et rwandais, ce qui ne semble pas étranger à certaines déclarations.
Plutôt
que d'interroger la rationalité d'une telle action, les média se sont
lancés dans la surenchère sentimentale et romanesque.
«L’émission
Fifth Estate de CBC diffusait le 13 janvier 2022 un long
documentaire sur la «découverte traumatisante de ce que l’on
suppose être des tombes d’enfants» près de l’ancien
pensionnat de Kamloops. On y interroge des «survivants» du
pensionnat comme si on avait eu affaire à un camp de concentration.
Ils racontent avec émotion qu’ils ont entendu parler de cavités
dans le sol derrière le pensionnat où des jeunes seraient enterrés.
Le fait pour un élève de quitter le pensionnat laisse penser qu’il
aurait été enfoui. On a entendu dire qu’il ne faut pas marcher
dans le verger parce qu’on y trouve des cadavres. Une fournaise
dans le sous-sol laisse penser qu’on y a brûlé des corps
d’enfants. En fait, ce sont des rumeurs et des spéculations sans
que les «survivants» aient été témoins eux-mêmes de quoi que ce
soit. L’animatrice de l’émission, qui normalement se fait un
point d’honneur de creuser un sujet en profondeur, ne pose aucune
question embarrassante. Le ton et le déroulement du documentaire
laissent entendre que toutes les histoires racontées doivent être
crues. Ces ouï-dire se sont perpétués de décennie en décennie
chez les autochtones de Kamloops comme le note la cheffe Casimir. Il
se peut que le traumatisme généré par le déracinement de leur
famille chez des enfants très jeunes placés dans un environnement
stressant nourrisse leur insécurité et soit à la source de leurs
peurs».
Que le documentaire s'achèvât en apprenant qu'un comité de la Nation
de Kamloops autorise les excavations pour que les dépouilles
«retournent à la maison» est une bonne nouvelle. Il aurait cependant valu mieux que le documentaire se fasse après plutôt qu'avant les
fouilles sérieuses.
Rouillard
achève son article par une mention du pensionnat de Marieval en
Saskatchewan, autre site de «sépulture
sans nom»
qui s'est ajouté à l'onde de choc de l'annonce faite à Kamloops.
Ouvert en 1899 dans une région reculée, ce pensionnat était
également géré par les Oblats et les Sœurs de Saint-Joseph venues
de Saint-Hyacinthe. Le géoradar aurait retracé 751 tombes dans le
cimetière aménagé. Comme l’a montré un
journaliste de CBC News, il s’agit en fait du cimetière catholique
de la Mission du Saint-Cœur de Marie Marieval. «Selon
le registre en français des actes de baptême, de mariage et
d’enterrement de 1885 à 1933, plus de la moitié des
450 dépouilles identifiées sont des enfants d’âge
préscolaire ou des enfants morts à la naissance. Les autres sont
âgées de 6 à 100 ans, avec au moins deux enfants en âge
d’être scolarisés après l’ouverture du pensionnat en 1898.
On y trouve aussi les tombes de nombreux adultes et enfants de moins
de cinq ans qui habitaient les environs. «Il y avait un
mélange de tout le monde dans ce cimetière», a déclaré en
juillet dernier Pearl Lerat, une résidente».
Ici encore, les rumeurs se mêlent aux comptes-rendus. «Selon
l’historien Jim Miller de l’Université de Saskatchewan,
«les restes d’enfants découverts à Marieval et Kamloops ont été
enterrés dans des cimetières selon les rites catholiques, sous des
croix de bois qui se sont rapidement effritées». «La
croix de bois était un marqueur d’enterrement catholique pour les
pauvres», confirme Brian Gettler de l’Université de Toronto.
Les cimetières des pensionnats, avec leurs croix de bois,
ressemblent probablement à l’actuel cimetière autochtone de
Saint-Joseph, dans la réserve de Kamloops».
On voit que les résultats des recherches en archives et sur le
terrain s'écartent de ces rumeurs et de ces ouï-dire alimentés par la
presse médiatique toujours en quête de sensations fortes.
Enfin,
il me semble important de rapporter la conclusion de Jacques
Rouillard :
«Il
est incroyable qu’une recherche préliminaire sur un prétendu
charnier dans un verger ait pu conduire à une telle spirale
d’affirmations endossées par le gouvernement canadien et reprises
par les médias du monde entier. Ce n’est pas un conflit entre
l’Histoire et l’histoire orale autochtone, mais entre cette
dernière et le gros bon sens. Il faut des preuves concrètes avant
d’inscrire dans l’Histoire les accusations portées contre les
Oblats et les Sœurs de Sainte-Anne. Les exhumations n’ont pas
encore commencé et aucune dépouille n’a été trouvée. Un crime
commis exige des preuves vérifiables, surtout si les accusés sont
décédés depuis longtemps. Il importe donc que les excavations
aient lieu le plus rapidement possible pour que la vérité l’emporte
sur l’imaginaire et l’émotion. Sur la voie de la réconciliation,
le meilleur moyen n’est-il pas de rechercher et de dire toute la
vérité plutôt que de créer des mythes sensationnels?»
Bien
avant de penser accuser Rouillard de négationnisme, il serait bon de bien
comprendre ce qui est en train de se passer sous nos yeux.
Naissance
d'un mythistoire
Toute
la clé de l'affaire réside dans les deux derniers mots de la
conclusion de Rouillard : mythes
sensationnels. Car
il s'agit bien de cela, une affaire de mythes. Rouillard n'est pas un
apprenti historien. C'est une autorité en matière d'histoire
ouvrière au Québec et son approche de la «découverte» de Kamloops se
remarque par son aspect à la fois critique et nuancé. Il ne nie
pas d'emblée l'existence de la «fosse», il ne fait que dire
que nous n'en savons rien de précis et qu'il faudrait bien attendre le résultat des
excavations et les recherches effectuées dans les archives avant de se prononcer
sur toute l'affaire. Visiblement, ni le gouvernement canadien ni les
médias ne sont de cet avis, empressés de satisfaire une société
du spectacle avide
d'émotions fortes depuis ces grands shows télévisés qu'ont été,
successivement, la crise du verglas, les attentats du 11 septembre et
la parade incessante des «chiennes blanches» devant les kodaks de «Ici
Radio-Canada»! Les reportages en direct n'attendent plus que
l'excavation pour filmer les premiers os, voir exhumer les premiers
crânes d'enfants autochtones de la «fosse» de Kamloops faire la manchette tant lucrative pour les organes de presse, ce qui est une autre façon de traumatiser les autochtones.
Pour
les médias internationaux, la «découverte» de Kamloops évoque une répétition des charniers trouvés dans les camps
d'extermination nazis par les armées alliées en 1945. Or, tout au
mieux pourrait-il s'agir d'une fosse commune. Rien n'est moins sûr dans
le cadre de nos connais-sances actuelles, qui ont peu évolué depuis la
publication de l'article de Rouillard. On a dit combien l'usage du
géoradar pouvait entraîner des conclusions douteuses sans
contre-vérifications archéologiques. Nous n'en sommes pas même à
affirmer que ces modifications de terrains signifient bien une «fosse
commune», et si même tel serait le cas, il serait douteux que les
corps qu'on y retrouverait seraient empilés ou foulés comme dans
les charniers nazis ou cambodgiens. Rien de dit même si ces
dépressions de terrain découlent de l'activité humaine ou de la
mobilité du sol. Enfin,
s'il s'agit de «fosses communes», comme on le prétend, il faudrait
se demander pourquoi une Église, si préoccupée par le salut des
âmes individuelles. aurait autorisé des inhumations collectives. Dans sa
conception de la vie après la mort et de la résurrection des corps,
elle pesait l'importance de l'inhumation individuelle, et répugnait à des inhumations en
groupes.
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Épidémie de variole à Montréal, 1885.
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Dans
le passé, l'usage de fosses communes survenait lors d'épidémies, ce qui est d'autant plus vrai pour les maladies d'enfants, ces dernières étant
nombreuses! Du XIXe
au milieu du XXe
siècle, les épidémies de tuberculose sont une quasi constante dans un monde qui ne connaît pas encore la pénicilline. Nous-mêmes en
avons connu quelques-unes durant notre petite enfance et la pratique
de la vaccination est toujours de rigueur pour les jeunes enfants.
Dans de tels cas, il fallait agir vite afin de limiter la propagation
du virus; brûler les vêtements, le linge de lits, désinfecter le
mobilier, etc. Aurait-on commis l'imprudence d'envoyer les dépouilles
de ces enfants dans les communautés connaissant leur fort degré de
contagiosité? On nous en aurait fait le reproche encore là!
Souvenons-nous du backbashing
fait au général Amherst au point de changer le nom de sa rue en un
imprononçable pour les chauffeurs de taxi! Pourtant, si Amherst
avait eu droit à sa rue, ce n'avait jamais été pour les
couvertures contaminées qu'il faisait distribuer dans les réserves indiennes
durant la révolte de Pontiac, mais pour sa reconnaissance généreuse
des religieuses qui avaient soigné ses soldats blessés durant la
fin de la guerre de Sept-Ans. Avant d'inventer la guerre microbienne,
Amhrest avait été un officier tout à fait gentleman.
Bref,
ce que Jacques Rouillard nous invite à assister, c'est à la naissance d'un
mythistoire qui se déroule présentement
sous nos yeux, au Canada même. Nous,
qui avons été éduqué avec des mythistoires
plus que d'authentiques connaissances historiques, n'avions pas
assisté à la naissance de ces mythes qui remontait, pour la
plupart, à la fin du XIXe
siècle. Comment un «oublié» comme Dollard des Ormeaux, dont on
nous répétait en classe, année après année, la geste héroïque du
Long-Sault, était quasiment perdu de vue lorsque le jeune Lionel Groulx en fit un mythe historique national. Ainsi, quand Louis Fréchette, dans son poème fleuve hugolien La
légende d'un peuple (1887),
relate l'exploit du Long-Sault
(qu'il ne nomme pas), il désignait encore Dollard du nom de Daulac,
celui inscrit dans le document conservé aux archives municipales de
Montréal et seul véritable témoignage de l'exploit. En en faisant un mythistoire national et chrétien, Groulx lui donnait une fonction psychologique et morale simple, celle de fournir un sens afin de fonder une solidarité nationale aux Canadiens français d'un bout à l'autre du pays.
La
découverte de la «fosse commune» de Kamloops vient non pas créer
le mythistoire du
génocide autochtone certes, mais le consolider, le concrétiser sur
un site précis, un lieu géographique déterminé pour toujours
et
non plus seulement dans la rhétorique des réquisitoires contre la
conquête des Amériques.
Après tous les témoignages qui se transmettaient oralement ou par
écrits (car les archives des communautés religieuses ont toujours
été disponibles, seulement fallait-il quelqu'un y aille voir avec
cette probléma-tique en tête!), où l'état des connais-sances
restait (et reste toujours) imprécis, la «fosse» de Kamloops
prend pour les autochtones, la dimension imaginaire donnée par le
fortin du Long-Sault pour les Canadiens français. Enfin, il devient possible de situer, hic
et nunc, un lieu
fondateur du génocide amérindien du Canada; un axis
mundi où tous les
autochtones dispersés aux quatre coins du pays peuvent à leur
tour se tourner vers La Mecque de leur malheur historique. Ce que
les autochtones américains disposent avec des sites comme Sands
Creek et Wounded Knee, les autochtones canadiens ont désormais
leur site national témoin de la volonté exterminatrice des Blancs
sur les Peaux-Rouges, mais en même temps de leur résistance à la volonté annihilatrice. Les agences de presse s'en sont vite rrendues compte,
surtout à la vitesse avec laquelle Trudeau s'est mis tout de suite à
larmoyer sur le nouveau mélodrame qui s'offrait à lui. Il contribua
à édifier le mythistoire
avec
l'habileté qu'on lui connaît et dont seul il a le secret.
Il
faut dire qu'à force de cultiver le sentiment national des
autochtones qui, à cause de leur nombre et de leur disparité
géographique, linguistique et traditionnelle, n'ont jamais disposé de ce qui constitue concrètement une centralisation
étatique, la naissance d'un mythistoire
transnational
des Premières Nations était inévitable.
En moussant la rhétorique des «Premières Nations» et leur
reconnais-sant un droit historique que le gouverne-ment fédéral
refuse aux Québécois, un état de conscience finit par naître et
se développer. N'ayant jamais eu d'État centralisé, unificateur ou
même de confédération (à l'exception des Iroquois - et même des
Iroquoiens auxquels appartenaient les Hurons qui s'en trouvaient exclus),
s'imposait l'idée d'un complément mythique. Et du mythique, on
passe au mystique. On reprend la culture occidentale du toutou en
peluche des sites de fusillades ou de catastrophes qu'on remplace par des
mocassins ou autres colifichets traditionnels. Vient ensuite une
scénographie mélodramatique, véritable construction théâtrale
industrielle que l'on doit à des auteurs tels Richardson, l'abbé
Prévost, Rousseau et Sade. De pauvres enfants innocents arrachés à
leurs parents, accueillis par des prêtres sadiques, au mieux
indifférents, et des bonnes sœurs à qui manque tout amour; enfants
qu'on empêchait de parler leur langue ou de communi-quer avec leurs
parents, comme le montre cette savonnette que Radio-Canada, toujours
aussi faux-cul, va présenter cet automne à la télé.* Comme le veut
la construction poétique et esthétique du mélodrame, on a eu qu'à
suivre le voyage du pape pour s'apercevoir qu'elle a été efficace
au-delà de toute espérance. On est projeté en pleine scène
fameuse d'Oliver Twist :
«may I have more
porridge, please?». Les
Indiens pleurent, mais aussi la planète entière, puisqu'on y
reconnaît moins le drame autochtone du Canada qu'une variante de la
littérature et du cinéma mélodramatique occidental. À l'heure où
des foules suivent des petites Greta Thunberg et autres enfants
missionnaires, quand Téléfilm
Canada financera-t-il
une adaptation autochtone de La
Fille des Marais...?
*
Autre exemple de ce travail de propagande radio-canadien, la série
Afro-Canada
où l'«historien»-rapeur Webster émerveille de jeunes esprits,
noirs et blancs, rassemblés dans une maison patricienne bourgeoise
et leur «enseigne» que l'historien Marcel Trudel a dénombré 3,604
esclaves, sans distinction de provenance, laissant supposer qu'ils
étaient tous noirs. Or, comme le dit l'historien blanc, «les
nègres sont les moins nombreux : 1,132 seulement; ce n'est que dans
les vingt dernières années du régime français que leur quantité
prend quelque importance...» [M.
Trudel. L'esclavage au Canada
français, Québec, P.U.L., 1960, p.
317. Utilisant l'édition originale, les termes nègres et sauvages
n'avaient pas encore été censurés et réécrits]. Un autre
historien noir se moque de la «supériorité
morale des Canadiens» qui se
comparaient favorablement aux esclavagistes américains, alors que
l'esclavage aurait été tout comparablement pratiqué au nord de la
frontière. Une fois de plus sont confondues deux choses différentes,
esclavage et racisme noir, et si des liens structurels les unissent
l'un à l'autre, il demeure que si l'esclavage reposait sur des bases
raciales (et racistes), tout esclave n'était pas obligatoirement
noir! En ne spécifiant pas que la majorité des esclaves en
Nouvelle-France étaient amérindienne, Webster se comporte
exactement comme les historiens blancs qu'il dénonce et qui
attribuaient tous les mérites à leur race. Tout cela aussi relève
non de l'historiographie mais de l'idéologie et véhicule un racisme
anti-blanc qui affirme que sans l'esclavage noir, il n'y aurait pas
eu de révolution industrielle! Avec ou sans l'esclavage au XVIIIe
siècle, la Révolution industrielle aurait eu lieu quand même, ses
facteurs originaux résidant ailleurs que dans le trafic humain, ce
qui n'était pas le cas du commerce du coton.
Cette nouvelle
«négritude» (ou «noiritude») s'inscrit dans le courant
anti-impérialiste de l'anthropologue et historien sénégalais Cheik
Anta Diop qui affirmait : «Le Nègre
ignore que ses ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions
matérielles de la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de
l’humanité dans la voie de la civilisation; que ce sont eux qui
ont crée les Arts, la religion (en particulier le monothéisme), la
littérature, les premiers systèmes philosophiques, l’écriture,
les sciences exactes (physique, mathématiques, mécanique,
astronomie, calendrier...), la médecine, l’architecture,
l’agriculture, etc. à une époque où le reste de la Terre (Asie,
Europe : Grèce, Rome...) était plongé dans la barbarie».
Diop partait de l'hypothèse qu'il jugeait démontrée par la
linguistique, que les anciens Égyptiens étaient noirs (ce qui était
vrai des Nubiens intégrés dans l'ancienne Égypte). Diop luttait
contre le racisme à une époque où le colonialisme dominait encore.
Avec les autochtones, avec les noirs comme avec les femmes ou les
gays et lesbiennes, je suis entièrement d'accord avec ce que Diop
écrivait dans son premier livre, Nations
nègres et culture (1954) : «Il
faut, ici, rappeler ce qui vient d'être écrit sur la nécessité
pour un peuple de connaître son histoire et de sauvegarder sa
culture nationale. Si celles-ci n'ont pas encore été étudiées,
c'est un devoir de le faire. Il ne s'agit pas de se créer, de toutes
pièces, une histoire plus belle que celle des autres, de manière à
duper moralement le peuple pendant la période de lutte pour
l'indépendance nationale, mais de partir de cette idée évidente
que chaque peuple a une histoire. Ce qui est indispensable à un
peuple pour mieux orienter son évolution, c'est de connaître ses
origines, quelles qu'elles soient. Si par hasard notre histoire est
plus belle qu'on ne s'y attendait, ce n'est là qu'un détail heureux
qui ne doit plus gêner dès qu'on aura apporté à l'appui assez de
preuves objectives, ce qui ne manquera pas d'être fait ici»
(p. 19). Or, pour que cette histoire soit belle comme le souhaitait
Diop, faut-il qu'elle couve une haine sournoise sous la prétention à
l'objectivité et à l'éducation? Les mensonges et les demi-vérités,
comme l'enseigne l'historiographie raciste des XIXe-XXe
siècles, n'ont servi qu'à brouiller la connaissance historique des
Occidentaux sur leur propre passé. Pourquoi imiter et répéter
absolument la
même erreur?».
C'est donc
bien que nous ne sommes
plus dans l'histoire - dans la mesure où le RCVR puisse être
considéré comme la première marche de cette historiographie -,
mais dans l'idéologie qui, comme toute idéologie, éclaircie un
point pour en obscurcir mille autres. Ainsi, ce chef, un Sioui je
crois, interrogé durant le voyage du pape, qui disait lui aussi
avoir été enlevé de sa famille, jeté dans un pensionnat où on
lui interdisait de parler sa langue, etc. etc. Et qui donnait
l'impression du change en retour, avouant explicitement (et presque
candidement) qu'il était entré là avec une seule langue et en
était sorti avec trois (ce qui lui a permis de faire son barreau et
devenir avocat au service de son peuple, ce qui n'est quand même pas
rien!). Rouillard a raison de rappeler que les Oblats apprenaient les
langues autochtones. Les missionnaires le faisaient depuis le XVIIe
siècle et on apprend, dans les Relations
des Jésuites, que le
père de Brébeuf et d'autres avaient mis au point un dictionnaire
des langues huronne et française. C'était indispensable dans la
stratégie de conversion. On oublie que les langues autochtones ne
disposaient pas de l'écriture, contrairement aux civilisations
aztèque, maya et incas, ce qui fît que les Européens ne les
considéraient pas comme bénéficiant de la même «évolution» que
les Indiens de la mésoamérique. Ce sont ceux sur qui on crache qui leur ont
apporté l'écriture! Et ce n'est pas un moyen cadeau car lorsqu'ils
écrivent aujourd'hui, c'est en anglais, qui n'est pas une langue autochtone si
je ne m'abuse... La vraie tristesse, c'est que Cartier et les
Pilgrims auraient
tellement voulu rencontrer un Eldorado avec des Aztèques et des
Incas d'Amérique du Nord et qu'ils en ont été quitte pour de faux
diamants et de gros oiseaux qu'ils baptisèrent... Turkey! C'était
difficile, dans leur mentalité propre au XVIIe
siècle, de ne pas considérer ces peuples comme ayant la même
pauvreté psychologique et morale qu'ils trouvaient dans la
nature environnante.
LE
PÈLERINAGE PÉNITENTIEL DE FRANÇOIS Ier - LE PAPE, NON LE
ROI
La
visite du Saint Père a été très éclairante sur ce point.
Beaucoup plus intéressante que celle de Jean-Paul II - vieux bocké
qui n'écoutait rien ni personne -, car François s'est montré
réceptif, modifiant sa rhétorique à chaque jour que dura sa
visite au Canada. À Edmonton, il ne voulait pas compromet-tre trop l'Église
dans le scandale des pensionnats. Pour lui, c'était toujours
quelques pommes pourries qui avaient causé les crimes sordides qui
éclaboussaient l'Église. Puis il a reconnu le triste rôle des communautés
religieuses qui avaient quand même tenu ces pensionnats. Mais les
femmes voulaient des excuses spécifiques pour les abus sexuels qui finissent par devenir le crime majeur des pensionnats, enfin concédées à Québec. Buffy Sainte-Marie aurait voulu qu'il
désavoue la «doctrine de la découverte» qui n'est rien de plus que la
bulle Inter Cætera
de 1493 signée par Alexandre VI partageant les découvertes entre
Espagnols et Portugais et n'était pas une position doctrinale; elle
a d'ailleurs été invalidée très rapidement quelques décennies
plus tard. François ne semblait d'ailleurs pas se souvenir de quoi
il s'agissait au juste.
Évidemment,
dans l'esprit du XVIIe siècle, les peuples non-chrétiens étaient
considérés rien de plus qu'appartenant à la flore et à la faune
des terres découvertes, aussi, les chrétiens en disposèrent-ils à
leur convenance. Lorsque Rome reconnût la qualité humaine des
indigènes, c'est-à-dire qu'ils possédaient une âme et qu'il
appartenait aux missionnaires de les convertir afin de leur promettre
le ciel éternel plutôt que les limbes ou l'enfer, c'était
un don de grâce qu'elle leurs apportait, don qui apparaît aujourd'hui comme un génocide
culturel prémédité. Et pourtant, ce fut très
souvent l'Église qui se mît en travers des conquistadores, qui ne reculaient pas devant le massacre pour fournir la meilleure preuve du génocide autochtone, et les protéger de la violence avec laquelle s'effectuait la conquista.
Ces
idéologues tenaient enfin à ce que François s'excuse
au nom de l'institution d'avoir rendu possible la commission de ces crimes. Il ne pouvait aller
jusque-là. L'Église, c'est l'Évangile en action, celle qui
poursuit l'œuvre de Jésus-Christ, et, à l'image de la Vierge Marie
à laquelle elle s'identifie, l'Église est animée par l'Esprit
Saint - troisième personne de la trinité - et ne peut être
tenue pour corruptible. Elle ne peut mourir. Elle peut souffrir les pires tourments du
martyr, mais ne peut vouloir des actes répréhensibles sans
supposer qu'ils seraient commandés par un Dieu cruel. Pour cette raison, elle ne peut regretter l'apostolat auprès des Amérindiens, action qui
rentre dans le plan divin dont elle a mission d'accomplir sur terre et qui est
la base de l'accusation de «génocide culturel». C'est peut-être là l'une des
constantes historiques les plus fidèles de l'Église chrétienne,
toutes sectes confondues. Les viols, les enlèvements d'enfants manu
militari de la G.R.C. et autres corps de police, et tout ce qui
doit être considéré comme des crimes, ne sont pas les fruits de la
doxa chrétienne. La justification des enlèvements d'enfants l'ont été parce que sur un aussi vaste territoire aux populations clairsemées, il n'était possible de fonder collèges et couvents à proximité de chaque communauté autochtone, et que certaines étaient emcore nomades, surtout dans les Territoires du Nord-Ouest, au tournant du XXe siècle. Ce souhait d'éducation et d'instruction relevait non de
l'obscurantisme clérical, mais bien de la modernité libérale dont
l'éducation demeure le fer de lance. D'ailleurs, la vie dans les
collèges et couvents occidentaux n'était guère plus réjouissante
lorsqu'on étudie l'histoire de l'éducation sous la bourgeoisie
libérale des XIXe-XXe siècles! Je ne vois pas comment elle aurait
pu être plus «gai-lon-là, gai-le-rosier» dans les pensionnats
autochtones?
Dans
la première homélie à Edmonton, François leurs a dit clairement
que les «peuples des Premières nations» devaient passer à autre
chose et penser à l'avenir plutôt que ruminer les ressentiments
du passé, si triste fut-il. On a pas relevé ce passage. Parce que c'est ce
triste passé qui joue le rôle de dette à payer pour les Canadiens, et il sera toujours ramené tant que les Amérindiens auront des revendica-tions à faire valoir. Et il y aura toujours un comique
pour revendiquer l'île-non-concédée de Montréal
comme il y en a un qui réclame la ville de Winnipeg. (De fait, je ne connais qu'un territoire concédé par les autochtones
en Amérique du Nord, et c'est l'île de Manhattan, vendue aux
Hollandais de Peter Minuit pour la somme de 60 guilders en 1626.
Encore les Indiens qui avaient vendu l'île, ne comprenant rien à
ce qu'était une «vente», revinrent le lendemain pour
vendre à nouveau ce qui avait été vendu la veille! Les Indiens d'Amérique ne connaissaient pas la notion capitaliste de valeur d'échange). Et,
malheureusement, on trouvera toujours une écervelée comme la
mairesse de Montréal, les douchebags du club des Canadians
et autres Justin-larmoyant
pour approuver ces traites irremboursables sur l'éternité.
BE AWAKE, NOT A WOKE!
Rouillard
opère une ventilation à travers un fatras d'informations vraies et
fausses, complètement ou à moitié. Si Mme Beaulieu a pu
détecter avec son géoradar des dénivel-lations de terrains à Kamloops, elle ne
peut jurer ce que rapporte la presse sur le nombre des sépultures qui
y seraient ensevelies. Ainsi, tous ces chiffres qui sont lancés - 100, 200, 300 sépultures - sont d'authentiques fake news. D'autre part, il faut reconnaître que la notion de mythistoire est
relativement technique, même pour beaucoup d'historiens qui voient
dans les légendes historiques des obstacles à la diffusion de la connaissance objective de l'histoire. On
vacille entre la foi et la gnose; la croyance et le savoir; la
propagande et la critique. Position difficile à tenir, d'où cette
crise de démythification survenue au cours des années 60. (Aux
États-Unis, haro sur l'épopée de Custer; au Québec, la campagne
menée par les Jacques Hébert et Jacques Ferron contre le chanoine
Groulx. Vieilles maisons, vieux papiers, disait G. Lenôtre!).
On
ne peut tenir l'événement médiatique de Kamloops pour isolé.
Parce que les médias qui l'ont transmis sont des médias occidentaux
et que les agents de pouvoirs politiques et idéologiques ont mené
la branle dans toute la diffusion des rumeurs et encouragé ce qui
était fausseté. Nous avons dit plus haut en quoi le mythis-toire de Kamloops était d'utilité pour la conscience historique des Indiens du Canada. Il faut s'interroger maintenant à savoir à quoi correspond
ce mythistoire pour les Canadiens non-autochtones. Aujourd'hui, la
remythologisation du passé canadien passe par les pensionnats autochtones, la lutte des femmes pour le suffrage, le lourd héritage de l'esclavage noir et les injustices commises à propos des immigrants - le traitement des Doukhobors au début du XXe siècle; la détention arbitraire des citoyens italiens, allemands et japonais durant la Seconde Guerre mondiale; le reflux du navire Saint-Louis transportant des exilés juifs-allemands en 1939 -, autant d'événements qui appellent à déboulonner des statues ou autres manifestations puériles mais toujours toxiques qui, en prétendant abattre les mythes du passé national, entraînent en retour l'émergence de nouveaux mythes qui remplissent un vide laissé par le désintérêt du passé national au nom d'un présentisme multiculturel. Aussi, faut-il donc retenir qu'il y a une utilisation proprement occidental du mythistoire de Kamloops qui ne concerne pas les récriminations autochtones.
Il est un fait que le mythistoire n'est pas mauvais en soi. Sans eux, comme le
reconnaît Rouillard, il n'y aurait pas de recherches historiques. Le
mythistoire joue sur les émotions, les sentiments, comme nous
en avons fait l'expérience en tant que Québécois. Sans nos vieux
mythistoires canadiens-français, il n'y aurait jamais eu le
sentiment national dont ils sont partie prenante, ni le désir
d'indépendance du Québec. Par contre, les mythistoires s'adressent moins à la conscience qu'à l'inconscient historique, entretenant des traumatismes du passé - la Conquête de 1760, les troubles de 1837-1838, la guerre des Métis et des Indiens de 1885, les crises de la conscription de 1917 et de 1942, la crise d'Octobre, etc. - et établissent une situation de perpétuelle après-coup qui tout en stimulant des œuvres culturelles, maintiennent d'authentiques états de névroses individuelles et collectives. Évoquons ce masochisme occidental lié à la décolonisation
et qui, pour les Québécois, signifie la personnalité
schizophrénique partagée entre le chapeau du colonisateur et le
fardeau du colonisé tenus simultanément pour la même collectivité.
Dans un tel contexte, l'Occident a créé un tribunal où nous
sommes tout à la fois les accusateurs, les accusés, les plaideurs et les méchants
juges. Nous finissons en tant que bourreaux exemplaires.
Comme ces kapo juifs des camps d'extermination, condamnés
condamnant, exécutant les basses œuvres, vaporisant les douches
après utilisation et porteurs de cadavres dans les fours avant d'en
nettoyer les cendres pour le jour où ce serait leur tour. En fait, le piège qui attend les
autochtones est le même dans lequel les Québécois se sont enferrés : le
chantage affectivo-économique avec le pouvoir fédéral. Les autochtones éveillés par le mythe de Kamloops diront avec plus d'assurance à Ottawa : «si tu veux la tranquillité des Premières Nations,
donne-nous ceci ou cela». Comme Legault fait avec Trudeau : «si tu veux
la paix nationale au Québec, donne-nous tels pouvoirs en matière de
santé et d'immigration, en langue et en culture, etc.». Tout cela ne fait qu'ajouter à l'essence même du Canada : un panier de crabes où tous les pouvoirs se tiennent les uns les autres par des chantages immondes.
Contrairement
à l'âge de la régression sadique-anale (1860-1945) où se diffusaient des haines généralisées suscitant quantités d'idéologies négatives (antisémi-tisme, anti-modernisme, antilibé-ralisme, antidé-mocratie, anticom-munisme, haines contre les femmes et les homosexuels, le racisme colonial, etc.), notre époque prétend se conjuguer à l'amour infini. Durant cette première époque, des culpabilités inouies s'accumulaient. C'était bien parce qu'on avait autant de haines que le sentiment de culpabilité pesait si lourd sur la conscience morale des Occidentaux. Par contre, notre époque de
sadisme-oral, placé sous la trinité infernale du nihilisme, du narcissisme et de l'hédonisme, vit de culpabilités sans objets. Il faut donc alors lui en
trouver pour satisfaire une angoisse existentielle qui provient de la constante
dérive de la légalité de la légitimité. Comme les anciennes
contradictions se sont dissoutes avec la fin de la Seconde Guerre
mondiale, les mauvais sentiments du XIXe siècle sont
devenus nos bons sentiments du XXIe. Le sado-masochisme
s'est reconverti en vertu et devant notre société de consom-mation
et de communication, nous trouvons nos nouveaux affligés dans le
passé, ce qui permet de larmoyer sur les autochtones tout en
négligeant l'actuelle déficience de leur système d'approvisionnement d'eau courante! Amusant,
n'est-ce pas, que Macdonald paie pour Trudeau Jr qui laisse des
communautés autochtones obligées de s'approvisionner en eau avec des bidons de plastiques comme
le font les Africains de l'ancien Tiers-Monde?
De telles contradictions sont monnaies courrantes. Ainsi, tandis qu'on étire la sauce féminicide, plus on larmoie sur
les femmes violentées et tuées, plus la publicisation des
agressions contre les femmes augmente, ce qui témoigne de la
futilité de toute cette propagande amorcée aux lendemains de
Poly-technique. Combien faudra-t-il de générations de jeunes hommes
éduqués et informatisés pour qu'ils comprennent que la violence n'a pas
lieue entre les hommes et les femmes? On peut plaider que lorsque
nous étions à leur âge, nous ne bénéficions pas de cette
rhétorique culpabilisante, ce qui n'a pas empêché la plupart des
hommes de ma génération de se comporter en êtres respectueux et amoureux de leurs femmes! Le problème ne réside donc pas dans l'éducation des jeunes hommes, mais dans le refus de reconnaître le fait de la violence partagée, entre femmes et hommes, bien que par des stratégies différentes (violence physique contre violence psychologique). On dénonce le profilage ethnique comme un racisme systémique.
Je veux bien, mais un fait demeure : malgré tout le poids de la
censure médiatique, lorsqu'elle est obligée de publier les photos
des tueurs et de leurs victimes adolescentes - telles qu'on les a
vues cet été -, ce sont quasi unanimement des portraits de noirs affiliés aux gangs
de rue! L'intégration des minorités ethniques à la vie civique
occidentale a des ratés, c'est compréhensible, mais plutôt que de trouver
le moyen de résoudre les problèmes, devant ce qui semble être des
défis insurmontables, on s'accuse de manquer au devoir de l'inclusion!
On casse du sucre sur le dos de J.-F. Lisée pour sa sortie contre
cette publicité des H.E.C. utilisant une étudiante voilée pour attirer une clientèle algérienne, tout en lisant, sans rire, ces deux
avocates musulmanes qui nous annoncent que les femmes musulmanes portent
le voile par choix et goût personnel comme nos ados se font
tatouer et percer. Le féminisme occidental est devenu le rempart de l'aliénation des femmes musulmanes. Sommes-nous tellement bonnes poires à force de
s'autoflageller pour tous les crimes commis tout au long des temps que plus aucune idiotie ne nous soit épargnée?
Parce que nous l'avons voulu et le voulons encore, jusqu'à ne plus soif...?
Ces
outrances idéologiques sécrètent bien des mythistoires,
des exotismes gothiques, des récits larmoyants présentés comme autant de mélodrames
occidentaux que nous prenons pour du réel historique, ignorant la différence entre le fantasme, la fiction et la réalité. Aucune vérité subjective ne devrait être admise comme réalité objective, sinon que soumise à une critique rationnelle et vérifiable. Sinon, nous entrons en plein nouveau fascisme, dont la stratégie est de confondre en tout la sphère de la vie privée avec la sphère de la vie publique. Cette interpénétration des deux sphères s'est rapidement déployée depuis la démocratisation des appareils informatiques (et surtout du téléphone portable) qui véhiculent les réseaux sociaux. De cette confusion est né le wokisme associé et revendiqué par des groupes dits et se situant à gauche de l'échiquier politique, mais qui ont complètement dénaturé la philosophie traditionnelle de la gauche sociale. Ce n'est pas le bien de la
société que poursuit le wokisme,
mais la satisfaction de besoins, ou parfois même de caprices, de
groupes d'intérêts très restreints qui représentent, selon le
modèle bourgeois de la démocratie libérale, une clientèle politique cible.
Certes,
ce nouveau fascisme-soft, que l'on peut opposer au fascisme
historique plus hard, avec
ses chefs matadors, ses bandes de voyous, ses bastonnades, son huile de ricin, ses SS et
ses camps d'extermination, a retravaillé tout ce qui faisait le
folklore des groupes fascistes italiens et allemands des années
1920-1940. S'il y a encore de ce fascisme-hard associé
par exemple aux libertariens économiques à la Trump, aux
mouvements populistes à la Bolsonaro ou à l'extrême-droite
européenne et même dans la Russie poutinienne, c'est toujours à la
droite politique conservatrice et réactionnaire qu'on le trouvera
affilié. Ainsi, ces groupes religieux qui ont obtenu de la Cour suprême américaine la révocation de l'arrêt Roe v. Wade, criminalisant à nouveau l'avortement ou qui dénoncent les
mouvements gais. Ceux-là, on les reconnaît facilement qui ont appris
que de ne pas se faire aimer pouvait toujours attirer les
petits-bourgeois introvertis, amers et rancuniers, récriminant leurs
ressentiments contre le reste de la société, à l'image des supporteurs fascistes du premier XXe
siècle. Si le fascisme-hard a pu bénéficier des mythistoires de la mare nostrum mussolinienne et de la race aryenne hitlérienne, un mythistoire
comme celui de Kamloops ne pouvait surgir de leurs rangs.
Le
néo-fascisme, ou fascisme-soft,
est porté par l'idéologie woke qui
affiche un «réveil» contre toutes les formes d'injustices présentes
et historiques, d'où qu'on le situe à gauche de l'échiquier
politique. C'est évidemment une erreur. Les injustices historiques
sont davantage privilégiées que les injustices présentes, car il en
coûte peu de tenir des procès aux morts en infligeant les sanctions aux
survivants, jusqu'à leur imposer des compensations à
respecter. Ce qui fait du wokisme un fascisme, c'est surtout l'usage d'une praxis idéologique qui ne répugne pas à la violence : manifestations de rues, intimidation des adversaires, terreur intellectuelle ou
morale auprès des instituts d'enseignement et des universités; de la presse et des bibliothèques, enfin des individus qui ne se
rallient pas à la «cause» promue de l'heure. Autant d'actions
qui rappellent celles utilisées par l'ancien fascisme-hard, comme l'éprouvant auto-dafé exécuté dans une école ontarienne qui, à l'exemple des nazis de jadis, crut bon de faire brûler livres et bandes dessinées jugés irres-pectueux pour (et non par) les autochtones.
Les causes des femmes et des enfants, des homosexuels, des
immigrants, des réfugiés, des cultures malmenées par l'Occident
impérialiste et colonisateur, des handicapés, des transsexuels et,
bien entendu, des autochtones, animent le mouvement wokisme,
mais son aspect multiculturel joue contre lui, car s'il parvient à
additionner des parties, il ne parvient jamais à les souder au point de
constituer un tout, une force qui, une fois réalisée, serait tout aussi terrifiante que les forces unifiées jadis par le Parti national fasciste italien ou le Parti national-socialiste des travailleurs allemands de Hitler. Bref, qui trop embrasse mal étreint. Le wokisme travaille à la pièce en mobilisant le plus d'insatisfaits possibles, d'où une autre ressemblance avec le fascisme de papa qui ralliait tous les petits-bourgeois en colère, qu'importe qui était la cible de ses colères : Juifs, immigrants, féministes, homosexuels ou autres. Dans le fascisme-soft, à force de tenir ces causes les unes à côté des
autres, elles finissent par se contredire au sein même du mouvement.
Comment défendre à la fois l'intégrité du corps de la femme à
côté du soutien aux femmes voilées musulmanes, signes de soumission et d'infériorité de
la nature féminine? Comment exiger l'application des mesures
environnementales en vue de réduire les G.E.S. tout en poursuivant le développement d'entreprises pétrolières et gazières
dont les produits sont indispensables à la fabrication des plastiques
qui constituent la grande majorité des objets courants de la société
de consommation et de communication? Le wokisme est
structuré à la schizophrénie, ce qui le rend dangereux au niveau individuel plus que collectif. Enfin, comme l'ancien, le nouveau fascisme s'affiche comme vertueux, prétendant faire reposer l'ordre sur de nouvelles bases protectrices des faibles et des opprimés.
S'il
a souvent raison dans son argumentaire sur les questions de détails,
le wokisme avoue sa faiblesse lorsqu'il s'agit de conslider un Tout de tous ses groupes d'intérêts. Du moins est-il choyé au Canada,
avec un esprit aussi puérile que celui de Justin Trudeau. Et que dire de cette giblote de sociaux-démocrates réunie dans Québec solidaire? Ne parvenant pas à systématiser une idéologie capable de chapeauter tous ses clients, ce parti social-démocrate est
condamné à fonctionner à la pièce. Une fois de plus, l'addition ne
suffit pas à créer une totalité, une entièreté; un syncrétisme indispensable à une force permettant de prendre le pouvoir par le processus électoral. La politique québécoise se résumant à un extrême-centriste, on y a vu un Premier ministre, unanimement considéré comme un simplet avant son élection, devenir le Sauveur au Passeport sanitaire du peuple québécois durant la pandémie de Covid. Ayant réussi à obtenir «l'union sacré» des libéraux, des indépendantistes et surtout des solidaires, il a démontré combien le fascisme-hard pouvait serrer la main du fascisme-soft. À côté de la vichyssoise vice-première ministre qui appelait à dénoncer les voisins «sur le party», il y avait le conducator Legault qui tirait sur les échappés du couvre-feu. Le triomphe électoral qui s'annonce aux élections
d'octobre pour la C.A.Q. ne fait que rendre compte que tous les
partis politiques de l'Assemblée nationale n'en forment plus qu'un et que le nationalisme conservateur va bien main dans la main avec la social-démocratie des solidaires. L'estomac politique de François Legault a cette particularité de digérer aussi bien le vieux fascisme conservateur rétrograde que le fascisme woke de ses adversaires solidaires; le libéralisme des grands financiers comme le corporatisme de la petite-bourgeoisie de province; le fédéralisme de Martine Biron que le souverainisme de Bernard Drainville. À la rigueur, la C.A.Q. est un organisme capable de phagocyter tous les résidus politiques et convient à un morcellement intellectuel et moral d'une société essentiellement coloniale et régressive.
Le
néo-fascisme se développe rapidement grâce aux techniques et aux
pratiques de com-munication de masse inaugurées avec le siècle nouveau. Les
réseaux sociaux suppléent les réseaux publiques de communication
et accélèrent ce que mettait tant d'efforts à accomplir
l'archéo-fascisme du XXe
siècle : l'interpénétration de la sphère publique et de la sphère
privée. Contrairement au fascisme originel qui s'identifiait avec l'État qu'il tenait en tutelle, le néo-fascisme s'identifie avec la société qu'il alimente comme un courant électrique. Il réalise ainsi le souhait exprimé par l'idéologue nazi Robert Ley lorsqu'il affirmait que «la seule personne en Allemagne qui a encore une vie privée est celle qui dort» [cité in Charlotte Beradt. Rêver sous le IIIe Reich, Paris, Payot, Col. P.B.P., # 513, 2018, p. 45], en parvenant, par les sollicitations publicitaires et le mimétisme voyeuriste individuel sur les réseaux sociaux, à pénétrer cet ultime refuge de la vie privée qu'était le rêve. C'est ainsi que le fascisme nouveau s'accomplit à travers un ensemble de
stratégies idéologiques et politiques qui tentent d'impliquer la
responsabilité de chaque individu dans les actions collectives
passées et à l'origine des problèmes actuels d'intégration
sociale et sexuelle.
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui tente de
faire reposer sur chacun des individus les causes et la responsabilité des
changements climatiques.
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui établit un double standard criminel qui rend
responsable chaque homme d'une particularité
homicide (et donc judiciaire) réservant aux femmes une spécificité
gravissime (féminicide) lorsqu'elles sont victimes d'un acte criminel. Ce qui
implique le basculement du genre masculin dans la règle du Killing is no murder.
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui oblige à
satisfaire au nom de la santé mentale, ces ados en mal de leur
sexualité par des stratégies médicales, chirurgicales,
pharmaceutiques, thérapeutiques et juridiques favorisant le
transgénisme, sans égard aux conséquences futures, plutôt qu'investir dans une stratégie d'acception de soi..
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui rend
responsable chaque citoyen du mal être des immigrants qui se disent
heurtées par, voire refusent les normes civiques de la vie en
société.
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui efface la
longue pratique multicivilisationnelle de l'esclavage au nom d'un
seul, le noir, auquel nous devrions accorder une exceptionnalité
dictant l'usage de nos mots et condamnant préalablement toute intention dans
l'utilisons de ces mots.
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Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui attribue à
chacun d'entre nous la responsabilité du génocide autochtone en
s'octroyant le fardeau d'une «réconciliation» qui ne sera jamais
une réparation autant qu'un enjeu de chantage comme il a été
démontré au début de 2020 avec l'occupation des voies ferrées et
l'interruption durant un mois de la circulation ferroviaire pan-canadienne, outrage
qui s'est facilement fait oublier derrière la campagne anti-Covid du
gouvernement fédéral.
Sont fascistes, parce que ce sont des responsabilités de la sphère publique dont
on fait porter la culpabilité morale sur les épaules des individus privés. C'est oublier que la société est autre chose que la
somme des groupes d'intérêt qui la constituent et que les intérêts de ces groupes spécifiques ne sont pas assimilables à ceux de la société astreinte aux
contingences des temps. La solidarité des générations
n'impose pas plus que la fin des situations d'injustices et
l'amélioration des conditions de vie actuelles de ses membres.
Mais
si le nouveau fascisme passe facilement de la sphère publique à la
sphère privée, il assure, simultanément, une infraction de la sphère
privée dans la sphère publique.
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Est fasciste, aussi, qui exige de la collectivité une intolérance
contre ceux qui ne pratiquent pas les mêmes vertus qu'il s'impose au
nom de la cause environnementale par exemple.
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Est fasciste, qui pratique des dénonciations sur les
réseaux sociaux entraînant des procès sur la place publique avec
l'espoir que les tribunaux satisferont aux plaintes légales. (#Me
Too a beau représenter un courant légitime, mais il entre dans la
stratégie fasciste lorsqu'il s'agit de porter la légalité du tribunal sur la
place publique sans équilibre entre l'accusation et la défense).
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Est fasciste qui fait reposer sur une responsabilité
sociale la résolution de ses ennuis personnels comme de ses névroses psychologiques et sexuelles.
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Est fasciste qui entend établir des institutions publiques
particulières pour chaque culture parcellaire au détriment des codes
civils et criminels de la société.
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Est fasciste qui, au nom d'une pratique sexuelle ou
raciale, impose à ses contemporains une conduite ou une
pratique qui mutile son droit à sa liberté d'expression.
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Est fasciste qui exerce un chantage psychologique,
moral ou financier au nom de torts commis dans le passé et étrangers aux cadres moraux propres aux temps actuels. De même que les
membres d'une famille ne doivent pas être tenus responsables des
agissements de l'un de ses membres, les générations actuelles ne
sont plus à être tenues responsables pour les actions commises par leurs ancêtres dans le passé. C'est à la société de juger des torts et des injustices présents et
à y remédier, non aux individus.
Sont fascistes parce que ce sont des responsabilités privées qui doivent être portées par les intéressés seuls et non un fardeau de la collectivité. Si la
société est plus que la somme de ses individus, les individus ne peuvent qu'exiger leurs droits à la liberté, la sécurité et la dignité humaine et de meilleures
conditions favorables pour atteindre au plein épanouissement personnel. Ils ne peuvent culpabiliser la société de ne pas accéder au bonheur. La sphère privée n'a pas à s'étaler et attendre de la sphère publique une quelconque reconnaissance de ses manifestations intimes.
Que
le fait de vivre en démocratie ait pulvérisé le corps social en
ses multiples atomes individuels, entraînant en retour une indifférence
propre aux passions satisfaites sur la seule échelle personnelle,
suscite un fascisme-soft - qui ressemble dangereu-sement aux vieux
fascismes, comme l'ont révélé l'usage du passeport vaccinal et des
propagandes de ségrégation par les autorités «scientifiques» et
gouvernementales qui l'ont accompagné sous la pandémie -, nous montre que bien de
vieux démons grouillent toujours sous les apparences joviales de
notre société de satisfaction. On peut donc jouer aux éplorés et
aux vengeurs comme on a joué aux confinés il y a deux ans. Ça meuble
une existence vide traversée d'agitations subites mais sans
consistance. Qui s'est souvenu de l'engagement de millions
d'individus qui arpentaient les rues de Montréal derrière Greta Thunberg, il
y a trois ans, lorsque Trudeau et son phoney de ministre de
l'environ-nement viennent d'autoriser certains types d'ex-ploitation pétrolière à
reprendre du service, acceptant ainsi
de repousser les échéances des accords de Paris sur l'émission des
G.E.S.? Comme le fascisme et le nazisme, voire le communisme qui leur
ressemble par sa veine totalitaire, se fixer un objectif signifie appliquer son contraire.
Dans
ces conditions, on peut suspecter que Kamloops ne sera guère mieux
qu'un autre mythistoire occidental chargé, d'un côté, satisfaire les wokes qui épousent la cause autochtone; d'autre part, apaiser les angoisses
existentielles d'une civilisation en phase régressive avancée, satisfaite économi-quement et
politique-ment, qui se crée des culpabilités en vue d'échapper aussi bien à son vide intérieur qu'à
ses vraies responsabilités. Il va même jusqu'à établir un nouveau colonialisme sur la conscience amérindienne, de manière analogue à ce qui est reproché aux missionnaires
d'avoir accompli avec la conversion au christianisme déculturant leurs ancêtres. Sans
doute les millions promis par le gouvernement fédéral finiront-ils
par s'écouler lentement, séchant quelques larmes aux
«survivants», mais le plus gros ira probablement gonfler
d'un océan d'argent les coffres des banques, comme on l'a vu faire lors du règlement de
la Baie James en 1976⏳
Jean-Paul Coupal
Sherbrooke, 12 août 2022.